«AZA 1/2»
1P.722/2000
Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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12 juin 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Nay, Aeschlimann,
Féraud,
Catenazzi, Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.
Statuant sur le recours de droit public
formé par
Jean-Paul D u d t , Cocarde 3A, à Ecublens, et Aristide
P e d r a z a , Case postale 822, à Lausanne,
contre
la loi sur l'établissement CCE.VD adoptée le 7 novembre 2000
par le Grand Conseil du canton de Vaud, représenté par Me
Denis Sulliger, avocat à Vevey;
(droits politiques; référendum financier;
financement de l'opération BEDAG)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- En octobre 2000, le Conseil d'Etat du canton de
Vaud (ci-après: le Conseil d'Etat) a soumis au Grand Conseil
du canton de Vaud (ci-après: le Grand Conseil) un rapport
sur
la collaboration entre les cantons de Vaud et de Berne en ma-
tière d'exploitation informatique, un projet de loi sur
l'établissement CCE.VD (Centre Cantonal d'Exploitation) et
un
projet de décret accordant un crédit d'investissement de
7'420'000 fr. pour la mise à niveau de l'exploitation infor-
matique du canton de Vaud.
Le projet de collaboration entre les cantons de Vaud
et de Berne, intitulé "projet Integris", tend à améliorer la
sécurité de l'exploitation de l'infrastructure informatique,
à augmenter la performance et la disponibilité de l'offre in-
formatique, à limiter l'augmentation des coûts informatiques
grâce aux synergies et à maintenir des places de travail à
Lausanne pour les collaborateurs employés par l'Etat; à cet
effet, il prévoit, sur le plan technique, la création de
deux
centres de compétence, l'un situé à Berne, spécialisé dans
la
gestion des grands serveurs d'entreprise et exploité par
l'établissement de droit public Bedag Informatik, l'autre à
Lausanne, versé dans les systèmes dits ouverts. Sur le plan
organisationnel, ce projet implique le transfert d'une
partie
du personnel du Centre Cantonal d'Exploitation au sein de la
nouvelle structure et la création d'un établissement de
droit
public vaudois, afin de garantir la lisibilité des coûts et
leur transparence. Il nécessite la conclusion d'un accord
entre les Départements des finances des deux cantons, d'un
contrat-cadre décrivant les droits et obligations des deux
parties et d'accords de niveau de service fixant les presta-
tions attendues par domaine. Sur le plan financier, le coût
des prestations offertes pour 2001, estimé à 24'625'000 fr.,
est comparable au budget annuel global du Centre Cantonal
d'Exploitation; quant au crédit de 7'420'000 fr., il est
destiné à couvrir les investissements nécessaires à la mise
à
niveau, en termes de fiabilité et de sécurité, du Centre
Cantonal d'Exploitation pour les deux prochaines années.
Dans sa séance du 7 novembre 2000, le Grand Conseil
a adopté la loi sur l'établissement CCE.VD après avoir
écarté
un amendement du député Jean-Paul Dudt visant à soumettre
celle-ci au référendum financier obligatoire. Il a également
adopté le décret accordant un crédit d'investissement de
7'420'000 fr. pour la mise à niveau de l'exploitation infor-
matique du canton de Vaud. Le Conseil d'Etat a publié les
deux textes dans la Feuille des avis officiels du canton de
Vaud du 24 novembre 2000, en indiquant que le délai référen-
daire, pour déposer une demande de référendum facultatif,
venait à échéance le 3 janvier 2001.
B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
Jean-Paul Dudt et Aristide Pedraza concluent à l'annulation
de la décision du Grand Conseil refusant l'amendement au pro-
jet de loi sur l'établissement CCE.VD et la soumission de ce
texte au référendum financier obligatoire selon l'art. 27
ch.
2bis de la Constitution du canton de Vaud du 1er mars 1885
(Cst. vaud.), en tant qu'il implique l'octroi d'une somme
annuelle de 24,6 millions de francs à l'entreprise Bedag
Informatik.
Par ordonnance du 15 décembre 2000, le Président de
la Ie Cour de droit public a rejeté la demande d'effet sus-
pensif présentée par les recourants.
Le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Invi-
tés à répliquer, les recourants ont produit un mémoire com-
plétif le 9 février 2001. Les parties ont persisté dans
leurs
conclusions au terme d'un second échange d'écritures.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- a) Le recours de droit public pour violation des
droits politiques (art. 85 let. a OJ) permet aux citoyens de
se plaindre de ce qu'une loi ou un décret cantonal aurait
été
soustrait à tort au référendum financier obligatoire (ATF
118
Ia 184 consid. 1a p. 187; 111 Ia 201 consid. 2 p. 202 et les
arrêts cités). Titulaires des droits politiques dans le can-
ton de Vaud, Jean-Paul Dudt et Aristide Pedraza ont qualité
pour recourir (ATF 123 I 41 consid. 6a p. 46 et les arrêts
cités). Leur recours respecte par ailleurs les exigences de
recevabilité des art. 86 al. 1, 89 et 90 OJ, de sorte qu'il
convient d'entrer en matière sur le fond.
b) Saisi d'un recours de droit public fondé sur
l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral revoit librement
l'interprétation et l'application du droit constitutionnel,
ainsi que des dispositions de rang inférieur qui règlent le
contenu et l'étendue du droit de vote ou qui sont en
relation
étroite avec celui-ci; il n'examine en revanche que sous
l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation d'autres
règles du droit cantonal (ATF 123 I 175 consid. 2d/aa p.
178;
121 I 1 consid. 2 p. 3, 291 consid. 1c, 334 consid. 2b p.
338, 357 consid. 3 p. 360 et les arrêts cités). En présence
de deux interprétations également défendables, il s'en tient
à celle retenue par la plus haute autorité cantonale (ATF
121
I 334 consid. 2c p. 339; sur l'évolution du pouvoir d'examen
du Tribunal fédéral, voir ATF 111 Ia 201 consid. 4 p. 206-
208).
2.- Les recourants reprochent en substance au Grand
Conseil d'avoir soustrait indûment la loi sur
l'établissement
CCE.VD au référendum financier obligatoire prévu à l'art. 27
ch. 2bis Cst. vaud. en tant que celle-ci engendrerait des dé-
penses nouvelles supérieures à 20 millions de francs.
a) L'art. 27 ch. 2 Cst. vaud. soumet au référendum
facultatif les lois (let. a), les décrets (let. b) ainsi que
toute décision du Grand Conseil entraînant une dépense
unique
de plus de 2 millions de francs ou une dépense de plus de
200'000 francs annuellement pour dix ans (let. c). L'art. 27
ch. 2bis Cst. vaud., tel qu'il a été adopté par le peuple
vaudois en date du 29 novembre 1998 (cf. Recueil annuel des
lois vaudoises 1998, p. 358 et 498), prévoit le référendum
obligatoire pour toute décision du Grand Conseil entraînant
une dépense unique de plus de 20 millions de francs ou une
dépense de plus de 2 millions de francs annuellement pour
dix
ans. L'art. 27 ch. 2ter Cst. vaud. exclut toutefois du réfé-
rendum les décrets portant sur le budget dans son ensemble
(let. c) et les dépenses liées (let. e).
b) La loi attaquée prévoit la constitution d'un éta-
blissement public doté de la personnalité morale, nommé
CCE.VD, dont le siège est à Lausanne (art. 1). Le but de cet
établissement consiste à fournir à l'Etat de Vaud et à son
administration, ainsi qu'à l'Ordre judiciaire vaudois, aux
établissements cantonaux et à des collectivités publiques
vaudoises, des services en matière d'exploitation d'infra-
structures informatiques et de réseau (art. 2). A teneur de
l'art. 3, le capital de dotation de l'établissement CCE.VD
est constitué par un montant de 100'000 fr. versé par l'Etat
de Vaud (let. a), des dotations supplémentaires décrétées
par
le Grand Conseil ou portées au budget (let. b) et des
apports
des collectivités publiques qui confient à CCE.VD l'exploita-
tion d'infrastructures informatiques et de réseau (let. c).
Au bénéfice d'un accord entre les autorités vaudoises et les
autres autorités concernées, l'établissement CCE.VD peut pas-
ser des accords durables ou ponctuels, généraux ou particu-
liers (sous-traitance, partage de ressources et de tâches,
délégations, etc.), avec un établissement de forme publique
ou privée poursuivant des buts similaires. Avec l'accord des
bénéficiaires participant au capital de dotation et pour un
temps limité, le Conseil d'Etat peut confier à l'établisse-
ment similaire d'un autre canton la direction et la gestion
de CCE.VD (art. 10).
c) La somme de 24,6 millions de francs que les re-
courants entendent voir soumise au référendum financier cor-
respond aux coûts d'exploitation engendrés par le "projet In-
tegris", dont l'établissement CCE.VD constitue l'une des fa-
cettes. Ce n'est donc pas la loi sur l'établissement CCE.VD
qui implique cette dépense, mais bien le "projet Integris",
concrétisé par l'accord de collaboration dans le domaine in-
formatique passé entre les Départements des finances des can-
tons de Berne et de Vaud; en tant que telle, cette loi ne
consacre aucune dépense, sous réserve du capital de dotation
de 100'000 francs. En l'absence d'un lien de rattachement
objectif avec l'acte attaqué, il est douteux que le recours
soit recevable. Cette question peut toutefois demeurer indé-
cise car, à supposer que la dépense annuelle de 24,6
millions
de francs puisse effectivement être tirée de la loi sur
l'établissement CCE.VD et, plus particulièrement, de son
art.
10, celle-ci échapperait de toute manière au référendum fi-
nancier obligatoire.
3.- a) Suivant la jurisprudence du Tribunal fédéral,
une dépense est liée lorsque son principe et son étendue
sont
fixés par une norme légale, lorsqu'elle est absolument néces-
saire à l'accomplissement d'une tâche ordonnée par la loi,
ou
encore lorsqu'il faut admettre que le peuple, en adoptant
précédemment le texte de base, a aussi approuvé la dépense
qui en découle, soit qu'il s'agit de répondre à un besoin
prévisible, soit que le choix des moyens à mettre en oeuvre
est indifférent. Une dépense est en revanche nouvelle lors-
qu'elle se rapporte à une tâche qui sort du champ d'activité
antérieur de l'administration ou lorsqu'elle découle d'un
acte normatif qui laisse à l'autorité une marge de manoeuvre
relativement importante, quant à l'étendue de cette dépense,
quant au moment où elle sera engagée ou quant à d'autres mo-
dalités (ATF 125 I 87 consid. 3b p. 90/91). Les notions de
dépenses liées et nouvelles dégagées par la jurisprudence fé-
dérale ne s'imposent pas nécessairement aux cantons; il peut
y être dérogé lorsque le droit cantonal ou une pratique bien
établie des autorités compétentes consacrent une autre appro-
che (ATF 125 I 87 consid. 3b p. 91 et les arrêts cités). Une
telle pratique divergente n'est pas alléguée en l'espèce et
ne ressort pas des travaux préparatoires consacrés à l'art.
27ter Cst. vaud. (cf. Bulletin du Grand Conseil du canton de
Vaud, printemps 1977, p. 345).
b) Il est aujourd'hui communément admis que l'Etat
recourt à l'informatique pour exécuter les tâches administra-
tives qui lui sont dévolues de par la loi, en raison du gain
de temps et en personnel qu'implique une telle solution; les
dépenses consenties à cet effet sont de ce fait absolument
nécessaires à l'accomplissement d'une tâche de l'Etat, au
sens de la jurisprudence rendue en matière de référendum fi-
nancier (cf. ATF 97 I 820 consid. 5 p. 826; arrêt du 4 mai
1988 dans la cause T. contre Grand Conseil du canton de
Berne, paru à la JAB 1989 p. 49 consid. 5b p. 58). Il en va
a
fortiori de même des dépenses consacrées à améliorer la sécu-
rité du traitement des données informatiques. Dans cette me-
sure, la somme de 24,6 millions de francs correspondant aux
prestations offertes par Bedag Informatik peut être considé-
rée comme une dépense liée.
Il n'est certes pas indifférent de recourir à un
établissement public d'un autre canton plutôt qu'aux
services
internes de l'administration pour garantir une exploitation
informatique dans des conditions de sécurité satisfaisantes.
Toutefois, comme le relève à juste titre le Grand Conseil
dans ses observations, les autorités cantonales n'avaient
pas
véritablement d'autre alternative praticable que celle de
confier cette tâche à Bedag Informatik, parce que le canton
de Vaud ne dispose pas du personnel et de l'infrastructure
nécessaires pour assurer lui-même les mesures de
sécurisation
du réseau informatique à court terme et dans des conditions
financières supportables. Le recours à la sous-traitance à
une société privée a également été abandonné en raison des
difficultés posées sur le plan juridique en relation avec la
protection des données, de l'impossibilité de donner des ga-
ranties suffisantes en matière d'emploi au personnel
concerné
et de la renonciation à toute possibilité de contrôle étati-
que (Bulletin du Grand Conseil du canton de Vaud, séance du
31 octobre 2000, p. 3712 et 3775; voir aussi la réponse à
l'interpellation urgente Jean-Paul Dudt concernant la casse
programmée du CIEV au profit d'une société semi-privée ber-
noise, ibidem, p. 3857). On se trouve ainsi dans un cas ana-
logue à celui traité dans l'arrêt précité du 4 mai 1988,
paru
à la JAB 1989 p. 49 consid. 6b p. 59/60, dans lequel les dé-
penses consacrées par le canton de Berne à la mise en place
d'un système de traitement électronique des données fiscales
ont été considérées comme liées.
Dans ces conditions, le Grand Conseil n'a pas violé
les droits politiques des citoyens en ne soumettant pas la
loi sur l'établissement CCE.VD au référendum financier
obli-
gatoire.
4.- Le recours doit par conséquent être rejeté, dans
la mesure où il est recevable.
Suivant la pratique qui prévaut en matière de re-
cours de droit public pour violation des droits politiques,
il n'y a pas lieu de percevoir d'émolument judiciaire.
L'Etat
de Vaud n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire,
ni alloué de dépens.
3. Communique le présent arrêt en copie aux recou-
rants et au mandataire du Grand Conseil du canton de Vaud.
Lausanne, le 12 juin 2001
PMN/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,