La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2001 | SUISSE | N°6P.180/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 mai 2001, 6P.180/2000


«/2»

6P.180/2000/mnv
6S.813/2000

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

9 mai 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges. Greffière: Mme Revey.

Statuant sur le recours de droit public
et le pourvoi en nullité
formés par

A.________, représenté par Me Dominique Lévy, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 octobre 2000 par la Cha

mbre pénale de
la Cour de justice genevoise, dans la cause qui oppose le
recourant au Procureur général du canton de G e n è...

«/2»

6P.180/2000/mnv
6S.813/2000

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

9 mai 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges. Greffière: Mme Revey.

Statuant sur le recours de droit public
et le pourvoi en nullité
formés par

A.________, représenté par Me Dominique Lévy, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 octobre 2000 par la Chambre pénale de
la Cour de justice genevoise, dans la cause qui oppose le
recourant au Procureur général du canton de G e n è v e;

(art. 6 par. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst.; art. 70 ss CP et
165 aCP: appréciation arbitraire des preuves, principe
in dubio pro reo; prescription, banqueroute simple)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par ordonnance du 18 octobre 1999, le Pro-
cureur général du canton de Genève a condamné A.________,
né en 1957, titulaire d'un diplôme d'expert-fiscal, ad-
ministrateur et actionnaire principal de la fiduciaire
B.________ SA, à 30 jours d'emprisonnement avec sursis
pendant deux ans pour banqueroute simple (art. 165 et
172 aCP).

Statuant le 28 avril 2000 sur opposition de
A.________, le Tribunal de police genevois a confirmé
l'infraction, mais a réduit la peine à 10 jours d'empri-
sonnement avec sursis pendant deux ans.

B.- Par arrêt du 23 octobre 2000, la Chambre pé-
nale de la Cour de justice genevoise (ci-après: la Cham-
bre pénale) a rejeté le recours formé par A.________ con-
tre ce prononcé, en retenant en substance ce qui suit:

B.________ SA était, de 1991 à fin 1994, l'orga-
ne de révision de C.________ SA. Constituée le 5 juin
1987, celle-ci avait pour but de fournir des conseils et
des consultations dans le domaine de l'informatique.

Les comptes de C.________ SA, arrêtés au 31 mai
1993, montraient un déficit de 293'468.74 fr. A l'assem-
blée générale du 30 novembre 1993, A.________ a présenté
son rapport de révision, établi le 31 août 1993. Ce docu-
ment indiquait que le bilan intermédiaire dressé aux va-
leurs de liquidation révélait également un surendette-
ment, de sorte que le juge devrait être avisé conformé-
ment à l'art. 725 al. 2 CO. Il précisait que "cependant,

à titre d'information, le conseil d'administration vous
proposera dans les plus brefs délais un plan d'assainis-
sement qui devrait permettre de diminuer drastiquement
l'endettement de votre société, raison pour laquelle ce
même conseil d'administration renonce provisoirement à
informer le juge de la situation financière actuelle."

Ce plan d'assainissement était exposé dans un
document intitulé "rapport de gestion pour l'année 1992-
93", non daté. Celui-ci indiquait que "devant toutes les
difficultés financières énoncées ci-dessus (...) et le
bilan montrant d'une manière éclatante que C.________ SA
est en faillite", les mesures suivantes avaient notamment
été prises:

- le dépôt de 100'000 fr. par D.________ (adminis-
trateur de C.________ SA de 1989 à 1993).

- En été 1993, C.________ SA et la nouvelle société
E.________ SA, inscrite au registre du commerce le
18 juin 1993, représentée par son administrateur
unique A.________ (fonction ayant pris fin le 15
novembre 1994), ont conclu une convention. Selon
celle-ci, applicable dès le 1er juin 1993,
E.________ SA reprend les actifs de C.________ SA
estimés à 623'403.75 fr. ainsi que ses dettes ar-
rêtées à 475'409.55 fr., moyennant une soulte de
150'000 fr. Ne sont pas concernées les dettes en-
vers la prévoyance professionnelle, l'assurance-
vieillesse et survivants et l'impôt à la source,
soit au total 380'197.10 fr. Enfin, E.________ SA
reprend le personnel et les contrats de mainte-
nance contre des mensualités de 12'000 fr., dont
50'000 fr. d'avance, cet accord étant tacitement
renouvelable de mois en mois sauf résiliation par
l'une des parties.

Ce plan d'assainissement a été accepté par l'as-
semblée générale.

Le 20 décembre 1994, D.________ a informé l'as-
semblée générale que la survie de la société était désor-

mais impossible, E.________ SA ayant cessé de verser les
mensualités.

Le 8 mai 1995, C.________ SA, devenue F.________
SA, a été déclarée en faillite. L'Office des faillites
a inventorié un actif de 164.30 fr. et un passif de
920'273.41 fr.

En conclusion, la Chambre pénale a retenu que
A.________ avait fait preuve de négligence dans l'exer-
cice de ses fonctions, constitutive d'une infraction à
l'art. 165 aCP, en renonçant à exiger du conseil d'admi-
nistration qu'il prenne les mesures commandées par l'art.
725 CO en cas de surendettement et en adhérant à un plan
d'assainissement, lequel ne permettait pas de remédier à
l'état de surendettement et avait lésé certains créan-
ciers.

C.- Agissant par la voie du recours de droit
public et par celle du pourvoi en nullité, A.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 23 oc-
tobre 2000 de la Chambre pénale. Dans son recours de
droit public, il invoque le principe in dubio pro reo
(art. 6 par. 2 CEDH) et, dans son pourvoi en nullité,
il se plaint de violation des art. 70 ss CP et 165 aCP.

D.- Il n'a pas été requis d'observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

I. Recours de droit public (6P.180/2000)

1.- Le recours de droit public au Tribunal fédé-
ral est recevable contre une décision cantonale pour vio-
lation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84
al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se
plaindre d'une violation du droit fédéral, qui peut don-
ner lieu à un pourvoi en nullité (art. 269 al. 1 PPF); un
tel grief ne peut donc pas être invoqué dans le cadre
d'un recours de droit public, qui est subsidiaire (art.
84 al. 2 OJ; art. 269 al. 2 PPF).

2.- Aux termes de l'art. 165 ch. 1 aCP, se rend
coupable de banqueroute simple le débiteur qui, notamment
par une légèreté coupable ou par une grave négligence
dans l'exercice de sa profession, aura causé sa propre
insolvabilité ou aura aggravé sa situation alors qu'il
se savait insolvable, s'il a été déclaré en faillite ou
si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui.
D'après l'art. 172 al. 1 aCP, la banqueroute simple com-
mise dans la gestion d'une personne morale, notamment,
peut être imputée au directeur, à un membre de l'admi-
nistration ou d'un organe de contrôle s'il a commis l'in-
fraction. Ce report de la qualité pour répondre des in-
fractions commises vaut également lorsque l'organe de la
personne morale en cause est lui-même une personne morale
(cf. ATF 116 IV 26 consid. 4b).

L'art. 165 aCP a pour but de protéger le droit du
créancier d'obtenir satisfaction sur le patrimoine du dé-
biteur. Le débiteur insolvable ou menacé d'insolvabilité
a l'obligation de s'abstenir des actes qui pourraient

porter préjudice à ses créanciers et de conserver pour
eux ce qui lui reste de son patrimoine (Bruno Kistler,
Perte de capital et surendettement, L'EC 1993, 3e partie
p. 424 ss, spéc. n° 1.1 p. 424; Muriel Epard, La banque-
route simple et la déconfiture, thèse Lausanne 1984,
n° 2.1.2.2 p. 62).

Par insolvabilité, il faut entendre l'absence du-
rable des moyens de paiement nécessaires pour acquitter
les dettes en temps utile, que celles-ci soient déjà exi-
gibles ou qu'elles le deviennent dans un proche avenir
(Martin Schubarth/Peter Albrecht, Kommentar zum schwei-
zerischen Strafrecht, vol. 2, Berne 1990, n° 5 ad art.
165 aCP; voir aussi ATF 104 IV 77 consid. 3d ad art. 167
aCP). Cette notion ne doit pas être confondue avec celle
de surendettement, qui intervient lorsque l'actif ne cou-
vre plus les engagements (cf. art. 725 al. 2 CO), étant
entendu qu'un débiteur peut être à la fois insolvable et
surendetté (Epard, loc. cit.; voir également Alexander
Dubach, Handlungsalternativen des Verwaltungsrates bei
Überschuldung der AG, L'EC 1997 p. 53 ss, spéc. n° 2
p. 54). Quant à l'aggravation de la situation, elle est
réalisée lorsque, en cas d'insolvabilité, le rapport
entre l'actif et le passif est modifié au détriment de
l'actif (Schubarth/Albrecht, op. cit., n° 6 ad art. 165
aCP).

Encore faut-il, pour que l'infraction de banque-
route simple soit commise, que l'auteur ait adopté l'un
des comportements décrits au début de la disposition et
qu'il existe un lien de causalité entre ce comportement
et l'insolvabilité ou l'aggravation de celle-ci (ATF 104
IV 160 consid. 2; 102 IV 21 consid. 1; ATF du 26 mai 1983
publié in SJ 1984 169 ss, consid. 4; Schubarth/Albrecht,
op. cit., n° 7 ad art. 165 aCP; voir aussi, s'agissant du

nouveau droit, Niklaus Schmid, La responsabilité pénale
du réviseur, Zurich 1997, n° 153 p. 121).

S'agissant plus précisément du réviseur, il n'est
punissable que si la violation de ses devoirs permet aux
personnes chargées de la gestion, notamment au conseil
d'administration, d'agir à l'avenir de manière incorrecte
ou de poursuivre leur comportement fautif (Schmid, op.
cit., n° 141 p. 118).

L'intention de provoquer l'insolvabilité ou de
l'aggraver n'est pas nécessaire. Sont punissables ceux
qui connaissaient le risque d'insolvabilité (ou d'aggra-
vation de la situation) et ont consciemment pris ce ris-
que, et ceux qui en ont nié l'existence de façon irres-
ponsable: il y a légèreté coupable lorsque, par un com-
portement fautif, l'auteur fait preuve d'un manque du
sens des responsabilités. Il ne s'agit pas de la diffé-
rence entre l'intention et la négligence, mais d'une
qualification particulière des actes de l'auteur. L'au-
teur doit savoir que l'acte, ou son omission, est propre
à causer l'insolvabilité ou à l'aggraver (ATF 115 IV 38
consid. 2; ATF du 26 mai 1983 publié in SJ 1984 169 ss,
consid. 2; voir aussi Hans Wiprächtiger, Das revidierte
Vermögenstrafrecht und die Änderungen im Bereich der
Konkurs- und Betreibungsdelikte, Diritto penale economi-
co, Lugano 1999, p. 67 ss, spéc. p. 83 s.; Kistler, op.
cit. 3e partie, n° 1.4 p. 427 s.; Günter Stratenwerth,
Bes. Teil I, 4e éd., Berne 1993, n° 4 p. 403; Schubarth/
Albrecht, op. cit., n° 16 ad art. 165 aCP).

3.- a) Le recourant ne conteste pas que le rap-
port établi le 31 août 1993 révélait que C.________ SA se
trouvait en situation d'insolvabilité au sens de l'art.
165 aCP et de surendettement au sens de l'art. 725 al. 2

CO. Il ne nie pas davantage avoir renoncé à exiger du
conseil d'administration qu'il avise le juge.

Il soutient toutefois, en substance, que l'accu-
sation n'a ni allégué ni démontré en quoi le comportement
qui lui est reproché aurait empiré cette insolvabilité.
L'autorité intimée n'a du reste pas constaté une telle
dégradation découlant de l'omission d'aviser le juge,
mais une non-amélioration, laquelle n'autorise pas l'ap-
plication de l'art. 165 aCP. Une détérioration n'a été
retenue que pour 1994 et 1995, à savoir après l'achève-
ment de son mandat de réviseur - en 1993 -, de sorte
qu'elle est sans rapport de causalité avec la non-con-
testation du plan d'assainissement.

Puis, le recourant affirme à titre subsidiaire,
soit dans l'hypothèse où le Tribunal fédéral considére-
rait que la Chambre pénale a retenu une aggravation ré-
sultant de son omission, qu'une telle constatation des
faits est arbitraire. A l'appui, il souligne que le bilan
comparatif avant et après l'assainissement, figurant au
dossier, démontre une non-aggravation. Il se réfère éga-
lement aux déclarations des témoins attestant que le plan
favorisait effectivement l'assainissement.

Le recourant invoque le principe in dubio pro
reo.

b) La maxime "in dubio pro reo", tirée du prin-
cipe de la présomption d'innocence consacré par les art.
6 par. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst., concerne d'une part la
répartition du fardeau de la preuve et d'autre part la
constatation des faits et l'appréciation des preuves (ATF
120 Ia 31 consid. 2c/d et les références citées; voir
également ATF 124 IV 86 consid. 2a).

Le recourant n'allègue pas, en tout cas pas d'une
manière conforme à l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125
I 71 consid. 1c, 492 consid. 1b et les arrêts cités), que
la Chambre pénale l'aurait condamné en considérant, im-
plicitement ou expressément, qu'il n'appartenait pas à
l'accusation de démontrer sa culpabilité. Il invoque ain-
si la maxime "in dubio pro reo" exclusivement selon le
second sens, lequel se confond en recours de droit public
avec le principe de l'interdiction de l'appréciation ar-
bitraire des preuves (ATF 124 IV 86 consid. 2a; 120 Ia 31
consid. 2d).

c) L'autorité intimée a constaté, ce que le re-
courant ne conteste pas de manière conforme à l'art. 90
al. 1 let. b OJ, que son mandat s'est achevé à la fin
1994 et non en 1993 (cf. p. 6 de l'arrêt incriminé).

La Chambre pénale a en outre retenu que les comp-
tes de C.________ SA présentaient au 31 mai 1993 un défi-
cit au bilan de 293'468.74 fr., puis, lors de la déclara-
tion de faillite du 8 mai 1995, un actif de 164.30 fr. et
un passif de 920'273.41 fr. Par ailleurs, l'autorité in-
timée a exposé que D.________ avait informé l'assemblée
générale le 20 décembre 1994 que la survie de la société
était désormais impossible, en raison de l'arrêt des men-
sualités. La Chambre pénale a donc constaté, ce que le
recourant ne nie pas, qu'une aggravation notable de l'in-
solvabilité de la société était déjà survenue à cette da-
te.

d) Il reste à examiner si la Chambre pénale a re-
tenu de manière arbitraire un lien de causalité entre le
comportement du recourant et l'aggravation de l'insolva-
bilité de la société.

aa) L'existence
d'un rapport de causalité natu-
relle (sur cette notion cf. ATF 125 IV 195 consid. 2b;
122 IV 17 consid. 2c/aa) est une question de fait (ATF
122 IV 17 consid. 2c/aa) qui peut être revue dans un re-
cours de droit public sous l'angle de l'arbitraire, tan-
dis que celle du rapport de causalité adéquate (sur cette
notion cf. ATF 122 IV 17 consid. 2c/bb, 115 IV 38 consid.
2) est une question de droit que la Cour de cassation re-
voit librement dans le cadre du pourvoi en nullité (ATF
122 IV 17 consid. 2c/bb).

En cas d'infraction par omission, le juge doit
admettre une relation de causalité naturelle si, en con-
sidérant un enchaînement hypothétique des circonstances,
l'accomplissement de l'acte eût empêché la survenance du
résultat avec une vraisemblance confinant à la certitude
ou, au moins, avec une haute vraisemblance. En revanche,
la simple possibilité que l'acte eût empêché le résultat
n'est pas pertinente (ATF 116 IV 306 consid. 2a). L'omis-
sion d'un acte est en relation adéquate lorsque, selon le
cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la
vie, son accomplissement était de nature à empêcher la
survenance du résultat. Ainsi, en cas d'omission, qu'il
s'agisse de causalité naturelle ou adéquate, le rapport
est nécessairement hypothétique et le juge se fonde sur
l'expérience générale de la vie pour le constater. En
conséquence, en règle générale, si la causalité naturelle
est démontrée, il ne se justifie pas de vérifier encore
la causalité adéquate; il peut toutefois en aller autre-
ment s'il y a lieu d'admettre, en raison de faits dûment
établis, que le scénario hypothétique ne se serait pas
déroulé comme l'enseigne l'expérience générale de la vie
(ATF 115 II 440 consid. 5a).

bb) Selon la Chambre pénale, la première mesure
du plan avalisé par le recourant, soit un versement de

100'000 fr., était une opération neutre ne modifiant
pas l'état de surendettement. La deuxième mesure avait
transféré l'intégralité des actifs de C.________ SA à
E.________ SA, moyennant une soulte de 150'000 fr. et des
mensualités de 12'000 fr. susceptibles de cesser de mois
en mois, tout en laissant à C.________ SA une partie des
passifs, notamment des dettes relevant des assurances so-
ciales et des impôts. Pour les créanciers des dettes res-
tées à C.________ SA, la convention avait dès lors aggra-
vé la situation financière de la société. Enfin, l'arrêt
des mensualités avait tari son unique source de revenu,
si bien qu'elle ne pouvait survivre, comme l'attestait le
bilan établi lors de la faillite.

Il ressort dès lors ce qui suit des faits retenus
par l'autorité intimée.

La société était insolvable au 31 mai 1993 et sa
situation s'est ensuite aggravée, avant et après le 20
décembre 1994. La dégradation résulte notamment du plan
d'assainissement accepté le 30 novembre 1993, dès lors
que celui-ci permettait à tout moment l'arrêt de la seule
source de revenu, que ladite cessation était donc prévi-
sible et qu'elle est effectivement survenue avant le 20
décembre 1994. Or, si le recourant avait agi en sorte que
le juge soit informé de la situation, il est hautement
vraisemblable que le plan n'aurait pas pu être mis en
oeuvre, partant que l'insolvabilité de la société ne se
serait pas aggravée.

En conclusion, il n'est pas arbitraire de retenir
que l'omission du recourant de veiller à ce que le juge
soit averti se trouve en lien de causalité naturelle avec
l'aggravation de l'insolvabilité de la société.

e) Mal fondé, le recours de droit public doit
donc être rejeté.

II. Pourvoi en nullité (6S.813/2000)

4.- Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal
fédéral est lié par les constatations de fait contenues
dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'ap-
préciation des preuves et les constatations de fait qui
en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en
nullité, sous réserve de la rectification d'une inadver-
tance manifeste. Le recourant ne peut pas présenter de
griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou
de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).
Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il
ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit,
le raisonnement juridique doit être mené exclusivement
sur la base de l'état de fait retenu par l'autorité can-
tonale (ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 81 consid. 2a, 92
consid. 1 et les arrêts cités).

Le pourvoi en nullité, qui a un caractère cassa-
toire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé que
pour violation du droit fédéral et non pour violation di-
recte d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).

La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions du recourant (art. 277bis PPF), lesquelles doi-
vent être interprétées à la lumière de leur motivation
(ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 53 consid. 1; 123 IV 125
consid. 1).

5.- Le recourant se plaint d'une violation de
l'art. 165 aCP en soutenant derechef que la Chambre péna-
le n'a pas constaté d'aggravation découlant de l'omission
d'avertir le juge du surendettement.

Ce grief est irrecevable dans la mesure où il se
fonde sur un droit constitutionnel ou qu'il s'écarte de
l'état de fait retenu par l'autorité cantonale.

Au demeurant, il a été constaté dans le recours
de droit public que l'insolvabilité de la société avait
empiré du 31 mai 1993 au 20 décembre 1994, notamment, et
que le comportement du recourant constituait l'une des
causes naturelles de cette dégradation.

Il reste à examiner de plus près les questions
de droit soulevées, au moins implicitement, par le recou-
rant, à savoir si le comportement incriminé constitue une
grave négligence dans l'exercice de la profession de ré-
viseur et s'il se situe dans un rapport de causalité adé-
quate avec l'aggravation de l'insolvabilité.

a) Selon l'art. 725 al. 2 CO, s'il résulte du
bilan intermédiaire soumis à la vérification de l'organe
de révision que la société est surendettée, le conseil
d'administration en avise le juge, à moins qu'une conven-
tion de postposition soit conclue dans la mesure de l'in-
suffisance de l'actif. D'après l'art. 729b al. 2 CO, en
cas de surendettement manifeste, l'organe de révision
avise le juge si le conseil d'administration omet de le
faire.

Ces dispositions ont pour but d'éviter que l'ou-
verture de la faillite soit retardée et de protéger les
créanciers actuels ou futurs d'une augmentation de leurs
pertes, notamment en empêchant que la société contracte

de nouvelles dettes ou favorise illicitement certains
d'entre eux (Dubach, op. cit., n° 4.2 p. 55; Graziano
Pedroja/Rolf Watter, Commentaire bâlois, 1994, n° 6 ad
art. 729b CO; Message du Conseil fédéral concernant la
révision du droit des sociétés anonymes du 23 février
1983, FF 1983 II 757 ss, spéc. p. 960). Elles sauvegar-
dent également les intérêts collectifs, en s'opposant à
ce que des personnes morales surendettées restent dans le
circuit économique (Alexander Brunner, Handlungsalterna-
tiven der Revisionsstelle bei Überschuldung, L'EC 1994
p. 927 ss, spéc. n° B.III p. 930; Kistler, op. cit. 1ère
partie, p. 103 ss, spéc. n° 2.1 p. 104).

Des perspectives d'assainissement concrètes, réa-
lisables à court terme, peuvent toutefois justifier selon
les circonstances de renoncer à aviser immédiatement le
juge, à l'exclusion d'expectatives exagérées ou de vagues
espoirs (ATF 116 II 533 consid. 5a; Dubach, op. cit.,
n° 6.10 p. 58; Kistler, op. cit. 1ère partie, n° 2.4.1
p. 106; critique: Rico A. Camponovo, Aufgaben und Stel-
lung der Revisionsstelle im Umfeld von Art. 725 OR, L'EC
1997 p. 765 ss, spéc. n° 5.2 p. 768, Eric Homburger, Com-
mentaire zurichois V/5b, 1997, nos 1256 ss ad art. 725
CO).

En cas de controverse entre le conseil d'admi-
nistration et l'organe de révision sur la présence d'un
surendettement, l'organe de révision n'est pas habilité
à aviser le juge tant que cette divergence se situe dans
les limites d'une marge normale d'appréciation (Manuel
suisse d'audit 1998, n° 3.14237 p. 56 s.; Message,
p. 868). Il ne peut et ne doit informer lui-même le ju-
ge que si le surendettement est manifeste et si le con-
seil d'administration reste inactif (art. 729b al. 2 CO;
Kistler, op. cit. 2e partie, p. 209 ss, spéc. nos 2.5 et
3 p. 215; sur l'octroi au conseil d'administration d'un

délai approprié à cet effet: Manuel, n° 3.14237 p. 56,
Camponovo, Die Benachrichtigung des Konkursrichters durch
die aktienrechtliche Revisionsstelle, RSDA 1996 p. 211
ss, spéc. n° IV.3 p. 216 s.).

Un surendettement est manifeste au sens de l'art.
729b al. 2 CO lorsqu'il n'est plus douteux que l'actif ne
peut couvrir les engagements et qu'aucune postposition
suffisante n'est accordée; il en va de même lorsque le
surendettement apparaît de manière évidente à toute per-
sonne capable de discernement, ou encore lorsque son déni
déborderait les limites d'une marge normale d'apprécia-
tion (Camponovo, Wann ist die Überschuldung offensicht-
lich?, L'EC 2000 p. 67 ss, spéc. n° 4.1 p. 69 s.; Peter
Böckli, Schweizer Aktienrecht, 2e éd., Zurich 1996,
n° 1714a p. 915). Enfin, selon la définition du Conseil
fédéral, le surendettement est manifeste lorsqu'il est
indéniable en dépit d'une appréciation optimiste de la
situation (Message, p. 868). Peu importe à cet égard que
le surendettement soit important, si son évidence ressort
d'autres circonstances (Pedroja/Watter, op. cit., n° 5 ad
art. 729b CO).

Encore doit-on préciser que l'on ne saurait exi-
ger des réviseurs qu'ils procèdent à des investigations
en cours d'exercice (ATF 116 IV 26), même si la société
s'achemine vers une situation d'insolvabilité (Schmid,
op. cit., n° 141 p. 118). Si le bilan montre un surendet-
tement, sans que celui-ci soit manifeste, l'organe de ré-
vision n'est pas tenu d'exercer un contrôle continu sur
la comptabilité afin de ne pas manquer le jour où le sur-
endettement devient manifeste (Camponovo, op. cit. 1996,
n° III.3 p. 215). On ne saurait donc lui reprocher de ne
pas être intervenu en cours d'exercice, lorsqu'il ne pou-
vait connaître le surendettement manifeste (cf. Kistler,
op. cit. 2e partie, n° 3b p. 215).

b) aa) En l'occurrence, il est fort douteux que
le recourant ait violé ses devoirs résultant de l'art.
725 al. 2 CO, puisqu'il a vérifié le bilan intermédiaire
et attiré l'attention du conseil d'administration - et de
l'assemblée générale - sur le surendettement ainsi que
sur l'obligation d'aviser le juge. La question peut tou-
tefois rester indécise, dès lors que le recourant n'a de
toute façon pas respecté l'art. 729b al. 2 CO.

D'une part, le recourant savait, le 31 août
1993, que la société souffrait d'un surendettement ma-
nifeste depuis le 31 mai 1993. En effet, le bilan révé-
lait que la société présentait un déficit important de
293'468.74 fr., le "rapport de gestion pour l'année
1992-93" qualifiait d'"éclatante" la situation de fail-
lite, et aucune convention de postposition de créance
n'avait été conclue. D'autre part, le recourant ne pou-
vait ignorer que les mesures acceptées par l'assemblée
générale le 30 novembre 1993 ne garantissaient pas un
assainissement suffisamment efficace et rapide, dès
lors que les revenus se limitaient à des mensualités de
12'000 fr., susceptibles de cesser à tout moment. Enfin,
le recourant ne pouvait ignorer que ces mensualités
avaient cessé, puisqu'il était l'administrateur unique
de la société débitrice. En résumé, le recourant ne pou-
vait ignorer, en tout cas jusqu'à l'achèvement de son
mandat à la fin 1994, que le surendettement manifeste
révélé le 31 août 1993 subsistait.

En tant que réviseur, il devait donc veiller à ce
que le juge soit avisé, conformément à l'art. 729b al. 2
CO. Par ailleurs, ce devoir n'a pas pris fin avec l'adop-
tion du plan d'assainissement par l'assemblée générale,
mais a perduré tant que le recourant savait que le suren-
dettement restait manifeste et que le juge en demeurait

ignorant, à savoir en tout cas jusqu'à l'achèvement de
son mandat à la fin 1994.

Enfin, une telle violation de l'art. 729b al. 2
CO constitue une négligence grave dans l'exercice de la
profession au sens de l'art. 165 aCP. Certes, on ne sau-
rait affirmer que toute violation d'une disposition impé-
rative du code des obligations constitue une telle négli-
gence (cf., s'agissant de l'art. 725 CO, Kistler, op.
cit. 3e partie, nos 1.4 p. 427 s. et 4b p. 432, et Epard,
op. cit., n° 2.4.1.4 p. 98). En l'espèce toutefois, le
recourant a renoncé à avertir le juge en niant de façon
irresponsable le risque d'aggravation de la situation,
voire en prenant consciemment ce risque sans tenir compte
des conséquences pour les créanciers.

bb) Par ailleurs, il est dans le cours ordinaire
des choses qu'un tel comportement conduise à une aggrava-
tion de l'insolvabilité d'une société, de sorte que le
lien de causalité adéquate est également réalisé (cf.,
s'agissant du défaut d'aviser le juge conformément à
l'art. 725 CO: arrêt de l'Obergericht thurgovien du 29
novembre 1988, Rechenschaftsbericht TG 1988 n° 38).

cc) En conclusion, le recourant s'est rendu cou-
pable d'infraction à l'art. 165 aCP.

6.- Le recourant soutient enfin que le délai de
prescription relative de l'action pénale était échu lors
de son inculpation le 14 janvier 1999, car le comporte-
ment reproché date du 31 août 1993 et son audition par la
police en août 1995 ne constitue pas un acte interruptif
de prescription.

a) La banqueroute simple étant un délit (art. 165
aCP et 9 al. 2 CP), la prescription relative de l'action

pénale intervient en cinq ans et la prescription absolue
en sept ans et demi (art. 70 et 72 ch. 2 al. 2 CP). La
prescription court du jour où le délinquant a exercé son
activité coupable et, si cette activité s'est exercée à
plusieurs reprises, du jour du dernier acte (art. 71 CP).
En cas de délit d'omission improprement dit, le début de
la prescription coïncide avec le moment où le garant au-
rait dû agir; si ce devoir est durable, la prescription
ne commence à courir qu'à partir du moment où les obli-
gations du garant prennent fin (ATF 122 IV 61 consid.
2a/aa).

D'après l'art. 72 al. 1 CP, la prescription est
interrompue par tout acte d'instruction d'une autorité
chargée de la poursuite ou par toute décision du juge di-
rigée contre l'auteur. A chaque interruption, un nouveau
délai de prescription commencera à courir. Selon la ju-
risprudence, constitue un acte d'instruction l'acte qui
fait avancer la procédure et déploie des effets externes
(ATF 126 IV 5 consid. 1b; 90 IV 62 consid. 1).

b) Contrairement à ce que soutient le recourant
avec la Chambre pénale, la prescription ne court pas dès
le 31 août 1993, date de l'établissement du bilan, mais
dès la fin 1994, période à laquelle l'obligation d'aviser
le juge en vertu de l'art. 729b al. 2 CO s'est éteinte au
plus tôt. L'échéance du délai de cinq ans est dès lors
survenue au plus tôt à la fin 1999. Le recourant ayant
toutefois été inculpé le 14 janvier 1999 du chef de ban-
queroute simple, ce qui constitue un acte interruptif au
sens de l'art. 72 al. 1 CP, la prescription - relative et
absolue - n'était pas acquise lorsque la Chambre pénale a
statué.

c) Le pourvoi en nullité est dès lors mal fondé
en tant que recevable.

III. Frais et dépens

7.- Vu ce qui précède, tant le recours de droit
public que le pourvoi en nullité doivent être rejetés, le
second en tant que recevable. Succombant, le recourant
doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ
et 278 al. 1 PPF). Le pourvoi en nullité ayant toutefois
été confirmé par substitution de motifs, il se justifie
de réduire l'émolument mis de ce chef à la charge du re-
courant; en revanche, vu les circonstances de l'espèce,
il ne sied pas de lui allouer des dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours de droit public.

2. Rejette le pourvoi en nullité en tant que re-
cevable.

3. Met un émolument judiciaire de 3000 fr. à la
charge du recourant.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Procureur général du canton de Ge-
nève et à la Chambre pénale de la Cour de justice gene-
voise.

Lausanne, le 9 mai 2001

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6P.180/2000
Date de la décision : 09/05/2001
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 165 aCP et art. 729b al. 2 CO: banqueroute simple, devoir de l'organe de révision d'aviser le juge. Etendue du devoir de l'organe de révision d'aviser le juge en cas de surendettement manifeste de la société; notion de surendettement manifeste (consid. 5a).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-09;6p.180.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award