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08/05/2001 | SUISSE | N°4C.357/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 mai 2001, 4C.357/2000


«/2»

4C.357/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Zappelli, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Olivier Brunisholz, avocat à Genève,

et

Y.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Serge Fasel, avocat à Genève;

(art. 97 CO; res

ponsabilité de la banque qui verse à un
tiers
non autorisé les fonds que son client lui a confiés)

Vu les pièces du dossier d'o...

«/2»

4C.357/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 mai 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Zappelli, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Olivier Brunisholz, avocat à Genève,

et

Y.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Serge Fasel, avocat à Genève;

(art. 97 CO; responsabilité de la banque qui verse à un
tiers
non autorisé les fonds que son client lui a confiés)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) C.________, citoyen français, est actif
depuis 1965 dans le domaine de la construction et de la pro-
motion immobilière. En juin 1985, il pria la fiduciaire
R.________ (ci-après: la Fiduciaire), à Genève, d'entrepren-
dre les démarches nécessaires aux fins de créer une société
panaméenne. Cela fut fait sous le nom de X.________ S.A. (ci-
après: X.________), société au capital de 10'000 dollars amé-
ricains (USD), dont les titres ont été détenus auprès de la
Fiduciaire pour le compte de C.________, qui devenait ainsi
propriétaire et seul ayant droit économique de la société
panaméenne.

La Fiduciaire avait pour mandat d'administrer et de
gérer X.________. Le 5 juin 1985, elle fit ouvrir un compte
auprès de la Y.________ S.A. (ci-après: la Banque).
X.________ conféra à la Banque un pouvoir de gestion des
avoirs figurant sur ce compte, ainsi qu'un pouvoir spécial
autorisant celle-ci à procéder à des placements fiduciaires.
Le même jour, X.________ signa en faveur de la Banque une dé-
charge relative aux ordres téléphoniques et télégraphiques
qui a la teneur suivante:

"Le(s) soussigné(s), titulaire(s) et/ou mandatai-
re(s) du compte X.________ SA auprès de Y.________
SA à Genève, désirant transmettre ses (leurs)
instructions à ladite Banque par téléphone, télex
ou télégramme sans chiffre de repère ni confirma-
tion écrite, décharge(nt) expressément par la pré-
sente ladite Banque et tout son personnel de toute
responsabilité pour avoir exécuté lesdites instruc-
tions.
Toute exécution d'ordre téléphonique, par télex ou
télégramme, reçu par ladite Banque et donné par

le(s) titulaire(s), mandataire(s) ou encore par un
tiers, sera considérée comme valable et acceptée.".

Toujours à la date du 5 juin 1985, X.________ donna
à la Banque des "instructions relatives à la correspondance
banque restante", lesquelles spécifient que toute la corres-
pondance, extraits de compte, formules de bien-trouvés, noti-
fications et actes de toutes sortes destinés à X.________ de-
vaient être retenus à la Banque, c'est-à-dire lui être adres-
sés "banque restante"; ces divers documents étaient alors
considérés comme ayant été valablement communiqués, à la dé-
charge de la Banque (art. 64 al. 2 OJ).

Au nom de X.________, C.________ signa le 21 juin
1985 en faveur de la Banque une décharge relative aux ordres
donnés au moyen d'un nom de code, laquelle a la teneur sui-
vante:

"Nom de code: **Z.________**.
Compte: X.________ SA
1. Ordres donnés par téléphone, télex ou télégramme.
Le(s) soussigné(s), titulaire(s) et/ou mandatai-
re(s) du compte susmentionné, auprès de Y.________
SA à Genève, désirant transmettre ses/leurs ins-
tructions à la Banque, par téléphone, télex ou té-
légramme, sans chiffre de repère, mais en utilisant
le nom de code désigné cidessus, décharge(nt) ex-
pressément la Banque et tout son personnel de toute
responsabilité pour avoir exécuté lesdites instruc-
tions, données par le(s) titulaire(s), son/ses man-
dataire(s), ou encore par un tiers. Toute exécution
d'ordre reçu par la Banque par téléphone, télex ou
télégramme accompagné du nom de code sera considé-
rée comme valable et acceptée.".

C.________ ne déposa pas un spécimen de sa signa-
ture manuscrite auprès de la Banque.

Par la suite, C.________ fut présenté aux divers
gestionnaires de la Banque qui ont eu à s'occuper du compte

ouvert au nom de X.________; il a ainsi été considéré comme
l'ayant droit économique de ce compte.

b) Le 23 septembre 1988, S.________, employé de la
Banque qui gérait le compte de X.________ en l'absence de la
gestionnaire habituelle, H.________, reçut un appel télépho-
nique d'un homme qui lui déclara être le propriétaire de
X.________ et lui donna pour instruction de payer, le 26 sep-
tembre suivant, les montants de 1'600'000 FF et de
250'000 USD à un certain D.________ qui devait se présenter
aux guichets de la Banque, muni de son passeport ou de sa
carte d'identité. S.________ dit avoir reconnu la voix de
C.________, qu'il avait rencontré un mois auparavant. Il a
cependant demandé à son interlocuteur de décliner son iden-
tité et de donner le nom de code. Celui-ci a indiqué qu'il
se
nommait C.________ et a prononcé le nom de code
"Z.________".

S.________ ayant indiqué à l'intéressé que l'ordre
de renouveler des placements fiduciaires avait été donné la
veille, celui-ci fit valoir qu'il avait un besoin urgent
d'argent pour une opération immobilière. S.________ lui ré-
pondit qu'il était possible de lui accorder une avance à ter-
me fixe, garantie par le placement fiduciaire. L'avance à
terme fixe fut accordée par le chef du service des crédits
et
les fonds furent mis à disposition du bénéficiaire désigné
qui se présenta aux guichets de la Banque le 26 septembre
1988. L'individu exhiba une carte d'identité française au
nom
de D.________, dont la Banque conserva une photocopie, et
prit possession des fonds. Il signa deux reçus, les signatu-
res ne différant pas de celle figurant sur la carte d'identi-
té.

c) Lors d'une visite à la Banque, le 27 janvier
1989, C.________ nia être l'auteur de l'appel téléphonique
du
23 septembre 1988; il contesta la validité des débits effec-
tués le 26 septembre 1988 et révoqua les décharges relatives

aux ordres téléphoniques et aux ordres donnés au moyen d'un
nom de code, tout en maintenant active la relation bancaire.
Il s'est avéré par la suite que D.________ n'existait pas et
que la carte d'identité remise à la Banque était un document
volé et falsifié.

B.- Le 18 novembre 1998, X.________ saisit le Tri-
bunal de première instance de Genève d'une action tendant au
paiement par la Banque de 1'601'283 fr.80, avec intérêts à
5%
dès le 26 septembre 1988.

La défenderesse conclut au rejet de l'action.

Par jugement du 27 janvier 2000, le Tribunal de
première instance de Genève rejeta l'action.

Par arrêt du 6 octobre 2000, la Cour de justice du
canton de Genève rejeta le recours interjeté par X.________
contre ce jugement, qu'elle confirma.

C.- X.________ exerce un recours en réforme contre
l'arrêt cantonal. Invoquant la violation des art. 8 CC et
100
al. 2, 481 al. 1, 120 et 398 al. 2 CO, elle conclut principa-
lement à la condamnation de la Banque à lui payer la somme
de
1'601'283 fr.80 plus intérêts à 5% dès le 26 septembre 1998
(sic). A titre subsidiaire, la recourante requiert que la
cause soit retournée à la Cour de justice pour nouvelle déci-
sion dans le sens des considérants.

L'intimée conclut au rejet du recours dans la mesu-
re où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour viola-
tion du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de
rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la vio-
lation du droit cantonal (ATF 126 III 161 consid. 2b, 189
consid. 2a, 370 consid. 5; 125 III 305 consid. 2e).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119
II 353 consid. 5c/aa). Dans la mesure où un recourant présen-
te un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la dé-
cision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une
des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'y a pas
lieu d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation
des
preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale ne peut
être remise en cause (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78
consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III
59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

2.- Après avoir rappelé que les relations contrac-
tuelles entre les parties étaient notamment régies par les
conditions générales de la Banque, la cour cantonale, se pla-
çant sur le terrain de la responsabilité contractuelle déri-
vant d'un contrat de mandat liant les plaideurs, a considéré
que la défenderesse ne pouvait se voir reprocher aucun man-
quement à ses devoirs de diligence (art. 398 CO) pour s'être
fiée à l'ordre téléphonique de remettre les sommes litigieu-
ses à D.________ et n'avoir pas procédé à d'autres vérifica-
tions avant de verser effectivement ces sommes à celui qui
s'est identifié, faussement, sous ce nom.

La recourante reproche à l'autorité cantonale
d'avoir omis d'examiner l'état de fait qu'elle a posé à la
lumière des art. 481 al. 1 et 100 al. 2 CO. Elle soutient
que
la défenderesse ne s'est pas libérée de son obligation de
restituer à l'ayant droit, c'est-à-dire à la demanderesse,
les fonds que cette société lui avait confiés, car l'établis-
sement bancaire ne peut s'abriter derrière ses conditions gé-
nérales la libérant de son devoir de payer une seconde fois
les montants versés à tort à un tiers, dès l'instant où de
graves fautes ont été commises dans la gestion des fonds de
la recourante.

3.- La cour cantonale n'a pas défini si les fonds
remis par la recourante à l'intimée ont fait l'objet d'un
prêt ou d'un dépôt, mais peu importe en l'espèce. Par l'ou-
verture du compte de la demanderesse, la défenderesse s'est
engagée à remettre tout ou partie de l'avoir disponible à la
créancière (cf. ATF 111 II 263 consid. 1a). Lorsqu'elle ré-
clame le remboursement des montants versés indûment à un
tiers, augmentés des intérêts non perçus, la demanderesse
exerce une action en exécution du contrat (ATF 112 II 450
consid. 3a; 111 II 263 ibidem).

La preuve de la bonne exécution d'une obligation
contractuelle incombe au débiteur. En règle générale, c'est
le débiteur - la défenderesse en l'occurrence - qui supporte
le risque d'une prestation exécutée en main d'une personne
non autorisée (ATF 112 II 450 consid. 3a; 111 II 263 consid.
1b; arrêt du 4 juillet 1995 in: SJ 1996 p. 225, consid. 4c).
Il arrive cependant que les parties adoptent conventionnelle-
ment une clause dite de transfert, qui a pour effet de faire
supporter au client le risque assumé en principe par la ban-
que (ATF 112 II 450 consid. 3a); ainsi, le contrat prévoira
que le dommage résultant d'un défaut de légitimation ou d'un
faux non décelé sera à la charge du client, sauf faute grave
de la banque (ATF 112 II 450 consid. 3 in initio p. 453).

En l'espèce, l'art. 3 des conditions générales de
la défenderesse, sous le titre "Examen des signatures, légi-
timation et capacité civile", constitue une clause de ce ty-
pe. Elle prévoit:

"La Banque compare les signatures qui lui sont don-
nées avec les spécimens déposés chez elle, mais au-
cune responsabilité ne lui incombe pour les consé-
quences de falsifications ou de défauts de légiti-
mation ou de capacité civile qu'elle n'a pas décou-
verts pour autant qu'aucune faute grave ne puisse
lui être imputée. La Banque n'est pas tenue de pro-
céder à un contrôle plus étendu" (art. 64 al. 2
OJ).

L'art. 100 al. 1 CO, qui régit les conventions ex-
clusives de responsabilité, s'applique par analogie à une
telle clause (cf. ATF 112 II 450 consid. 3a). Celle-ci sera
ainsi dénuée de portée si la banque se voit imputer un dol
ou
une faute grave (art. 100 al. 1 CO). En cas de faute légère
de la banque, le juge pourra tenir pour nulle une clause met-
tant d'emblée à la charge du client le risque d'une
exécution
en main d'une personne non autorisée à recevoir la
prestation
(art. 100 al. 2 CO; ATF 112 II 450 consid. 3a p. 455).

4.- Que la querelle soit analysée sous l'angle de
la responsabilité contractuelle, comme l'ont fait les instan-
ces cantonales, ou sous celui de l'exécution du contrat de
dépôt ou de prêt, comme le suggère maintenant la recourante,
il convient d'examiner les moyens de la demanderesse en ce
qui concerne les agissements prétendument fautifs de l'inti-
mée, pour autant que lesdits moyens ne remettent pas en
cause
de manière inadmissible l'état de fait retenu par la cour
cantonale (art. 55 al. 1 let. c OJ).

a) Pour la demanderesse, qui se réfère à l'art. 100
CO, la cour cantonale aurait donné à l'institution du nom de
code une portée excessive en admettant que son utilisation
par le client en relation avec un ordre donné à la Banque
dispensait celle-ci
de toute autre vérification. Cette maniè-
re de voir erronée aurait conduit la Cour de justice, en vio-
lation du droit fédéral, à négliger de vérifier si la défen-
deresse avait agi in casu avec précaution et prudence.

Cette critique est dépourvue de fondement, déjà en
raison du fait que la cour cantonale ne s'est pas contentée
de contrôler si l'employé de l'intimée avait demandé le nom
de code, mais a analysé soigneusement tous les griefs formu-
lés par la demanderesse concernant le prétendu défaut de di-
ligence de la Banque. Ces griefs, repris par la recourante
en
instance de réforme, seront examinés ci-dessous. Cela étant,
la décharge concédée par la recourante au sujet des instruc-
tions données en utilisant le nom de code, dont les termes
ont été rappelés supra, est parfaitement claire. Elle permet
à la Banque d'exécuter l'ordre donné par téléphone, télex ou
télégramme sans autre vérification concernant l'authenticité
dudit ordre. Il va de soi que la Banque n'est pas pour
autant
déchargée de son devoir de diligence et qu'elle doit
procéder
à des vérifications si des circonstances s'écartent du cours
normal des opérations prévues par le contrat ou résultant de
la pratique (cf. ATF 116 II 459 consid. 2a).

b) Selon la recourante, plusieurs indices montre-
raient que la défenderesse n'avait pas voué à l'opération de
retrait litigieuse toute l'attention nécessaire. En premier
lieu, elle aurait dû éprouver des doutes au vu de l'importan-
ce du retrait qui s'effectuait en espèces et représentait
près des trois quarts des avoirs déposés sur le compte. Le
fait que, comme le relève la cour cantonale, "les retraits
importants en espèces au guichet n'étaient pas rares à
l'époque", ne suffirait pas à conférer à ladite opération un
aspect ordinaire.

Or, la recourante oublie que la cour cantonale a
aussi retenu que l'importance du retrait a également été jus-
tifiée aux yeux de la Banque par une prétendue opération im-
mobilière, laquelle faisait partie des activités usuelles de
la demanderesse telles qu'elles étaient connues de
l'intimée.
L'importance du retrait et le fait qu'il devait être
effectué
en espèces ne devaient pas en soi inciter l'établissement
bancaire à redoubler d'attention.

c) La demanderesse n'ayant jamais opéré de retrait
sur son compte auparavant, l'important montant demandé
aurait
dû, selon la recourante, éveiller l'attention d'un banquier
prudent et diligent.

Le recours n'est pas conforme sur ce point aux exi-
gences de motivation posées par l'art. 55 al. 1 let. c OJ.
Il ne suffit pas de répéter des arguments soutenus devant
l'autorité cantonale; encore faut-il tenter de démontrer
l'insuffisance ou la fausseté de l'arrêt attaqué, ce que la
recourante ne s'emploie pas à faire.

Au demeurant, la Cour de justice a déjà répondu à
cet argument et ses considérants à cet égard sont convain-
cants: la demanderesse avait convenu de donner des ordres
téléphoniques en utilisant un nom de code; elle n'avait en

outre pas laissé entendre que les fonds déposés ne devaient
pas être utilisés à d'autres fins que pour effectuer des
placements; l'ordre de retirer les montants litigieux ne
présentait dès lors en soi aucun caractère exorbitant.

d) D'après la recourante, l'attention de l'intimée
aurait dû être mise en alerte par le fait que, outre les cir-
constances précitées, la somme en question devait être
remise
à un tiers inconnu du gestionnaire.

Par là, la recourante demande au Tribunal fédéral
de prendre spécialement en considération un fait qui n'a pas
été retenu par la cour cantonale, ce qui n'est pas admissi-
ble, comme on l'a vu.

Du reste, la circonstance que la personne qui s'est
fait remettre la somme litigieuse était inconnue de la défen-
deresse n'est pas déterminante, puisque cette personne cor-
respondait à celle qui avait été indiquée par l'ayant droit
du compte.

e) A suivre la recourante, S.________, du fait
qu'il n'était que le remplaçant de la gestionnaire attitrée
du compte, aurait dû faire preuve de précautions accrues et
contacter la personne qu'il remplaçait.

A nouveau, la recourante se contente d'affirmations
péremptoires et non étayées, que ne corroborent pas les
faits
retenus par la cour cantonale. Celle-ci a relevé que
S.________ avait pris toutes les précautions requises par
les
circonstances, compte tenu du fait qu'il avait reconnu la
voix de C.________ et qu'il lui avait fait confirmer le nom
de code et son identité. Dans ces conditions, on ne voit pas
ce qu'un contact avec le gestionnaire attitré du compte,
pour
autant que cela fût possible, ce qui n'est pas établi, eût
changé à la situation. La recourante n'avance d'ailleurs

aucun argument sur ce dernier point. En outre, les précau-
tions prises par S.________ sont allées au-delà de ce
qu'exigeaient les instructions données par le client, les-
quelles dispensaient la Banque de requérir une confirmation
écrite d'un ordre téléphonique donné en utilisant le nom de
code "Z.________".

f) Les parties étaient liées par les conditions gé-
nérales de l'intimée dont l'art. 3 a été rappelé ci-dessus,
ainsi que par les conventions concernant la décharge
relative
aux ordres donnés par téléphone, dont la teneur a été égale-
ment retranscrite supra.

La cour cantonale retient que S.________, bien
qu'ayant reconnu la voix de C.________, ayant droit du
compte
de la demanderesse, avait cependant demandé à celui-ci de
donner le nom de code et de décliner son identité. Partant,
il n'avait pas à prendre d'autres précautions. La recourante
allègue que c'est précisément le fait que l'ayant droit ait
donné son nom qui était anormal, du moment que la seule men-
tion du nom de code suffisait. Cela aurait dû amener
S.________ à se méfier.

Le moyen est infondé. La recourante ne peut se
plaindre à la fois d'un défaut et d'un supplément de précau-
tions. Il est vrai que l'utilisation du nom de code dispen-
sait en principe l'intimée de procéder à d'autres vérifica-
tions. Elle libérait l'établissement bancaire de toute res-
ponsabilité pour avoir exécuté un ordre pourvu de ce nom. Il
n'était cependant pas interdit à l'intimée de demander d'au-
tres renseignements, surtout en présence d'un ordre vidant
les trois quarts du compte au profit d'un tiers inconnu.
Que,
dans ces circonstances, l'interlocuteur de S.________ se
soit
en outre identifié sous le nom de C.________ ne devait pas
raisonnablement intriguer cet employé.

g) En 1992, soit quatre ans après l'entretien télé-
phonique qu'il avait eu avec l'interlocuteur qui s'était pré-
senté sous le nom de C.________, S.________ a rédigé un rap-
port dans lequel il a mentionné que cet interlocuteur avait
fait référence à un dépôt de la demanderesse en dollars amé-
ricains. Entendu en 1999 comme témoin par le Tribunal de pre-
mière instance, S.________ a confirmé ce rapport. Or, comme
la demanderesse n'avait jamais procédé à des placements en
dollars, elle tire argument des déclarations de S.________
sur ce point pour mettre en doute l'ensemble des dépositions
de ce témoin.

Appréciant ledit témoignage, la cour cantonale a
retenu que S.________ s'était trompé et que cela était com-
préhensible, étant donné que les souvenirs d'une
conversation
datant de quatre ans, respectivement de onze ans lors de la
déposition en justice de l'intéressé, pouvaient être partiel-
lement erronés.

La recourante estime que S.________ ne s'est pas
trompé et que son interlocuteur lui avait bien parlé d'un dé-
pôt en dollars. Cette indication étant fausse, ce qui
pouvait
aisément être vérifié, l'intimée aurait commis une
négligence
grave en renonçant à des contrôles.

Or, contrairement à ce qu'allègue la recourante, la
cour cantonale n'a pas seulement émis une supposition au su-
jet de faits passés, mais elle a retenu un fait: la défail-
lance de la mémoire du témoin sur un point précis. Cela lie
le Tribunal fédéral en instance de réforme. La critique est
irrecevable.

h) La Cour de justice admet en fait que lors de
l'entretien téléphonique du 23 septembre 1988, S.________ a
indiqué à son interlocuteur que l'intimée ne pouvait pas exé-
cuter l'ordre donné, les fonds de la demanderesse ayant fait

l'objet de placements fiduciaires. Comme celui qui se présen-
tait comme étant C.________ a insisté sur l'urgence de dispo-
ser des fonds en question, S.________ lui a déclaré qu'une
avance à terme fixe, garantie par les fonds placés, pouvait
être octroyée, ce qui fut fait.

La recourante soutient qu'en accordant ce crédit
sans que soit établi l'accord exprès de la cliente, la défen-
deresse a gravement violé les directives de l'Association
suisse des banquiers, applicables en l'occurrence,
lesquelles
interdisent, sans instructions spécifiques du client, de ren-
dre débiteurs ou potentiellement débiteurs les comptes
gérés,
ce que la cour cantonale aurait dû stigmatiser. La
recourante
reproche au demeurant à la cour cantonale d'avoir violé
l'art. 8 CC en ayant admis que l'opération avait été approu-
vée par X.________.

aa) La demanderesse fait fausse route. Selon les
"instructions relatives à la correspondance banque
restante",
du 5 juin 1985, toute la correspondance écrite de la défende-
resse devait être conservée à la Banque même et était consi-
dérée comme ayant été valablement communiquée à la cliente.
Il en résulte que, contrairement à ce que croit pouvoir lui
reprocher la recourante, l'intimée n'avait pas à faire ache-
miner à sa cliente la confirmation du prêt accordé.

bb) Pour toutes les prétentions relevant du droit
privé fédéral (cf. ATF 125 III 78 consid. 3b), l'art. 8 CC
répartit le fardeau de la preuve (ATF 122 III 219 consid.
3c)
- en l'absence de disposition spéciale contraire - et déter-
mine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les
conséquences de l'échec de la preuve (ATF 126 III 189
consid.
2b; 125 III 78 consid. 3b). Cette disposition ne règle cepen-
dant pas comment et sur quelles bases le juge peut forger sa
conviction (ATF 122 III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid.
2c; 118 II 142 consid. 3a).

Dès l'instant où l'appréciation des moyens de preu-
ve administrés a convaincu la Cour de justice que la demande-
resse avait consenti à ce que lui soit octroyé un prêt garan-
ti par les placements fiduciaires, il n'y a plus place pour
une violation de l'art. 8 CC. La seconde branche du grief
est
sans consistance.

5.- Se fondant sur les irrégularités qu'elle pense
avoir démontrées, la recourante estime que les fautes commi-
ses par l'intimée sont graves. A l'en croire, la
défenderesse
aurait dû vérifier par téléphone auprès de son client l'au-
thenticité des instructions données.

Les considérations sur le degré de la faute devien-
nent sans objet, dès lors que la cour cantonale a considéré
à
bon droit qu'aucun manquement ne pouvait être reproché à la
défenderesse, au vu des différentes décharges signées par la
recourante en faveur de la Banque.

Au demeurant, c'est précisément le fait de solli-
citer une confirmation par téléphone des instructions en cau-
se qui eût pu mettre en danger la confidentialité très stric-
te des transactions voulue par la demanderesse et consacrer
ainsi une violation du devoir de diligence de l'intimée.

Le moyen est dénué de fondement.

6.- Selon la recourante, ce serait à tort que
l'autorité cantonale aurait admis l'existence d'un contrat
de
prêt valablement conclu, car des manifestations de volonté
réciproques des parties ne seraient pas établies. Partant,
la
Banque ne pouvait pas être autorisée à compenser le prêt oc-
troyé à la demanderesse avec les avoirs déposés par
celle-ci.
Pour ne pas l'avoir vu, la Cour de justice aurait enfreint
les art. 1 et 120 CO.

La critique repose sur un état de fait qui s'écarte
complètement de celui retenu par la cour cantonale, laquelle
a posé que la défenderesse avait agi conformément aux ins-
tructions de sa cliente. Le grief est manifestement irreceva-
ble.

7.- La recourante, renvoyant à ses arguments sou-
levés à propos de la prétendue violation des art. 100 al. 2
et 481 CO, avance que l'intimée a commis une faute grave
dans
sa gestion, dont elle doit répondre sur la base de l'art.
398
CO.

Du moment que l'autorité cantonale a pu retenir, en
parfaite conformité avec le droit fédéral, que le comporte-
ment de la défenderesse était exempt de toute faute, le
moyen
est vidé de sa substance.

8.- Il suit de là que le recours doit être rejeté
dans la mesure de sa recevabilité et l'arrêt attaqué confir-
mé. Vu l'issue de la querelle, les frais et dépens doivent
être mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 et 159
al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 15'000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 18'000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de justice du canton de Ge-
nève.

____________

Lausanne, le 8 mai 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.357/2000
Date de la décision : 08/05/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-08;4c.357.2000 ?
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