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19/06/2001 | SUISSE | N°6S.556/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 juin 2001, 6S.556/2000


«/2»
6S.556/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 19 juin 2001

Présidence de M. Schubarth, Président.
Présents: M. Schneider, Juge, et M. Killias, Juge
suppléant. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Christian Dénériaz, avocat
à Lausanne,

contre

l'ordonnance rendue le 29 juin 2000 par la Chambre d'ac-
cusation d

e la Cour de justice genevoise dans la cause
qui oppose le recourant à Y.________, représenté par Me
Alain Berger, avocat à G...

«/2»
6S.556/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 19 juin 2001

Présidence de M. Schubarth, Président.
Présents: M. Schneider, Juge, et M. Killias, Juge
suppléant. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Christian Dénériaz, avocat
à Lausanne,

contre

l'ordonnance rendue le 29 juin 2000 par la Chambre d'ac-
cusation de la Cour de justice genevoise dans la cause
qui oppose le recourant à Y.________, représenté par Me
Alain Berger, avocat à Genève, et au Procureur général du
canton de G e n è v e;

(ordonnance de classement; escroquerie)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 6 septembre 1999, X.________ a répondu à
une annonce parue dans le journal "Le Matin", libellée en
ces termes: "Vraie rousse venant de sa campagne bretonne
profonde, au pair pour 2 mois dans la région lémanique.
Me sens seule ... Peux me déplacer rapidement", suivis
d'un numéro de téléphone, d'un numéro de fax et du prix
de la communication, soit 2,50 fr. la minute. Il a appelé
à plusieurs reprises au numéro de téléphone indiqué entre
13.45 heures et 20.15 heures, au total pendant 90 mi-
nutes.

Le 7 septembre 1999, X.________ a déposé plainte
pénale pour escroquerie. Il a exposé avoir eu plusieurs
hôtesses en ligne, notamment une certaine W.________, qui
lui aurait dit être d'accord de le rencontrer parce
qu'elle se sentait seule, mais qu'il devait lui-même
organiser le rendez-vous avec une hôtesse. D'appels en
appels, il s'est vu fixer des rendez-vous à Ouchy, où il
s'est rendu, mais W.________ n'est pas venue et une
hôtesse lui a alors indiqué être prête à venir elle-même
lui présenter ses excuses. Il s'estimait victime de
personnes mal intentionnées, qui n'avaient pour but que
de le tromper et de le "tenir au téléphone".

Dans un premier temps, les autorités vaudoises
saisies de la plainte classèrent le dossier. Ce classe-
ment a toutefois été annulé le 1er octobre 1999 par le
Tribunal d'accusation vaudois, qui a considéré qu'il y
avait lieu de poursuivre l'enquête afin de déterminer
s'il y avait eu tromperie astucieuse, notamment du

fait que l'hôtesse avait affirmé pouvoir organiser un
rendez-vous alors que tel n'était pas le cas.

Suite à cette décision, le juge d'instruction
vaudois a entendu X.________. Ce dernier a expliqué que,
le 6 septembre 1999, il avait appelé le numéro indiqué
dans l'annonce alors qu'il se trouvait à son travail et
s'ennuyait un peu; la première personne qui avait répondu
lui avait dit qu'il s'agissait d'un réseau de rencontres;
il avait "senti l'arnaque", mais voulait voir si cela
allait se concrétiser; à ce moment, la somme qu'il
dépensait lui importait peu; il avait toutefois été "pris
au jeu", car ses interlocutrices savaient comment s'y
prendre pour le maintenir en ligne. Par la suite, les
autorités vaudoises se sont dessaisies de l'affaire, la
personne mise en cause, soit Y.________, ayant son domi-
cile à Genève.

Le 27 mars 2000, Y.________ a été entendu par le
Parquet genevois. Il a exposé que sa société louait et
exploitait une cinquantaine de lignes téléphoniques à
caractère rose, pour des rencontres ou de la voyance; les
interlocutrices se trouvaient en France frontalière; la
fille au pseudonyme de W.________ travaillait pour une
société française, Z.________ Sàrl, qu'elle avait
toutefois quittée depuis lors; X.________ avait tenu à
cette personne des propos scatologiques, ce qui était
interdit par le contrat; la fille avait même pensé qu'il
s'agissait d'une personne qui voulait surveiller ses
activités et en avait informé son employeur. Y.________ a
dit que, pour le surplus, il n'était pas au courant de ce
qui avait été convenu entre W.________ et le client. Il a
précisé que, depuis lors, le libellé des annonces avait
été modifié et indiquait désormais "rencontres pos-
sibles".

B.- Par ordonnance du 6 avril 2000, le Procureur
général a classé la procédure, faute de prévention suf-
fisante quant à une tromperie astucieuse, mais aussi en
opportunité.

Saisie d'un recours de X.________, la Chambre
d'accusation genevoise, après avoir entendu les parties
en audience du 14 juin 2000, l'a écarté et a confirmé le
classement par ordonnance du 29 juin 2000.

C.- X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral. Soutenant que le classement de sa plainte viole
l'art. 146 CP et qu'il ne se justifie pas en opportunité,
il conclut à l'annulation de l'ordonnance attaquée et au
renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle
statue sur le renvoi de l'intimé devant l'autorité de
jugement, subsidiairement pour qu'elle ordonne un
complément d'enquête.

L'intimé conclut principalement à l'irrecevabilité
du pourvoi, subsidiairement à son rejet.

Le Procureur général conclut au rejet du pourvoi.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) L'ordonnance attaquée a été rendue avant
l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2001, des nouvelles
dispositions de la PPF (RO 2000, 2719 ss), de sorte que
l'ancien droit est applicable. La qualité du recourant
pour se pourvoir en nullité doit dès lors être examinée
sur la base de l'ancien art. 270 PPF (aPPF).

Il résulte de son argumentation que le recourant,
qui a manifestement participé à la procédure cantonale,
se prétend lésé par l'infraction qu'il invoque. Comme la
procédure n'a pas été menée jusqu'à un stade qui aurait
permis de le faire, on ne peut lui reprocher de n'avoir
pas pris de conclusions civiles. En pareil cas, il in-
combe cependant au lésé d'indiquer de manière suffisante
dans son pourvoi quelles prétentions civiles il entend
faire valoir et en quoi la décision attaquée pourrait
avoir une influence négative sur le jugement de celles-ci
(ATF 125 IV 109 consid. 1b p. 111; 123 IV 254 consid. 1
p. 256 et les arrêts cités). Cette exigence a été posée
par la jurisprudence pour que le Tribunal fédéral soit en
mesure de discerner ce qui justifie d'entrer en matière
sur le pourvoi (cf. ATF 125 IV 109 consid. 1b p. 109 in
fine). Lorsque le recourant ne fournit pas les indica-
tions ainsi exigées, le pourvoi est en règle générale ir-
recevable, dès lors que l'une des conditions de la quali-
té pour recourir n'est pas établie (cf. ATF 125 IV 109
consid. 1b p. 112; 123 IV 254 consid. 1 p. 256). Dans un
arrêt non publié 6S.83/2000 du 8 mai 2000, le Tribunal
fédéral a toutefois précisé que, dans la mesure où il
est d'emblée manifeste que cette condition est réalisée,
parce que les prétentions civiles que pourrait faire va-
loir le recourant sont évidentes et que l'on discerne
tout aussi clairement en quoi la décision attaquée peut
influencer négativement le jugement de celles-ci, le seul
fait que cela ne soit pas exposé formellement dans le mé-
moire n'entraîne pas l'irrecevabilité du pourvoi (cf. ar-
rêt 6S.83/2000 consid. 1b).

En l'espèce, il ressort clairement de la décision
attaquée que le recourant a déposé plainte pénale, pour
escroquerie, parce que, selon lui, le libellé de l'an-
nonce était trompeur en ce sens qu'il faisait miroiter un
rendez-vous, alors qu'en réalité il s'agissait de retenir

longuement le client en ligne payante pour lui soutirer
autant d'argent que possible. Dans la mesure où la déci-
sion attaquée, en confirmant le classement de la plainte,
revient à dénier l'infraction dénoncée, il est donc évi-
dent qu'elle est de nature à influencer négativement le
jugement des prétentions civiles du recourant en paiement
du montant qu'il a déboursé pour ses appels téléphoni-
ques, soit, au total, environ 260 francs, selon un relevé
de Swisscom qu'il a produit en procédure.

Contrairement à ce qu'estime l'intimé, le fait que
le recourant n'indique pas dans son mémoire quelles pré-
tentions civiles il entendrait faire valoir n'entraîne
donc pas l'irrecevabilité du pourvoi.

b) Le pourvoi en nullité ne peut tendre qu'à l'an-
nulation de la décision attaquée et au renvoi de la cause
à l'autorité cantonale pour nouvelle décision (art. 277ter
al. 1 PPF). Toutes autres conclusions sont irrecevables.

c) Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être
formé que pour violation du droit fédéral (art. 269 PPF),
la Cour de cassation contrôle l'application de ce droit
sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par
l'autorité cantonale (art. 277bis et 273 al. 1 let. b
PPF). Elle doit donc fonder son arrêt sur les faits qui
ont été retenus dans la décision attaquée, dont le recou-
rant est irrecevable à s'écarter (ATF 124 IV 53 consid. 1
p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités).

2.- a) L'ordonnance attaquée admet que le libellé
de l'annonce laissait entendre qu'une rencontre pourrait
avoir lieu et que le recourant n'avait pas la possibilité
de vérifier la véracité de cette offre, qui était donc
de nature à le tromper; constatant que le recourant a

lui-même admis s'être assez rapidement rendu compte de
"l'arnaque", mais avoir tout de même choisi de poursuivre
les conversations téléphoniques, à un tarif qu'il con-
naissait, et qui, au demeurant, lui importait peu, elle
exclut toutefois l'escroquerie. L'ordonnance attaquée
ajoute que le classement se justifie en outre en oppor-
tunité, observant qu'un complément d'enquête n'appor-
terait rien d'utile, que le préjudice financier est de
très peu d'importance et que l'enquête de police a
déployé un effet de prévention général suffisant, la
société de l'intimé ayant modifié le libellé des an-
nonces.

Le classement litigieux repose ainsi sur deux
motivations indépendantes, de sorte que le pourvoi ne
pourrait être admis que si chacune d'elles viole le droit
fédéral (cf. ATF 121 IV 94 consid. 1b p. 95).

b) Il est établi en fait que le recourant, qui
d'ailleurs en convient, a poursuivi ses appels télé-
phoniques après s'être rendu compte de "l'arnaque". Qu'il
n'aurait commencé à s'en apercevoir que trois heures
après avoir commencé ses appels, comme il le soutient,
n'a pas été constaté dans la décision attaquée, dont
l'état de fait lie la Cour de céans (cf. supra, consid.
1c). Il n'en demeure pas moins que c'est pour avoir été
induit en erreur par une annonce trompeuse, dont il
n'était pas en mesure de vérifier la véracité, qu'il a
entrepris de téléphoner et que, même s'il a eu "assez
rapidement" des doutes quant au sérieux de l'affaire,
il a, dans un premier temps, poursuivi ses appels sous
l'empire de cette erreur, ne commençant à soupçonner une
tromperie que parce qu'il était régulièrement maintenu
plus ou moins longuement en ligne sans que la possibilité
d'un rendez-vous soit écartée. Le recourant pouvait donc
croire, du moins pendant un certain laps de temps, que sa

démarche aboutirait à une rencontre. Le fait qu'il ait
poursuivi ses appels, à un tarif qu'il connaissait, lors-
qu'il a commencé à soupçonner une "arnaque" est pertinent
pour la détermination de l'ampleur du préjudice; il n'in-
firme pas la réalisation de l'infraction. Dans ces condi-
tions, c'est à tort qu'une escroquerie a été exclue.

c) Reste à examiner si, comme l'admet l'ordonnance
attaquée et ce que conteste le recourant, le classement
se justifie néanmoins pour des motifs d'opportunité.

Selon la jurisprudence, le droit fédéral n'exclut
pas que les cantons prévoient la possibilité d'un classe-
ment pour des motifs d'opportunité; de telles décisions
ne sont toutefois admissibles que dans certaines limites;
comme le droit cantonal ne saurait faire obstacle à une
saine application du droit fédéral, un classement pour
des motifs d'opportunité viole le droit fédéral s'il
dénote une volonté délibérée de l'autorité cantonale de
ne pas appliquer le droit fédéral ou d'en modifier la
portée, s'il procède d'une interprétation erronée du
droit fédéral ou s'il ne repose sur aucune motivation
raisonnable, de sorte qu'on doive l'assimiler à un refus
d'appliquer le droit fédéral (ATF 120 IV 38 consid. 3
p. 42; 119 IV 92 consid. 3a et b p. 100 s.).

Dans le cas particulier, le préjudice qu'a subi le
recourant apparaît certes limité; l'intimé a toutefois
allégué, lors de son audition du 27 mars 2000 (p. 3), ce
que la décision attaquée ne nie pas, que de très nombreux
appels avaient été effectués à la suite des annonces que
faisait publier sa société; il n'est donc pas exclu que
le dommage occasionné par ce dernier, même s'il n'y a pas
eu d'autres plaintes, puisse être très important, de
sorte qu'il y a un intérêt général à ne pas classer l'af-
faire. La décision attaquée observe par ailleurs que

l'intimé a réagi en faisant modifier le libellé des an-
nonces pour dissiper dorénavant un malentendu sur le
contenu de l'offre; elle ne constate toutefois pas que,
suite à cette modification, les annonces n'auraient plus
un caractère trompeur; elle relève au contraire que
l'intimé a déclaré que le libellé des annonces indiquait
désormais "rencontres possibles", ce qui n'est en réalité
pas le cas, de sorte que l'annonce modifiée n'apparaît
pas moins mensongère; on ne saurait donc dire que la
poursuite engagée a déployé un effet suffisant sous l'an-
gle de la prévention générale. Ainsi, le classement liti-
gieux ne repose sur aucune motivation qui suffise raison-
nablement à le justifier, de sorte qu'on doit l'assimiler
à un refus d'appliquer le droit fédéral.

d) Comme chacune des deux motivations indépendantes
sur lesquelles repose le classement viole le droit fédé-
ral, le pourvoi doit être admis et l'ordonnance attaquée
annulée, la cause étant renvoyée à l'autorité cantonale
pour nouvelle décision.


Il se justifie ici de préciser que, même si le dom-
mage subi par le recourant se situe certes au-dessous de
la limite de 300 francs (cf. ATF 123 IV 197 consid. 2a
p. 199), l'infraction dénoncée ne constitue pas néces-
sairement une contravention au sens de l'art. 172ter CP,
rien ne permettant en l'espèce d'exclure que l'intimé a
cherché à obtenir un gain supérieur (ATF 123 IV 113
consid. 3f p. 119). Le cas échéant, l'infraction, qui se
poursuivrait d'office, ne serait pas absolument prescrite
dans le délai de deux ans depuis sa commission (cf. art.
109 et art. 72 ch. 2 al. 2 CP).

3.- Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de
frais (art. 278 al. 2 PPF) et une indemnité de dépens

sera allouée au recourant pour la procédure devant le
Tribunal fédéral, l'intimé étant tenu de rembourser les
frais (art. 278 al. 3 aPPF).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le pourvoi, annule l'ordonnance attaquée
et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision.

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

3. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au
recourant une indemnité de dépens de 2500 francs, l'inti-
mé étant tenu de rembourser les frais.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Procureur général du canton de
Genève et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice
genevoise.
__________

Lausanne, le 19 juin 2001

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.556/2000
Date de la décision : 19/06/2001
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-06-19;6s.556.2000 ?
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