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08/08/2001 | SUISSE | N°1A.111/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 août 2001, 1A.111/2001


«/2»

1A.111/2001
1P.419/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

8 août 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur les recours de droit administratif
et de droit public formés par

I.________, représentée par Me Albert-Louis Dupont-Willemin,
avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 25 avril 2001 par

la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire à l'Espagne)

Vu les pièces du dossier d'où re...

«/2»

1A.111/2001
1P.419/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

8 août 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur les recours de droit administratif
et de droit public formés par

I.________, représentée par Me Albert-Louis Dupont-Willemin,
avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 25 avril 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire à l'Espagne)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 1er décembre 1999, le Parquet spécial pour
la prévention et la répression du trafic de stupéfiants, à
Madrid (ci-après: le Parquet spécial) a adressé à la Suisse
une demande d'entraide judiciaire pour les besoins d'une en-
quête pour blanchiment d'argent. Le 12 novembre 1998, un mon-
tant de 25'874'100 ptas avait été transféré depuis un compte
"A.________ (Investment)" auprès du Crédit Suisse First
Boston de Genève (Crédit Suisse) sur un compte à Madrid de
la
société A.________ (Espagne). Par la suite, un montant de
40'532'897 ptas était parvenu sur le même compte, en prove-
nance de Zurich. Ces montants étaient destinés à financer la
construction de logements de luxe en Espagne, ce pourquoi
A.________ (Espagne) avait succédé à C.________. Or, ce der-
nier était le père de G.________, détenue sous la prévention
de trafic de stupéfiants et blanchiment d'argent, elle-même
épouse de P.________, recherché et condamné pour les mêmes
délits. Un chèque et une lettre de change auraient été émis
par A.________ (Espagne), en faveur de G.________.
L'autorité
requérante soupçonne que les opérations effectuées par les
sociétés A.________ constituent des actes de blanchiment
d'argent. Elle désire connaître la provenance des virements
précités, et obtenir la documentation complète du compte
"A.________ (Investment)" auprès du Crédit Suisse. Dans un
complément du 19 juin 2000, il est précisé que A.________
(Investment) n'est vraisemblablement pas titulaire du
compte,
mais uniquement donneur d'ordre.

B.- Le Juge d'instruction du canton de Genève, char-
gé d'exécuter la demande, est entré en matière le 26 janvier
2000, puis le 16 août 2000. Après avoir indiqué qu'aucun
compte n'existait au nom de A.________ (Investment), la ban-
que fit savoir qu'elle avait fonctionné comme correspondant

du Crédit Suisse Private Banking. Par ordonnance du 9 novem-
bre 2000, le juge d'instruction requit de ce dernier la pro-
duction des pièces relatives au versement du 12 novembre
1998
et au compte concerné, y compris les documents d'ouverture,
relevés, avis de débit et de crédit et justificatifs. Le 20
novembre 2000, la banque indiqua que le compte concerné
était
le n° xxx, détenu par la société américaine I.________,
soldé
en septembre 1999.

C.- Par ordonnance de clôture du 21 décembre 2000,
le juge d'instruction a décidé de transmettre à l'autorité
requérante la lettre du 20 novembre 2000, les documents d'ou-
verture du compte, les relevés en pesetas pour les mois d'oc-
tobre à décembre 1998, un avis justificatif relatif au verse-
ment de 25'900'000 ptas du 12 novembre 1998, ainsi que la co-
pie recto verso d'un chèque de 50'000'000 ptas avec l'avis
de
crédit qui s'y rapporte.

D.- Par acte du 26 janvier 2001, I.________ a recou-
ru auprès de la Chambre d'accusation genevoise. Elle disait
être détenue et utilisée à titre fiduciaire par un avocat ma-
drilène. Le versement de 25'900'000 ptas, remboursés en li-
quide - avec une commission - à l'avocat, constituait une
opération de compensation afin que A.________ (Investment),
détenue par C.________, puisse libérer le capital nécessaire
à la constitution de A.________ (Espagne). Les terrains con-
voités auraient été acquis, et les constructions
entreprises.
I.________ se plaignait de ne pas avoir été invitée à parti-
ciper au tri des documents à transmettre. Elle invoquait le
principe de la proportionnalité, l'opération de compensation
étant, selon elle, sans rapport avec les infractions décri-
tes. Subsidiairement, elle s'opposait à la transmission du
chèque de 50'000'000 ptas et de l'avis de crédit le concer-
nant, correspondant à la vente d'actions relatives à un im-
meuble en Espagne, à une société luxembourgeoise; elle s'op-

posait aussi à la révélation de l'identité de son bénéficiai-
re économique, et à la transmission du relevé de compte au
31
décembre 1998.

E.- Par ordonnance du 25 avril 2001, la Chambre
d'accusation a rejeté le recours. Les documents à
transmettre
correspondaient à la requête. Les relevés concernaient une
période limitée, et le virement de 50'000'000 ptas avait pré-
cédé de quelques semaines le versement mentionné dans la de-
mande. Celle-ci visait d'ailleurs toute opération d'un mon-
tant supérieur à 500'000 ptas. Le principe de la spécialité
constituait une protection suffisante contre toute utilisa-
tion à des fins fiscales des renseignements recueillis.

F.- Par un même acte, I.________ forme un recours de
droit public et de droit administratif. Elle conclut, sur re-
cours de droit public, à l'annulation de la décision
attaquée
et au renvoi de la cause au juge d'instruction afin qu'elle
puisse exercer son droit d'être entendue; sur recours de
droit administratif, elle demande l'annulation de l'ordonnan-
ce, subsidiairement le refus de transmettre la copie du chè-
que de 50'000'000 ptas et l'avis y relatif, le caviardage
des
documents d'ouverture mentionnant les détenteurs de la socié-
té, de l'avis justificatif citant l'identité de l'avocat ma-
drilène et du relevé mentionnant des transactions sans rap-
port avec la procédure pénale en cours en Espagne.

La Chambre d'accusation et le juge d'instruction se
réfèrent aux considérants de l'ordonnance attaquée. L'Office
fédéral de la justice conclut au rejet du recours dans la me-
sure où il est recevable, en se ralliant à la décision atta-
quée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office la receva-
bilité des recours de droit public et de droit administratif
(ATF 126 II 506 consid. 1 p. 507). Dans un domaine régi, com-
me l'entraide judiciaire internationale, par le droit fédé-
ral, le recourant peut, par la voie du recours de droit admi-
nistratif, faire valoir tant la violation du droit fédéral
au
sens de l'art. 104 let. a OJ, que celle de ses droits consti-
tutionnels, y compris l'interdiction de l'arbitraire et les
garanties de procédure figurant notamment aux art. 29 et 30
Cst. (ATF 122 II 373 consid. 1b et les arrêts cités). Par
conséquent, le grief de violation du droit d'être entendu
doit être soulevé par la voie du recours de droit administra-
tif, et le recours de droit public doit être traité comme
tel.

Pour le surplus, le recours est formé dans le délai
et les formes utiles contre une décision de clôture
confirmée
en dernière instance cantonale (art. 80e let. a de la loi fé-
dérale sur l'entraide internationale en matière pénale -
EIMP, RS 351.1). En tant que titulaire du compte au sujet du-
quel le juge d'instruction a décidé de transmettre des ren-
seignements, la recourante a qualité pour recourir (art. 80h
let. b EIMP, art. 9a let. a OEIMP).

2.- La recourante se plaint d'une violation de son
droit d'être entendue. Elle reproche au juge d'instruction
de
ne pas avoir donné à la banque la possibilité de se
prononcer
sur les pièces à transmettre, ce qui aurait permis à la re-
courante de démontrer l'absence de rapport entre les docu-
ments saisis et l'objet de l'enquête espagnole. La
recourante
elle-même n'avait été informée de la procédure d'entraide
qu'à réception de l'ordonnance de clôture.

a) Le droit d'être entendu, garanti de manière géné-
rale par l'art. 29 al. 2 Cst. et, en matière d'entraide judi-
ciaire, par les art. 26 à 30 PA (par renvoi de l'art. 12
EIMP), permet notamment au justiciable de s'expliquer avant
qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir
des
preuves pertinentes, d'avoir accès au dossier et de partici-
per à la procédure probatoire (ATF 124 I 49 consid. 3a; V
180
consid. 1a et les arrêts cités). La personne touchée par une
mesure d'entraide doit disposer d'une occasion, concrète et
effective, de s'opposer à la transmission de renseignements
déterminés, soit qu'ils apparaissent manifestement sans rap-
port possible avec les faits évoqués dans la demande, soit
qu'ils violent d'une autre manière le principe de la propor-
tionnalité (ATF 126 II 258 consid. 9b/aa p. 262, 116 Ib 190
consid. 5b p. 191/192 et la jurisprudence citée).

b) La cour cantonale semble admettre, implicitement,
que la recourante n'a pas disposé d'une occasion suffisante
d'exposer ses objections avant la clôture de la procédure.
Cette question peut demeurer indécise, car la cour cantonale
a estimé qu'une violation du droit d'être entendu pouvait
être réparée lorsque la personne qui en est victime a eu la
possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de
recours qui, à l'instar de la Chambre d'accusation,
disposait
d'une cognition aussi étendue que l'autorité d'exécution. La
procédure devant la Chambre d'accusation avait ainsi permis
la réparation du vice invoqué. On cherche en vain, dans le
recours, une argumentation permettant de revenir sur cette
appréciation. La recourante a en effet pu exposer, dans son
recours cantonal, ses objections fondées sur le principe de
la proportionnalité, et celles-ci ont - la recourante n'en
disconvient pas - été dûment examinées par la cour
cantonale.
Le droit d'être entendu a par conséquent été respecté (ATF
126 V 130 consid. 2b p. 132).

3.- La recourante invoque ensuite le principe de la
proportionnalité. L'opération de compensation à laquelle
elle
s'est prêtée aurait servi à la création de la société
A.________ (Espagne), un montant équivalent ayant été
reversé
en liquide à l'avocat madrilène. Les autres mouvements de
compte s'inscriraient exclusivement dans le cadre de l'acti-
vité de cet avocat. Subsidiairement, la recourante conclut à
la seule transmission des documents d'ouverture - sans men-
tion du bénéficiaire -, du relevé de compte au 31 décembre
1998 - sans mention des destinataires ou donneurs d'ordres -
et de l'avis justificatif du versement de 25'900'000 ptas -
sans mention du nom de l'avocat précité. Le fait que l'émis-
sion du chèque de 50'000'000 ptas ait précédé de peu le ver-
sement mentionné dans la demande ne justifiait pas la trans-
mission de renseignements à ce sujet, la recourante ayant
expliqué la raison de ce mouvement, soit la vente d'un ap-
partement. L'identité du bénéficiaire de la recourante et le
relevé de compte n'intéresseraient pas l'enquête menée en
Espagne. La recourante, qui se prétend étrangère à toute in-
fraction, craint une utilisation des renseignements à des
fins fiscales.

a) Le principe de la proportionnalité empêche d'une
part l'autorité requérante de demander des mesures inutiles
à
son enquête et, d'autre part, l'autorité d'exécution d'aller
au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF 121 II 241
consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande
retenue lorsqu'elle examine le respect de ce principe, car
elle ne dispose pas des moyens qui lui permettraient de se
prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves.
Saisi d'un recours contre une décision de transmission, le
juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si
les
renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rap-
port avec les faits motivant la demande d'entraide. Il ne
doit exclure de la transmission que les documents n'ayant
manifestement aucune utilité possible pour les enquêteurs

étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371). La jurisprudence admet qu'on peut
interpréter une commission rogatoire de manière extensive,
s'il apparaît que cela correspond à la volonté de son auteur
et permet de prévenir une éventuelle demande complémentaire
(ATF 121 II 241 consid. 3a in fine). Il faut toutefois
qu'ainsi comprise, la mission que se reconnaît l'autorité
d'exécution satisfasse aux conditions posées à l'entraide
judiciaire (même arrêt).

b) Dans sa demande initiale, le parquet spécial ex-
pose la relation existant, par l'entremise de C.________,
entre les sociétés A.________, G.________ et P.________,
tous
deux poursuivis pour trafic de drogue et recyclage d'argent.
L'objet de la demande est de déterminer la provenance des
fonds transférés par A.________ (Investment) et les
relations
de cette société avec les personnes précitées. Présumant que
le compte originaire du versement était détenu par
A.________
(Investment), elle en demandait la documentation complète,
les relevés des opérations portant sur plus de 500'000 ptas
et toutes informations susceptibles de déterminer l'origine
des fonds. Dans son complément, elle précise que l'ordre de
virement a été fait au nom de la société, mais
vraisemblablement à partir d'un compte dont elle n'est pas
titulaire. Elle désire obtenir les mêmes renseignements sur
ce compte.

En raison des soupçons évoqués par l'autorité requé-
rante, soit l'existence d'actes de blanchissage, il apparaît
à tout le moins utile de lui fournir l'intégralité des ren-
seignements demandés. Ceux-ci doivent pouvoir lui permettre
d'établir, ou d'exclure avec certitude, l'existence de liens
entre l'auteur du versement et les personnes soupçonnées.
Seuls des relevés complets permettront d'opérer les recoupe-
ments nécessaires;
les titulaires et bénéficiaires du compte
concerné font partie des renseignements essentiels sur ce

point. Les restrictions à la transmission voulues par la re-
courante ne se justifient donc pas. L'opération portant sur
50'000'000 ptas peut, par son importance, intéresser les en-
quêteurs espagnols, à l'instar du versement mentionné dans
la
demande. Elle dépasse de beaucoup la limite de 500'000 ptas
au-delà de laquelle l'autorité requérante considère qu'un
mouvement pourrait l'intéresser. Il n'y a pas, en
définitive,
de violation du principe de la proportionnalité et le rappel
de la règle de la spécialité, dont sera assortie la transmis-
sion, est à même de prévenir toute utilisation illicite des
renseignements transmis.

4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public, traité comme recours de droit administratif, doit
être rejeté, ainsi que le recours de droit administratif. Un
émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante,
qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours de droit public, traité comme
recours de droit administratif.

2. Rejette le recours de droit administratif.

3. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire global de 6000 fr.

4. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office
fédéral
de la justice (B 97 891).

Lausanne, le 8 août 2001
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.111/2001
Date de la décision : 08/08/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-08-08;1a.111.2001 ?
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