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05/07/2001 | SUISSE | N°5P.33/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 juillet 2001, 5P.33/2001


«/2»
5P.33/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

5 juillet 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, Mme Nordmann et
M. Merkli, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

P.________, représenté par Me Matteo Inaudi, avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 11 décembre 2000 par le Tribunal tuté-
laire du canton de Genève dans la cause qui oppose le recou-
rant à dame P.________,

représentée par Me Hanna Kala de
Perrot, avocate à Genève;

(art. 9 Cst.; suppression provisoire
du droit de visite du...

«/2»
5P.33/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

5 juillet 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, Mme Nordmann et
M. Merkli, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

P.________, représenté par Me Matteo Inaudi, avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 11 décembre 2000 par le Tribunal tuté-
laire du canton de Genève dans la cause qui oppose le recou-
rant à dame P.________, représentée par Me Hanna Kala de
Perrot, avocate à Genève;

(art. 9 Cst.; suppression provisoire
du droit de visite du père)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- R.________, né le 10 juin 1996, est le fils de
dame P.________ et de P.________. A la suite de leur
divorce,
l'autorité parentale et la garde sur l'enfant ont été attri-
buées à la mère, un droit de visite étant réservé au père.

Par courrier du 4 décembre 2000, le Service de pro-
tection de la jeunesse (ci-après: SPJ) a informé le Tribunal
tutélaire du canton de Genève que dame P.________ avait, le
22 novembre 2000, déposé plainte pénale contre son ex-mari
pour suspicion d'actes d'ordre sexuel sur l'enfant
R.________. Le SPJ a également dénoncé les faits auprès de
la
police de sûreté le 27 novembre 2000.

Une instruction pénale a été ouverte et P.________ a
été inculpé.

Le 4 décembre 2000, le SPJ a demandé au Tribunal tu-
télaire de suspendre le droit de visite. Par lettre du 5 dé-
cembre suivant, dame P.________ a sollicité un droit de visi-
te sous surveillance à un "Point Rencontre".

B.- Statuant sur mesures provisoires le 11 décembre
2000, le Tribunal tutélaire du canton de Genève a suspendu
le
droit de visite du père sur l'enfant, dit que sa décision
était immédiatement exécutoire et non susceptible de
recours,
informé les parties qu'une opposition pouvait être formée
contre ladite décision dans les trente jours dès sa notifica-
tion, par simple déclaration écrite, et ordonné la comparu-
tion personnelle des parties le 3 janvier 2001.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
P.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'ordonnance
du 11 décembre 2000.

Le recourant requiert en outre l'octroi de l'assis-
tance judiciaire.

Dame P.________ n'a pas présenté d'observations.

L'autorité cantonale a déclaré qu'elle persistait
dans sa décision et qu'elle renonçait à répondre au recours.

D.- Le 30 janvier 2001, le président de la cour de
céans a rejeté la requête d'effet suspensif présentée par le
recourant.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Sous réserve d'exceptions qui n'entrent pas
en considération en l'espèce, le recours de droit public
n'est recevable qu'à l'encontre des décisions rendues en der-
nière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). Selon la juris-
prudence constante, la notion de "moyen de droit cantonal"
est large; elle comprend non seulement les voies de recours
ordinaires et extraordinaires, mais encore, d'une façon géné-
rale, toutes les voies de droit propres à éliminer le préju-
dice juridique allégué et qui sont de nature à obliger l'au-
torité saisie à statuer (ATF 120 Ia 61 consid. 1a p. 62 et
les citations).

L'ordonnance critiquée a été rendue en application
de l'art. 376 de la loi de procédure civile genevoise (LPC/
GE). Selon l'alinéa 2 de cette disposition, la décision est
immédiatement exécutoire et n'est pas susceptible de recours.
Selon les commentateurs, elle est définitive en ce sens que,

même en cas d'opposition (al. 3), elle reste en vigueur jus-
qu'à la fin de la procédure (al. 4), autrement dit, jusqu'à
la décision au fond, voire, en cas de recours contre
celle-ci
(art. 375 LPC/GE), jusqu'à l'expiration d'un éventuel
recours
au Tribunal fédéral. Il n'existe pas de procédure sur opposi-
tion distincte de la procédure sur le fond, ni de jugement
sur opposition, qui maintiendrait, rétracterait ou modifie-
rait l'ordonnance sur mesures provisoires en tout ou en par-
tie. Seul le jugement sur le fond remplacera, le cas
échéant,
la mesure provisoire par une mesure définitive. Des faits
nouveaux - qui peuvent être révélés par l'opposition -
seront
certes susceptibles d'amener le Tribunal tutélaire à revoir
sa décision, adaptation qui doit au demeurant être effectuée
d'office (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la
loi de procédure civile genevoise, n. 4 et 9 ad art. 376).
Toutefois, dans un tel cas, les nouvelles mesures ne rempla-
ceront pas, avec effet rétroactif, l'ordonnance déjà prise.
De toute manière, le recourant n'invoque en l'espèce pas de
faits nouveaux, de sorte que cette hypothèse n'est pas réali-
sée. Dans ces conditions, le recours apparaît recevable au
regard de l'art. 86 al. 1 OJ.

b) Le recours est aussi recevable selon l'art. 87
al. 2 OJ, que la décision attaquée soit considérée comme fi-
nale ou incidente (cf. ATF 118 II 369 consid. 1 p. 371 et
les
références). Formé en temps utile, il est également
recevable
au regard de l'art. 89 OJ.

2.- Le recourant se plaint d'une application arbi-
traire de l'art. 376 LPC/GE. Il soutient que cette disposi-
tion concerne uniquement les mesures de protection de l'en-
fant des art. 307 à 313 CC, et non la réglementation des re-
lations personnelles entre parents et enfants; elle ne pour-
rait dès lors servir de base à la suppression provisoire de
son droit de visite.

a) Les décisions sur le droit de visite sont soumi-
ses, chaque fois qu'il est nécessaire, aux modifications dic-
tées par l'évolution de la situation; la réglementation des
relations personnelles peut donc être modifiée en tout temps
par voie de mesures provisionnelles ou d'un procès au fond.
Depuis la modification du Code civil suisse du 26 juin 1998,
entrée en vigueur le 1er janvier 2000, l'autorité tutélaire
-
et non plus le juge (art. 157 aCC) - est compétente pour mo-
difier la réglementation des relations personnelles arrêtée
par le juge du divorce, sauf s'il y a lieu de modifier en mê-
me temps l'attribution de l'autorité parentale ou la contri-
bution d'entretien (art. 134 al. 4, 275 al. 1 et 2 CC; cf.
Message du Conseil fédéral concernant la révision du code ci-
vil suisse du 15 novembre 1999, ch. 233.63).

Estimant que cette révision impliquait l'adaptation
de la loi de procédure civile (cf. Mémorial des séances du
Grand Conseil, 1999, p. 6401, 9704), le législateur genevois
a notamment adopté, le 16 décembre 1999, un nouveau chapitre
V A, comprenant les articles 368 A à 368 C sur la procédure
relative aux relations personnelles et à l'autorité
parentale
conjointe. Selon ces dispositions, en vigueur depuis le 1er
janvier 2000, le Tribunal tutélaire est saisi de l'action
concernant l'enfant mineur par une requête, qui contient
l'exposé des faits et les conclusions, accompagnée des
pièces
justificatives et, le cas échéant, de la convention conclue
entre les parents au sujet de la répartition des frais d'en-
tretien de l'enfant (art. 368 A). L'art. 368 B relatif à
l'établissement des faits impose la maxime d'office, l'audi-
tion des père et mère et, le cas échéant, celle du mineur in-
téressé, comme en matière de protection de l'enfant (cf.
art.
371 à 373 LPC/GE). En vertu du renvoi de l'art. 368 C, la dé-
cision du Tribunal tutélaire peut faire l'objet d'un recours
selon l'art. 375 LPC/GE.

b) L'art. 376 LPC/GE, sur lequel le Tribunal tuté-
laire s'est fondé pour ordonner des mesures provisoires, se
trouve certes dans un autre chapitre, consacré aux mesures
de
protection de l'enfant au sens strict. Quand bien même les
art. 368 A à 368 C ne renvoient pas à cette disposition, il
n'est pas insoutenable d'admettre que la procédure en
matière
de relations personnelles est, d'une manière générale, analo-
gue à celle qui régit les mesures de protection de l'enfant,
prévue aux art. 369 ss LPC/GE (Bertossa/Gaillard/Guyet/
Schmidt, op. cit., n. 1 ad art. 368 B), à savoir non seule-
ment s'agissant de l'établissement des faits et de la voie
de
recours, mais aussi en ce qui concerne les mesures provisoi-
res. Cette solution correspond du reste à celle qui est pré-
vue à l'art. 397 B LPC/GE, relatif à la modification du juge-
ment de divorce (ou de séparation de corps) par le Tribunal
tutélaire en vertu de l'art. 134 al. 3 CC: sous réserve de
la
saisine de l'autorité tutélaire, les art. 369 à 378 LPC/GE
sont applicables (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit.,
n. 1 ad art. 397 B). Le Tribunal tutélaire ne saurait dès
lors se voir reprocher d'avoir commis arbitraire sur ce
point
(sur cette dernière notion, cf. ATF 126 I 165 consid. 3a;
125
I 161 consid. 2a, 166 consid. 2a p. 168 et les arrêts
cités).

3.- Dans un autre moyen, le recourant fait grief à
l'autorité cantonale d'avoir arbitrairement appliqué l'art.
274 al. 2 CC. Il soutient que des soupçons d'abus sexuels ne
constituent pas de justes motifs devant entraîner le retrait
du droit de visite, cette mesure représentant une ultima ra-
tio; or la décision attaquée ne contiendrait aucun élément
qui permettrait d'établir que les relations personnelles se-
raient néfastes à l'enfant. En écartant l'organisation d'un
droit de visite surveillé, alors même que celui-ci était sol-
licité par l'intimée, le Tribunal tutélaire aurait en outre
méconnu le principe de la proportionnalité. Le recourant se
plaint aussi à cet égard d'une violation de l'art. 8 § 1
CEDH.

a) Aux termes de l'art. 273 al. 1 CC, dans sa teneur
en vigueur depuis le 1er janvier 2000, le père ou la mère
qui
ne détient pas l'autorité parentale ou la garde ainsi que
l'enfant mineur ont réciproquement le droit d'entretenir les
relations personnelles indiquées par les circonstances.
Selon
l'art. 274 al. 1 CC, le père et la mère doivent veiller à ne
pas perturber les relations de l'enfant avec l'autre parent
et à ne pas rendre l'éducation plus difficile; quant à l'ali-
néa 2 de cette disposition, il prévoit que, si les relations
personnelles compromettent le développement de l'enfant, si
les père et mère qui les entretiennent violent leurs obliga-
tions, s'ils ne se sont pas souciés sérieusement de l'enfant
ou s'il existe d'autres justes motifs, le droit d'entretenir
ces relations peut leur être refusé ou retiré.

Ce deuxième alinéa de l'art. 274 CC est en harmonie
avec l'art. 8 § 2 CEDH (cf. Cyril Hegnauer, Berner
Kommentar,
n. 16 ad art. 274 CC). Si, d'après son texte, on pourrait
penser qu'il existe quatre hypothèses dans lesquelles le
droit aux relations personnelles peut être refusé ou retiré,
il faut admettre en réalité que ce refus ou ce retrait ne
peut être demandé que si le bien de l'enfant est mis en dan-
ger par les relations: la disposition a pour objet de proté-
ger l'enfant, et non de punir les parents (Hegnauer, op.
cit., n. 17 ss ad art. 274 CC). Il y a danger pour le bien
de
l'enfant si son développement physique, moral ou psychique
est menacé par la présence même limitée du parent qui n'a
pas
l'autorité parentale. Il importe en outre que cette menace
ne
puisse être écartée par d'autres mesures appropriées (princi-
pe de la proportionnalité). Entrent notamment en considéra-
tion comme justes motifs au sens de l'art. 274 al. 2 CC les
abus sexuels (ATF 122 III 404 consid. 3b p. 407 et les cita-
tions). En présence de tels soupçons, il convient de faire
preuve d'une attention particulière (cf. M. Hammer-Feldges,
RDT 1993 p. 15 ss, spéc. 23). Ils pourront justifier le
refus

de tout droit de visite, jusqu'à ce qu'ils soient levés (ATF
119 II 201 consid. 3 p. 205; Felder/Hausheer, RJB 1993 p.
698
ss; A. Wirz, in I. Schwenzer [éd.], Praxiskommentar Schei-
dungsrecht, Bâle 2000, n. 8 ad art. 274 CC et les
citations).
Il peut toutefois se révéler compatible avec le bien de l'en-
fant de ne pas empêcher d'emblée toutes relations personnel-
les mais de les autoriser, pour une durée déterminée, sous
la
forme d'un droit de visite surveillé (ATF 120 II 229 consid.
3b/aa p. 232/233; I. Schwenzer, Basler Kommentar, n. 11 ad
art. 274 CC et les références mentionnées).

b) En l'espèce, l'autorité cantonale a considéré
qu'une suspicion importante d'attouchements sexuels pesait
sur le père de l'enfant, non seulement d'après le courrier
du
SPJ, mais aussi selon les médecins de l'Hôpital de pédiatrie
où l'enfant avait été examiné, lesquels jugeaient la situa-
tion inquiétante. La décision attaquée relève en outre que
le
recourant a été inculpé. Au vu de ces circonstances, il
n'était pas insoutenable d'estimer, dans le cadre de mesures
provisoires - à savoir sous l'angle de la vraisemblance -
que
le bien de l'enfant était menacé et qu'il convenait par con-
séquent de limiter le droit de visite. Cette opinion n'est
du
reste pas critiquée sérieusement par le recourant. Il se con-
tente de dire qu'"on comprend mal" que le Tribunal tutélaire
retienne de tels soupçons, sans toutefois les contester réel-
lement. Il prétend aussi ne pas comprendre que cette
autorité
ait tenu compte de l'avis des médecins sans les auditionner,
ni à tout le moins solliciter de leur part un rapport écrit:
outre que l'art. 376 al. 1 LPC/GE permet au Tribunal tutélai-
re d'ordonner des mesures provisoires sans instruction préa-
lable, le recourant ne démontre nullement que l'autorité can-
tonale aurait fait preuve d'arbitraire à cet égard (art. 90
al. 1 let. b OJ; ATF 126 III 524 consid. 1c p. 526 et les ré-
férences). Enfin, le Tribunal tutélaire aurait violé le prin-
cipe de la proportionnalité en suspendant provisoirement les

relations personnelles
au lieu de prévoir un droit de visite
surveillé, comme le permet la jurisprudence. L'autorité can-
tonale a toutefois jugé qu'une telle mesure était certes pro-
pre à prévenir d'éventuels nouveaux actes répréhensibles,
mais non à mettre l'enfant à l'abri, le cas échéant, de pres-
sions de la part de son père en vue d'obtenir sa rétracta-
tion, ou tout au moins de le culpabiliser. L'autorité canto-
nale a ajouté qu'une reprise des relations personnelles au
"Point de rencontre St-Victor" ne pourrait être envisagée
qu'une fois que l'instruction pénale serait suffisamment
avancée et que l'enfant aurait pu être entendu de manière
adéquate, le cas échéant dans le cadre d'une expertise; or
le
recourant ne conteste absolument pas cette motivation (art.
90 al. 1 let. b OJ). Son grief ne peut ainsi qu'être rejeté,
dans la mesure de sa recevabilité. Dans ces conditions,
l'art. 8 § 1 CEDH n'apparaît pas non plus violé.

4.- En conclusion, le recours doit être rejeté dans
la mesure où il est recevable, aux frais de son auteur (art.
156 al. 1 OJ). Ses conclusions étaient d'emblée vouées à
l'échec, de sorte que la requête d'assistance judiciaire ne
peut être agréée (art. 152 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer
des dépens à l'intimée, qui n'a pas déposé d'observations.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

vu l'art. 36a OJ:

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Rejette la requête d'assistance judiciaire.

3. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 1'500 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et au Tribunal tutélaire du canton de
Genève.

__________

Lausanne, le 5 juillet 2001
MDO/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.33/2001
Date de la décision : 05/07/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-07-05;5p.33.2001 ?
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