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31/08/2001 | SUISSE | N°4C.45/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 août 2001, 4C.45/2001


«/2»

4C.45/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

31 août 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Zappelli, juge suppléant. Greffière: Mme de Montmollin
Hermann.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

F.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Raphaël
Treuillaud, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par
Me Marc Bonnant, avocat à Genève;


(mandat; devoir d'informer de la banque)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- F.________, de...

«/2»

4C.45/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

31 août 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Zappelli, juge suppléant. Greffière: Mme de Montmollin
Hermann.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

F.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Raphaël
Treuillaud, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par
Me Marc Bonnant, avocat à Genève;

(mandat; devoir d'informer de la banque)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- F.________, de nationalité israélienne, est op-
ticien et optométriste. Il exploite un magasin de lunettes
médicales en Israël.

De juillet 1985 à septembre 1993, F.________ a
maintenu une relation bancaire avec la banque Y.________, à
Zurich. Durant cette période, son dépôt initial est passé,
par apports successifs et gains résultant de placements, de
70 000 US$ à 1 150 000 US$. La banque Y.________, qui
n'avait
pas de mandat de gestion, effectuait sur les indications de
son client des opérations spot, à savoir le changement immé-
diat de l'ensemble de son capital d'une monnaie dans une au-
tre. Les gains et les pertes résultant de ces opérations se
sont globalement équilibrés. Dès 1992, F.________ a cherché
à
obtenir des gains plus élevés. Il a alors procédé à des dé-
pôts à terme.

En 1993, F.________ a transféré sa fortune à
X.________ S.A. (ci-après: X.________), où il a déposé un
chèque de 1 214 000 US$. Cette relation bancaire a duré jus-
qu'à la fin 1995. Durant cette période, F.________ a princi-
palement réalisé des opérations de change, appelées "forex",
et il a utilisé l'effet de levier (ce qui, selon le diction-
naire Robert, désigne l'accroissement de la rentabilité des
capitaux résultant d'un endettement, dont le taux d'intérêt
est plus faible que celui de l'opération financée). Entre
septembre 1993 et novembre 1995, ces opérations de change
ont
généré de gros gains pendant les six premiers mois, puis
d'importantes pertes. En mars 1995, le compte de F.________
n'indiquait qu'un disponible de 75 000 US$; le disponible
était de 98 250,28 US$ le 11 décembre 1995, à la clôture du
compte.

B.- Par demande du 26 juin 1996, F.________ a saisi
le Tribunal de première instance de Genève d'une action en
paiement de 1 253 170,78 US$, montant réduit en cours de p-
rocédure à 1 047 982 US$. Le demandeur soutenait que
X.________ avait exécuté son mandat de gestion de façon dé-
fectueuse, en lui octroyant une ligne de crédit qu'il disait
n'avoir pas sollicitée et en spéculant, à son insu, avec ses
avoirs, dans des opérations de change hasardeuses.
X.________
a conclu au rejet de la demande.

Par jugement du 7 septembre 1999, le premier juge a
rejeté la demande. Il a retenu, en bref, que le demandeur
n'avait confié à la défenderesse aucun mandat de gestion,
qu'il avait, en toute connaissance de cause, donné lui-même
les instructions nécessaires à la banque et qu'il n'avait
pas
été la victime des initiatives de celle-ci.

Le 8 décembre 2000, la Cour de Justice du canton de
Genève a rejeté le recours en appel de F.________ et
confirmé
le jugement de première instance.

C.- F.________ recourt en réforme au Tribunal fédé-
ral contre l'arrêt du 8 décembre 2000, dont il demande l'an-
nulation. Il conclut à la condamnation de X.________ à lui
payer la somme de 1 047 982 US$ avec intérêts à 5% dès le
28 février 1994. A titre subsidiaire, il demande le renvoi
de la cause à l'instance cantonale aux fins d'établir la quo-
tité du dommage.

L'intimée propose le rejet du recours et la confir-
mation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fé-
déral doit conduire son raisonnement juridique sur la base
des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que
des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations re-
posant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale (art. 64 al. 2 OJ), exceptions qu'il incombe à la
partie recourante d'invoquer avec précision (art. 55 al. 1
let. c OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c), ce qu'elle ne fait
pas en l'espèce.

2.- La cour cantonale a considéré que les parties
n'avaient pas passé de mandat de gestion. Elle a retenu qu'à
la banque Y.________ déjà, le demandeur avait de son propre
chef donné des instructions pour des opérations de change
(forex) de type spot ou à terme, de quelques jours à
quelques
semaines. Après avoir changé d'établissement bancaire, le
demandeur avait, sciemment et spontanément, procédé à des
opérations de change avec effet de levier; toutes les tran-
sactions effectuées par la défenderesse liaient le
demandeur.
Enfin, la défenderesse s'était trompée en estimant que le de-
mandeur avait utilisé l'effet de levier à la banque
Y.________ déjà; elle avait en outre violé son devoir d'in-
formation en n'attirant pas spécifiquement son attention sur
les risques accrus découlant de l'utilisation de l'effet de
levier ainsi que sur les mécanismes de mise en oeuvre de
celui-ci. Ces fautes étaient toutefois sans rapport de causa-
lité avec le dommage invoqué par le demandeur.

3.- a) Le demandeur renonce à plaider l'existence
d'un mandat de gestion. Il se plaint de la violation des
art.
2 CC, 97, 312, 316, 394, 396 à 398, 425, 472 et 481 CO, de

l'art. 11 de la loi fédérale sur les bourses et le commerce
des valeurs mobilières du 24 mars 1995 (loi sur les bourses,
ci-après: LBVM), et de l'art. 3 de la loi fédérale sur les
banques et les caisses d'épargne du 8 novembre 1934 (loi sur
les banques, ci-après: LB).

b) D'emblée, on observera que le recourant mélange
faits et droit dans son argumentation, sans préciser en quoi
les dispositions légales, qu'il invoque en vrac, auraient
été
violées par la cour cantonale. La recevabilité du recours
est
douteuse à cet égard (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 106 II
175
confirmé in ATF 116 II 745 consid. 3).

c) Cela étant, le demandeur soutient que, manquant
à ses devoirs de mandataire, la défenderesse ne devait pas
permettre à son client, inexpérimenté et dont elle pouvait
constater la gestion déraisonnable, de continuer à dilapider
son avoir et à s'endetter. Cela constituerait une faute
technique grave dont la banque ne pouvait lui faire
supporter
les conséquences économiques.

En sa qualité d'opticien, il n'avait aucune expé-
rience professionnelle en matière d'investissements, d'op-
tions et de spéculation, n'ayant pratiqué que des opérations
de change simples, sans effet de levier.

Il allègue que la banque lui a fait miroiter de
mirifiques rendements, qu'elle lui a accordé des marges
usuellement réservées aux gérants professionnels et que ces
marges ont même été dépassées pour atteindre "quasiment un
levier 20". Cette situation aurait duré de février 1994 à
mars 1995, si bien qu'il aurait presque tout perdu. Du fait
de l'attitude de la défenderesse, le demandeur,
inexpérimenté
et perdant la notion du risque, se serait lancé dans des opé-
rations hasardeuses que la banque, qui en suivait le déroule-
ment "minute par minute", ne pouvait ignorer et auxquelles

elle aurait dû cesser de prêter son concours. En résumé, il
soutient que la défenderesse aurait dû refuser d'exécuter
ses
instructions dans la mesure où elle pouvait reconnaître que
ces opérations le ruinaient.

4.- a) Il est vrai que la jurisprudence admet que
le client inexpérimenté doit être clairement renseigné sur
les risques de perte ou le faible espoir de gain dans des
affaires à option hautement spéculatives. Il n'existe toute-
fois, fondamentalement, aucun devoir d'information de la
banque en cas d'instructions ciblées du client tendant à des
dispositions relatives à son compte; en effet, lorsque le
client donne de manière inconditionnelle les ordres ou les
instructions correspondantes, il montre qu'il n'a pas besoin
de l'information et des conseils de la banque, ni ne les sou-
haite. Dans ce cas, un devoir de mise en garde n'existe
qu'exceptionnellement, soit lorsque la banque, en faisant
preuve de l'attention due, doit reconnaître que le client
n'a
pas identifié un danger déterminé lié au placement, ou lors-
qu'un rapport particulier de confiance s'est développé dans
le cadre de la relation d'affaires durable entre le client
et
la banque, rapport en vertu duquel le client peut, sur la ba-
se des règles de la bonne foi, attendre conseil et mise en
garde même s'il n'a rien demandé (ATF 124 III 155 consid. 3a
et arrêt reproduit in SJ 1999 I 205 consid. 3b). Ce devoir
d'information peut être fondé sur l'art. 398 al. 2 CO dans
le
cadre d'un contrat de gestion, sur l'art. 11 al. 1 let. b
LBVM éventuellement à lire en rapport avec les directives de
l'Association suisse des banquiers (cf. Bernhard Berger, Die
Informationspflicht des Effektenhändlers nach der Richtlinie
der Schweizer Bankiervereinigung in RSDA 2/2001 p. 69) ou en-
core être considéré comme un cas d'application de la respon-
sabilité fondée sur la confiance (Wiegand, Zur rechtssystema-
tischen Einordnung von art. 11 BEHG, in RJB 135/1999 p. 713
ss).

b) La cour cantonale a admis que la défenderesse
avait commis des fautes qui consistaient pour l'essentiel
dans l'insuffisance des informations fournies au client,
mais
qu'en tout état de cause, ces fautes n'étaient pas en
rapport
de causalité avec le dommage subi par le demandeur.

c) Selon la jurisprudence constante du Tribunal
fédéral, il y a lieu de distinguer entre la causalité natu-
relle et la causalité adéquate même si la violation d'une
obligation contractuelle est imputable à une omission. Pour
retenir une causalité naturelle en cas d'omission, il faut
admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu
si l'intéressé avait agi conformément à la loi ou au
contrat.
Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessaire-
ment prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de
causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l'expé-
rience générale de la vie et il porte donc un jugement de va-
leur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypo-
thétique entre l'omission et le dommage est établi, il ne se
justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel exa-
men sur la nature adéquate de la causalité. Selon la juris-
prudence, en outre, les constatations de la juridiction can-
tonale sur le rapport de causalité naturelle lient le Tribu-
nal fédéral conformément à l'art. 63 al. 2 OJ. Cela est éga-
lement valable en ce qui touche la causalité en matière
d'omission et les assertions hypothétiques qui s'y ratta-
chent. Ne font exception que les déductions reposant unique-
ment sur l'expérience générale de la vie, lesquelles peuvent
être revues par le Tribunal fédéral en réforme (ATF 127 III
453 consid. 5d; 122 IV 17 consid. 2c; 115 II 440 consid. 5a
et 5b).

En l'espèce, la cour cantonale, se fondant sur le
résultat de la procédure probatoire, a constaté que l'omis-
sion, en soi fautive, de la banque n'avait eu aucun effet
sur
le comportement du client, qu'elle n'avait ni provoqué ni en-

tretenu l'attitude de celui-ci et qu'elle n'avait dès lors
nullement entraîné le dommage, dû au seul fait du demandeur
lui-même.

Il s'agit là de la constatation de l'absence de
lien de causalité naturelle entre les fautes reprochées à la
banque et le dommage. Cette constatation n'est pas fondée
uniquement sur l'expérience générale de la vie. Elle lie le
Tribunal fédéral en réforme (ATF 123 III 110 consid. 2).

Il s'ensuit que sur la base des faits retenus par
la cour cantonale, aucune obligation de réparer le dommage
ne
peut être imputée à la défenderesse.

5.- Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesu-
re où il est recevable. Les frais de la procédure seront mis
à la charge du recourant qui succombe, de même qu'une indem-
nité de dépens en faveur de la défenderesse.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 17 000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 17 000 fr. à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 31 août 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.45/2001
Date de la décision : 31/08/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-31;4c.45.2001 ?
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