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08/08/2001 | SUISSE | N°4C.118/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 août 2001, 4C.118/2001


«/2»

4C.118/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 août 2001

Composition de la Cour: M. Walter, Président, M. Leu et
Mme Klett, juges. Greffière: Mme Charif Feller.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Louis Waltenspuhl, avocat à Genève,

et

les époux H.________, défendeurs et intimés;

(contrat de bail; résiliation)

Vu les pièces du dossier d'où resso

rtent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux H.________ louent, depuis le 1er oc-
tobre 1996, un appartement de cinq pièces situ...

«/2»

4C.118/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 août 2001

Composition de la Cour: M. Walter, Président, M. Leu et
Mme Klett, juges. Greffière: Mme Charif Feller.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Louis Waltenspuhl, avocat à Genève,

et

les époux H.________, défendeurs et intimés;

(contrat de bail; résiliation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux H.________ louent, depuis le 1er oc-
tobre 1996, un appartement de cinq pièces situé au premier
étage d'un immeuble qui appartient à l'Association d'utilité
publique X.________. Par courriers des 20 décembre 1996, 4
février 1997 et 13 mars 1997, la bailleresse a demandé aux
locataires d'enlever les vitrages qu'ils avaient posés sur
une partie de leur balcon, au motif qu'il serait "interdit
d'effectuer des travaux qui change (sic) l'esthétique du
bâtiment, sans aviser au préalable le propriétaire ou la ré-
gie" et que ce genre d'installation nécessiterait une autori-
sation auprès du Département des travaux publics et de
l'énergie (actuellement: Département de l'aménagement, de
l'équipement et du logement).

Sur dénonciation de la bailleresse, la Police des
constructions, par courriers des 21 avril 1997, 24 septembre
1997, 1er décembre 1997 et 27 avril 1998, a ordonné aux loca-
taires de démonter la fermeture de leur balcon mis en place
sans autorisation. Le 18 septembre 1998, invoquant les arti-
cles 257f et 260a CO, la bailleresse a résilié le bail pour
le 31 octobre 1998.

Par arrêté du 31 mars 1999, le Conseil d'Etat, don-
nant suite à une requête des locataires du 9 septembre 1998,
a admis le maintien à titre précaire "ad personam" de l'amé-
nagement litigieux, pour le motif qu'une mesure aussi grave
que la démolition apparaîtrait disproportionnée au vu des in-
térêts en cause et de la modestie de l'intervention.

B.- Le 10 novembre 1998, la bailleresse a sollicité
l'évacuation des locataires.

Par jugement du 22 juin 2000, le Tribunal des baux
et loyers du canton de Genève a déclaré valable la résilia-
tion du bail et ordonné l'évacuation des locataires. Le Tri-
bunal a estimé que les photos produites démontraient l'empri-
se au sol importante de la construction incriminée qui
occupe
la totalité du balcon. De l'avis du Tribunal, si les maté-
riaux de fixation choisis sont discrets, ils impliquent une
modification de l'aspect extérieur de la façade, dont le pro-
priétaire doit garder la maîtrise. Le Tribunal a jugé vain
l'invocation par les locataires de la pratique d'autres habi-
tants de l'immeuble vivant continuellement avec leurs stores
de balcon baissés. Pour le Tribunal, d'une part, ceux-ci sem-
blent peu nombreux selon les photos produites, d'autre part,
cette éventualité a été soumise à l'appréciation du proprié-
taire qui l'a acceptée, alors que la véranda a été installée
sur un coup de force, illégalement et en l'absence de tout
accord de celui-ci.

Statuant sur le recours déposé par les locataires,
la Chambre d'appel en matière de baux et loyers de la Cour
de
justice du canton de Genève, par arrêt du 12 février 2001, a
annulé le jugement attaqué, déclaré inefficace la
résiliation
du bail et débouté la bailleresse de sa requête en évacua-
tion.

C.- Agissant par la voie du recours en réforme, la
bailleresse invite le Tribunal fédéral à annuler l'arrêt de
la Chambre d'appel.

Dans leur réponse, les défendeurs, procédant sans
le concours d'un avocat, concluent implicitement au rejet du
recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Invoquant la violation par la cour cantonale
des art. 260a et 257f CO, la demanderesse lui reproche en
premier lieu de ne pas avoir retenu que les locataires ont
enfreint leur devoir de diligence et rendu la poursuite du
bail intolérable.

Selon l'art. 260a al. 1 CO, le locataire n'a le
droit de rénover ou de modifier la chose qu'avec le consente-
ment écrit du bailleur. Le locataire est tenu d'user de la
chose avec le soin nécessaire (art. 257f al. 1 CO). Lorsque
le maintien du bail devient insupportable pour le bailleur
parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite
de
celui-là, persiste à enfreindre son devoir de diligence, le
bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat (art.
257f al. 3 CO).

Se référant à la doctrine, la demanderesse relève
que la question de savoir si le maintien du bail est devenu
insupportable ne se détermine pas selon des critères
abstraits mais en application des règles de l'équité, soit
en
tenant compte de toutes les circonstances essentielles du
cas
d'espèce (Higi, Zürcher Kommentar, n. 59 ad art. 257f CO;
SVIT-Kommentar Mietrecht, 2e éd., n. 35 ad art. 257f CO). Le
Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision
d'équité prise par l'autorité cantonale. Il n'intervient que
lorsque celle-ci s'est écartée sans raison des règles éta-
blies par la doctrine et la jurisprudence en matière de
libre
appréciation ou lorsqu'elle s'est appuyée sur des faits qui,
dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle ou, à
l'inverse, lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui au-
raient absolument dû être pris en considération. Le Tribunal
fédéral sanctionne, en outre, la décision d'équité lorsqu'el-
le aboutit à un résultat manifestement injuste ou à une ini-

quité choquante (cf. ATF 123 III 246 consid. 6a p. 255, 274
consid. 1a/cc; 122 III 262 consid. 2a/bb; 121 III 64 consid.
3c).

b) aa) En l'espèce, la cour cantonale estime que le
laps de temps important entre la date de la dernière lettre
de mise en demeure (13 mars 1997) et la résiliation du bail
(18 septembre 1998) fait douter de la réalité de l'impossibi-
lité du maintien du bail pour la demanderesse. La Chambre
d'appel considère également que l'argument du défaut d'auto-
risation de l'installation litigieuse tombe par l'arrêté du
Conseil d'Etat, lequel octroie aux locataires le maintien à
titre précaire de ladite installation. La cour cantonale re-
lève encore que l'arrêté du Conseil d'Etat souligne la mo-
destie de l'installation litigieuse. Elle estime que le
congé
notifié aux locataires est purement chicanier, dans la
mesure
où ladite installation a une emprise tout à fait modeste non
seulement sur leur balcon mais sur l'ensemble de la façade
de
l'immeuble. Selon la cour cantonale, celle-ci est fort peu
entretenue, de sorte que l'installation apparaît plutôt
comme
un embellissement que comme une dégradation. Se référant aux
photos produites à la procédure, la Chambre d'appel retient
que ladite installation n'est visible que du toit ou du par-
king de l'immeuble abritant l'Economat cantonal. La cour can-
tonale conclut qu'aucun motif esthétique ne peut s'opposer à
l'installation effectuée par les locataires. Estimant que le
but de la bailleresse n'est pas d'obtenir le départ des loca-
taires mais l'enlèvement de l'installation litigieuse, elle
considère la méthode employée disproportionnée et impropre à
atteindre son but.

bb) aaa) Le laps de temps écoulé entre un ultime
avertissement et la résiliation du bail constitue un indice
pertinent pour déterminer le degré de tolérance manifesté
par
le bailleur. Plus ce laps de temps est grand, plus le seuil
de tolérance du bailleur envers la perturbation reprochée au

locataire peut être considéré comme étant élevé. Le fait que
la demanderesse explique l'écoulement du temps par sa
volonté
de ne plus agir directement envers les locataires et par sa
certitude de l'exécution des injonctions de la Police des
constructions n'y change rien.

bbb) Comme le relève la cour cantonale, le congé
donné pour une violation du devoir de diligence qui ne rend
pas la poursuite du bail intolérable est un congé inefficace
(Lachat, Le bail à loyer, p. 467). Contrairement à ce que
prétend la demanderesse, la cour cantonale ne justifie pas
l'inefficacité du congé anticipé uniquement par l'arrêté du
Conseil d'Etat, rendu après la résiliation du bail. Mais
pour
juger de la gravité de la violation de l'obligation de dili-
gence des locataires, rien ne l'empêche de s'inspirer d'une
décision administrative, singulièrement lorsque celle-ci dé-
clare expressément se fonder sur l'ensemble des circonstan-
ces, critère dont le juge civil doit également tenir compte
en l'espèce. De plus, l'argumentation de la demanderesse,
qui
dénie à cette décision administrative toute influence sur le
droit civil, se révèle contradictoire, dans la mesure où la
bailleresse fait elle-même grand cas des injonctions de la
Police des constructions à l'endroit des locataires.

ccc) La demanderesse joue sur les mots lorsqu'elle
affirme que ce n'est pas l'aspect esthétique de la construc-
tion litigieuse, mais la persistance du comportement
illicite
et contraire au bail qui aurait rompu le rapport de
confiance
liant les parties. Le comportement incriminé consiste préci-
sément en la pose de vitrages considérés comme inesthétiques
par la bailleresse mais jugés plus qu'acceptables par la
cour
cantonale dans le cadre de la libre appréciation des faits,
dont elle jouit. La persistance dans la violation de l'obli-
gation de diligence, qui est une des conditions cumulatives
nécessaires pour justifier la résiliation anticipée du bail
au sens de l'art. 257f al. 3 CO (Lachat, op. cit., p. 430;

Higi, op. cit, n. 56 ad art. 257f), présuppose justement une
telle violation à défaut de laquelle le congé anticipé ne
peut être signifié. Du reste, la demanderesse allègue que la
confirmation de l'arrêt cantonal ouvrirait la porte à l'anar-
chie, rendrait impossible la détermination des constructions
acceptables de celles qui ne le sont pas et la confronterait
à l'apparition de toutes sortes de constructions sur la faça-
de de l'immeuble. Ces préoccupations démontrent que c'est
bien l'aspect esthétique de l'installation litigieuse qui
est
visé par la résiliation anticipé du bail. Au demeurant, il
sied de relever que ces préoccupations sont infondées, dans
la mesure où l'arrêté du Conseil d'Etat est rendu à titre
précaire "ad personam". Pour la même raison et compte tenu
du
caractère modeste reconnu à l'intervention des locataires,
il
n'y a pas place pour invoquer la perte de la maîtrise sur
l'aspect de l'immeuble (art. 641 CC).

ddd) La demanderesse est d'avis que la cour canto-
nale considère à tort la résiliation du bail comme dispropor-
tionnée et impropre à atteindre son but. Pour que le bail
puisse être résilié conformément à l'art. 257f al. 3 CO, il
faut qu'on ne puisse pas raisonnablement exiger du bailleur
qu'il laisse le locataire disposer des locaux. Contrairement
à ce que soutient la demanderesse, la résiliation doit res-
pecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité
(Lachat, op. cit., p. 432, note 16) que l'arrêt attaqué ap-
plique. Les arguments de la demanderesse, mentionnés
ci-avant
(consid. 2bb/ccc), sont impropres à démontrer en quoi la
cour
cantonale aurait violé le droit fédéral dans la pesée des in-
térêts qu'elle a opérée.

Quant à l'affirmation de la demanderesse, selon la-
quelle elle entend commencer très prochainement des travaux
de rénovation de la façade de l'immeuble en question, qui im-
pliqueraient la démolition temporaire de l'installation in-

criminée, elle constitue un fait nouveau et est donc irrece-
vable en vertu de l'art. 55 al. 1 let. c OJ.

eee) Sur le vu des principes énoncés en rapport
avec l'application de l'art. 4 CC, il n'apparaît pas que la
cour cantonale ait fondé sa décision sur des faits non perti-
nents ou qu'elle ait omis de tenir compte de circonstances
essentielles. De même, l'arrêt attaqué n'aboutit nullement à
un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquan-
te.

2.- La demanderesse soutient encore que la cour
cantonale aurait violé l'art. 8 CC en prétendant que l'ins-
tallation des locataires est modeste, que la façade de l'im-
meuble sur laquelle elle se situe est fort peu entretenue et
que la véranda litigieuse constitue une amélioration esthéti-
que. La Chambre d'appel aurait ainsi écarté le fait que la
construction des locataires est importante, comme retenu par
le Tribunal, et aurait admis un fait contesté sans raisonne-
ment et sans preuves suffisantes qu'il lui incombait de re-
quérir, conformément à la maxime d'office prévue à l'art.
274d al. 3 CO. La demanderesse relève également que la Cham-
bre d'appel ne s'est pas déplacée pour examiner l'immeuble
(art. 270 LPC/GE), et qu'elle ne s'est référée à aucune
pièce
en particulier. Ses constatations constitueraient une appré-
ciation arbitraire contraire à la réalité des faits.

La demanderesse critique en réalité l'appréciation
des preuves, ce qui est prohibé dans le cadre du recours en
réforme (ATF 125 III 78 consid. 3a; 122 III 26 consid.
4a/aa,
61 consid. 2c/cc, 73 consid. 6b/bb). Au demeurant, à
l'instar
du jugement du Tribunal, l'arrêt attaqué se réfère bel et
bien, comme déjà dit, aux photos produites en cours d'instan-
ce.

3.- Cela étant, le recours doit être rejeté, dans
la mesure où il est recevable. La demanderesse, qui
succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y
a pas lieu d'allouer des dépens aux défendeurs qui n'ont pas
recouru aux services d'un avocat.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;


3. Communique le présent arrêt en copie aux par-
ties et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du
canton de Genève.

___________

Lausanne, le 8 août 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.118/2001
Date de la décision : 08/08/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-08;4c.118.2001 ?
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