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12/07/2001 | SUISSE | N°4C.132/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 juillet 2001, 4C.132/2001


«/2»

4C.132/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

12 juillet 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Y.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Stéphane Riand, avocat à Sion,

et

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Aba Neeman, avocat à Monthey;

(droit

des sociétés anonymes;
responsabilité de l'organe de contrôle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivant...

«/2»

4C.132/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

12 juillet 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Y.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Stéphane Riand, avocat à Sion,

et

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Aba Neeman, avocat à Monthey;

(droit des sociétés anonymes;
responsabilité de l'organe de contrôle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société X.________ S.A. exploite une fabri-
que d'agglomérés. Depuis sa constitution en 1965, elle a con-
fié sa gestion administrative à la fiduciaire A.________, de-
venue par la suite Fiduciaire B.________ S.A. Le président
du
conseil d'administration de B.________ S.A. appartenait
aussi
à celui de X.________ S.A.

B.________ S.A. a confié les tâches liées à la ges-
tion administrative de X.________ S.A., à savoir la comptabi-
lité, la correspondance, la facturation, les paiements aux
fournisseurs, les prélèvements sociaux et la tenue des salai-
res à l'un de ses employés. Celui-ci ayant gagné au fil des
années la confiance de la fiduciaire, il a bénéficié d'une
liberté de manoeuvre toujours plus grande.

Pour les besoins de son administration courante,
X.________ S.A. a remis son sceau à B.________ S.A., sans
lui
donner d'instructions particulières. L'employé chargé de la
gestion de X.________ S.A. a pu disposer à sa guise de ce
sceau.

De 1982 à 1992, cet employé a abusé de sa position
pour prélever à son profit un montant total de
1'017'991,65 fr. au détriment de X.________ S.A.

Y.________, employé, puis directeur de la succursa-
le de la banque Z.________, a occupé la fonction de contrô-
leur aux comptes de X.________ S.A. de 1965 à 1992. Il tou-
chait, pour ce mandat, une rémunération de 500 fr. par an,
qui a passé à 1'000 fr. et, finalement, à 1'200 fr.

A la fin de chaque exercice, toute la comptabilité
de la société était transmise à Y.________. Année après an-
née, celui-ci a indiqué qu'il avait contrôlé les comptes an-
nuels de la société et que la vérification des écritures
comptables lui avait permis de constater la régularité du
bilan et la concordance du compte de pertes et profits avec
les livres, ajoutant à chaque fois que les éléments de l'ac-
tif étaient justifiés. Il recommandait, en conclusion, l'ap-
probation des comptes.

Il a été établi que le contrôleur n'avait, de 1982
à 1992, pas procédé à des vérifications suffisantes et qu'un
examen correct lui aurait permis de déceler les erreurs comp-
tables et les montants détournés.

Sur les 1'017'991,65 fr. soustraits par l'employé
de la fiduciaire, celui-ci a remboursé un montant de
15'380,60 fr. à X.________ S.A. B.________ S.A. a versé
975'000 fr. à la société lésée, le 3 septembre 1992.

B.- Le 29 août 1994, X.________ S.A. a introduit
une action en justice contre Y.________ en concluant, finale-
ment, à ce que celui-ci soit condamné à lui verser le
montant
de 366'775,70 fr. plus intérêt à 5 % à compter du 1er
janvier
2000, avec suite de frais et dépens.

Y.________ a proposé le rejet de l'action, tout en
soulevant l'exception de prescription concernant les
intérêts
du dommage subi par X.________ S.A.

Par jugement du 23 mars 2001, la IIe Cour civile du
Tribunal cantonal valaisan a condamné Y.________ à verser à
X.________ S.A. 136'092 fr. pour les intérêts compensatoires
au taux de 5 % sur les montants successivement détournés cha-

que année et 18'407,30 fr. avec intérêt à 5 % dès le 29 août
1994 à titre de réparation du préjudice subi.

C.- Contre ce jugement, Y.________ et X.________
S.A. interjettent tous les deux un recours en réforme au Tri-
bunal fédéral.

Y.________ (le défendeur) conclut à l'admission du
recours, au rejet de l'action de X.________ S.A. et au
renvoi
de la cause à la cour cantonale pour qu'elle statue à
nouveau
sur la question des frais.

X.________ S.A. (la demanderesse) conclut, pour sa
part, à l'admission du recours et, principalement, au renvoi
de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision, sub-
sidiairement à la réforme du jugement attaqué en ce sens que
Y.________ est condamné à payer la somme de 204'138 fr. à ti-
tre d'intérêts compensatoires, ainsi que 27'611 fr. avec in-
térêt à 5 % dès le 29 août 1994.

Invitées à répondre sur leurs recours réciproques,
les deux parties ont confirmé leur position : X.________
S.A.
a demandé le rejet du recours interjeté par Y.________,
alors
que celui-ci a proposé le rejet du recours de la société,
dans la mesure de sa recevabilité, tout en reprenant les con-
clusions déjà présentées dans son propre recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours interjeté par le défendeur, qui
a été condamné à dédommager partiellement la société dont il
contrôlait les comptes, porte sur une contestation civile
dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr.
(art.

46 OJ). Dirigé contre un jugement final rendu en dernière
instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1
OJ), il est donc en principe recevable, puisqu'il a été
déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes
requises (art. 55 OJ).

Il en va de même du recours interjeté dans le délai
légal compte tenu des féries (cf. art. 34 al. 1 let. a et 54
al. 1 OJ) par la demanderesse, qui n'a pas obtenu devant la
cour cantonale le plein de ses conclusions en paiement diri-
gées contre l'organe de contrôle.

b) Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonne-
ment sur la base des faits contenus dans la décision atta-
quée, à moins que des dispositions fédérales en matière de
preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier
des
constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art.
63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de
l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ;
ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni
de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let.
c OJ).

Dans la mesure où les parties se fondent sur des
faits ne découlant pas du jugement entrepris, alors
qu'aucune
exception permettant à la Cour de céans de s'en écarter
n'est
réalisée, leurs recours ne sont donc pas recevables.

2.- a) Dans son jugement, la cour cantonale a admis
que la responsabilité du défendeur en tant qu'organe de con-
trôle était engagée. Elle a retenu en substance que, de 1982
à 1992, il avait fautivement violé son devoir de diligence
lors de la vérification de la comptabilité de la
demanderesse

et que, sans ces manquements répétés, l'employé de la fidu-
ciaire n'aurait pas pu détourner 1'017'991,65 fr. au détri-
ment de la société. Les juges ont mis à la charge du défen-
deur le solde du dommage qui n'avait pas encore été réparé,
à
savoir 27'611,05 fr., ainsi que les intérêts compensatoires
calculés au taux de 5 % sur les sommes successivement détour-
nées chaque année, soit 204'138 fr. Ces montants ont été ré-
duits d'un tiers, en raison d'une faute concomitante de la
demanderesse et de la faible rétribution du défendeur pour
ses tâches de contrôle.

b) Comme les détournements non détectés par le dé-
fendeur ont été commis du 31 décembre 1982 au 4 février
1992,
c'est à juste titre que la cour cantonale a examiné la res-
ponsabilité de l'organe de contrôle sous l'angle de l'ancien
droit de la société anonyme (Peter Böckli, Schweizer Aktien-
recht, 2e éd. Zurich 1996, nos 2049 et 2054 p. 1122). En re-
vanche, c'est à la lumière du nouveau droit, soit de l'art.
759 CO, que la question de la responsabilité solidaire, dans
les rapports externes, entre les différents organes, doit
être examinée (consid. 5 non publié de l'ATF 122 III 324, re-
produit partiellement in: Revue suisse de droit des affaires
- RSDA - 1996 p. 234 s.).

3.- A l'appui de son recours, le défendeur criti-
que les faits retenus, en invoquant une inadvertance mani-
feste et une violation de l'art. 8 CC. Puis, il remet en cau-
se l'existence de sa responsabilité, avant de s'en prendre à
la répartition du dommage, reprochant à la cour cantonale
d'être parvenue à un résultat trop favorable à la société
demanderesse. Celle-ci recourt uniquement sur ce dernier
point. Elle soutient que la diminution du dommage, telle
qu'établie, viole les principes en matière de solidarité im-
parfaite et que les facteurs de réduction énumérés
n'auraient
pas dû être pris en considération. Dans ces circonstances,
il

convient d'examiner en premier lieu les griefs soulevés par
l'organe de contrôle.

4.- Le défendeur reproche tout d'abord à la cour
cantonale de ne pas avoir retenu que, par lettre du 15 juin
1992, la fiduciaire avait indiqué à la demanderesse qu'elle
se reconnaissait entièrement responsable du dommage causé
par
son employé et qu'elle entendait le rembourser complètement.
Il invoque à ce propos l'existence d'une inadvertance mani-
feste et une violation de l'art. 8 CC.

a) La rectification d'une inadvertance manifeste,
qui, selon l'art. 63 al. 2 OJ, permet au juge de s'écarter
des faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière auto-
rité cantonale, n'a de sens que si la constatation erronée
porte sur un fait pertinent pour l'issue du litige (cf. ATF
95 II 503 consid. 2a p. 506 s.; Bernard Corboz, Le recours
en
réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, 66).

En l'occurrence, on ne discerne pas en quoi la let-
tre du 15 juin 1992, qui concerne un autre responsable, pour-
rait influencer le sort de l'action dirigée contre l'organe
de contrôle. Envisagés à la lumière du nouveau droit de la
société anonyme (cf. supra consid. 2b), les rapports entre
les différents responsables sont certes soumis à un système
de solidarité différenciée (art. 759 al. 1 CO; Böckli, op.
cit., nos 2022 ss). Il n'en demeure pas moins que les respon-
sables - dans les limites posées par l'exigence de la faute
personnelle - ne sont pas libérés tant que le dommage n'est
pas totalement réparé (Peter Forstmoser, La responsabilité
du
réviseur en droit des sociétés anonymes, Zurich 1997, p. 78
note 252). Aussi longtemps que la demanderesse n'a pas été
intégralement dédommagée, elle peut donc s'en prendre à l'or-
gane de contrôle, dont la responsabilité doit être
considérée

pour elle-même. Il importe peu à cet égard qu'un tiers ait
admis sa responsabilité et promis de réparer le dommage.

b) Quant à l'art. 8 CC, le défendeur ne fait que
mentionner cette disposition, mais sans indiquer en quoi
celle-ci aurait été violée. Insuffisamment motivé, son grief
n'est pas recevable (art. 55 al. 1 let. c OJ; cf. ATF 127
III
241 consid. 5b/cc p. 247).

5.- Le défendeur s'en prend ensuite aux conditions
de sa responsabilité, en invoquant l'absence de dommage et
la
rupture du lien de causalité naturelle et adéquate.

a) Selon l'art. 754 al. 1 aCO, toutes les personnes
chargées de l'administration, de la gestion ou du contrôle
répondent, à l'égard de la société, de même qu'envers chaque
actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elles leur
causent en manquant intentionnellement ou par négligence à
leurs devoirs. La responsabilité de l'organe de contrôle,
fondée sur cette disposition, suppose la réunion des quatre
conditions générales suivantes, à savoir un dommage, un man-
quement par l'organe à ses devoirs, une faute
(intentionnelle
ou par négligence) et un lien de causalité adéquate entre le
manquement et le dommage (Forstmoser, op. cit., p. 25 nos 13
ss).

b) En ne procédant pas aux vérifications usuelles,
en particulier en ne contrôlant pas que le solde bancaire
corresponde bien au solde comptabilisé, le défendeur a violé
fautivement ses obligations résultant des art. 728 et 729
aCO
(cf. ATF 116 II 533 consid. 5b p. 541 s.), ce qu'il ne con-
teste pas.

c) S'agissant du dommage, il convient de rappeler
que la fixation de celui-ci ressortit en principe au juge du

fait. Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
n'intervient donc que si l'autorité cantonale a méconnu la
notion juridique du dommage ou si elle a violé des principes
juridiques relatifs au calcul du préjudice (ATF 127 III 73
consid. 3c p. 75; 126 III 388 consid. 8a; 120 II 296 consid.
3b p. 298 et les arrêts cités).

Dans la mesure où, pour tenter de démontrer l'ab-
sence de dommage, le défendeur s'écarte des constatations de
fait ressortant du jugement attaqué, son grief n'est pas
recevable. Il en va de même lorsqu'il cherche à se prévaloir
d'éléments retenus dans le cadre d'une autre procédure oppo-
sant la fiduciaire à son assurance responsabilité civile. La
Cour de céans ne saurait en tenir compte dans la présente
cause, qui oppose des parties différentes (cf. ATF 93 II 329
consid. 3b et c).

Au demeurant, le dommage a été clairement établi,
dès lors qu'il ressort du jugement entrepris que l'employé
indélicat a, par ses détournements, causé un préjudice à la
demanderesse chiffré à 1'017'911,65 fr., dont il a remboursé
15'380,60 fr., alors que la fiduciaire a dédommagé la deman-
deresse à raison de 975'000 fr. En outre, rien n'indique que
la notion de dommage ait été méconnue ou que des principes
juridiques relatifs au calcul de celui-ci aient été violés.
A
cet égard, le défendeur erre manifestement lorsqu'il

soutient
que la demanderesse aurait pu réduire son dommage en deman-
dant réparation à l'établissement bancaire ayant remis les
fonds à l'employé, puisque le propre de la solidarité est
justement de permettre au lésé de choisir le responsable au-
quel il entend demander réparation (Pierre Tercier, La soli-
darité et les actions récursoires entre les responsables
d'un
dommage selon le nouveau droit de la société anonyme, in La
responsabilité des administrateurs, Zurich 1994, p. 63 ss,
68 s.; Heinrich Honsell, Schweizerisches Haftpflichtrecht,
3e éd., Zurich 2000, § 11 no 22).

d) S'agissant de juger de l'existence d'un lien de
causalité entre une ou des omissions et un dommage, ce qui
revient à déterminer le cours hypothétique des événements,
le
Tribunal fédéral est lié par les constatations cantonales,
dès lors qu'elles ne reposent pas exclusivement sur l'expé-
rience de la vie, mais sur les faits établis par l'apprécia-
tion des preuves (ATF 115 II 440 consid. 5b p. 448 s., con-
firmé in ATF 116 II 480 consid. 3a p. 486). En l'espèce, la
cour cantonale a constaté, en se fondant sur une expertise
judiciaire, que, sans les lacunes répétées lors du contrôle
des comptes, les détournements illicites n'auraient pas pu
être opérés. Dans ces circonstances, l'existence du lien de
causalité adéquate doit être tenue pour établie.

Le défendeur tente de se prévaloir d'une rupture de
ce lien, en invoquant les manquements du conseil d'adminis-
tration de la demanderesse et de la fiduciaire.

La solidarité différenciée instituée par l'art. 759
al. 1 CO ne s'oppose pas à ce que le comportement d'un res-
ponsable puisse, le cas échéant, libérer son coresponsable
solidaire s'il fait apparaître comme inadéquate la relation
de causalité entre le comportement de ce dernier et le domma-
ge (cf. ATF 112 II 138 consid. 4a). Il faut alors que la fau-
te du tiers ou de la personne lésée soit si lourde et si dé-
raisonnable qu'elle relègue le manquement en cause à
l'arrière-plan, au point qu'il n'apparaisse plus comme la
cause adéquate du dommage (cf. ATF 123 III 306 consid. 5b p.
314; 116 II 422 consid. 3; 108 II 51 consid. 3 p. 54).

La jurisprudence se montre stricte quant à la réa-
lisation de ces exigences (Forstmoser, op. cit., p. 67 no
180). Elle précise clairement qu'une limitation (et, a for-
tiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la
faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la
plus grande retenue si l'on veut éviter que la protection du

lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité
solidaire
de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illu-
soire (cf. ATF 127 III 257 consid. 6b p. 265; 112 II 138 con-
sid. 4a p. 144).

Dans le cas d'espèce, le défendeur développe une
argumentation appellatoire, faisant des comparaisons avec
une
autre affaire judiciaire, ce qui n'est pas admissible (cf.
ATF 127 III 257 consid. 5b in fine; 124 III 382 consid. 2b
p.
386). Si l'on s'en tient aux faits constatés dans le
jugement
entrepris (art. 63 al. 2 OJ), il apparaît que la demanderes-
se, par son défaut de vigilance dans la remise de son sceau,
et la fiduciaire, en raison du manque de surveillance de son
employé, n'ont certes pas eu un comportement exempt de tout
reproche. La fiduciaire a du reste rapidement remboursé à la
demanderesse près d'un million de francs. En revanche, on ne
voit pas qu'elles aient commis des manquements d'une gravité
telle qu'elle puisse interférer dans le lien de causalité
adéquate entre le défaut de vérification de l'organe de con-
trôle et les pertes subies par la société à la suite des pré-
lèvements indus, ce que le défendeur n'allègue du reste même
pas.

Dans ces circonstances, la cour cantonale n'a pas
violé le droit fédéral en considérant que le comportement du
défendeur, envisagé en lui-même, remplissait les conditions
de l'art. 754 aCO.

6.- Le défendeur soutient "qu'il y a prescription
s'agissant des intérêts moratoires retenus pour les périodes
les plus anciennes" durant lesquelles les détournements illi-
cites ont eu lieu.

a) Il résulte de cette motivation, dont on peut se
demander si elle répond aux exigences de l'art. 55 al. 1
let.

c OJ, que le défendeur invoque la prescription non pas des
intérêts moratoires, mais des intérêts compensatoires ou in-
térêts du dommage.

b) Contrairement à ce qu'il relève, la cour canto-
nale s'est prononcée sur l'exception de prescription
invoquée
devant elle, dès lors qu'elle a indiqué que l'intérêt compen-
satoire n'était pas soumis à la prescription quinquennale de
l'art. 128 ch. 1 CO, sous-entendant qu'elle ne considérait
pas la prétention en découlant comme prescrite.

Cette conclusion n'apparaît pas contraire au droit
fédéral. En effet, selon la jurisprudence, l'intérêt qui se
calcule à partir du moment où l'événement dommageable a dé-
ployé des effets sur le plan financier est un élément du
dommage. Il court jusqu'à la réparation du préjudice et est
qualifié d'intérêt compensatoire ou d'"intérêt du dommage"
(Schadenszins). Son but est de placer la personne qui peut
prétendre à réparation dans la situation qui aurait été la
sienne si elle avait obtenu sa prétention au jour de l'acte
illicite, respectivement des effets économiques de celui-ci
(ATF 122 III 53 consid. 4a p. 54 et les références citées).
Par sa nature, l'intérêt compensatoire ne peut donc être as-
similé à une redevance périodique au sens de l'art. 128 ch.
1
CO, mais il doit être assujetti aux règles de prescription
applicables au dommage dont il fait partie intégrante. Or,
en
l'espèce, rien, dans le jugement attaqué, ne permet de dédui-
re que les prétentions de la société en réparation des mon-
tants soustraits illicitement par l'employé de la fiduciaire
auraient été prescrites, ce que l'organe de contrôle n'allè-
gue nullement.

7.- Le défendeur invoque un abus de droit. Il re-
proche à la société lésée d'agir contre l'organe de révision
externe, alors qu'elle aurait pu et dû s'en prendre à la fi-

duciaire s'occupant de sa gestion, mais qu'elle y aurait re-
noncé en raison de ses liens avec cette dernière.

Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un
droit n'est pas protégé par la loi. Il convient d'examiner
les circonstances concrètes du cas d'espèce pour déterminer
l'existence d'un abus de droit (ATF 121 III 60 consid. 3d p.
63). Les cas typiques d'abus de droit sont l'absence d'inté-
rêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution
juridique contrairement à son but, la disproportion
manifeste
des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménage-
ment ou l'attitude contradictoire (cf. ATF 120 II 105
consid.
3a p. 108).

En l'occurrence, aucune de ces situations ne sont
réalisées. Premièrement, quels que soient les liens entre la
fiduciaire et la demanderesse, c'est bien cette dernière qui
a subi un dommage, de sorte qu'elle a un intérêt indéniable
à
chercher à en obtenir réparation. Deuxièmement, le défendeur
semble perdre de vue que la fiduciaire a versé 975'000 fr. à
la demanderesse, de sorte que l'on ne peut reprocher à la so-
ciété de s'en prendre exclusivement à l'organe de gestion.
Troisièmement, la condamnation du défendeur à payer une
somme
d'un peu plus de 150'000 fr., alors que les détournements
ont
porté au total sur un montant de 1'017'991,65 fr. auquel
s'ajoutent 204'138 fr. d'intérêts compensatoires, ne traduit
pas une disproportion en défaveur du défendeur. Enfin, rien
n'indique que la demanderesse aurait exercé ses droits sans
ménagement ou qu'elle ait adopté une attitude
contradictoire.
L'action en dommages-intérêts dirigée contre le défendeur
n'apparaît ainsi pas relever de l'art. 2 al. 2 CC.

8.- La responsabilité de l'organe de contrôle
étant fondée, il reste à se demander si la cour cantonale
n'a
pas violé le droit fédéral en réduisant d'un tiers les

dommages-intérêts dus par le défendeur. Sur ce point, les
deux parties critiquent le jugement entrepris (cf. supra con-
sid. 3).

a) Pour fonder la réduction contestée, les juges
ont pris en considération deux éléments. Ils ont d'une part
retenu une faute concomitante de la demanderesse, lui repro-
chant d'avoir confié, sans aucune précaution ni instruction,
son sceau à la fiduciaire, tout en ne pouvant ignorer que
l'employé chargé des tâches de gestion disposait d'une trop
large liberté de manoeuvre; d'autre part, ils ont tenu
compte
de la faible rétribution du défendeur pour son mandat de con-
trôleur. Celui-ci a ainsi été condamné à verser les deux
tiers du solde des montants détournés qui s'élevait à
27'611 fr., à savoir 18'407 fr. Il a en outre été tenu de
rembourser à la société les deux tiers de l'intérêt compensa-
toire évalué à 204'138 fr., soit 136'092 fr.

b) La demanderesse soutient que ce mode de calcul
viole l'art. 51 CO. Se fondant sur l'ATF 93 II 329, elle pré-
tend que la cour cantonale aurait dû calculer la réduction
liée à sa faute additionnelle en partant du dommage total,
soit de 1'017'991,65 fr. En diminuant ce montant d'un tiers,
le défendeur devrait lui rembourser au maximum 678'661,10
fr.
Il aurait donc fallu le condamner au paiement de l'intégrali-
té du solde du dommage et de l'intérêt compensatoire.

Un tel raisonnement est non seulement contraire aux
règles sur la répartition du dommage, mais contrevient aussi
aux calculs opérés dans l'arrêt susmentionné.

Même si le but de la solidarité passive est d'amé-
liorer la situation du lésé (cf. ATF 117 II 50 consid. 5b),
la solidarité différenciée applicable en l'espèce ne saurait
empêcher le responsable recherché d'obtenir une réduction
des
dommages-intérêts dus si les conditions de l'art. 44 al. 1
CO

sont réalisées (cf. Böckli, op. cit., no 2025). En outre,
si,
en matière de solidarité parfaite ou imparfaite chacun des
débiteurs peut être recherché pour le tout, lorsque l'un
d'eux dédommage le lésé, il éteint la dette en partie et
libère les autres jusqu'à concurrence de la portion éteinte
(art. 147 al. 1 CO; cf. ATF 114 II 342 consid. 2b). Par con-
séquent, le litige ne portait plus en l'espèce sur la totali-
té de la perte initialement subie par la demanderesse, mais
uniquement sur le solde non remboursé par les autres débi-
teurs, soit sur 27'611 fr. plus 204'138 fr. d'intérêts com-
pensatoires. Il est donc logique que la réduction ait été
calculée en fonction de ces montants et non du dommage
total.

Dans l'ATF 93 II 329 cité par la demanderesse, le
Tribunal fédéral a certes calculé la réduction d'un quart du
dommage en raison de la faute du lésé sur la base du montant
total, mais, pour obtenir le montant final dû par le respon-
sable solidaire, il y a encore ajouté 1/3 correspondant à la
somme déjà remboursée par un autre débiteur. Par conséquent,
la part de 5/12 mise à la charge du défendeur équivalait au
dommage total, soit 1 - [1/4 + 1/3] (ATF 93 II 329 consid.
7d
p. 343). Ce mode de calcul, dont il n'y a pas lieu
d'examiner
ici le bien-fondé, serait en l'occurrence particulièrement
défavorable à la demanderesse. En effet, sur un dommage
total
(y compris les intérêts compensatoires) de 1'222'129,65 fr.
(1017'991,65 fr. + 204'138 fr.), 990'380,60 fr. ont déjà été
remboursés, dont 975'000 fr. par la fiduciaire et
15'380,60 fr. par l'employé indélicat, ce qui correspond à
une proportion de 4/5. Si on y ajoute la réduction de 1/3
prononcée, on parvient à 17/15, soit à un montant excédant
la
somme à rembourser, de sorte que le défendeur ne devrait
plus
rien.

c) Les deux parties s'en prennent aux facteurs de
réduction retenus, à savoir la faute concomitante de la de-
manderesse et la faible rémunération du défendeur.

Il ressort de l'art. 43 al. 1 CO, applicable par
analogie en matière de responsabilité contractuelle (art. 99
al. 3 CO), que le juge détermine le mode ainsi que l'étendue
de la réparation d'après les circonstances et la gravité de
la faute. Selon l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les
dommages-intérêts ou même n'en point allouer, notamment lors-
que les faits dont la partie lésée est responsable ont con-
tribué à créer le dommage, à l'augmenter ou qu'ils ont aggra-
vé la situation du débiteur. Cette disposition laisse au
juge
un large pouvoir d'appréciation (ATF 117 II 156 consid. 3a
p.
159).

aa) La demanderesse tente en vain de démontrer
qu'elle n'a pas commis de faute, s'écartant des faits consta-
tés dans le jugement entrepris. Comme le défendeur, elle
cherche à se prévaloir de la procédure ayant opposé la fidu-
ciaire à son assureur responsabilité civile, ce qui n'est
pas
admissible (cf. supra consid. 5c). Si l'on s'en tient aux
faits retenus, il apparaît que la demanderesse a confié son
sceau à la fiduciaire sans aucune précaution ni instruction,
alors qu'elle ne pouvait ignorer que l'employé qui en dispo-
sait jouissait d'une liberté de manoeuvre qualifiée de trop
large. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à la
cour
cantonale d'avoir admis que la société demanderesse avait
adopté un comportement fautif de nature à favoriser les agis-
sements illicites de l'employé en cause.

bb) Concernant la faible rémunération de l'organe
de contrôle, il ressort de la jurisprudence que la diligence
à observer par le mandataire ne se mesure pas toujours selon
des critères objectifs et que les exigences en ce domaine
sont moins élevées en cas de mandat gratuit (cf. arrêt du
Tribunal fédéral du 29 octobre 1997, partiellement publié in
SJ 1998 p. 198 consid. 4a in fine p. 202). Le Tribunal fédé-
ral admet ainsi que la gratuité peut constituer un facteur
de
limitation de la responsabilité du mandataire,
sous l'angle

de l'art. 99 al. 2 CO (ATF 112 II 347 consid. 3b p. 355; 92
II 234 consid. 3d p. 242). La doctrine partage cet avis (cf.
Walter Fellmann, Commentaire bernois, art 398 CO no 497;
Rolf
H. Weber, Commentaire bernois, art. 99 CO nos 138 et 146 ss;
du même auteur, Commentaire bâlois, art. 398 CO no 23; Hugo
Oser/Wilhelm Schönenberger, Commentaire zurichois, art. 398
CO no 1). Dans ce contexte, il était admissible de tenir
compte de la faible rémunération du défendeur lors de la
fixation des dommages-intérêts.

Contrairement à ce que soutient la demanderesse,
les critères de réduction pris en considération par la cour
cantonale ne violent donc pas le droit fédéral. Sur cette
base, les juges ont diminué d'un tiers les dommages-intérêts
dus par le défendeur. Celui-ci considère que cette réparti-
tion lui est totalement défavorable, mais sans invoquer
d'élément permettant d'en inférer que la cour cantonale au-
rait abusé du large pouvoir d'appréciation dont elle dispose
en la matière.

Dans ces circonstances, tant le recours en réforme
de la demanderesse que celui du défendeur doivent être reje-
tés et le jugement attaqué confirmé.

9.- Compte tenu de l'issue du litige, un émolument
judiciaire sera mis à la charge de chacune des deux parties
(art. 156 al. 1 OJ) et celles-ci supporteront leurs propres
dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette les recours et confirme le jugement at-
taqué;

2. Met un émolument judiciaire de 5'500 fr. à la
charge du défendeur;

3. Met un émolument judiciaire de 5'000 fr. à la
charge de la demanderesse;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal valaisan.
__________

Lausanne, le 12 juillet 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.132/2001
Date de la décision : 12/07/2001
1re cour civile

Analyses

Droit des sociétés anonymes; responsabilité de l'organe de contrôle; solidarité différenciée. Droit transitoire, application de l'art. 759 CO (consid. 2). Conditions de la responsabilité de l'organe de contrôle à qui l'on reproche une omission (consid. 5). Réduction des dommages-intérêts; mode de calcul lorsqu'une partie du dommage a déjà été remboursée par d'autres responsables; facteurs de réduction: faute concomitante du lésé et faible rémunération de l'organe de contrôle (consid. 8).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-07-12;4c.132.2001 ?
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