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25/06/2001 | SUISSE | N°1A.94/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 juin 2001, 1A.94/2001


«/2»

1A.94/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

25 juin 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la République du Kazakhstan, représentée par Me Alain
Berger,
avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 11 avril 2001 par l'Office fédéral de
la j

ustice, office central USA;

(entraide judiciaire avec les Etats-Unis d'Amérique)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
...

«/2»

1A.94/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

25 juin 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la République du Kazakhstan, représentée par Me Alain
Berger,
avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 11 avril 2001 par l'Office fédéral de
la justice, office central USA;

(entraide judiciaire avec les Etats-Unis d'Amérique)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 30 août 2000, l'Office fédéral de la justice,
office central USA, est entré en matière sur une demande
d'entraide judiciaire formée le 12 juin 2000 par le
Ministère
de la Justice des Etats-Unis d'Amérique, complétée le 17
août
suivant, dans le cadre d'une enquête dirigée contre le ci-
toyen américain G.________ et autres, soupçonnés d'avoir
transmis des montants importants provenant de compagnies pé-
trolières, notamment américaines, et destinés à de hauts res-
ponsables de la République du Kazakhstan, en particulier son
Président et un ancien premier ministre. L'autorité requéran-
te se fonde sur des renseignements transmis spontanément les
28 janvier, 5 avril et 10 juillet 2000 par le Juge d'instruc-
tion genevois, chargé d'une enquête pour corruption et blan-
chiment d'argent, à raison des mêmes faits. Elle demande des
renseignements concernant un compte numéroté dans une banque
suisse, et tout compte détenu par G.________ et les
personnes
physiques et morales impliquées. L'OFJ a considéré que les
principes de la double incrimination et de la proportionnali-
té étaient respectés. Les autorités genevoises étaient char-
gées de l'exécution des actes d'entraide.

Précédemment, par décision incidente du 21 juin
2000, l'office central avait ordonné le blocage de
différents
comptes auprès de la banque B.________, à Genève, ainsi que
d'un compte xxx auprès de la Banque A.________, bénéficiaire
d'un versement de 84 millions d'US$ effectué le 6 août 1999.
Cette décision a fait l'objet d'une opposition le 7 juillet
2000, motivée le 1er septembre 2000, de la part de la Répu-
blique du Kazakhstan.

Le juge d'instruction genevois a requis de la Banque
A.________, les 1er et 6 septembre 2000, la production de
toute la documentation bancaire relative au compte xxx - à

l'exception des pièces déjà obtenues dans le cadre de la pro-
cédure pénale -, documentation non limitée au versement des
84 millions d'US$ précité. Un recours adressé à la Chambre
d'accusation genevoise a été déclaré irrecevable, décision
confirmée par arrêt du Tribunal fédéral du 2 mars 2001.

B.- Par mémoires des 11 septembre et 30 octobre
2000, la République du Kazakhstan a formé opposition contre
la mesure de blocage du compte xxx et contre la décision
d'entrée en matière. Elle expliquait que la banque
B.________
était chargé d'assister le gouvernement du Kazakhstan dans
le
cadre des privatisations en cours dans cet Etat, et dans les
négociations relatives aux concessions de droits pétroliers.
Les droits payés par les compagnies pétrolières étaient ver-
sés sur des comptes "escrow", et répartis, sur instructions
de la République du Kazakhstan, sur des comptes dont les
ayants droit seraient le Chef de l'Etat ou ses proches. Se
fondant sur un avis de droit, elle soutenait que les avoirs
déposés seraient affectés au service publique et, partant,
couverts par l'immunité de juridiction. Dans une ordonnance
du 29 juin 2000, rendue dans le cadre de la procédure pénale
genevoise, la Chambre d'accusation avait considéré qu'il
n'était pas exclu que les fonds déposés sur le compte de la
République du Kazakhstan soient affectés à des tâches "de
iure imperii". La même conclusion s'imposait dans le cadre
de
la procédure d'entraide. La demande d'entraide américaine
était en outre viciée, car elle reposait sur des
informations
transmises par la Suisse en violation de l'art. 67a EIMP.
L'opposante demandait en outre l'accès partiel au dossier
d'entraide, afin de connaître la documentation transmise
spontanément aux autorités américaines, ce qui lui avait été
refusé précédemment.

C.- Par décision du 11 avril 2001, l'OFJ a statué
simultanément sur les oppositions relatives au blocage des
fonds et à la décision d'entrée en matière. La transmission

spontanée, selon l'art. 67a EIMP, se rapportait à des infor-
mations et non à des moyens de preuve; elle était soumise à
la surveillance de l'OFJ, mais ne pouvait faire l'objet d'un
recours; le contenu de ces informations ressortait
clairement
de la demande d'entraide américaine, dûment notifiée à l'op-
posante. La décision de la Chambre d'accusation, reconnais-
sant prima facie l'immunité de juridiction à propos du
compte
détenu par la République du Kazakhstan, ne liait pas
l'office
central; il n'y avait pas eu de transmission illicite de ren-
seignements, et il ne se justifiait donc pas d'en donner ac-
cès à l'opposante. Celle-ci ne pouvait invoquer son immunité
en se contentant d'affirmer que les fonds étaient affectés à
des tâches publiques: ce critère n'était pas déterminant à
lui seul. Les fonds détenus auprès de la banque B.________
provenaient de compagnies pétrolières, en contrepartie de
droits et de concessions pétrolières; ils avaient été versés
sur le compte de la société O.________, société dont le capi-
tal était détenu par S.________, dont le bénéficiaire était
le Président de la République du Kazakhstan. La structure fi-
nancière utilisée pour ces placements permettait de penser
que l'Etat étranger avait agi "iure gestionis". Le versement
de 84 millions d'US$ sur le compte de la République du
Kazakhstan auprès de la Banque A.________ avait eu lieu de
manière abrupte, et pouvait être interprété comme une tenta-
tive d'abuser de l'immunité diplomatique pour échapper aux
investigations en cours.

D.- La République du Kazakhstan forme un recours de
droit administratif contre cette dernière décision. Elle en
demande l'annulation, ainsi que l'irrecevabilité de la deman-
de d'entraide et l'annulation des décisions de blocage et
d'entrée en matière. Subsidiairement, elle conclut à l'annu-
lation des décisions de l'OFJ en tant qu'elles portent sur
le
compte xxx, et au rejet de la demande d'entraide dans la
même
mesure. Plus subsidiairement, elle conclut au renvoi de la
cause à l'OFJ pour nouvelle décision dans le sens des consi-

dérants du Tribunal fédéral. L'OFJ conclut au rejet du re-
cours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) L'entraide judiciaire entre les Etats-Unis
d'Amérique et la Confédération suisse est régie par le
Traité
conclu le 25 mai 1973 entre les deux Etats (TEJUS, RS 0.351.
933.6) et la loi fédérale relative à ce traité (LTEJUS, RS
351.93). La loi fédérale sur l'entraide internationale en ma-
tière pénale (EIMP, RS 351.1) et son ordonnance d'exécution
(OEIMP, RS 351.11) sont applicables aux questions qui ne
sont
pas réglées par le traité et la loi y relative (ATF 124 II
124 consid. 1a p. 126).

b) La décision par laquelle l'office central octroie
l'entraide judiciaire en vertu de l'art. 5 al. 2 let. b
LTEJUS et rejette les oppositions selon l'art. 16 de la même
loi, peut être attaquée par la voie du recours de droit admi-
nistratif prévue à l'art. 17 al. 1 LTEJUS. La recourante est
personnellement et directement touchée par la saisie du comp-
te bancaire dont elle est nommément titulaire, ainsi que par
la transmission des documents qui s'y rapportent (art. 16
al.
1 LTEJUS, art. 80h let. b EIMP, 9a let. a OEIMP).

2.- La recourante se plaint en premier lieu d'une
violation de son droit de consulter le dossier. Elle enten-
dait contester la transmission spontanée d'informations aux
autorités américaines par le juge d'instruction, par l'entre-
mise de l'office central, et disposait d'un intérêt à
prendre
connaissance de ces informations. Par ailleurs, l'invocation
de son immunité lui permettait d'accéder au dossier. Il
était
apparu que le Département fédéral des affaires étrangères
(DFAE) s'était déterminé sur la question de l'immunité, sans
que la recourante n'ait eu connaissance de cet avis. L'art.
9
al. 2 LTEJUS permet de restreindre l'accès au dossier, mais

non de le supprimer. En cas de restriction, la teneur essen-
tielle des documents litigieux devait être communiquée. Le
refus de tout accès au dossier rendrait impossible tout
contrôle juridictionnel de l'application de l'art. 67a EIMP.

a) L'art. 9 al. 1 LTEJUS permet aux ayants droit de
participer à la procédure et de consulter le dossier si la
sauvegarde de leurs intérêts l'exige. Les alinéas 2 et 3 de
cette disposition posent les conditions de restrictions à ce
droit. Ces dispositions concrétisent le droit d'être entendu
dans la procédure d'entraide judiciaire. Elles permettent à
l'ayant droit, à moins que certains intérêts ne s'y
opposent,
de consulter le dossier de la procédure, la demande d'entrai-
de et les pièces annexées. La consultation ne s'étend en
tout
cas qu'aux pièces pertinentes (cf. également les art. 80b
EIMP, de teneur identique, et 26 al. 1 let. a, b et c PA;
ATF
119 Ia 139 consid. 2d, 118 Ib 438 consid. 3).

b) A l'instar de la garantie constitutionnelle de
l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu ne permet l'ac-
cès qu'aux pièces du dossier qui présentent une pertinence
pour l'issue de la cause. Dans le cas de l'entraide judiciai-
re, il s'agit en premier lieu de la demande elle-même et des
pièces annexées, puisque c'est sur la base de ces documents
que se déterminent l'admissibilité et la mesure de
l'entraide
requise.

La transmission spontanée d'informations, sur la ba-
se de l'art. 67a EIMP, ne peut en principe faire l'objet
d'aucun recours immédiat. Le contrôle du respect des condi-
tions de forme et de fond pour une telle transmission
incombe
à l'OFJ, en tant qu'autorité de surveillance. Celui-ci doit
s'assurer que les informations touchant au domaine secret ne
constituent pas des moyens de preuve utilisables directement
dans la procédure étrangère, et qu'un procès-verbal a été
dressé pour faire état de cette transmission. La jurispru-

dence fait exception à l'absence de droit de recours dans le
cas spécifique d'une transmission destinée à compléter une
demande d'entraide préexistante; les personnes touchées ont
alors la faculté de se plaindre - pour autant qu'elles aient
la qualité pour ce faire - d'une violation de l'art. 67a
EIMP, à l'occasion de la décision de clôture. Dans ce cas en
effet, la transmission spontanée apparaît comme un acte ef-
fectué dans le cadre d'une procédure d'entraide déjà pendan-
te; elle est consignée au dossier et peut être attaquée à
l'instar de la décision de transmission rendue à l'issue de
la procédure (ATF 125 II 238 consid. 6 p. 247 ss).

c) En l'espèce, les renseignements ont été transmis
par le juge d'instruction dans le cadre d'une procédure péna-
le, et non à l'occasion de l'exécution d'une requête préexis-
tante. Ces renseignements, et le procès-verbal qui les men-
tionne, ne font pas partie du dossier d'entraide judiciaire
proprement dit. Par ailleurs, la jurisprudence constante
considère qu'une transmission irrégulière d'informations à
l'Etat requérant n'a pas d'incidence sur l'octroi de l'en-
traide (cf. consid. 3 ci-dessous). La consultation requise
par la recourante n'était dès lors pas nécessaire à la sau-
vegarde de ses intérêts, dans le cadre de la procédure d'en-
traide judiciaire. Enfin, comme le relève l'office central
dans sa décision, la teneur des renseignements transmis à
l'autorité américaine ressort suffisamment de la demande
d'entraide elle-même.

d) Pour le surplus, la recourante ne fait pas valoir
qu'elle aurait été privée, de manière générale, de l'accès
au
dossier. Elle ne prend d'ailleurs aucune conclusion dans ce
sens dans son recours de droit administratif, alors qu'elle
aurait eu la faculté d'obtenir la réparation d'une
éventuelle
violation de son droit d'être entendue, en requérant la con-
sultation du dossier dans le cadre de la procédure de re-
cours. En particulier, elle se plaint de ne pas avoir eu con-

naissance de l'avis du DFAE à propos de la question de l'im-
munité, mais ne paraît avoir présenté aucune requête dans ce
sens après avoir pris connaissance de l'existence de ce docu-
ment.

3.- Selon la recourante, le juge d'instruction au-
rait violé l'art. 67a EIMP en transmettant spontanément à
l'autorité américaine des renseignements concernant des
comptes "escrow" ouverts par la banque B.________ en sa fa-
veur. Par ordonnance du 29 juin 2000 (actuellement en
force),
la Chambre d'accusation avait annulé les cinq ordonnances du
juge d'instruction concernant la saisie de ces documents,
couverts selon elle par l'immunité d'Etat. Les documents
recueillis constitueraient des preuves illégales, et leur
transmission, opérée à la hâte par le juge d'instruction
avant même de connaître l'issue de la procédure devant la
Chambre d'accusation, serait inadmissible. Sans cette trans-
mission, la demande d'entraide américaine n'aurait pas pu
être présentée.

a) Selon l'art. 67a al. 1 EIMP, l'autorité de pour-
suite pénale peut transmettre spontanément à une autorité
étrangère des moyens de preuve qu'elle a recueillis au cours
de sa propre enquête, lorsqu'elle estime que cette transmis-
sion est de nature à permettre d'ouvrir une poursuite pénale
(a), ou de faciliter le déroulement d'une enquête en cours
(b). Cette transmission n'a aucun effet sur
la procédure en
cours en Suisse. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux
moyens de preuve qui touchent au domaine secret (al. 3). Des
informations touchant au domaine secret peuvent être
fournies
si elles sont de nature à permettre de présenter une demande
d'entraide à la Suisse (al. 4). L'art. 67a EIMP distingue
entre les moyens de preuve proprement dits et les simples in-
formations. S'agissant du domaine secret, soit en
particulier
de renseignements bancaires, elle n'autorise pas la transmis-
sion de preuves, mais uniquement d'informations susceptibles

d'induire une demande d'entraide ultérieure (ATF 125 II 238
consid. 5b p. 245/246).

b) La question pourrait se poser de savoir si des
preuves illégalement recueillies en Suisse peuvent être spon-
tanément transmises à l'étranger en vertu de l'art. 67a al.
1
EIMP, compte tenu notamment du fait que les deux procédures
sont indépendantes, comme le rappelle l'art. 67a al. 2 EIMP.
L'illégalité de preuves obtenues en Suisse puis transmises
pour les besoins d'une procédure pénale étrangère, doit être
invoquée dans le cadre de cette dernière (ATF 125 II 238 con-
sid. 6d p. 249). Cette question n'a toutefois pas à être ré-
solue en l'espèce, car, comme le relève l'office central, le
juge d'instruction genevois n'a pas agi sur la base de
l'art.
67a al. 1 EIMP, mais de l'art. 67a al. 5 EIMP: il n'a pas
produit les documents bancaires, mais de simples
informations
sur l'existence de comptes détenus par l'Etat recourant et
ses responsables. Les arguments de la recourante relatifs à
la validité des preuves recueillies en Suisse sont dès lors
dénués de toute pertinence: les moyens de preuve proprement
dits ont été requis dans la demande d'entraide ultérieure,
et
l'admissibilité de leur transmission, au regard notamment de
l'exception d'immunité, peut être examinée dans ce cadre.

c) Il y a lieu de rappeler également qu'en principe,
la transmission irrégulière ou prématurée de renseignements
ne peut porter aucun préjudice à l'Etat requérant, qui n'en
est pas responsable, sous réserve d'une collusion de ce der-
nier. Dès lors, seule une demande de restitution - ou de non
utilisation -, formée à l'issue de la procédure d'entraide
pourrait être envisagée, s'il devait apparaître que des ren-
seignements ou documents déterminés ont été indûment
transmis
(ATF 125 II 238 consid. 6a p. 247/248 et la jurisprudence ci-
tée). Or, tel ne paraît pas devoir être le cas, puisque les
conditions de l'entraide judiciaire sont remplies.

4.- La recourante reprend enfin ses arguments rela-
tifs à l'immunité d'exécution. Elle produit un avis de
droit,
rappelant que cette immunité couvre tous les biens affectés
au service public, tels les fonds destinés à la promotion
touristique. Les fonds déposés auprès de la banque
B.________, affectés à la politique du développement des re-
ssources naturelles, présenteraient le même caractère. On ne
se trouverait pas dans le cas où l'Etat tente d'invoquer son
immunité pour se dérober à ses obligations financières, cons-
tatées par jugement. Si, comme l'estiment le juge d'instruc-
tion et l'autorité requérante, les fonds litigieux étaient
le
produit d'actes de corruption et de détournements, la Répu-
blique du Kazakhstan en serait la victime et la saisie de
ces
fonds ne se justifierait pas.

a) Le Tribunal fédéral a déjà examiné ces arguments
dans le cadre de recours de droit public formés, notamment
par la recourante, à l'encontre des décisions de blocage des
comptes détenus auprès de la banque B.________. Dans ses ar-
rêts du 8 décembre 2000, dont la teneur est reprise dans la
décision attaquée, le Tribunal fédéral a rappelé que la dis-
tinction des actes "iure gestionis" et "iure imperii" ne sau-
rait se faire sur la seule base de leur rattachement au
droit
public ou au droit privé, ni même au regard du but
poursuivi,
car ce but vise toujours un intérêt étatique. On recherchera
donc prioritairement quelle est la nature intrinsèque de
l'opération mise sur pied par l'Etat: il sied de déterminer
si l'acte relève de la puissance publique, ou s'il s'agit
d'un rapport juridique qui pourrait, dans une forme
identique
ou semblable, être conclu par deux particuliers (ATF 110 II
255 consid. 3a p. 259, 104 Ia 367 consid. 2c p. 371). La ju-
risprudence range ainsi parmi les actes accomplis "iure im-
perii" les activités militaires, et les actes analogues à
une
expropriation ou une nationalisation (ATF 113 Ia 172 consid.
3 p. 176); sont en revanche des actes accomplis "iure
gestionis" les emprunts de l'Etat ou d'une banque centrale

souscrits sur le marché monétaire (ATF 104 Ia 376) et les
contrats, par exemple d'entreprise (ATF 112 Ia 148, 111 Ia
62). La jurisprudence recourt aussi à des critères
extérieurs
à l'acte en cause. Elle voit par exemple l'indice d'un acte
accompli "iure gestionis" dans le fait que l'Etat est entré
en relation avec un particulier sur le territoire d'un autre
Etat, sans que ses relations avec ce dernier soient en cause
(ATF 104 Ia 367 consid. 2c p. 371, 86 I 23 consid. 2 p. 29).
Ces activités commerciales, tels des accords de livraison de
marchandises ou de prestations de service, ou des
engagements
financiers comme, en particulier, des contrats de prêt ou de
garantie, ne sont évidemment pas couvertes par l'immunité di-
plomatique.

Dans les arrêts précités, le Tribunal fédéral a es-
timé que le recours à des sociétés privées, dont l'Etat
n'était d'ailleurs pas lui-même l'ayant droit, permettait de
douter de l'existence d'une immunité diplomatique, indépen-
damment de la prétendue affectation des fonds à des tâches
publiques.

b) Ces considérations, émises au stade des mesures
de blocage dans le cadre de la procédure pénale nationale,
conservent leur pertinence dans la présente cause. Compte
tenu de l'intervention de plus en plus fréquente des Etats
dans des activités laissées jusque-là à la société
marchande,
et selon un mode de fonctionnement analogue à ceux qu'utili-
sent les acteurs privés, la conception restrictive de l'immu-
nité d'Etat est aujourd'hui généralisée, tant dans les
droits
nationaux que dans les conventions régissant la matière, no-
tamment la convention européenne de 1972 sur l'immunité des
Etats, à laquelle la Suisse n'est pas partie (Combacau/Sur,
Droit international public, 3ème éd. Paris 1997, p.
241-242).
Ratione materiae, l'immunité n'est ainsi admise que pour un
type restreint d'activités, soit les activités dites "souve-
raines", qui impliquent l'usage de prérogatives de la puis-

sance publique. Elle est en revanche exclue lorsque l'action
de l'Etat se rapporte à une transaction commerciale, ou au
statut d'un bien immobilier ou d'un droit incorporel de
l'Etat (op. cit., p. 242). Ratione personae, seuls bénéfi-
cient de l'immunité l'Etat lui-même, ou les entités remplis-
sant une mission de souveraineté, compte tenu de la nature
de
l'acte accompli et du statut de son auteur. Les sociétés
contrôlées par l'Etat ne sauraient normalement en bénéficier
(arrêt du 8 mars 1999, consid. 4 in fine, non publié in SJ
1999 I 427).

c) Longtemps controversée, la question de l'immunité
dont jouit l'Etat en matière commerciale est désormais réso-
lue dans le sens du refus de tout privilège. L'exception
d'activité commerciale ne se limite pas à une série d'actes;
il doit en outre exister un lien suffisant entre le rapport
en cause et le territoire suisse.

L'exception d'activité commerciale peut être recon-
nue indépendamment du fait que les activités commerciales
concernées ont pour but ultime de favoriser le développement
économique. Si l'exploitation des ressources naturelles est
incontestablement une activité de service public, il n'en ré-
sulte pas que l'immunité doive être accordée dès qu'un
litige
se rattache à l'exercice d'une telle activité. Il se peut en
effet que les contrats passés par une entité chargée de la
mise en valeur des richesses d'un Etat ne soient nullement
des actes de souveraineté (Pingel-Lenuzza, Les immunités des
Etats en droit international, Bruxelles 1997, p. 348-349).

d) Selon les explications de la recourante elle-
même, celle-ci n'a fait que négocier les droits relatifs à
des concessions pétrolières. Elle s'est comportée, dans ce
cadre, à l'instar de tout privé offrant un bien ou un
service
et aboutissant, au terme de négociations menées sur un pied
d'égalité, à la conclusion de contrats. Le fait que ces
fonds

aient été conservés, "dans l'attente de leur utilisation fu-
ture pour des tâches de l'Etat, soit pour le paiement direct
de l'Etat Kazakh, soit encore pour être gérés et
retransférés
sur des comptes de la République en Suisse ou à l'étranger",
ne saurait à lui seul permettre de reconnaître l'immunité.
Comme cela est relevé ci-dessus, les fonds de l'Etat sont
toujours, en définitive, affectés à des tâches publiques. Ce
qui est déterminant en l'espèce, c'est que l'Etat recourant
s'est comporté, dans la gestion des comptes, comme n'importe
quel particulier. Les mouvements de fonds décrits par l'offi-
ce central permettent d'affirmer que l'Etat étranger a agi
selon un processus propre au droit privé. Les fonds versés
par les compagnies pétrolières ont d'abord abouti sur les
comptes "escrow", et ont été répartis par la banque
B.________ sur divers comptes bancaires détenus par des
sociétés de droit privé, dont les ayants droit étaient des
dignitaires de l'Etat. La banque B.________ est intervenu,
comme l'admet la recourante elle-même, dans le cadre d'un
mandat de conseil et d'assistance à l'occasion de négocia-
tions et de l'exécution des conventions relatives aux
concessions pétrolières, chargé dans un premier temps de re-
cevoir les paiements, puis de les répartir sur les comptes
de
sociétés offshore, la République du Kazakhstan ne désirant
pas apparaître pour des raisons de discrétion. Dans ces cir-
constances, la recourante ne peut se voir reconnaître le pri-
vilège de l'immunité d'Etat. Il n'est pas nécessaire, cela
étant, de rechercher si le versement de 84 millions d'US$,
intervenu subitement le 6 août 1999, peut être interprété
comme une tentative d'abuser de l'immunité d'Etat pour échap-
per aux investigations en cours.

5.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
administratif doit être rejeté. Conformément à l'art. 156
al.
1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge de la re-
courante, qui succombe.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 5000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante et à l'Office fédéral de la justice
(B 109695).

Lausanne, le 25 juin 2001
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.94/2001
Date de la décision : 25/06/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-06-25;1a.94.2001 ?
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