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30/08/2001 | SUISSE | N°5C.165/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 août 2001, 5C.165/2001


«/2»

5C.165/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

30 août 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

__________

Dans la cause civile pendante

entre

X.________ , demandeur et recourant,

et

1. Y.________ , défenderesse et intimée, représentée par Me
Henri Leu, avocat à Genève,

2. E t a t d e G e n è v e , Chambre des tutelles , défen-
deur et intimé, représent

é par Me Michel Bergmann, avocat
à Genève;

(responsabilité du curateur)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t...

«/2»

5C.165/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

30 août 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

__________

Dans la cause civile pendante

entre

X.________ , demandeur et recourant,

et

1. Y.________ , défenderesse et intimée, représentée par Me
Henri Leu, avocat à Genève,

2. E t a t d e G e n è v e , Chambre des tutelles , défen-
deur et intimé, représenté par Me Michel Bergmann, avocat
à Genève;

(responsabilité du curateur)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Z.________ est décédé le 10 juin 1989 à Genève,
en laissant pour héritiers son épouse A.________ et ses deux
enfants X.________ (ci-après: le recourant), né en 1976 et
B.________ né en 1980. Vu le conflit potentiel entre ces der-
niers et leur mère, la Chambre des tutelles du canton de
Genève a désigné Y.________ en qualité de curatrice chargée
de représenter les enfants dans la liquidation de la succes-
sion en application de l'art. 392 ch. 2 CC.

Le défunt était copropriétaire avec son épouse, cha-
cun pour la moitié, d'un immeuble sis à Thônex, estimé fisca-
lement à 1'100'000 fr. Il avait en outre conclu deux assuran-
ces vie, l'une en faveur de ses enfants, qui a donné lieu au
versement d'une somme de 201'838 fr. 10, l'autre en faveur
de
son épouse, d'un montant de 250'000 fr. Enfin, son fonds de
prévoyance a versé un capital décès de 400'000 fr., qui de-
vait se répartir entre l'épouse pour moitié et les enfants à
raison d'un quart chacun. Au total, la succession présentait
un actif de 2'010'139 fr. 05 et un passif de
1'104'823 fr. 05.

La curatrice a approuvé l'inventaire en date du 27
avril 1990 avec l'accord de la Chambre des tutelles. Le 10
juillet 1990, celle-ci a autorisé la curatrice, pour le comp-
te des pupilles, à accepter la succession du défunt. Il ré-
sultait en effet des documents en possession de la justice
de
paix que la succession était active. L'immeuble de Thônex,
malgré son estimation fiscale à 1'100'000 fr. et son évalua-
tion à 1'120'000 fr. par les architectes C.________ et
D.________ en octobre 1991, n'a pu être vendu qu'en mars
1997
pour le prix de 800'000 fr.

L'acte de partage a été signé en avril 1999. Le re-
courant a ensuite déclaré avoir été contraint par sa mère de
signer, sans toutefois invalider l'acte. A la même époque,
il
a signé avec sa mère une convention réglant leurs comptes in-
ternes, selon laquelle il avait touché d'elle la somme de
39'156 fr.

B.- Le 29 octobre 1997, le recourant a formé devant
le Tribunal de première instance de Genève une demande en
paiement contre l'Etat de Genève et la curatrice pour un mon-
tant en capital de 400'000 fr. au minimum, montant qu'il a
ensuite réduit à 161'863 fr. 05 ou 174'032 fr. 55. Selon
lui,
l'immeuble n'avait pas été vendu immédiatement et avait
perdu
de la valeur; la curatrice aurait dû mettre en garde la mère
à propos de cette perte de valeur, eu égard aux droits des
enfants. En outre, les montants provenant des assurances
avaient été laissés en mains de la mère, sans contrôle; de
plus, ils avaient été portés pour leur valeur entière dans
la
succession en dépit de l'art. 476 CC; sans les assurances,
la
succession aurait présenté un actif net de 48'677 fr. 90, ce
qui aurait dû inciter la curatrice à la répudier.

La curatrice a contesté toute responsabilité et tout
dommage. Elle a fait valoir notamment que la curatelle ins-
taurée était une curatelle de représentation, et non pas de
gestion. S'agissant des sommes d'assurance, elles avaient
été
versées à la mère en sa qualité de détentrice de l'autorité
parentale, à charge pour elle de pourvoir à leur administra-
tion; elles avaient fait l'objet de placements et avaient
été
représentées dans le partage.

L'Etat de Genève a contesté sa légitimation passive:
tant que la responsabilité des organes de tutelle n'était
pas
rapportée et que le dommage non couvert par ceux-ci n'était
pas établi, il ne pouvait pas être recherché en responsabili-
té; la demande formée à son encontre était donc prématurée.

Débouté par le tribunal de première instance, le de-
mandeur a interjeté appel auprès de la Cour de justice du
canton de Genève. Par arrêt du 18 mai 2001, celle-ci a
rejeté
l'appel et confirmé le jugement de première instance.

C.- Par actes du 22 juin 2001, le demandeur a formé
simultanément un recours de droit public et un recours en ré-
forme contre l'arrêt de la Cour de justice. Dans son recours
en réforme, il se plaint d'une violation de l'art. 426 CC et
conclut à la condamnation des défendeurs à lui verser la som-
me de 161'863 fr. 05, éventuellement 170'032 fr. 55 (recte:
174'032 fr. 55). Il sollicite en outre l'octroi de l'assis-
tance judiciaire pour la procédure fédérale.

Une réponse n'a pas été requise.

D.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a dé-
claré le recours de droit public irrecevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Interjeté en temps utile contre une décision
finale rendue par le tribunal suprême du canton de Genève
dans une contestation civile de nature pécuniaire, le
recours
est recevable au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
Comme les droits contestés dans la dernière instance cantona-
le dépassent 8'000 fr., il est aussi recevable du chef de
l'art. 46 OJ.

2.- Au titre de violation de l'art. 426 CC, le re-
courant reproche aux juges cantonaux de n'avoir pas retenu
que la curatrice avait fait preuve de négligence, d'une part
en acceptant la succession alors que celle-ci laissait à sa
charge un déficit de 96'140 fr. 55, d'autre part en ne met-
tant pas l'immeuble en vente immédiatement après le décès du
de cujus. Selon lui, l'acceptation d'une succession qui pré-

sentait un actif net de moins de 50'000 fr., et dont le seul
actif était constitué d'un bien immobilier évalué à
1'120'000
fr. et hypothéqué à plus de 90%, n'était pas digne d'un bon
administrateur; de surcroît, la curatrice était nommée pour
sauvegarder les intérêts des pupilles; en sa qualité d'avoca-
te, elle ne pouvait pas sous-évaluer l'ensemble de la situa-
tion financière et les risques liés à l'acceptation de la
succession. Le recourant soutient par ailleurs qu'en cas de
répudiation de cette dernière, il aurait pu bénéficier des
201'019 fr. 05 provenant des assurances vie et des presta-
tions LPP, et non pas seulement des 39'156 fr. reçus, son
dommage étant ainsi constitué par la différence entre les
deux montants, savoir 161'863 fr. 05. Mais, fait-il encore
valoir, même si l'on voulait admettre le contraire, à savoir
que l'apparence "active" de la succession imposait l'accepta-
tion de celle-ci, la curatrice aurait commis une grave négli-
gence en ne vendant pas immédiatement la maison et en atten-
dant jusqu'en 1993 pour le faire; elle aurait aussi dû insis-
ter auprès de la veuve sur la nécessité d'une vente
immédiate
de la propriété et attirer son attention sur les risques
qu'un retard présentait.

3.- a) La responsabilité des organes de la tutelle
instaurée par l'art. 426 CC, que la jurisprudence a étendue
au curateur (ATF 70 II 77 consid. 1 p. 80), est mise en oeu-
vre lorsqu'un organe tutélaire a causé à dessein ou par né-
gligence un dommage en n'observant pas, dans l'exercice de
ses fonctions, la diligence d'un bon administrateur. Le cura-
teur doit ainsi avoir agi - ou omis d'agir - dans le cadre
des tâches qui lui incombent en vertu du droit fédéral
(Deschenaux/Steinauer, Personnes physiques et tutelle, 4e
éd., n. 1059; J. Gross, Commentaire bâlois, n. 1 ad art.
426-429 CC; Egger, Commentaire zurichois, n. 8 ad art. 426
CC). Selon la mission confiée au curateur, la loi distingue
entre la curatelle de représentation (Vertretungsbeistand-
schaft, art. 392 CC) et la curatelle de gestion (Verwaltungs-

beistandschaft, art. 393 CC). Ces deux formes peuvent toute-
fois être ordonnées simultanément: on parle alors de "cura-
telle combinée" ou de "curatelle mixte" (Deschenaux/
Steinauer, op. cit., n. 1092). Les deux types de curatelle
se
distinguent par la mission confiée au curateur. En l'occur-
rence, l'intimée a été désignée curatrice avec la "mission
de
représenter les enfants dans la succession de leur père" en
"raison du conflit d'intérêts potentiel existant entre les
mineurs et leur mère". Ce cas de curatelle est expressément
prévu à l'art. 392 ch. 2 CC.

b) Il résulte de l'art. 426 CC que le curateur doit
observer dans l'exercice de ses fonctions la diligence d'un
bon administrateur. Cette notion sert à délimiter le devoir
général qui est imposé au curateur et dont la violation ob-
jective constitue l'acte illicite qui peut lui être reproché
(Egger, op. cit., n. 19a ad art. 426 CC; Philippe Junod, Re-
cherche sur la responsabilité des organes de la tutelle, thè-
se Lausanne 1953, p. 42). Elle englobe tant les actes que
les
omissions. Le devoir du curateur et des autorités de tutelle
est de discerner l'intérêt du pupille et de le faire triom-
pher (Junod, op. cit., p. 44). Le curateur doit prendre les
renseignements utiles à assurer la sécurité des capitaux pla-
cés et faire les propositions nécessaires à l'autorité tuté-
laire. La responsabilité des organes de la tutelle implique
nécessairement la preuve d'une intention ou d'une
négligence.
L'organe de tutelle répond de toute faute, même légère
(Deschenaux/Steinauer, op. cit., n. 1063). La négligence com-
porte une imprévoyance coupable: le dommage aurait pu être
évité, si le tuteur avait fait preuve de prudence et de dili-
gence dans l'administration des biens du pupille.

c) Selon les constatations de fait de l'arrêt atta-
qué, lesquelles lient le Tribunal fédéral en instance de ré-
forme (art. 55 al. 1 let. c et 63 al. 2 OJ), il n'est pas
prouvé que la mère du recourant ait disposé des sommes prove-

nant de l'assurance vie et des prestations de prévoyance
dont
le recourant était bénéficiaire pour payer la dette hypothé-
caire de la villa. En effet, ces sommes - respectivement
100'919 fr. 05 et 100'100 fr. - ont été sauvegardées; elles
figurent dans l'acte de partage que le recourant a signé en
1999 et qu'il n'a pas invalidé. Par ailleurs, les assurances
vie et prévoyance qui indiquaient l'épouse et/ou les enfants
comme bénéficiaires ne tombaient pas dans la succession
(D. Staehelin, Commentaire bâlois, n. 4 ad art. 476 CC) et
n'avaient donc pas à être prises en considération par la cu-
ratrice, dont la tâche consistait seulement à représenter
les
enfants dans la liquidation de la succession.

d) La succession était essentiellement constituée de
la maison familiale, évaluée à 1'120'000 fr. et grevée d'une
dette hypothécaire de 1'047'353 fr. 85, ce qui donnait un ac-
tif net immobilier de fr. 72'646 fr. 15 et un actif net suc-
cessoral - compte tenu des autres actifs et passifs, selon
l'inventaire rappelé dans l'arrêt cantonal, à l'exclusion du
mois d'entretien pour la famille (art. 606 CC) - de
53'077 fr. 90.

Selon le recourant, le risque d'une perte était ma-
nifeste: la curatrice avait délibérément exclu une déprécia-
tion de la maison et cette attitude n'était pas digne d'un
bon administrateur. Ce point de vue ne peut être suivi. La
succession était active à concurrence de plus de 50'000 fr.
et la maison avait été évaluée par deux architectes. Ceux-ci
avaient en particulier confirmé, en octobre 1991, que les
montants appliqués par eux au terrain et à la construction
étaient des prix réalistes et non des prix influencés par le
marché immobilier. D'ailleurs, leur estimation était quasi-
ment égale à l'estimation fiscale. Dans ces conditions, la
curatrice pouvait faire confiance à cette estimation, comme
l'aurait fait tout bon administrateur. Le développement du
marché immobilier dans les années nonante s'est malheureuse-

ment caractérisé par l'effondrement des prix et l'augmenta-
tion des intérêts hypothécaires; mais au début de l'année
1990, lors de l'acceptation de la succession, la curatrice
ne
pouvait, même avec toute la prudence requise, imaginer un
tel
développement.

Au demeurant, selon les constatations de l'arrêt at-
taqué, il n'est absolument pas prouvé que la curatrice
aurait
pu vendre la villa plus rapidement et à un prix plus élevé
que celui qui a été obtenu. Le recourant semble oublier que
si, dans les même circonstances, la curatrice avait refusé
la
succession et qu'ensuite la villa eût pu être vendue au prix
d'estimation, voire à un prix supérieur, elle aurait certai-
nement engagé sa responsabilité pour ne pas avoir sauvegardé
le patrimoine des pupilles. En outre, il s'agissait de la
maison familiale, occupée par les héritiers, de sorte que
les
intérêts hypothécaires pouvaient être considérés, au moins
en
bonne partie, comme le loyer de l'habitation familiale.

e) Quant à l'argument du recourant selon lequel il
aurait pu, en cas de répudiation de la succession,
bénéficier
d'environ 200'000 fr. des assurances, il ne convainc pas. Le
recourant oublie que sa mère pouvait utiliser les revenus de
ce capital, voire le capital lui-même, pour l'entretien, l'é-
ducation et la formation de ses enfants (art. 319 al. 1 et
320 CC).

4.- Il résulte de ce qui précède qu'en acceptant la
succession pour ses pupilles, la curatrice n'a pas violé ses
devoirs de fonction et qu'elle ne saurait par conséquent en-
courir de responsabilité pour l'exercice de ses tâches.

Mal fondé en tant qu'il est recevable, le recours
doit donc être rejeté dans cette mesure, ce qui entraîne
la
confirmation de l'arrêt attaqué.

Faute de chance de succès (art. 152 OJ), la demande
d'assistance judiciaire doit aussi être rejetée. Un échange
d'écritures n'ayant pas été ordonné, il n'y a pas lieu d'al-
louer de dépens.

Par ces motifs,

le T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme l'arrêt attaqué.

2. Rejette la demande d'assistance judiciaire.

3. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 1'500 fr.

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

__________

Lausanne, le 30 août 2001
FYC/vlc

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.165/2001
Date de la décision : 30/08/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-30;5c.165.2001 ?
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