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12/06/2001 | SUISSE | N°4P.71/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 juin 2001, 4P.71/2001


«/2»

4P.71/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 juin 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame B.________,

contre

l'arrêt rendu le 16 février 2001 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à E.________, représenté par Me Corinne
Nerfin,
avoc

ate à Genève;

(art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation arbitraire des
preuves; formalisme excessif)

Vu les pièces du do...

«/2»

4P.71/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 juin 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame B.________,

contre

l'arrêt rendu le 16 février 2001 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à E.________, représenté par Me Corinne
Nerfin,
avocate à Genève;

(art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation arbitraire des
preuves; formalisme excessif)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 31 mai 2000, communiqué aux
parties le 20 juin 2000, le Tribunal de première instance de
Genève a condamné dame B.________ (défenderesse) à payer à
E.________ (demandeur) en capital 56 445 fr. plus deux
autres
montants et validé un séquestre à due concurrence.

Le 19 août 2000, dame B.________ a remis à un bu-
reau de poste suisse, en deux exemplaires adressés à la Cour
de justice du canton de Genève, un acte d'appel, par lequel
il est demandé de rejeter toutes les prétentions du
demandeur
et de condamner celui-ci à payer des dommages-intérêts.

Le demandeur a répondu en déposant des conclusions
par simple lettre du 30 octobre 2000; il s'en est rapporté à
justice quant à la recevabilité de l'appel et a conclu, sur
le fond, à la confirmation du jugement attaqué, la défende-
resse devant être déboutée de toutes ses conclusions.

Dame B.________ ayant demandé à plaider par lettre
du 7 novembre 2000, la cause a été attribuée à la Chambre ci-
vile de la Cour de justice le 8 décembre 2000.

L'examen de l'acte d'appel par les juges en charge
du dossier ayant aussitôt révélé un doute sur l'authenticité
de la signature apposée sur ce document, une expertise a été
confiée à X.________, conseiller en criminalistique auprès
du
Pouvoir judiciaire. Il ressort du rapport technique de cet
expert, déposé le 15 décembre 2000, que la signature de la
page 8 de l'acte d'appel n'est pas une signature manuscrite
originale, mais une reproduction apposée par un système
d'impression utilisant du toner en poudre (photocopie et/ou
imprimante laser).

L'expertise a été communiquée à la défenderesse le
2 février 2001, jour de la plaidoirie. Interrogée au sujet
de
la signature incriminée, la défenderesse a manifesté son
étonnement et a plaidé sur le fond.

La Cour de justice a encore vérifié l'exemplaire de
la copie de l'acte d'appel communiqué au demandeur et a cons-
taté qu'il était également revêtu d'une photocopie de la si-
gnature de son auteur.

B.- Par arrêt du 16 février 2001, la Cour de jus-
tice a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la défende-
resse contre le jugement du Tribunal de première instance.

La cour cantonale s'est référée à l'art. 300 de la
loi genevoise de procédure civile du 10 avril 1987 (LPC),
qui
dispose que l'appel est formé, à peine de nullité, par un mé-
moire signé, ainsi qu'au droit fédéral de procédure, lequel
exige qu'un acte de recours soit muni de la signature origi-
nale de son auteur et considère qu'un acte sur lequel la si-
gnature ne figure qu'en photocopie n'est donc pas valable
(ATF 112 Ia 173 consid. 1). Elle a relevé que cette exigence
fondamentale, qui découle de l'art. 13 CO, est également de
mise en droit cantonal genevois, et que tout assouplissement
de cette règle comporterait un risque d'abus. La nullité du
mémoire d'appel non signé serait ainsi une informalité grave
qui doit être retenue d'office.

La Cour de justice a ajouté que, dans le respect du
principe qui vise à éviter tout formalisme excessif, le dé-
faut de signature est un vice réparable, dans la mesure tou-
tefois où l'acte peut être régularisé avant l'échéance du dé-
lai d'appel de 30 jours. Mais elle a constaté qu'en l'espèce
l'absence de signature valable n'a été décelée par les juges
que le 8 décembre 2000, "soit avec toute la diligence possi-
ble et bien après l'échéance du délai de 30 jours prescrit

par l'art. 296 al. 1 LPC". Elle en a conclu que, dans ces
circonstances, entièrement imputables à la défenderesse qui
n'a pas pu ignorer qu'elle ne mettait sous pli que des pho-
tocopies, la réparation de l'omission n'était plus possible.
Le mémoire d'appel étant entaché de nullité, a poursuivi
l'autorité cantonale, l'appel doit être déclaré irrecevable.

C.- Dame B.________ interjette un recours de droit
public au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal, dont
elle
requiert l'annulation. Invoquant la violation de l'art. 9
Cst. relatif à la protection contre l'arbitraire et à la pro-
tection de la bonne foi, elle reproche à la Cour de justice
d'avoir fait preuve à son égard de formalisme excessif en se
prévalant de l'art. 300 al. 1 LPC pour en déduire que son ap-
pel était entaché de nullité et ainsi irrecevable.

L'intimé conclut, à la forme, à l'irrecevabilité du
recours et, au fond, à la confirmation de l'arrêt cantonal.

La Cour de justice a déposé des observations, par
lesquelles elle insiste sur le fait que la recourante ne lui
a fait parvenir aucun exemplaire de son acte d'appel compor-
tant sa signature en original. Pour le surplus, elle déclare
se référer aux considérants de la décision attaquée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Dans son recours, la défenderesse soutient,
en fait, que le 19 août 2000 elle a remis à un bureau de pos-
te suisse son mémoire d'appel en trois exemplaires, dont
l'un
comportait sa signature manuscrite, les deux autres ne revê-
tant effectivement qu'une reproduction apposée par un
système
d'impression (photocopie).

b) Il ne sera pas tenu compte de l'affirmation du
dépôt d'un acte d'appel signé par la recourante. En effet,
le
réexamen, dans un recours de droit public, de l'appréciation
des preuves et des constatations de fait qui en découlent
est
prohibé, à moins qu'il y ait eu violation de la
Constitution.
Autrement dit, les constatations de fait et l'appréciation
des preuves ne peuvent être attaquées en instance de recours
de droit public que si elles sont arbitraires, ou consacrent
une violation des garanties de procédure, comme le droit
d'être entendu. Elles ne peuvent être critiquées qu'aux con-
ditions strictes posées par la jurisprudence (cf. ATF 120 Ia
31 consid. 4b; 118 Ia 28 consid. 1b). Dès lors que la défen-
deresse n'expose même pas que l'une de ces conditions serait
remplie, le moyen dirigé contre les constatations de fait de
l'arrêt attaqué est irrecevable.

2.- Invoquant le formalisme excessif, la recouran-
te se réfère aux considérations de la cour cantonale selon
lesquelles le défaut de signature est un vice réparable,
dans
la mesure où il peut être régularisé avant l'échéance du dé-
lai d'appel. Elle critique la conclusion à laquelle a abouti
la Cour de justice en l'espèce, à savoir que l'absence de si-
gnature valable n'a été décelée par les juges que le 8 décem-
bre 2000, bien après l'échéance du délai d'appel, de sorte
que la réparation de l'omission était devenue impossible.
Pour la recourante, cette argumentation, outre le fait qu'el-
le n'est pas convaincante, aboutit à un résultat choquant.
Elle affirme encore que le vice affectant son mémoire de re-
cours ne pouvait échapper à l'autorité à laquelle l'acte
était destiné, car il n'y avait nul besoin de recourir à une
expertise pour distinguer une signature photocopiée d'une si-
gnature originale. Enfin, elle fait valoir que, compte tenu
des féries, le délai d'appel est venu à échéance le 22 août
2000, si bien que l'autorité intimée, soit pour elle son
greffe, pouvait et se devait de réagir jusqu'à cette date;
en
d'autres termes, la cour cantonale avait le devoir d'attirer

l'attention de la recourante sur le défaut - facilement déce-
lable - de signature manuscrite.

3.- a) A juste titre, la recourante ne critique
pas l'affirmation de la cour cantonale selon laquelle le
droit de procédure exige qu'un acte de recours soit muni de
la signature originale de son auteur, l'acte sur lequel la
signature ne figure qu'en photocopie n'étant donc pas
valable
(cf. ATF 121 II 252 consid. 3 et 4a; 112 Ia 173 consid. 1).
Cette jurisprudence a été confirmée récemment (arrêt non pu-
blié du 9 avril 2001 dans la cause 1P.94/2001, consid. 2a).
On peut admettre aussi, avec la cour cantonale, que cette
exigence fondamentale, qui découle de l'art. 13 CO, est éga-
lement de mise en droit cantonal genevois (cf. Bertossa/
Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure
civile du canton de Genève du 10 avril 1987, n. 9 ad art. 7
LPC; arrêt du 29 janvier 2001 consid. 2b, publié in: SJ 2001
I p. 289 ss).

b) Le formalisme excessif est une forme particuliè-
re du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il
est
réalisé lorsque la stricte application des règles de procédu-
re ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, de-
vient une fin en soi et complique de manière insoutenable la
réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmis-
sible l'accès aux tribunaux. L'excès de formalisme peut rési-
der soit dans la règle de comportement imposée au justicia-
ble, soit dans la sanction qui lui est attachée. Le Tribunal
fédéral examine librement ce grief. Il accorde aussi une im-
portance déterminante aux circonstances particulières du cas
(ATF 125 I 166 consid. 3a et 3d; 121 I 177 consid. 2b/aa et
les références).

En règle générale, selon la jurisprudence relative
aux art. 9 et 29 al. 1 Cst., une autorité administrative ou
judiciaire a l'obligation d'avertir la personne qui
accomplit

auprès d'elle un acte juridique lorsque celle-ci commet un
vice de forme; l'obligation d'avertir suppose toutefois que
le vice soit clairement reconnaissable et que, de plus, il
soit possible au plaideur de le réparer à temps (ATF 125 I
166 consid. 3a). Si l'autorité a méconnu cette obligation,
elle doit tolérer que l'acte concerné soit régularisé, éven-
tuellement, hors délai.

Le Tribunal fédéral a précisé qu'il importait peu
que l'inadvertance (i.e. le vice ou l'irrégularité) soit de
fait restée inaperçue. C'est le caractère objectivement appa-
rent de l'erreur qui est déterminant. C'est ainsi que la ju-
ridiction fédérale a posé que l'autorité qui reçoit une re-
quête non signée a le devoir d'attirer l'attention de l'au-
teur sur ce défaut, pour autant qu'en raison des circonstan-
ces ledit défaut doive normalement être aperçu d'emblée et
que le délai encore disponible soit suffisant pour permettre
à l'auteur de le réparer à temps (ATF 114 Ia 20 consid. 2b).

c) En l'espèce, si l'on se réfère à l'acte d'appel
expédié par la recourante le 19 août 2000, la circonstance
qu'il n'était pas muni d'une signature originale mais qu'il
s'agissait d'une photocopie, ne pouvait guère échapper à
l'autorité à laquelle la défenderesse l'a adressé. Le délai
d'appel de 30 jours dont disposait la recourante, compte
tenu
des règles sur la computation et sur la suspension des
délais
(art. 29 et 30 LPC), échéait le 22 août 2000. Comme cette
pièce, expédiée un samedi, a dû parvenir à la Cour de
justice
le lundi 21 août 2000, cette autorité ne pouvait agir que le
21 ou le 22 août, dernier jour du délai. La recourante
aurait
pu être atteinte sans difficulté, soit par téléphone, soit
par l'envoi immédiat d'une lettre. Il appert ainsi - comme
dans le cas de l'ATF 114 Ia 20 consid. 2c très semblable à
la
présente espèce - que la Cour de justice se trouvait dans
une
situation limite où, sauf circonstances particulières, c'est-
à-dire dans des conditions normales de travail, elle devait

encore intervenir. Il convient encore de relever qu'il n'est
nullement indispensable que l'autorité prenne elle-même con-
naissance des déclarations de recours qui lui sont adressées
(cf. ATF 114 Ia 20 consid. 2c, dernier alinéa).

On est donc en présence d'un cas où l'autorité, se
trouvant face à une irrégularité clairement reconnaissable,
réparable à temps, avait le devoir d'avertir la recourante
de
l'existence de ce vice. Ayant méconnu cette obligation, la
cour cantonale a fait montre de formalisme excessif et doit
tolérer que l'acte puisse être régularisé, même hors délai.
En conséquence, le recours devra être admis, l'arrêt attaqué
étant annulé.

4.- Vu l'issue du litige, les frais judiciaires
seront mis à la charge de l'intimé. En revanche, il ne sera
pas alloué de dépens à la recourante, qui a procédé seule et
n'a pas invoqué de dépenses particulières (ATF 125 II 518
consid. 5b).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours;

2. Annule l'arrêt attaqué;

3. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de l'intimé;

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

__________

Lausanne, le 12 juin 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.71/2001
Date de la décision : 12/06/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-06-12;4p.71.2001 ?
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