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15/06/2001 | SUISSE | N°4C.40/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 juin 2001, 4C.40/2001


«/2»

4C.40/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 juin 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu et
Mme Klett, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

J.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Nicolas Jeandin, avocat à Genève,

et

B.________, défendeur et intimé;

(hausse de loyer; loyers usuels du quartier)

Vu les pièces du dossier d'o

ù ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Depuis le 1er avril 1982, B.________ est loca-
taire d'un appartement de sept pièces...

«/2»

4C.40/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 juin 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu et
Mme Klett, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

J.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Nicolas Jeandin, avocat à Genève,

et

B.________, défendeur et intimé;

(hausse de loyer; loyers usuels du quartier)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Depuis le 1er avril 1982, B.________ est loca-
taire d'un appartement de sept pièces et demie, à Genève. La
bailleresse est J.________. Conclu pour trois ans, le bail
était ensuite reconductible tacitement d'année en année.

Par avis de majoration du 6 décembre 1990, non con-
testé, le loyer a été augmenté selon l'échelonnement suivant:

- 26 400 fr. du 1er avril 1991 au 31 mars 1992;
- 28 200 fr. du 1er avril 1992 au 31 mars 1994.

Parallèlement, la prochaine échéance a été fixée au
31 mars 1994, le bail se renouvelant par la suite tacitement
d'année en année.

Par avis de majoration du 15 décembre 1997, la bail-
leresse a déclaré vouloir porter le loyer à 36 000 fr., char-
ges non comprises, du 1er avril 1998 au 31 mars 1999. La mo-
tivation de l'augmentation résidait en une «réadaptation par-
tielle aux prix pratiqués dans le quartier, art. 269a let. a
du CO». B.________ a contesté l'augmentation.

B.- La bailleresse a introduit action devant le Tri-
bunal des baux et loyers du canton de Genève, qui l'a débou-
tée dans un premier jugement, sans examiner les objets propo-
sés à titre comparatif. Sur recours de la bailleresse, la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers a annulé le ju-
gement de première instance et renvoyé la cause au Tribunal
pour qu'il examine les exemples de comparaison fournis par
la
demanderesse.

Par ordonnance préparatoire du 19 novembre 1999, le
Tribunal des baux et loyers a invité la bailleresse à complé-
ter les fiches descriptives déjà déposées, en joignant
toutes
pièces utiles concernant l'évolution des loyers. La demande-
resse a alors produit un compte-rendu des taux hypothécaires
pratiqués par la banque cantonale depuis 1920, des lettres
de
régies relatives à l'évolution des loyers dans certains des
cas cités en exemple, ainsi qu'une nouvelle fiche
descriptive
d'un appartement.

Dans son jugement du 12 mai 2000, le Tribunal a tout
d'abord rejeté la demande subsidiaire d'ouverture d'enquêtes
de la demanderesse. Sur le fond, il a rejeté la demande de
hausse de loyer, considérant que la bailleresse n'avait pas
fourni un nombre suffisant d'éléments de comparaison adé-
quats.

Statuant le 4 décembre 2000 sur appel de la demande-
resse, la Chambre d'appel a confirmé le jugement de première
instance.

C.- J.________ interjette un recours en réforme au
Tribunal fédéral. Principalement, elle conclut à ce qu'il
soit constaté que la hausse de loyer notifiée au locataire
est justifiée, le loyer annuel de 36 000 fr. n'étant pas
abusif et, en conséquence, à ce que le loyer soit fixé à
36 000 fr. par an, charges non comprises, à partir du 1er
avril 1998; à titre subsidiaire, elle demande le renvoi de
la
cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision au sens
des considérants.

Pour sa part, B.________ propose le rejet du re-
cours.

Par arrêt séparé de ce jour, la cour de céans a re-
jeté le recours de droit public formé par J.________ contre
l'arrêt du 4 décembre 2000.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- S'agissant d'un bail reconductible tacitement,
soit de durée indéterminée (ATF 114 II 165 consid. 2b), il y
a lieu de tenir compte, pour le calcul de la valeur litigieu-
se, de l'augmentation de loyer annuel contestée, puis de mul-
tiplier ce montant par vingt (art. 36 al. 5 OJ; ATF 121 III
397 consid. 1; 118 II 422 consid. 1).

En l'espèce, rapportée sur un an, l'augmentation en
cause est de 7800 fr. (36 000 fr. - 28 200 fr.); en multi-
pliant ce montant par vingt, il apparaît que la valeur liti-
gieuse à laquelle l'art. 46 OJ subordonne la recevabilité du
recours en réforme est largement dépassée.

2.- Contrairement au Tribunal des baux et loyers, la
cour cantonale a rejeté la demande de hausse de loyer non
seulement en raison du nombre insuffisant d'exemples compara-
tifs appropriés, mais encore en raison du délai de quatre
ans
- qualifié de trop court - qui s'est écoulé depuis la derniè-
re fixation de loyer.

La demanderesse s'en prend à l'une et l'autre de ces
motivations, de sorte que son recours est recevable sous cet
angle-là également (cf. ATF 115 II 300 consid. 2a p. 302;
111
II 398 consid. 2b p. 399/400).

3.- En vertu du principe «jura novit curia» (cf.
art. 63 al. 1 OJ), la juridiction de réforme détermine d'of-
fice quel est le droit applicable.

Le logement loué par le défendeur comporte sept piè-
ces et demie; on ignore si la cuisine est comprise dans ce
nombre. Au demeurant, l'appartement est composé en tout cas
de six pièces de sorte que l'éventuelle application de
l'art.
253b al. 2 CO doit être examinée en l'espèce. Selon cette
disposition, les art. 269 et suivants CO relatifs à la pro-
tection contre les loyers abusifs ne s'appliquent pas aux
baux d'appartements et de maisons familiales de luxe compre-
nant six pièces ou plus, cuisine non incluse.

La notion de «luxe» s'interprète restrictivement;
elle suppose que la mesure habituelle du confort soit claire-
ment dépassée, l'impression générale étant décisive à cet
égard (arrêt non publié du 1er novembre 1999 dans la cause
4C.265/1999, consid. 6a; Higi, Zürcher Kommentar, n. 66 ad
art. 253a-253b CO; Lachat, Le bail à loyer, p. 80). Selon la
fiche produite par la demanderesse, l'appartement loué par
le
défendeur n'a pas de cheminée et ne comporte qu'une salle de
bains et qu'un WC; en outre, l'immeuble, construit en 1953,
n'a pas de buanderie. Sur le vu de ces seuls éléments, il
est
déjà possible de dénier au logement en cause tout caractère
luxueux, au sens restrictif exigé par la jurisprudence. Dès
lors, le défendeur peut bénéficier de la protection des art.
269 ss CO.

4.- a) Dans une première motivation, la cour canto-
nale considère que la période de quatre ans qui s'est
écoulée
entre le renouvellement tacite du bail - le 1er avril 1994 -
et l'entrée en vigueur de la hausse - le 1er avril 1998 -
est
trop brève pour apprécier l'évolution du marché. La baille-

resse ne pouvait ainsi invoquer le critère des loyers usuels
pour justifier une augmentation du loyer.

La demanderesse s'inscrit en faux contre cet argu-
ment en faisant valoir, d'une part, les réserves comprises
dans l'avis de majoration du 6 décembre 1990 et, d'autre
part, la portée restreinte de la jurisprudence invoquée par
la Chambre d'appel.

b) Selon l'arrêt publié aux ATF 118 II 130 auquel la
cour cantonale se réfère, le bailleur ne peut recourir au
critère des loyers usuels que si le marché a évolué depuis
la
dernière fixation du loyer; cela suppose l'écoulement d'une
période suffisamment longue au regard des lois de la statis-
tique (consid. 3b p. 135). Le Tribunal fédéral n'a pas fixé
cette durée. Dans un arrêt non publié du 29 août 1997 dans
la
cause 4C.41/1997, il paraît tenir pour suffisant un laps de
temps de cinq ans (consid. 2b). Un délai de cinq à sept ans
a
été proposé en doctrine, mais uniquement à titre indicatif
(SVIT-Kommentar Mietrecht, 2e éd., n. 9 ad art. 269a CO, p.
628). Alors que Higi prône une durée de trois ans (op. cit.,
n. 126 ad art. 269a CO), Zihlmann préfère une solution au
cas
par cas (Das Mietrecht, 2e éd., p. 148).

Lorsque, comme en l'espèce, le précédent loyer fai-
sait l'objet d'un échelonnement et que le contrat a été re-
nouvelé tacitement à l'expiration du bail à loyers échelon-
nés, le premier terme de référence pour juger de l'évolution
du loyer correspond à la dernière reconduction du contrat,
comme la cour cantonale l'a bien vu (ATF 121 III 397 consid.
2b/bb p. 404). Cela étant, il convient de se demander si la
question de la durée déterminante se pose en l'occurrence.
En
effet, le Tribunal fédéral admet, même après la reconduction
tacite d'un bail à loyers échelonnés, le recours à la
méthode
absolue si l'une des parties le requiert (ATF 121 III 397

consid. 2b/bb p. 404; idem pour les loyers indexés, ATF 123
III 76 consid. 4c p. 83; critique sur ce point de Marie-Clai-
re Jeanprêtre Pittet, in Droit du bail n° 8, 1996, p. 23;
voir également Lachat, op. cit., p. 360, qui applique systé-
matiquement la méthode relative dans ce cas).

Point n'est toutefois besoin d'approfondir ces ques-
tions pour juger du cas particulier car, comme on va le
voir,
la seconde motivation développée par la cour cantonale justi-
fie à elle seule le rejet de la demande.

5.- a) Selon l'arrêt attaqué, un seul des dix-neuf
exemples fournis par la bailleresse peut servir de point de
comparaison avec l'appartement loué par le défendeur, de sor-
te que le recours aux loyers usuels du quartier n'est pas
fondé en l'espèce.

La demanderesse reproche à la cour cantonale de
n'avoir pas procédé à une application conforme de l'art.
269a
let. a CO au regard des données recueillies dans les fiches
de comparaison. Ainsi, elle met en exergue cinq cas qui, à
son avis, pouvaient être comparés au logement occupé par le
défendeur. De manière générale, elle plaide pour une plus
grande souplesse dans l'application du critère des loyers
usuels, en particulier pour la prise en compte de l'âge éco-
nomique de l'immeuble.

b) En règle générale, ne sont pas abusifs les loyers
qui se situent dans les limites des loyers usuels dans la lo-
calité ou dans le quartier (art. 269a let. a CO). L'art. 11
al. 1 OBLF (RS 221.213.11) précise que les loyers détermi-
nants pour le calcul des loyers usuels dans la localité ou
dans le quartier sont les loyers des logements et des locaux
commerciaux comparables à la chose louée quant à l'emplace-
ment, la dimension, l'équipement, l'état et l'année de cons-

truction. Ces prescriptions correspondent à celles qui figu-
raient à l'art. 15 al. 1 let. a AMSL, si bien que la juris-
prudence développée sous l'ancien droit demeure valable (ATF
123 III 317 consid. 4 p. 319).

La notion de loyer usuel dans la localité ou le
quartier relève du droit. Il s'agit d'une question que le
Tribunal fédéral peut revoir librement lorsqu'il est saisi
d'un recours en réforme. Il importe dès lors que l'autorité
cantonale indique exactement les critères de comparaison
qu'elle a utilisés. Pour le reste, le juge du fait devra
procéder à des comparaisons concrètes, à la lumière des cri-
tères susmentionnés, en ayant égard à l'évolution récente
des
loyers exigés pour les locaux retenus comme éléments de com-
paraison. Le fardeau de la preuve incombe au bailleur. Pour
pouvoir tirer des conclusions qui offrent quelque sécurité,
il faut disposer, en règle générale, de cinq éléments de
comparaison au moins, qui présentent, pour l'essentiel, les
mêmes caractéristiques que le logement litigieux quant à
l'emplacement, la dimension, l'équipement, l'état et l'année
de construction (ATF 123 III 317 consid. 4a p. 319 et les
arrêts cités, confirmé par un arrêt non publié du 19 août
1997, consid. 4a, reproduit in SJ 1998, p. 218 ss).

c) Pour écarter, dans un premier temps, seize des
dix-neuf cas invoqués par la bailleresse, la cour cantonale
a
comparé l'âge du bâtiment, l'étage, la surface, le nombre de
pièces et, parfois, l'équipement des exemples produits avec
les mêmes données concernant l'appartement loué par le défen-
deur. Il sied d'observer d'emblée que le critère de l'étage
n'est retenu, en tant que tel, ni dans la loi, ni par la ju-
risprudence de sorte qu'il n'apparaît pas nécessairement per-
tinent. On notera toutefois qu'aucun des exemples fournis
n'a
été refusé sur la base de ce seul critère.

Parmi les trois cas restants, la Chambre d'appel a
éliminé un objet de comparaison parce qu'il se situait dans
le même immeuble que le logement loué par le défendeur et un
second parce qu'il avait été entièrement modernisé en 1997.

La demanderesse ne conteste pas que dix des cas pro-
duits ne sauraient servir d'éléments de comparaison avec
l'appartement occupé par le locataire. Il reste dès lors à
examiner les neuf autres objets; selon la bailleresse, cinq
exemples remplissent les conditions strictes de la jurispru-
dence leur permettant d'être comparés à l'appartement de ré-
férence et quatre cas doivent être pris en considération en
se rapportant à l'âge économique de l'immeuble.

aa) Sur ce dernier point, il est clairement établi
que l'année de construction constitue un critère pertinent
de
comparaison (cf. art. 11 al. 1 OBLF; ATF 123 III 317 consid.
4b/aa p. 320). Vouloir, à l'instar de la demanderesse, compa-
rer des immeubles datant de 1900, 1920 et 1988 avec un bâti-
ment de référence construit en 1953 au motif que l'état des
immeubles est équivalent, reviendrait à enlever toute portée
au critère de l'année de construction. Il ne saurait dès
lors
être fait grief à la Chambre d'appel d'avoir écarté les qua-
tre objets précités pour ce motif.

bb) Parmi les cinq exemples restants, quatre sont
situés dans des immeubles construits entre 1960 et 1964; ils
peuvent, sous cet angle, être comparés au bâtiment abritant
le logement de référence. En effet, le Tribunal fédéral a
déjà admis que des immeubles datant des deux premières décen-
nies du siècle étaient comparables; dans
le cas particulier,
l'objet de référence, érigé en 1907, pouvait être comparé
tant avec un bâtiment construit en 1902 qu'avec un immeuble
édifié en 1920 (ATF 123 III 317 consid. 4b/aa p. 320). En
revanche, il n'y a pas lieu d'étendre la comparaison à l'im-

meuble datant de 1930 environ, une différence de plus de
vingt ans ne permettant en tout cas pas de ranger deux bâti-
ments dans la même période de construction.

A ce stade, le nombre de cinq exemples comparables,
exigé par la jurisprudence, n'est déjà pas atteint. De plus,
la surface de l'un des quatre objets encore à l'étude ne fi-
gure pas dans les fiches déposées par la demanderesse, à qui
pourtant la charge de la preuve incombait. Or, selon la ju-
risprudence, la dimension du logement est un critère déter-
minant (ATF 123 III 317 consid. 4b/cc p. 321). A cet égard,
l'indication du nombre de pièces ne saurait compenser l'ab-
sence de données sur la surface de l'appartement présenté à
titre de comparaison.

Sur le vu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire
de poursuivre l'examen des trois exemples restants, un tel
nombre étant de toute manière insuffisant pour établir les
loyers usuels du quartier. Par conséquent, la cour cantonale
n'a pas violé le droit fédéral en confirmant, à la suite du
Tribunal des baux et loyers, le rejet de la requête en majo-
ration de loyer fondée sur l'art. 269a let. a CO. Le recours
sera rejeté et l'arrêt attaqué confirmé.

6.- La demanderesse, qui succombe, supportera les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Par ailleurs, le dé-
fendeur ne se verra pas allouer une indemnité de dépens, car
il n'est pas représenté par un avocat et n'a pas réclamé le
remboursement de débours, ni fait valoir des circonstances
particulières justifiant l'octroi d'une indemnité pour perte
de temps ou de gain (art. 159 al. 1 et 2, art. 160 OJ, art.
1er al. 2 et art. 2 du tarif pour les dépens alloués à la
partie adverse dans les causes portées devant le Tribunal
fédéral [RS 173.119.1]; ATF 113 Ib 353 consid. 6b p. 357).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. à la
charge de la demanderesse;

3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du can-
ton de Genève.

____________

Lausanne, le 15 juin 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.40/2001
Date de la décision : 15/06/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-06-15;4c.40.2001 ?
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