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15/05/2001 | SUISSE | N°4C.46/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 mai 2001, 4C.46/2001


«AZA 1/2»

4C.46/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

B u r a t o & S t a n l e y S.à r.l., à Lausanne, demande-
resse et recourante, représentée par Me Anne-Virginie Gaide,
avocate à Genève,

et

E l M e d i t s o l S.à r.l., à Genève, défenderesse et in-

timée, représentée par Me Pierre-Alain Killias, avocat à
Genève;

(droit des marques; absence de préjudice)

Vu les pièces du...

«AZA 1/2»

4C.46/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

B u r a t o & S t a n l e y S.à r.l., à Lausanne, demande-
resse et recourante, représentée par Me Anne-Virginie Gaide,
avocate à Genève,

et

E l M e d i t s o l S.à r.l., à Genève, défenderesse et in-
timée, représentée par Me Pierre-Alain Killias, avocat à
Genève;

(droit des marques; absence de préjudice)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 4 juin 1998, Burato & Stanley S.à r.l. a dé-
posé auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellec-
tuelle la marque verbale "Movida" en relation notamment avec
des services de restauration. La marque a été enregistrée le
10 mars 1999 avec effet à la date du dépôt.

Le 18 août 1998, Burato & Stanley S.à r.l. a ouvert
à Lausanne un café-bar sous l'enseigne "Movida", dont l'inau-
guration a eu lieu les 8 et 9 septembre 1998. Selon un té-
moin, cet établissement, qui a le style d'un bar, est fré-
quenté essentiellement par des jeunes qui peuvent se restau-
rer simplement, même assez tard le soir.

Une société Movida S.à r.l. - sans rapport avec
Burato & Stanley S.à r.l. - a été inscrite au registre du
commerce le 21 janvier 1999, cette inscription ayant été pu-
bliée le 27 janvier 1999.

Le 30 juin 1999, cette société a ouvert à Genève un
restaurant à l'enseigne "Movida". Selon les témoignages re-
cueillis, il s'agit d'un restaurant traditionnel, de style
pub, fréquenté notamment par des personnes qui connaissent
déjà les gérants.

B.- Saisie d'une requête en mesures provisionnelles
formée par Burato & Stanley S.à r.l., la Cour de justice de
Genève, par ordonnance du 8 septembre 1999, a fait interdic-
tion à Movida S.à r.l. d'utiliser cette dénomination en par-
ticulier pour son établissement et ses services.

Le 30 septembre 1999, Burato & Stanley S.à r.l. a
informé sa partie adverse du fait que, le 5 octobre, un huis-

sier se rendrait au restaurant "La Movida" en vue de l'exécu-
tion forcée de l'ordonnance de la Cour.

Sur ce, le 4 octobre 1999, Movida S.à r.l. a modi-
fié son enseigne, devenue "El Meditsol", et l'intervention
de
l'huissier a été annulée. La raison sociale de la société
est
devenue El Meditsol S.à r.l. Cette modification a été ins-
crite au registre du commerce le 8 octobre et publiée le 14
octobre 1999.

Le 13 octobre 1999, Burato & Stanley S.à r.l. a
néanmoins déposé une action sur le fond devant la Cour de
justice de Genève. Ses conclusions tendaient, en dernier
lieu, à ce qu'il soit fait interdiction à sa partie adverse
d'utiliser le mot "Movida" notamment pour ses établissements
ou services, à ce que cette dernière soit condamnée à lui
verser la somme de 36 393 fr.15 à titre de dommages-intérêts
et à ce que le jugement soit publié.

Par arrêt du 21 décembre 2000, la Chambre civile de
la Cour de justice a débouté Burato & Stanley S.à r.l. de
toutes ses conclusions. En substance, la cour cantonale a es-
timé que les deux établissements, en raison de
l'éloignement,
n'étaient pas dans un rapport de concurrence et que le mot
"Movida", vu sa signification en espagnol, relevait du domai-
ne public et ne pouvait pas donner lieu à protection pour
des
services de restauration ou de divertissement. Dans une moti-
vation alternative, la cour cantonale a constaté que la de-
manderesse n'avait pas établi avoir subi un quelconque domma-
ge du fait de l'ouverture du restaurant "Movida" à Genève et
de son exploitation qui n'a duré que trois mois sous cette
enseigne.

C.- Burato & Stanley S.à r.l. recourt en réforme au
Tribunal fédéral. Invoquant diverses violations du droit fé-
déral, elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 21 décembre

2001 et reprend ses conclusions sur le fond, demandant subsi-
diairement le renvoi de la cause à la cour cantonale.

El Meditsol S.à r.l. invite le Tribunal fédéral à
rejeter le recours dans la mesure où il est recevable.

D.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a re-
jeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours de droit
public interjeté parallèlement par Burato & Stanley S.à r.l.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) S'agissant d'un litige relatif à la protec-
tion des marques, le recours en réforme est recevable sans
égard à la valeur litigieuse (art. 45 let. a OJ); cette
règle
vaut également pour la prétention connexe fondée sur la con-
currence déloyale (ATF 110 II 411 consid. 1).

b) Si la décision attaquée est fondée sur deux mo-
tivations indépendantes dont chacune d'elles suffit à justi-
fier le résultat, la partie recourante doit attaquer chacun
de ces motifs par la voie de recours adéquate, faute de quoi
le recours est irrecevable, parce qu'il équivaut à un pur re-
cours sur les considérants, sans possibilité de modifier le
dispositif de la décision querellée (ATF 121 III 46 consid.
2; 120 II 312 consid. 2; 117 II 432 consid. 2a; 116 II 721
consid. 6a).

Comme pour l'exercice de toute voie de droit, le
dépôt d'un recours en réforme n'est possible que si son au-
teur y a intérêt (ATF 126 III 198 consid. 2b). En conséquen-
ce, le recours en réforme n'est pas ouvert pour se plaindre
seulement des motifs de la décision attaquée, si cela n'a

aucune incidence sur le dispositif (cf. ATF 111 II 1; 106 II
117 consid. 1; 103 II 155 consid. 3). Il n'y a donc pas lieu
d'examiner une argumentation juridique qui ne pourrait pas
modifier l'issue du litige (Corboz, Le recours en réforme au
Tribunal fédéral, in SJ 2000 II p. 1 ss, p. 30).

2.- a) La décision attaquée repose sur deux motiva-
tions alternatives.

D'une part, la cour cantonale a estimé que la dési-
gnation "Movida" ne pouvait pas être protégée pour les servi-
ces en cause, parce qu'elle relèverait du domaine public;
par
ailleurs, la cour cantonale a retenu que les deux
entreprises
n'étaient pas en concurrence, en raison de l'éloignement.

D'autre part, la cour cantonale a constaté que
l'usage litigieux avait pris fin après trois mois environ et
que la demanderesse n'était pas parvenue à prouver un quel-
conque préjudice, ce qui suffisait pour écarter ses conclu-
sions.

La demanderesse dirige ses griefs principalement
contre la première motivation alternative. Il convient donc
d'examiner tout d'abord la seconde, puisque, si celle-ci suf-
fisait à justifier la décision sans violer le droit fédéral,
l'examen de tous les autres griefs deviendrait superflu.

b) La cour cantonale a constaté que la défenderesse
n'avait utilisé la dénomination "Movida" que pendant environ
trois mois et que peu après la décision sur mesures provi-
sionnelles, elle avait changé son enseigne, ainsi que sa rai-
son sociale inscrite au registre du commerce. Les constata-
tions cantonales ne révèlent aucun indice que la défenderes-
se, qui utilise sa nouvelle dénomination depuis octobre
1999,
envisagerait de reprendre la dénomination "Movida". La deman-
deresse ne tente même pas de le soutenir.

Sauf exceptions non réalisées en l'espèce (art. 63
al. 2, 55 al. 1 let. d, 64 OJ), les constatations de fait
des
juges cantonaux lient le Tribunal fédéral en instance de ré-
forme (art. 55 al. 1 let. c OJ). Au vu des éléments rappelés
ci-dessus, l'atteinte prétendument illicite dont se plaint
la
demanderesse a pris fin et il n'y a aucune raison de penser
qu'elle est susceptible de se répéter. Dans ces circonstan-
ces, il n'y a pas lieu de prononcer les interdictions sous
menace des peines de l'art. 292 CP requises par la demande-
resse. Les mesures provisionnelles ayant suffit pour attein-
dre le but recherché, la demande déposée sur le fond ulté-
rieurement est dépourvue d'intérêt pour agir (cf. ATF 126
III
198 consid. 2b; 120 II 5 consid. 2a).

c) La cour cantonale a souverainement constaté en
fait que l'atteinte prétendument illicite a cessé après
trois
mois, on l'a vu, et qu'il n'en est résulté aucun préjudice
pour la demanderesse. On ne saurait dire qu'elle ait abusé
du
pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 60 LPM (RS
232.11) en renonçant à faire usage de la faculté d'ordonner
la publication du jugement. Comme il n'y a pas de raison de
penser que ces faits, restés sans conséquence pratique,
soient susceptibles de se reproduire, on ne voit pas quelle
pourrait être encore l'utilité d'une publication.

d) La demanderesse reproche à la cour cantonale de
ne pas lui avoir alloué les dommages-intérêts réclamés.

Il faut ici rappeler que la causalité naturelle
(ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II
440 consid. 5b; 113 II 52 consid. 2), l'existence et la quo-
tité d'un dommage (ATF 127 III 73 consid. 3c; 126 III 388
consid. 8a; 123 III 241 consid. 3a; 122 III 61 consid. 2c/
bb; 122 III consid. 3b) relèvent des constatations de fait
qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art. 63 al. 2 OJ). Les constatations effectuées sur ces

points n'auraient pu être attaquées que par la voie du re-
cours de droit public déposé parallèlement, en invoquant
l'arbitraire et en démontrant avec précision en quoi la dé-
cision serait insoutenable (cf. ATF 110 Ia 1 consid. 2a).
Dans un recours en réforme, le Tribunal fédéral peut seule-
ment examiner si la cour cantonale a perdu de vue l'exigence
de la causalité naturelle ou du dommage, ou encore a méconnu
le contenu juridique de ces notions (pour le cas de la causa-
lité naturelle: cf. ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa; 121 IV 207
consid. 2a; 117 IV 130 consid. 2a; pour ce qui est du domma-
ge: cf. ATF 127 III 75 consid. 3c; 120 II 296 consid. 3b;
116
II 441 consid. 3a).

L'appréciation des preuves et les constatations de
fait qui en découlent ne peuvent donner lieu à un recours en
réforme (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a;
122 III 26 consid. 4a/aa; 122 III 61 consid. 2c/cc; 122 III
73 consid. 6b/bb).

Il ne ressort pas des pièces produites et des té-
moignages recueillis, selon l'état de fait dressé en
instance
cantonale, que le chiffre d'affaires de la demanderesse au-
rait baissé pendant les trois mois où le bar "Movida" a été
ouvert à Genève. Il apparaît peu vraisemblable, vu la nature
de la clientèle, que des personnes aient préféré se rendre à
Genève, plutôt que de rester à Lausanne. Les témoins n'ont
pas constaté non plus que la clientèle aurait varié à
Genève,
pendant la période où l'établissement a été exploité sous
l'enseigne "Movida". De l'ensemble de ces circonstances, la
cour cantonale a déduit que l'utilisation de la désignation
"Movida" n'avait causé aucun dommage à la demanderesse, ni
sous la forme de la perte effective, ni sous la forme du
gain
manqué. Cette question relève de l'appréciation des preuves,
qui ne peut être remise en cause dans un recours en réforme.
En tout cas, on ne voit pas que la cour cantonale ait
méconnu
l'exigence d'un dommage et le sens de cette notion juridique.

La demanderesse aurait voulu que la cour cantonale
prenne en compte une valeur de licence. Comme la
défenderesse
a rapidement abandonné la dénomination "Movida", on doit en
déduire qu'elle n'était pas disposée à payer une redevance
pour l'usage de ce terme, de sorte que cette possibilité
n'existait pas concrètement pour la demanderesse. Cette der-
nière fait surtout valoir à ce sujet un mode d'évaluation du
gain manqué, lorsque celui-ci ne peut pas être déterminé
exactement. Comme dans le cas d'espèce l'existence même du
dommage n'a pas été admise, cette méthode d'évaluation n'est
évidemment pas applicable.

La demanderesse réclamait une indemnité pour le mo-
tif que sa marque aurait perdu de sa force distinctive. Si
l'on songe que l'utilisation n'a duré que trois mois environ
à Genève, que l'établissement ne s'est pas fait une réputa-
tion particulière (bonne ou mauvaise) et que l'on n'a pas
constaté de variation de clientèle, ni à Genève ni à Lausan-
ne, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en re-
tenant qu'il n'était pas établi que la marque ait perdu de
sa
valeur distinctive.

Quant aux frais juridiques, il a été constaté en
fait de manière à lier le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2
OJ)
que des dépens ont été alloués à la demanderesse pour la pro-
cédure de mesures provisionnelles. Bien que le droit
cantonal
parle d'une "participation" aux honoraires d'avocat, il a dé-
jà été jugé que les dépens alloués en procédure civile gene-
voise permettaient le dédommagement de tous les frais néces-
saires et ne pouvaient donner lieu à d'autres dommages-
intérêts (arrêt du 7 août 2000 publié in SJ 2001 I 153 con-
sid. 3). On ne peut donc dire, à cet égard, que la cour can-
tonale a méconnu la notion juridique de dommage. Il ne res-
sort pas des constatations cantonales que la demanderesse
aurait effectué, avant ou après la procédure de mesures pro-
visionnelles, des démarches juridiques utiles. Comme on l'a

déjà rappelé, le Tribunal fédéral ne peut pas s'écarter des
constatations cantonales en ce qui concerne la causalité
naturelle, l'existence ou la quotité d'un préjudice. La de-
manderesse n'a d'ailleurs pas développé de moyens à ce pro-
pos, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner cette question
plus avant.

e) La demanderesse fait grief à la cour cantonale
d'avoir violé l'art. 8 CC, en n'ordonnant pas à l'intimée de
produire ses comptes pour la période litigieuse.

L'art. 8 CC ne règle pas l'admissibilité
d'une me-
sure probatoire, ni ses modalités d'exécution, pas plus
qu'il
ne dicte comment le juge peut forger sa conviction (ATF 122
III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c). La cour
cantonale
a manifestement refusé cette mesure probatoire, parce
qu'elle
estimait qu'elle n'était pas apte à modifier sa conclusion
selon laquelle le dommage n'était pas établi; le refus d'une
mesure probatoire à la suite d'une appréciation anticipée
des
preuves ne peut pas donner lieu à un recours en réforme, par-
ce que cette question n'est pas régie par l'art. 8 CC (ATF
126 III 315 consid. 4a; 122 III 219 consid. 3c; 120 II 58
consid. 4d).

f) L'argumentation qui précède étant suffisante
pour justifier la décision rendue sans violer le droit fédé-
ral, il n'est pas nécessaire d'entrer en matière sur les au-
tres griefs soulevés par la demanderesse.

3.- Les frais et dépens doivent être mis à la char-
ge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.
___________

Lausanne, le 15 mai 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.46/2001
Date de la décision : 15/05/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-15;4c.46.2001 ?
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