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16/08/2001 | SUISSE | N°5C.15/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 août 2001, 5C.15/2001


«/2»
5C.15/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

16 août 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi, M.
Raselli, Mme Nordmann, juges et M. Gardaz, juge suppléant.
Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________, demandeur et recourant,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me
Christophe
Maillefer, avocat à Genève;

(protection de la personnalité; protection des données)

Vu l

es pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le demandeur X.________ (ci-après: le deman-
deur) était empl...

«/2»
5C.15/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

16 août 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi, M.
Raselli, Mme Nordmann, juges et M. Gardaz, juge suppléant.
Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________, demandeur et recourant,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me
Christophe
Maillefer, avocat à Genève;

(protection de la personnalité; protection des données)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le demandeur X.________ (ci-après: le deman-
deur) était employé de l'Université de Genève en tant que
chef de la division informatique depuis le 1er juillet 1997.

Le défendeur Y.________ (ci-après: le défendeur) est
économiste d'entreprise et psychologue indépendant. A ce
titre, il est appelé à fournir des expertises concernant le
personnel d'entreprises et, en particulier, il procède à des
évaluations et à des orientations de cadres. L'Université de
Genève a eu recours à ses services par le passé.

Le 24 septembre 1998, l'Université a chargé le dé-
fendeur de l'étude psychologique du demandeur. Après avoir
eu
divers entretiens avec celui-ci ainsi qu'avec plusieurs col-
laborateurs de l'Université, le défendeur a procédé à une
étude approfondie de la personnalité du demandeur, puis a re-
mis à l'Université, les 11 et 16 décembre 1998, deux
rapports
dont la teneur a été communiquée oralement au demandeur. Se-
lon les déclarations du défendeur, le rapport constatait que
le demandeur n'était pas à sa place dans sa fonction au sein
de l'Université.

Le demandeur a cessé de travailler pour l'Université
le 30 juin 1999. Le 1er octobre suivant, il a demandé au dé-
fendeur de lui communiquer tout rapport écrit à son sujet et
envoyé à l'Université, ainsi que les autres informations re-
cueillies sur lui. Le défendeur a refusé.

B.- Le 27 mars 2000, le demandeur a déposé devant
le Tribunal de première instance du canton de Genève une re-
quête tendant à obtenir les données sollicitées le 1er octo-
bre 1999. Cette requête a été rejetée par jugement du 13
juin
2000.

Sur appel du demandeur, la Cour de justice du canton
de Genève a, par arrêt du 23 novembre 2000 communiqué le 27
du même mois, confirmé le jugement de première instance, con-
damné le demandeur aux dépens d'appel et débouté les parties
de toutes autres conclusions.

C.- Par acte du 27 décembre 2000, le demandeur a
interjeté un recours en réforme auprès du Tribunal fédéral.
A
titre préalable, il requiert que des débats soient ordonnés.
Sur le fond, il demande au Tribunal fédéral:
- d'ordonner au défendeur de lui envoyer copie de
tout rapport le concernant envoyé à l'Université (b), copie
de tous les questionnaires remplis à la demande du défendeur
et de tout autre document le concernant se trouvant en pos-
session du défendeur (c), copie des comptes rendus des entre-
tiens que le défendeur a eus à son sujet avec des collabora-
teurs de l'Université, le nom de ces collaborateurs et les
détails permettant leur identification pouvant être effacés
de la copie du compte rendu (d);
- de lui allouer une indemnité de 2063 fr. 50 au ti-
tre de remboursement des frais mis à sa charge par le tribu-
nal de première instance (963 fr. 50) et par la Cour de jus-
tice (1'100 fr.) (e);
- de condamner le défendeur aux dépens (f);
- de débouter la partie adverse de toute autre ou
contraire conclusion (g).

Le défendeur conclut, avec suite de dépens, au
rejet
du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué.

Il n'a pas été jugé utile d'ordonner des débats
(art. 62 al. 1 OJ).

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le litige, qui divise deux personnes privées,
concerne principalement l'application de la loi fédérale sur
la protection des données (LPD; RS 235.1), dont le but est
de
protéger la personnalité et les droits fondamentaux des per-
sonnes faisant l'objet d'un traitement de données (art. 1
LPD). Les actions relatives à cette protection sont régies
par les art. 28 à 28l CC (art. 15 al. 1 LPD). Il s'agit
ainsi
d'une contestation civile portant sur un droit de nature non
pécuniaire au sens de l'art. 44 OJ (Poudret, COJ II, n.
1.3.1
ad art. 44 OJ).

Interjeté en temps utile contre une décision finale
rendue par le tribunal suprême du canton, le recours est
donc
recevable au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.- a) La loi fédérale sur la protection des don-
nées régit le traitement de données concernant des personnes
physiques et morales effectué soit par des personnes
privées,
soit par des organes fédéraux (art. 2 al. 1 LPD).

En l'occurrence, cette dernière catégorie n'entre
pas en ligne de compte, car l'Université de Genève est un
établissement de droit public cantonal. Le recourant n'a
d'ailleurs demandé l'accès qu'au seul fichier de l'intimé,
personne privée.

L'expression "personne privée" désigne les
personnes
qui traitent des données dans le cadre d'une relation de
droit privé (Message du 23 mars 1988 concernant la loi fédé-
rale sur la protection des données; FF 1988 II 448). Entrent
dans cette définition, notamment, les psychologues et psycho-
thérapeutes (Publications du Préposé fédéral à la protection
des données, Guide relatif au traitement de données person-
nelles dans le domaine médical, ch. I, 2). En sa qualité de

psychologue indépendant, appelé à fournir des expertises con-
cernant le personnel d'entreprises, l'intimé fait partie des
personnes visées par l'art. 2 al. 1 let. a LPD.

b) En vertu de l'art. 8 LPD, toute personne peut de-
mander au maître d'un fichier si des données la concernant
sont traitées (al. 1) et, le cas échéant, celui-ci est tenu
de les lui communiquer toutes (al. 2 let. a). La loi
fédérale
sur la protection des données repose ainsi sur une
conception
très large du droit d'accès. En particulier, toute personne
peut demander à son médecin ou à son psychologue des rensei-
gnements sur les données la concernant (Guide déjà cité, ch.
II, 3a).

La loi prévoit certes des exceptions. Outre les res-
trictions qu'elle énumère à son article 9, elle exclut en
principe du droit d'accès les données traitées par une per-
sonne physique pour un usage exclusivement personnel (art. 2
al. 2 let. a LPD). Sont notamment considérés comme telles le
contenu d'un agenda, les conversations au sein du cercle fa-
milial ou des amis, la correspondance privée et les notes
que
tout un chacun est amené à prendre dans l'exercice de sa pro-
fession à titre de pense-bête, du moment qu'il n'en fait
qu'un usage personnel (Message, FF 1988 II 448/449). La dis-
position d'exception de l'art. 2 al. 2 let. a LPD doit cepen-
dant être interprétée de manière très prudente et restricti-
ve, le droit d'accès ne devant être limité que si cela est
vraiment indispensable, et la personne qui traite les
données
ne doit en aucun cas y faire appel dans le but unique de con-
tourner les prescriptions de la loi (Message, FF 1988 II 449
ad lettre a in fine; Guide déjà cité, ch. II, 3b; Ursula Ut-
tinger, Berufsgeheimnis, Schweigepflicht und Datenschutz,
in:
Schweizerische Versicherungs-Zeitschrift 68/2000 p. 244 et
la
jurisprudence citée; Marc Buntschu, in: Commentaire zum
schweizerischen Datenschutzgesetz, n. 33 ad art. 2).

c) Par "données personnelles (données)", la loi en-
tend toutes les informations qui se rapportent à une
personne
identifiée ou identifiable (art. 3 let. a LPD).

Par "fichier", la loi entend tout ensemble de don-
nées personnelles dont la structure permet de rechercher les
données par personne concernée (art. 3 let. g LPD). L'organi-
sation et la structure du fichier ne jouent aucun rôle; ce
qui est décisif, du point de vue de la protection des don-
nées, c'est que l'on puisse rechercher les données par per-
sonne concernée (FF 1988 II 455; Urs Belser, in: Commentaire
précité, n. 28 ad art. 3).

Par "maître du fichier", la loi entend la personne
privée ou l'organe fédéral qui décide du but et du contenu
du
fichier (art. 3 let. i LPD).

3.- a) Selon l'arrêt attaqué, seuls les deux rap-
ports écrits remis à l'Université se trouveraient dans le
champ d'application de la loi; en outre, l'intimé ne serait
pas maître d'un fichier, puisque les données qu'il a collec-
tées ne concerneraient qu'une seule personne, le recourant;
enfin, ce dernier, qui a eu connaissance des rapports par
oral, aurait pu en vérifier l'exactitude.

Pour le recourant, au contraire, toutes les données
collectées seraient soumises à la loi; il aurait donc droit
à
la restitution de ses manuscrits se trouvant dans le dossier
de l'intimé, ainsi qu'à la communication par ce dernier, maî-
tre d'un fichier, des données contenues dans celui-ci.

b) Il est évident que les données collectées en
l'espèce sont des données personnelles (art. 3 let. a LPD),
vu le but de la collecte, et qu'il y a eu un traitement de
données par une personne privée (art. 2 al. 1 let. a LPD).
L'intimé ayant collecté et exploité - c'est-à-dire traité au

sens de l'art. 3 let. e LPD - ces données dans le cadre de
son mandat, donc pour un usage qui n'est pas exclusivement
personnel, on ne saurait donc exclure l'application de la
LPD
(art. 2 al. 2 let. a LPD a contrario).

Il est clair également que l'intimé détient un fi-
chier. Que les données sur le recourant soient classées sous
le nom de celui-ci ou sous le nom de l'Université, elles
font
partie d'un ensemble de données personnelles dont la structu-
re permet de rechercher celles concernant l'intéressé, au be-
soin en passant par la référence "Université". Comme
l'intimé
procède à des évaluations et à des orientations de cadres,
notamment pour l'Université, il est constant que son fichier
contient des données au sujet de plus d'une personne.

Par ailleurs, l'intimé est bien le maître du fi-
chier, car c'est lui (et non l'Université) qui décide de son
but et de son contenu (art. 3 let. i LPD).

Le recourant peut donc invoquer le droit d'accès
prévu par l'art. 8 LPD et exiger la communication de toutes
les données le concernant qui sont contenues dans le fichier
en question (art. 8 al. 2 let. a LPD).

Le recourant tient compte dans ses conclusions de la
restriction prévue par l'art. 9 al. 1 let. b LPD, en suggé-
rant que soient effacés de la copie du compte rendu tant le
nom des collaborateurs de l'Université avec lesquels
l'intimé
s'est entretenu, que les détails permettant leur identifica-
tion. La restriction prévue par l'art. 9 al. 3 LPD, fondée
sur les intérêts prépondérants du maître du fichier, n'entre
pas en ligne de compte puisque les données personnelles ont
été communiquées à des tiers. Au demeurant, l'intimé n'invo-
que pas de motifs de restriction ou de refus selon l'art. 9
LPD, alors que la loi lui en fait obligation (art. 9 al. 4
LPD).

4.- Il résulte de ce qui précède que le recours
doit être admis et l'arrêt attaqué réformé dans le sens des
conclusions prises quant au fond par le recourant.

Les frais sont à la charge de l'intimé, qui
succombe
(art. 156 al. l OJ).

Le recourant ayant procédé sans le concours d'un
mandataire professionnel, il n'y a pas lieu de lui allouer
des dépens.

Par ces motifs,

le T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et réforme l'arrêt entrepris en
ce sens que Y.________ doit fournir à X.________ copie de
tout rapport qu'il a établi au sujet de X.________ et trans-
mis à l'Université de Genève, copie de tous les questionnai-
res remplis par X.________ à la demande de Y.________, copie
de tout autre document concernant X.________ en possession
de
Y.________ et copie des comptes rendus des entretiens de
Y.________ avec des collaborateurs de l'Université de Genève
au sujet de X.________, le nom de ces collaborateurs et les
détails permettant leur identification pouvant être effacés
de la copie du compte rendu.

2. Met à la charge de l'intimé un émolument judi-
ciaire de 2'000 fr.

3. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens des instances cantona-
les.

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Ière Section de la Cour de justice du canton de Genè-
ve.

Lausanne, le 16 août 2001
FYC/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.15/2001
Date de la décision : 16/08/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-16;5c.15.2001 ?
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