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6S.115/2001/moh
C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
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15 juin 2001
Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme
Escher, Juges. Greffière: Mme Revey.
Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par
N.________, représenté par Me Otto Guth, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 15 janvier 2001 par la Chambre pénale
de la Cour de justice genevoise, dans la cause qui op-
pose le recourant au Procureur général et à l'Office
cantonal des personnes âgées du canton de G e n è v e;
(art. 148 aCP: obtention illicite de prestations
complémentaires d'assurance sociale, escroquerie)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- N.________, ressortissant hongrois né en
1948, est arrivé en Suisse en 1975, au bénéfice d'une
autorisation d'établissement. Quelques années plus tard,
il a requis de l'Office cantonal genevois des personnes
âgées l'octroi de prestations complémentaires au sens de
la loi fédérale du 19 mars 1965 sur les prestations com-
plémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et in-
validité (LPC; RS 831.30). Se fondant sur son indigence
apparente, cet office lui a accordé une rente de sep-
tembre 1980 à mai 1997.
Par la suite, il s'est cependant avéré que
N.________ avait, en 1978, gagné au Tiercé français une
somme de 280'000 FF, soit 80'000 CHF à 100'000 CHF. Il
avait alors versé ce montant sur un compte bancaire en
Allemagne, puis l'avait transféré en 1988 auprès de la
Banque Y.________ à Zurich, sans jamais en révéler
l'existence à l'Office cantonal des personnes âgées.
B.- Le 7 janvier 2000, le Tribunal de police du
canton de Genève a reconnu N.________ coupable d'escro-
querie (art. 148 aCP) en raison des faits susdécrits,
fixant l'enrichissement illégitime y relatif à
203'815.22 fr. Ayant retenu en outre une infraction en
matière de stupéfiants, il a condamné l'intéressé à dix
mois d'emprisonnement avec sursis durant quatre ans. Il a
également ordonné la confiscation d'une somme de
140'000 fr. ainsi que du montant déposé auprès de la Ban-
que Y.________, s'élevant alors à 250'000 fr., et a pro-
noncé la dévolution à l'Etat d'une somme de 2'322.50 fr.
représentant le bénéfice moyen retiré par l'accusé du
trafic de stupéfiants.
Par ailleurs, le Tribunal de police a enjoint
l'Office cantonal des personnes âgées à faire valoir ses
droits civils sur le montant que cet office avait lui-
même arrêté le 7 juillet 1998 à 203'815.22 fr. au 31
juillet 1998. Enfin, il a ordonné la restitution à l'ac-
cusé des sommes saisies excédant le montant de
207'932.72 fr. (soit 1'795 fr. de frais de justice ad-
ditionnés aux 203'815.22 fr. et 2'322.50 fr. précités).
Statuant le 10 avril 2000, la Chambre pénale de
la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le re-
cours formé par N.________ contre ce prononcé.
Entre-temps, par décision prise sur réclamation
de l'intéressé le 27 janvier 2000, l'Office cantonal des
personnes âgées a fixé le montant de sa créance à
205'747.47 fr. au 29 février 2000.
C.- N.________ a saisi le Tribunal fédéral d'un
pourvoi en nullité contre l'arrêt du 10 avril 2000 de la
Chambre pénale.
Par arrêt du 28 septembre 2000 (6S.288/2000), le
Tribunal fédéral a admis partiellement le pourvoi, a an-
nulé l'arrêt attaqué et a renvoyé la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.
Le Tribunal fédéral a confirmé que l'intéressé
avait commis une escroquerie en sollicitant et obtenant
des prestations de l'Office cantonal des personnes âgées,
au plus tard en 1980, sans l'informer qu'il disposait
d'une fortune non négligeable. Ces actes étant toutefois
prescrits depuis 1995, il y avait lieu d'examiner si
l'intéressé n'avait pas renouvelé cette infraction par la
suite, dès lors qu'il avait continué à bénéficier des
prestations de l'Office cantonal jusqu'en 1997. A cet
égard, dans l'hypothèse où N.________ s'était borné à
passivement percevoir ces prestations sans jamais spon-
tanément déclarer sa situation financière réelle ni être
interrogé à ce propos, on ne pouvait considérer qu'il ait
répété à chaque fois une tromperie par commission, ni
même par omission dès lors qu'il ne se trouvait pas dans
une position de garant. En revanche, si l'Office cantonal
ne s'était pas contenté de lui verser ces prestations de
manière routinière, mais l'avait conduit à s'exprimer une
ou plusieurs fois sur sa situation financière, au moins
par acte concluant ou silence qualifié, par exemple en
l'amenant à renouveler sa demande, il fallait alors ad-
mettre que N.________ avait commis des tromperies par
action postérieurement à 1980 qui pouvaient, selon la
date de leur réalisation, échapper à la prescription.
Le dossier a été renvoyé à l'autorité intimée
pour qu'elle se prononce notamment sur ce point.
D.- Statuant à nouveau le 15 janvier 2001, la
Chambre pénale a derechef confirmé le jugement rendu le 7
janvier 2000 par le Tribunal de police.
S'agissant des faits, l'autorité cantonale a re-
tenu les éléments supplémentaires suivants:
Le 1er février 1983, N.________ a requis de l'Of-
fice cantonal des personnes âgées l'octroi de prestations
complémentaires, en indiquant expressément ne posséder
aucune fortune. Par décision du 8 mars 1983, l'autorité
lui a accordé une rente mensuelle avec effet rétroactif
au 1er septembre 1980, versée sur son livret d'épargne
n° xxx, compte ouvert le 31 janvier 1983 auprès de la
Banque Z.________. Le 2 mars 1987, l'Office cantonal a
procédé au réexamen périodique de la situation économique
de l'intéressé et lui a soumis un questionnaire à rem-
plir. Le 12 août 1987, N.________ a répondu n'avoir aucun
élément de fortune, à l'exception d'un solde en compte
auprès de la Banque Z.________ de 19.65 fr. au 31 décem-
bre 1986. Le 3 juillet 1992, l'Office cantonal a de nou-
veau réexaminé la situation de N.________ et lui a deman-
dé de lui transmettre un extrait de son livret d'épargne
n° xxx, mentionnant le capital et les intérêts inscrits
au 31 décembre 1991. N.________ s'est exécuté le 21 août
1992 en adressant une attestation indiquant un solde de
11.90 fr. Le 6 juin 1997, le Ministère public du canton
de Genève a ouvert contre l'intéressé une information
supplémentaire pour escroquerie au préjudice des services
sociaux genevois, notamment de l'Office cantonal des per-
sonnes âgées. Le 27 juin 1997, N.________ a été inculpé
de ce chef.
En droit, la Chambre pénale a considéré que l'in-
téressé avait commis des escroqueries envers l'Office
cantonal des personnes âgées en requérant et obtenant des
prestations sans révéler sa fortune, non seulement lors
de sa demande initiale le 1er février 1983, mais égale-
ment le 12 août 1987 et le 21 août 1992.
Enfin, la Chambre pénale a refusé de mettre
l'intéressé au bénéfice de la circonstance atténuante du
temps relativement long (art. 64 CP), retenant à cet
égard que N.________ avait commis des infractions à la
loi sur les stupéfiants entre 1995 et 1997.
E.- Agissant par la voie du pourvoi en nullité,
N.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt
du 15 janvier 2001 de la Chambre pénale. Il se plaint
d'une violation des art. 59 CP et 148 aCP. Il sollicite
en outre l'assistance judiciaire.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal
fédéral est lié par les constatations de fait contenues
dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'ap-
préciation des preuves et les constatations de fait qui
en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en
nullité, sous réserve de la rectification d'une inadver-
tance manifeste. Le recourant ne peut pas présenter de
griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou
de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).
Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il
ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit,
le raisonnement juridique doit être mené exclusivement
sur la base de l'état de fait retenu par l'autorité can-
tonale (ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 81 consid. 2a, 92
consid. 1 et les arrêts cités).
Le pourvoi en nullité, qui a un caractère cas-
satoire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé que
pour violation du droit fédéral et non pour violation di-
recte d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).
La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions du recourant (art. 277bis PPF), lesquelles doi-
vent être interprétées à la lumière de leur motivation
(ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 53 consid. 1; 123 IV 125
consid. 1).
2.- Le recourant ne nie pas les escroqueries
perpétrées en 1983 et 1987, mais conteste avoir réitéré
une telle infraction en 1992.
a) D'après l'autorité intimée, le recourant a
commis une tromperie par action le 21 août 1992, en se
limitant à déclarer à l'Office cantonal des personnes
âgées l'existence de son livret d'épargne auprès de la
Banque Z.________, à l'exclusion de tout autre élément de
fortune. Certes, l'Office cantonal n'avait pas invité
l'intéressé à produire d'autres relevés bancaires, mais
il ignorait l'existence des avoirs auprès de la Banque
Y.________, de sorte qu'il ne pouvait manifestement pas
exiger les justificatifs y relatifs.
b) Les agissements en cause du recourant doivent
effectivement être qualifiés d'escroquerie.
Certes, le recourant a dûment donné suite à la
requête de l'Office cantonal, tendant à la transmission
d'un extrait déterminé de son livret d'épargne. Toute-
fois, il n'a pas révélé ses autres avoirs. Or, il ne pou-
vait ignorer que la démarche de l'Office cantonal visait
en réalité à examiner si l'indigence, dans laquelle il
avait expressément déclaré se trouver en 1983 et 1987,
perdurait encore. En se limitant à produire le livret
d'épargne, il a ainsi, par acte concluant, confirmé ses
déclarations antérieures selon lesquelles il ne possédait
pas d'autres biens que ce compte et affirmé son indigen-
ce. Force est donc de conclure qu'il a réalisé une trom-
perie par action en 1992 également.
Par ailleurs, la condition de l'astuce reste de
même remplie, du moment que l'autorité ne pouvait que
très difficilement déceler sa fortune.
3.- Le recourant affirme ensuite que l'autorité
cantonale a violé l'art. 59 CP en confisquant les sommes
perçues de 1980 à 1983. Il soutient à cet égard que ces
montants ne peuvent résulter d'une infraction, dès lors
que la première escroquerie retenue à son encontre n'a
été perpétrée qu'en 1983.
Le recourant omet toutefois que, selon l'état de
fait de l'arrêt attaqué, qui lie le Tribunal fédéral (cf.
art. 277bis PPF), la décision initiale du 8 mars 1983
prévoyait l'octroi d'une rente "avec effet rétroactif au
1er septembre 1980." En conséquence, les prestations com-
plémentaires relatives aux années 1980 à 1983 résultent
de la décision du 8 mars 1983 seulement, si bien qu'elles
découlent de la première escroquerie commise le 1er fé-
vrier 1983. La confiscation des prestations complémentai-
res afférentes à cette période est donc conforme à l'art.
59 CP, de sorte que ce grief doit être rejeté.
4.- Vu ce qui précède, le pourvoi est mal fondé
et doit être rejeté.
Le recourant devrait en principe supporter un
émolument judiciaire (art. 278 al. 1 PPF). Il a toutefois
requis l'assistance judiciaire (art. 152 OJ). Il expose à
cet égard, tout comme dans son pourvoi dirigé contre la
décision initiale du 10 avril 2000 de la Chambre pénale,
que les autorités genevoises ne lui ont pas encore resti-
tué les montants supérieurs à 207'932.72 fr. Cependant,
il allègue cette fois que la décision relative à la res-
titution de ces montants est exécutoire depuis le 10
avril 2000, de sorte que les autorités sont restées inac-
tives depuis une année. Dans ces conditions, il convient
d'admettre l'indigence du recourant. Le pourvoi n'étant
au demeurant pas dénué de chances de succès, il sied
d'agréer la requête d'assistance judiciaire, soit de dé-
signer Me Otto Guth comme avocat d'office, ainsi que de
charger la Caisse du Tribunal fédéral de verser à ce man-
dataire une indemnité à titre d'honoraires et de suppor-
ter les frais judiciaires du recourant.
Il est au demeurant rappelé qu'aux termes de
l'art. 152 al. 3 OJ, si le recourant peut rembourser ul-
térieurement la Caisse du Tribunal fédéral (ce qui sera
en principe le cas après la restitution des montants en
cause), il est tenu de le faire.
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le pourvoi.
2. Admet la demande d'assistance judiciaire.
3. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.
4. Désigne Me Otto Guth comme avocat d'office du
recourant et dit que la Caisse du Tribunal fédéral lui
versera une indemnité de 1000 fr. à titre d'honoraires.
5. Communique le présent arrêt en copie au man-
dataire du recourant, au Procureur général et à l'Office
cantonal des personnes âgées du canton de Genève, à la
Chambre pénale de la Cour de justice genevoise, ainsi
qu'au Ministère public de la Confédération.
___________
Lausanne, le 15 juin 2001
Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,
La Greffière,