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10/05/2001 | SUISSE | N°4P.35/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 mai 2001, 4P.35/2001


«/2»

4P.35/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

10 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

L.________ et T.________, tous deux représentés par Me Henri
Nanchen, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 décembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose les reco

u-
rants à A.________, représenté par Me Renato Loriol, avocat
à
Genève;

(procédure arbitrale; décision incidente)

Vu...

«/2»

4P.35/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

10 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

L.________ et T.________, tous deux représentés par Me Henri
Nanchen, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 décembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose les recou-
rants à A.________, représenté par Me Renato Loriol, avocat
à
Genève;

(procédure arbitrale; décision incidente)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 4 avril 1990, une société simple a été
constituée par cinq personnes, dont l'architecte A.________,
dans le but d'acquérir une parcelle sur la commune de
Cartigny, d'y édifier des immeubles, en empruntant les fonds
nécessaires, puis de vendre les logements et les places de
parc.

Le 1er mars 1993, cette société simple a été con-
ventionnellement dissoute. Les associés sortants ont cédé
leurs droits et obligations à A.________. T.________ et
L.________, qui ont constitué une nouvelle société simple
avec les mêmes buts que la première.

Le contrat de société simple du 1er mars 1993 a
réparti les droits et les obligations de A.________,
T.________ et L.________ à raison d'un tiers pour chacun
d'eux. Le mandat d'architecte et d'ingénieur civil a été
confié à A.________. Le montant des apports de chacun des
associés a été fixé dans le contrat. Il était également
prévu
que la société simple serait dissoute d'office à la fin de
l'opération immobilière et qu'à cette date, A.________ de-
vrait établir un bilan définitif. Le contrat prévoyait une
clause arbitrale, avec for à Genève.

B.- Le 16 février 1995, un arbitre unique a été
nommé à la requête de T.________ et de L.________.

Par sentence arbitrale du 24 janvier 2000, la so-
ciété simple formée le 1er mars 1993 a été liquidée et
chacun
des trois associés s'est vu attribuer un appartement faisant
partie de la construction de Cartigny. Le Tribunal arbitral
a

en outre condamné T.________ à payer 4'336,80 fr. à
L.________, alors que A.________ a été tenu de verser
4'735,05 fr. à ce dernier. S'agissant des frais d'arbitrage,
ils ont été mis pour moitié à la charge de A.________ et
pour
moitié à la charge de T.________ et de L.________.

A.________ a déposé un recours en nullité auprès de
la Cour de justice du canton de Genève à l'encontre de cette
sentence.

Donnant gain de cause à celui-ci sur la plupart des
griefs soulevés, la Cour de justice a, par arrêt du 14 décem-
bre 2000, annulé la sentence arbitrale. Elle a considéré en
substance que la décision attaquée était sur plusieurs
points
insuffisamment motivée, que l'arbitre ne pouvait liquider la
société sur la base d'un décompte provisoire et qu'il aurait
dû entendre T.________, en le confrontant à A.________ au su-
jet de ce décompte.

C.- Contre cet arrêt, T.________ et L.________
interjettent un recours de droit public au Tribunal fédéral.
Invoquant une violation du Concordat intercantonal sur l'ar-
bitrage et des art. 5 et 9 de la Constitution, les
recourants
concluent à l'annulation de l'arrêt du 14 décembre 2000.

La Cour de justice n'a pas formé d'observations, se
référant aux considérants de sa décision.

Pour sa part, A.________ propose le rejet du re-
cours et la confirmation de l'arrêt entrepris.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec
une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui
sont
soumis (ATF 127 III 41 consid. 2a et les arrêts cités).

a) L'arrêt attaqué a été rendu par la cour cantona-
le à la suite d'un recours en nullité au sens des art. 36 ss
du Concordat intercantonal du 27 mars 1969 sur l'arbitrage
(ci-après: CIA; RS 279). En ce domaine, l'autorité
judiciaire
cantonale n'a, sous réserve d'exceptions non réalisées en
l'espèce, qu'un pouvoir cassatoire (art. 40 al. 1 CIA; ATF
102 Ia 574 consid. 4). Lorsqu'elle admet le recours, elle
renvoie la cause aux arbitres pour qu'ils statuent eux-mêmes
à nouveau. Ceux-ci sont alors liés par les considérants de
l'arrêt de renvoi (ATF 112 Ia 166 consid. 3e p. 172; Pierre
Lalive/Jean-François Poudret/Claude Reymond, Le droit de
l'arbitrage, Lausanne 1989, art. 40 ch. 4 p. 230). La nou-
velle sentence rendue peut à son tour faire l'objet d'un
recours en nullité pour violation de l'arrêt de renvoi
(Thomas Rüede/Reimer Hadenfeldt, Schweizerisches Schiedsge-
richtsrecht, 2e éd. Zurich 1993, p. 356; Lalive/Poudret/
Reymond, op. cit., art. 40 ch. 4 p. 232).

b) Le recours de droit public est la seule voie de
droit à l'encontre des décisions judiciaires cantonales sta-
tuant à la suite d'un recours en nullité fondé sur le CIA
(cf. ATF 112 II 512 consid. 1e p. 516).

S'il est vrai que le recours est ouvert de façon
générale à l'encontre d'une décision finale, il ressort de
l'art. 87 al. 2 OJ, dans sa teneur au 8 octobre 1999 entrée
en vigueur le 1er mars 2000 (RO 2000 p. 417), que le recours
n'est recevable contre les décisions préjudicielles ou inci-
dentes - autres que celles sur la compétence et sur les de-

mandes de récusation - prises séparément que s'il peut en ré-
sulter un dommage irréparable. Il faut donc examiner si la
décision attaquée doit être qualifiée d'incidente. Une telle
décision ne met pas un terme à la procédure en cours; elle
ne
représente qu'une étape vers la décision finale; elle peut
avoir pour objet une question formelle ou matérielle, jugée
préalablement à la décision finale (cf. ATF 123 I 325
consid.
3b p. 327 et les références citées).

c) Selon la jurisprudence, le prononcé par lequel
une autorité cantonale de recours renvoie une affaire, pour
nouvelle décision, à une autorité qui a statué en première
instance ou à une autre autorité est une décision incidente,
car il s'agit d'une simple étape avant la décision finale
qui
doit mettre un terme à la procédure (ATF 122 I 39 consid.
1a/aa et les arrêts cités). En matière d'arbitrage intercan-
tonal, on ne peut être aussi absolu, dès lors qu'en raison
du
caractère cassatoire de la procédure, l'autorité judiciaire
cantonale qui admet le recours en nullité ne peut qu'annuler
la sentence arbitrale, la cause étant alors renvoyée aux ar-
bitres pour qu'ils statuent à nouveau (art. 40 al. 4 CIA;
cf.
supra let. a). Pour déterminer si une telle décision a un ca-
ractère incident, il faut examiner si elle laisse encore une
certaine latitude de jugement à l'arbitre. Le Tribunal fédé-
ral a ainsi considéré que la décision par laquelle
l'autorité
judiciaire cantonale annule une sentence arbitrale pour des
motifs de procédure et renvoie la cause à l'arbitre pour
qu'il statue à nouveau est de nature incidente (cf. arrêt du
Tribunal fédéral du 18 mai 1990 dans la cause R. contre R.
publié partiellement in Rep. 1991 p. 384, consid. 1a; ATF
106
Ia 229 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral du 26 novembre
1980 dans la cause E. S.A. contre S., publié partiellement
in
SJ 1982 p. 613, consid. 4b; cf. Daniel Wehrli,
Rechtsprechung
zum Schweizerischen Konkordat über die Schiedsgerichtsbar-
keit, Zurich 1985, p. 48). Il importe peu que cette décision

concerne une sentence arbitrale tranchant des questions de
fond (cf. ATF 105 Ib 431 consid. 3 p. 434).

En l'espèce, la cour cantonale a annulé la sentence
arbitrale du 24 janvier 2000 qui liquidait la société simple
formée par les parties et fixait la part revenant à chacun
des trois associés pour des motifs de procédure. En effet,
les juges cantonaux ont considéré que, sur plusieurs points,
la sentence arbitrale était insuffisamment motivée, que l'ar-
bitre ne pouvait se fonder sur un décompte provisoire pour
répartir les parts des associés et, enfin, qu'il aurait dû
entendre les parties concernées au sujet de ce décompte. Ce
sont donc des considérations relevant de l'administration
des
preuves et du droit d'être entendu (qui englobe le droit à
une décision motivée; cf. ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102)
qui
ont dicté la décision attaquée. En revanche, la cour cantona-
le ne s'est pas prononcée sur le contenu du dispositif de la
sentence arbitrale, à savoir sur la répartition des parts en-
tre les trois associés. L'arrêt entrepris, qui a pour effet
de renvoyer la cause à l'arbitre pour qu'il statue à
nouveau,
n'a donc, selon la jurisprudence précitée, qu'un caractère
incident. Il en découle que la voie de recours de droit pu-
blic n'est ouverte que si les recourants ont subi un dommage
irréparable.

d) Il ressort de la jurisprudence relative à l'an-
cien art. 87 OJ, dont il n'y a pas lieu de se départir sous
l'empire du nouveau droit (cf. ATF 126 I 207 consid. 2),
qu'il faut, pour qu'un préjudice puisse être qualifié d'ir-
réparable, qu'il cause un inconvénient de nature juridique.
Tel est le cas lorsqu'une décision finale même favorable au
recourant ne le ferait pas disparaître entièrement (ATF 126
I
207 consid. 2). En revanche, un dommage de pur fait, comme
la
prolongation de la procédure ou un accroissement des frais
de
celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable (ATF 126 I
97
consid. 1b p. 100; 123 I 325 consid. 3c p. 328 s.; 122 I 39

consid. 1a/bb p. 42). Dans les affaires susmentionnées où le
Tribunal fédéral s'est penché sur la recevabilité de recours
de droit public interjetés à l'encontre de décisions cantona-
les annulant une sentence arbitrale pour des motifs de procé-
dure (cf. supra let. c), aucun préjudice irréparable n'a été
retenu. Il a été souligné que, dans ces cas de figure, il
n'était pas exclu que le tribunal arbitral rende une
nouvelle
sentence aboutissant à un résultat aussi favorable aux recou-
rants (arrêt du Tribunal fédéral, op. cit., in Rep. 1991 p.
384, consid. 1c; ATF 106 Ia 299 consid. 3c p. 234). Le Tribu-
nal fédéral a ajouté que la nouvelle sentence arbitrale pou-
vait à son tour faire l'objet d'un recours en nullité et que
la voie du recours de droit public était alors ouverte
contre
l'arrêt cantonal, ce qui permettait de revoir la décision
rendue précédemment (cf. art. 87 al. 3 OJ; ATF 106 Ia 229
consid. 3c p. 234). Finalement, la décision d'annulation can-
tonale n'avait d'autre effet que de prolonger la procédure,
voire de la rendre plus chère, ce qui ne constituait qu'un
dommage de fait (arrêt du Tribunal fédéral du 26 novembre
1980, op. cit., in SJ 1982 p. 613, consid. 4b non publié;
ATF
105 Ib 431 consid. 3 p. 434). Ces motifs valent également
dans le cas d'espèce. L'arrêt entrepris n'empêche aucunement
le prononcé d'une nouvelle sentence arbitrale confirmant la
répartition des parts entre les associés, telle que fixée
par
l'arbitre dans la sentence du 24 janvier 2000. Contre cette
nouvelle décision, les recourants auront encore la possibili-
té de recourir en nullité sur le plan cantonal, puis de dépo-
ser un recours de droit public au Tribunal fédéral. L'arrêt
attaqué ne leur cause donc aucun inconvénient de nature juri-
dique, de sorte que le présent recours de droit public doit
être déclaré irrecevable.

Certes, dans les arrêts précités, rendus sous l'em-
pire de l'ancien art. 87 OJ, l'irrecevabilité du recours de
droit public portait seulement sur les griefs issus de
l'art.
4 aCst., y compris ceux découlant du CIA n'ayant pas une por-

tée plus étendue (cf. ATF 117 Ia 88 consid. 3b). La modifica-
tion de l'art. 87 OJ du 8 octobre 1999 a pour effet
d'étendre
désormais l'irrecevabilité à tout le recours, indépendamment
des griefs soulevés.

2.- Les recourants, qui succombent, seront condam-
nés, solidairement entre eux, aux frais et dépens (art. 156
al. 1 et 7; 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours irrecevable;

2. Met un émolument judiciaire de 5'000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux;

3. Dit que les recourants, débiteurs solidaires,
verseront une indemnité de 7'000 fr. à l'intimé à titre de
dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de
justice genevoise.

__________

Lausanne, le 10 mai 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.35/2001
Date de la décision : 10/05/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-10;4p.35.2001 ?
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