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02/07/2001 | SUISSE | N°4P.107/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 juillet 2001, 4P.107/2001


«/2»

4P.107/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

2 juillet 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Jérôme de Montmollin,
avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 mars 2001 par la Présidente de la Cour
d'appel de la juridiction des prud'hommes genevoise dans la
cause qu

i oppose la recourante à S.________, représenté par
Me Pierre Serge Heger, avocat à Bulle;

(appel tardif; arbitraire)

Vu l...

«/2»

4P.107/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

2 juillet 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Jérôme de Montmollin,
avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 mars 2001 par la Présidente de la Cour
d'appel de la juridiction des prud'hommes genevoise dans la
cause qui oppose la recourante à S.________, représenté par
Me Pierre Serge Heger, avocat à Bulle;

(appel tardif; arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 25 octobre 2000, le Tribunal
des prud'hommes du canton de Genève a condamné X.________
S.A. à payer à S.________ la somme nette de 50 000 fr.,
ainsi
que la somme brute de 26 912 fr.40 avec intérêts à 5% l'an
dès le 26 octobre 1999.

Ayant reçu ce jugement le 15 décembre 2000,
X.________ S.A. a interjeté appel par conclusions motivées
déposées le 25 janvier 2001 au greffe de la juridiction des
prud'hommes. Dans sa réponse, S.________ a formé un appel
incident.

B.- Par arrêt du 14 mars 2001, la Présidente de la
Cour d'appel a constaté que l'appel n'avait pas été déposé
dans le délai de 30 jours prescrit par l'art. 59 al. 1 de la
loi genevoise sur la juridiction des prud'hommes, étant pré-
cisé que la suspension des délais du 18 décembre au 1er jan-
vier inclusivement, prévue par l'art. 30 al. 1 de la loi ge-
nevoise de procédure civile, ne s'applique pas devant la ju-
ridiction des prud'hommes. En conséquence, elle a déclaré
l'appel irrecevable et prononcé la caducité de l'appel inci-
dent.

C.- X.________ S.A. a formé un recours de droit pu-
blic au Tribunal fédéral. Invoquant l'interdiction de l'arbi-
traire et la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.), la re-
courante conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. Elle a
sollicité par ailleurs l'effet suspensif, qui a été refusé
par décision du 3 mai 2001.

L'intimé propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours de droit public au Tribunal fédé-
ral est ouvert contre une décision cantonale pour violation
des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let.
a OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan
fédéral ou cantonal dans la mesure où la recourante invoque
la violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de
sorte que la règle de la subsidiarité du recours de droit pu-
blic est respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui déclare irrecevable son appel contre
une condamnation à paiement, de sorte qu'elle a un intérêt
personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette
décision n'ait pas été prise en violation de ses droits
constitutionnels; en conséquence, elle a qualité pour re-
courir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 et 34 al. 1
let. a OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1
OJ), le recours est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réali-
sées en l'espèce, il n'a qu'un caractère cassatoire (ATF 127
II 1 consid. 2c; 126 III 534 consid. 1c; 124 I 327 consid.
4).

b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF

126 III 524 consid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b
p. 495).

2.- a) La recourante invoque tout d'abord une vio-
lation du principe de la bonne foi, garanti par l'art. 9 Cst.

Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le
principe de la bonne foi donne au citoyen le droit d'être
protégé dans la confiance légitime qu'il met dans les assu-
rances reçues d'une autorité compétente dans un cas concret;
il le protège donc lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des
décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de
l'administration (ATF 125 I 209 consid. 9c, 267 consid. 4c
p.
274).

En l'espèce, il ne ressort ni de la décision atta-
quée ni des allégués de la recourante que celle-ci aurait re-
çu la moindre assurance de la part de l'autorité compétente
quant à la suspension du délai d'appel pendant la période de
Noël et Nouvel An. Au contraire, il résulte de la dernière
page de la décision de première instance produite par la re-
courante que celle-ci a été informée que l'appel devait être
déposé dans les 30 jours suivant la notification de la déci-
sion du tribunal; cette indication était donnée sans aucune
exception ni réserve. La recourante n'a donc reçu aucune as-
surance de la part de l'autorité qui puisse lui permettre de
se prévaloir du principe de la bonne foi. Ce premier grief
est ainsi dépourvu de tout fondement.

b) La recourante invoque ensuite la protection con-
tre l'arbitraire, garantie par l'art. 9 Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci

est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou enco-
re lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la
justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée
pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 I 168 con-
sid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124 I 247 consid. 5 p. 250;
124 V 137 consid. 2b).

c) La décision attaquée parvient à la conclusion
que le droit cantonal applicable ne prévoit pas de
suspension
du délai pour appeler d'un jugement rendu par le Tribunal
des
prud'hommes.

Les litiges en matière de contrat de travail con-
cernent le plus souvent des prétentions de salaires ou d'in-
demnités pour licenciement et se rapportent donc à des pres-
tations qui sont normalement indispensables pour l'entretien
courant de la personne concernée. Il n'y a donc rien d'arbi-
traire à ce que le législateur cantonal - compétent en vertu
de l'art. 122 al. 2 Cst. - adopte des règles spéciales de cé-
lérité pour les différends relevant du droit du travail.
Etant rappelé le large pouvoir d'appréciation qui appartient
au législateur, il n'y a rien d'insoutenable à décider, en
cette matière, qu'il n'y aura pas de périodes pendant les-
quelles les tribunaux ne tiennent pas d'audiences (féries ju-
diciaires) et qu'il n'y aura pas non plus de périodes de sus-
pension des délais que la loi fixe aux parties (suspension
des délais). Une telle réglementation ne viole pas l'inter-
diction de l'arbitraire.

d) Il reste à examiner si l'autorité a correctement
interprété le droit cantonal applicable.

La procédure devant la juridiction des prud'hommes
n'est pas régie par la loi genevoise de procédure civile du
10 avril 1987 (LPC; E,3,05), mais par une loi spéciale: la
loi genevoise du 25 février 1999 sur la juridiction des
prud'hommes (LJP; E,3,10; cf. 2ème partie: procédure). Or,
cette loi règle la question du délai d'appel de manière pé-
remptoire: "l'appel doit être déposé dans les 30 jours qui
suivent la notification de la décision du tribunal" (art. 59
al. 1 LJP). Cette règle ne comporte aucune exception ni ré-
serve.

Certes, l'art. 11 LJP, selon toute vraisemblance
pour éviter des lacunes, prévoit, dans une règle liminaire,
que les dispositions générales de la loi d'organisation judi-
ciaire et de la loi de procédure civile sont applicables à
titre supplétif. Ce renvoi général est cependant assorti
d'une réserve: ces dispositions ne sont applicables à titre
supplétif que "dans la mesure compatible avec les exigences
de simplicité et de rapidité propres à la procédure applica-
ble devant la juridiction des prud'hommes". Il est évident
que la suspension des délais, prévue par l'art. 30 al. 1
LPC,
touche à la célérité de la procédure. On doit donc se deman-
der, à teneur de l'art. 11 LJP, si cette disposition est ap-
plicable par analogie, étant donné qu'elle affecte la rapidi-
té de la procédure.

L'autorité cantonale a expliqué à ce propos - sans
que l'arbitraire ne soit invoqué sur ce point - que la juris-
prudence constante en matière prud'homale excluait la suspen-
sion du délai devant cette juridiction avant l'adoption du
nouvel art. 11 LJP. Il ne ressort pas des travaux préparatoi-
res que le législateur, en adoptant l'art. 11 LJP, aurait
voulu modifier la pratique sur ce point; la recourante n'ap-
porte d'ailleurs aucun élément concluant dans ce sens. L'au-
torité cantonale en déduit que l'introduction de l'art. 11
LJP, qui a pour but d'éviter des lacunes, ne tend pas à modi-

fier la jurisprudence selon laquelle la suspension des
délais
ne s'applique pas devant les juridictions prud'homales. La
réserve de la célérité, contenue dans le texte même de
l'art.
11 LJP, va assurément dans ce sens. Par ailleurs, il n'est
pas contesté qu'il n'existe pas de féries judiciaires pour
les juridictions prud'homales. Or, les deux institutions
sont
apparentées. Si le législateur n'a pas voulu qu'il y ait une
période pendant laquelle les juridictions prud'homales ne
tiennent pas d'audiences, on ne voit pas pourquoi il aurait
voulu suspendre pendant certaines périodes les délais fixés
aux parties par la loi. Cette argumentation est soutenable
et
ne peut pas être qualifiée d'arbitraire au sens de la défini-
tion rappelée ci-dessus.

Si on se réfère à l'art. 30 al. 1 LPC, on constate
que le principe de la suspension des délais ne concerne que
les délais "fixés par la présente loi". Comme le délai pour
appeler d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes
est régi par une autre loi (art. 59 al. 1 LJP), il en
résulte
que ce principe n'est pas applicable. Dès lors, la
recourante
ne peut tirer aucun argument du fait que la juridiction
prud'homale n'est pas prévue dans la liste des exceptions de
l'art. 30 al. 2 LPC, puisqu'elle est déjà exclue par la
règle
générale de l'art. 30 al. 1 LPC (qui restreint son applica-
tion aux délais "fixés dans la présente loi"). La
comparaison
que la recourante voudrait faire avec la juridiction des
baux
et loyers ne lui est d'aucun secours, parce que la procédure
devant cette juridiction est régie - à la différence de
celle
devant la juridiction des prud'hommes - par la loi de procé-
dure civile elle-même (art. 426 ss LPC).

L'art. 30 al. 1 LPC ne pourrait être applicable que
par le renvoi de l'art. 11 LJP, mais - comme on l'a vu - ce
renvoi ne s'applique pas automatiquement dès lors que la rè-
gle touche à la célérité et son application a été écartée
par
une motivation dénuée d'arbitraire.

Le Tribunal fédéral a d'ailleurs déjà eu l'occasion
de juger que cette interprétation ne pouvait pas être quali-
fiée d'arbitraire (arrêt non publié du 8 février 2001, dans
la cause 4P.239/2000, consid. 2). En l'absence d'arguments
nouveaux, il n'y a pas lieu de revenir sur cette jurispruden-
ce.

e) La recourante fait valoir que la présente cause
ne requiert aucune célérité particulière et qu'elle n'a pas
été traitée avec une spéciale rapidité. Cette argumentation
est toutefois sans pertinence. Pour des raisons de sécurité
du droit, il est parfaitement soutenable que le législateur
fixe le délai d'appel de manière uniforme, sans tenir compte
des particularités des dossiers d'espèce et même sans tenir
compte de l'importance des valeurs litigieuses. Sous cet an-
gle également, on ne discerne aucun arbitraire.

f) La recourante soutient que les autres lois can-
tonales sont plus précises que la loi genevoise. On ne voit
cependant pas en quoi cette différence entre les
législations
violerait un droit constitutionnel des citoyens. En tout
cas,
la recourante ne l'indique pas d'une manière répondant aux
exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

g) La recourante fait valoir enfin que la jurispru-
dence de la Cour d'appel des prud'hommes ne serait que diffi-
cilement accessible.

Sur ce point également, elle n'indique pas quel
droit constitutionnel aurait été violé et, surtout, elle
n'explique pas en quoi consiste la violation; en
conséquence,
il n'y a pas lieu d'entrer en matière (art. 90 al. 1 let. b
OJ).

On ne peut en tout cas pas la suivre lorsqu'elle
semble soutenir qu'elle a été privée arbitrairement de la
possibilité de saisir utilement la juridiction d'appel.

En effet, il résulte de la lecture de la dernière
page du jugement de première instance produit par la recou-
rante que celle-ci a été informée que le délai d'appel était
de 30 jours dès la notification du jugement, sans que ce dé-
lai ne comporte la moindre exception ou la moindre réserve.
Un justiciable non juriste, lisant cette indication avec
l'attention commandée par les circonstances, aurait agi dans
les 30 jours et son appel aurait été recevable. Il n'est
donc
pas exact de laisser croire que le justiciable ne pouvait
pas
savoir comment et quand procéder.

En réalité, seul un juriste connaissant la procédu-
re genevoise pouvait avoir l'idée, plutôt que de suivre les
indications données, d'envisager l'application par analogie
d'un article contenu dans une autre loi. On peut alors atten-
dre d'une telle personne, qui soulève elle-même un problème,

qu'elle l'examine avec toute l'attention requise. Or, la lec-
ture de l'art. 11 LJP montre que les règles de la loi gene-
voise de procédure civile ne sont pas sans autre applicables
devant cette juridiction, mais qu'il faut examiner si elles
sont compatibles avec les exigences de simplicité et de rapi-
dité propres à la procédure devant la juridiction des
prud'hommes. A cet égard, la suspension des délais touchait
bien à la rapidité de la procédure et une personne diligente
se serait alors enquise de la jurisprudence, ce que la recou-
rante ne prétend pas avoir fait. Si elle a choisi de ne pas
suivre les indications qui lui étaient données, mais de pro-
céder selon son idée sans s'enquérir de la jurisprudence, el-
le ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Sous cet angle égale-
ment, on ne voit pas que la recourante ait été traitée arbi-
trairement.

3.- Compte tenu de la valeur litigieuse, la procé-
dure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 nouvelle teneur
CO; cf. ATF 115 II 30 consid. 5). Les frais et dépens
doivent
donc être mis à la charge de la recourante qui succombe
(art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 2500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Présidente de la Cour d'appel de
la juridiction des prud'hommes genevoise (Cause n°
C/8071/2000-4).

__________

Lausanne, le 2 juillet 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.107/2001
Date de la décision : 02/07/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-07-02;4p.107.2001 ?
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