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17/08/2001 | SUISSE | N°4C.53/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 août 2001, 4C.53/2001


«/2»

4C.53/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

17 août 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Xavier Mo Costabella, avocat à Genève,

et

Y.________ AG, demanderesse et intimée, représentée par Me
Emmanu

el Stauffer, avocat à Genève;

(reconnaissance de dette; erreur; fardeau de la preuve)

Vu les pièces du dossier d'où ressor...

«/2»

4C.53/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

17 août 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Xavier Mo Costabella, avocat à Genève,

et

Y.________ AG, demanderesse et intimée, représentée par Me
Emmanuel Stauffer, avocat à Genève;

(reconnaissance de dette; erreur; fardeau de la preuve)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ S.A. exploite deux magasins de vente
de pièces détachées de voiture, l'un situé à A.________,
l'autre ouvert en 1997 à B.________. Dès 1991, cette société
s'approvisionnait en pots d'échappement auprès de Y.________
AG. Les parties étaient liées par des conditions de livrai-
son, dont la version la plus récente était datée du 24 fé-
vrier 1997. Les conditions 1997 prévoyaient en particulier
le
versement aux clients de Y.________ AG, en janvier 1998,
d'un
«bonus» calculé en pourcent du montant des pots
d'échappement
livrés durant l'année écoulée; allant de 2 à 10%, le pourcen-
tage s'élevait à 5% pour un chiffre d'affaires de 225 000
fr.
à 325 000 fr.

Le 7 janvier 1998, Y.________ AG a envoyé à
X.________ S.A. une lettre pour chacun des deux magasins; il
résultait de ces courriers que la cliente bénéficiait d'un
bonus de 10% pour un chiffre d'affaires de 259 492 fr. sur
le
magasin de A.________ et d'un rabais identique pour un chif-
fre d'affaires de 91 079 fr. sur le magasin de B.________.
Parallèlement, Y.________ AG a adressé à X.________ S.A.
deux
notes de crédit, dont les montants respectifs étaient de
27 635 fr.70 et 9700 fr., TVA comprise.

A la mi-janvier 1998, X.________ S.A. a cessé de
s'approvisionner en pots d'échappement chez son fournisseur
habituel.

Par lettres du 21 janvier 1988, Y.________ AG a fait
savoir à X.________ S.A. que les décomptes du bonus 1997 du
7
janvier 1998 comportaient deux erreurs. D'une part, le taux
applicable pour les chiffres d'affaires réalisés par les
deux

magasins était de 5%, et non de 10%; d'autre part, le
chiffre
d'affaires déterminant pour le bonus ne devait pas inclure
le
montant du stock de base livré au magasin de B.________. Rec-
tifiées, les notes de crédit s'élevaient à 13 818 fr.40, res-
pectivement 1548 fr.50, TVA comprise.

Le 2 février 1998, X.________ S.A. a contesté la
rectification opérée par Y.________ AG. Elle invoquait un ac-
cord oral intervenu en mai 1997, aux termes duquel le bonus
était fixé à 10% de 1997 à 1999 et portait également sur le
montant du stock de base du magasin de B.________.

En juin 1998, Y.________ AG a fait notifier à
X.________ S.A. deux commandements de payer, d'un montant
global de 20 207 fr. Cette somme représentait des factures
impayées, après déduction du bonus de 5% tel que rectifié
dans les courriers du 21 janvier 1998. La poursuivie a formé
opposition.

B.- Par demande du 21 avril 1999, Y.________ AG a
assigné X.________ S.A. en paiement de 20 207 fr. avec inté-
rêts à 5% dès le 1er février 1998, sous imputation d'un mon-
tant de 362 fr.55 versé le 19 mars 1999; elle a également
conclu à la levée des oppositions.

Dans un jugement du 4 mai 2000, le Tribunal de pre-
mière instance du canton de Genève a fait entièrement droit
à
la demande, accordant même des intérêts à 5% dès le 1er jan-
vier 1998.

Statuant le 21 décembre 2000 sur appel de la défen-
deresse, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé
le jugement de première instance.

C.- X.________ S.A. interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme de l'arrêt du
21 décembre 2000 en ce sens que Y.________ AG est déboutée
de
ses conclusions en paiement.

La demanderesse propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Selon l'arrêt attaqué, il incombait à la dé-
fenderesse de prouver l'existence d'un accord qui modifiait
les conditions contractuelles du 24 février 1997, en portant
le bonus de 5 à 10%. Or, l'acheteuse n'a pas établi que la
demanderesse s'était engagée inconditionnellement à lui ris-
tourner un bonus de 10% sur le chiffre d'affaires. La cour
cantonale estime en effet que les lettres et notes de crédit
du 7 janvier 1998 ne valent pas reconnaissances de dette car
elles ont été invalidées au sens des art. 24 ss CO par l'en-
voi des courriers rectificatifs du 21 janvier 1998. Au sur-
plus, la Cour de justice n'exclut pas que les parties aient
mené des discussions au printemps 1997, mais n'envisage
alors
que deux hypothèses: soit la demanderesse n'a pas accepté la
requête de la défenderesse tendant à obtenir un bonus de
10%,
soit l'octroi d'un taux de 10% était subordonné à la poursui-
te des relations commerciales pendant au moins trois ans.

b) La défenderesse se plaint d'une double violation
de l'art. 8 CC, régissant le fardeau de la preuve. D'une
part, la cour cantonale aurait dû qualifier les notes de cré-
dit du 7 janvier 1998 de reconnaissances de dette et
admettre
ainsi que l'accord sur un bonus de 10% avait été prouvé.
D'autre part, la Cour de justice a implicitement considéré
comme prouvée l'erreur dans la rédaction des documents du 7

janvier 1998, alors que la demanderesse n'aurait pas apporté
la moindre preuve d'une telle inadvertance.

2.- a) Aux termes de l'art. 8 CC, chaque partie
doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits
qu'elle allègue pour en déduire son droit. Cette règle s'ap-
plique à toute prétention fondée sur le droit fédéral (ATF
127 III 142 consid. 3c p. 145; 125 III 78 consid. 3b p. 79;
124 III 134 consid. 2b/bb p. 143; 123 III 35 consid. 2d).
Elle répartit le fardeau de la preuve (ATF 122 III 219 con-
sid. 3c p. 223) et détermine ainsi la partie qui doit
assumer
les conséquences d'une absence de preuve (ATF 127 III 142
consid. 3c p. 145; 125 III 78 consid. 3b p. 79). L'art. 8 CC
confère le droit à la preuve (ATF 122 III 219 consid. 3c p.
223; 114 II 289 consid. 2a p. 290/291) et à la contre-preuve
(ATF 120 II 393 consid. 4b p. 397; 115 II 305). Le juge can-
tonal viole cette disposition s'il omet ou refuse d'adminis-
trer des preuves sur des faits pertinents et régulièrement
allégués (ATF 123 III 35 consid. 2b p. 40; 122 III 219 con-
sid. 3c p. 223; 121 III 60 consid. 3c p. 63; 114 II 289 con-
sid. 2a p. 291) ou s'il tient pour exactes les allégations
non prouvées d'une partie, nonobstant leur contestation par
l'autre (ATF 114 II 289 consid. 2a p. 291). L'art. 8 CC est
également violé par le juge qui n'administre pas, sur des
faits juridiquement pertinents, des preuves idoines offertes
régulièrement, alors qu'il considère que les faits en ques-
tion n'ont été ni établis ni réfutés (ATF 114 II 289 consid.
2a p. 291). En revanche, l'art. 8 CC ne dicte pas au juge
comment il doit former sa conviction (ATF 122 III 219
consid.
3c p. 223; 119 III 60 consid. 2c p. 63; 118 II 365 consid.
1); ainsi, lorsque l'appréciation des preuves le convainc
qu'une allégation de fait a été établie ou réfutée, la répar-
tition du fardeau de la preuve devient sans objet (ATF 119
III 103 consid. 1; 118 II 142 consid. 3a p. 147; 117 II 387
consid. 2e p. 393; 114 II 289 consid. 2a p. 291). L'art. 8
CC

ne saurait être invoqué pour faire corriger l'appréciation
des preuves, qui ressortit au juge du fait (ATF 119 II 114
consid. 4c p. 117; 117 II 609 consid. 3c p. 613; 114 II 289
consid. 2a p. 291).

b) La demanderesse réclame à la défenderesse le
paiement de factures non honorées, dont elle a déduit le bo-
nus 1997 calculé à 5% selon ses courriers rectificatifs du
21
janvier 1998, soit un montant de 15 366 fr.90. Pour la défen-
deresse, la créance qu'elle peut opposer en compensation
s'élève à 37 335 fr.70, représentant un bonus de 10% sur le
montant des articles achetés en 1997, y compris le stock de
base fourni au magasin de B.________; elle se fonde à cet
égard sur les lettres et notes de crédit établies par la de-
manderesse en date du 7 janvier 1998.

Les derniers documents cités sont postérieurs aux
conditions de livraison invoquées par la demanderesse.
S'agit-il, comme la défenderesse le soutient, de reconnais-
sances de dette? La reconnaissance de dette se définit comme
la déclaration par laquelle un débiteur manifeste au créan-
cier qu'une dette déterminée existe (Schmidlin, Berner Kom-
mentar, n. 15 ad art. 17 CO; Schönenberger/Jäggi, Zürcher
Kommentar, n. 5 ad art. 17 CO; cf. également ATF 90 II 428
consid. 11 p. 442). Qu'elle énonce ou non la cause de l'obli-
gation, la reconnaissance de dette est valable (art. 17 CO)
et emporte nécessairement la volonté de s'engager
(Schmidlin,
op. cit., n. 18 ad art. 17 CO). En l'espèce, les lettres du
7
janvier 1998 émanent bien de la demanderesse et sont adres-
sées à la défenderesse; elles indiquent clairement que la
cliente a droit à un bonus dont le montant est indiqué et in-
vitent du reste la destinataire à déduire la somme en ques-
tion du prochain décompte. Tous les éléments d'une reconnais-
sance de dette sont réunis. C'est donc à tort que la cour

cantonale a refusé de qualifier comme telles les lettres du
7
janvier 1998.

Selon la jurisprudence rendue en application de
l'art. 17 CO, la reconnaissance de dette a pour effet de ren-
verser le fardeau de la preuve: ce n'est pas au créancier de
prouver la cause de sa créance, mais à celui qui conteste sa
dette d'établir la cause de l'obligation et de démontrer que
cette cause n'est pas valable (ATF 105 II 183 consid. 4a p.
187 et les arrêts cités; arrêt non publié du 31 janvier
1989,
reproduit in SJ 1989, p. 344). Le débiteur peut également
soulever des exceptions en relation avec la reconnaissance
elle-même (Schmidlin, op. cit., n. 52 ad art. 17 CO); ainsi,
le Tribunal fédéral a déjà admis l'invalidation d'une recon-
naissance de dette pour cause d'erreur essentielle (ATF 96
II
25 consid. 1 et les références).

En l'espèce, il suffisait dès lors à la défenderesse
de produire les lettres du 7 janvier 1998; il appartenait en-
suite à la demanderesse de démontrer qu'elle se trouvait
dans
l'erreur à propos du taux du bonus inscrit dans lesdits cour-
riers, ainsi que du chiffre d'affaires à prendre en considé-
ration. Ce n'était pas à la défenderesse de prouver l'exis-
tence d'un accord oral sur un taux de 10% et la prise en
compte du stock de base, mais bien à la demanderesse d'éta-
blir que les reconnaissances de dette du 7 janvier 1998
étaient entachées d'erreurs dans la déclaration. En consé-
quence, l'arrêt attaqué consacre une violation des art. 8 CC
et 17 CO en tant que le fardeau de la preuve d'un accord dé-
rogeant aux conditions de livraison a été mis à la charge de
la défenderesse.

c) Cela étant, il convient de se demander si, malgré
cette inversion du fardeau de la preuve, la Cour de justice
n'a pas d'ores et déjà apprécié les preuves de manière à
lier

la cour de céans. A cet égard, force est de constater que
l'autorité cantonale ne dit mot sur les erreurs que la deman-
deresse aurait commises, se bornant à relever l'invalidation
au sens des art. 24 ss CO par l'envoi des courriers du 21
janvier 1998. Certes, l'erreur paraît être ainsi reconnue im-
plicitement. Cependant, la Cour de justice n'exclut pas,
dans
le même temps, que des négociations sur une modification du
taux du bonus aient eu lieu entre les parties au printemps
1997 et retient alors, sans les départager, deux hypothèses,
tout en rejetant la thèse de l'accord oral soutenue par la
défenderesse. Or, l'une des deux hypothèses envisagées dans
l'arrêt entrepris est incompatible avec une erreur entachant
les envois du 7 janvier 1998; en effet, un bonus convenu de
10%, conditionné à la poursuite des relations commerciales
pendant au moins trois ans, aurait exclu, ipso facto, une mé-
prise de la part de la demanderesse au moment de l'envoi des
courriers litigieux puisque la défenderesse n'a cessé de
s'approvisionner auprès de la demanderesse qu'après cette
date. Il s'ensuit que l'arrêt de la Cour de justice ne con-
tient aucune constatation sur les erreurs que la
demanderesse
aurait commises en établissant les documents du 7 janvier
1998, que ce soit sur le taux du bonus ou le chiffre d'affai-
res déterminant.

Dans ces conditions, il y a lieu d'annuler l'arrêt
attaqué et de renvoyer la cause pour nouvelle décision à la
cour cantonale. Celle-ci imposera à la demanderesse la
preuve
des erreurs contenues dans ses courriers et notes de crédit
du 7 janvier 1998 alors que le droit à la contre-preuve sera
ouvert à la défenderesse.

3.- La défenderesse, qui concluait au rejet de la
demande, n'obtient pas entièrement gain de cause devant le
Tribunal fédéral. Comme l'issue du procès est encore incer-
taine, il se justifie de partager les frais judiciaires
entre

les parties et de compenser les dépens (art. 156 al. 3 et
159
al. 3 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et ren-
voie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. par moi-
tié à la charge de chaque partie;

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

____________

Lausanne, le 17 août 2001
ECH

Au nom de la Ie
Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.53/2001
Date de la décision : 17/08/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-17;4c.53.2001 ?
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