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07/05/2001 | SUISSE | N°6S.269/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 mai 2001, 6S.269/2001


«/2»
6S.269/2001

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

7 mai 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges.
Greffière: Mme Michellod.
_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

A.________, C.________ et B.________, tous trois repré-
sentés par Me Roger Crittin, avocat à Martigny,

contre

le jugement rendu le 13 mars 2001 par la IIe Cour pénale
du Tribunal

cantonal valaisan dans la cause qui oppose
les recourants au Ministère public du canton du
V a l a i s, représenté par l...

«/2»
6S.269/2001

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

7 mai 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges.
Greffière: Mme Michellod.
_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

A.________, C.________ et B.________, tous trois repré-
sentés par Me Roger Crittin, avocat à Martigny,

contre

le jugement rendu le 13 mars 2001 par la IIe Cour pénale
du Tribunal cantonal valaisan dans la cause qui oppose
les recourants au Ministère public du canton du
V a l a i s, représenté par le Procureur du Bas-Valais;

(art. 146 al. 2 CP)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement rendu le 13 mars 2001, la
IIe Cour pénale du Tribunal cantonal valaisan a reconnu
les trois accusés A.________, citoyen suisse né en 1932,
B.________, citoyen philippin né en 1940, et C.________,
citoyen philippin né en 1951, coupables d'escroquerie par
métier (art. 146 al. 2 CP). Elle les a condamnés respec-
tivement à six mois, cinq mois et quarante-cinq jours
d'emprisonnement, en leur accordant le sursis à l'exé-
cution avec un délai d'épreuve de deux ans. Elle a en
outre confisqué la somme de 18'790 francs.

B.- En résumé, la Cour pénale a retenu les faits
suivants:

Entre 1985 et 1989, A.________ a organisé douze
séjours de guérisseurs philippins en Suisse. B.________
est venu onze fois et C.________ deux fois pour exercer
comme "chirurgien aux mains nues" dans un hôtel à
X.________.

Les Philippins, qui n'avaient aucune formation mé-
dicale, ont reconnu qu'ils procédaient à des simulacres
d'opération et trompaient de la sorte leurs clients, sous
prétexte de les motiver dans leur foi en la guérison.
Leur traitement commençait par des prières, des imposi-
tions des mains et des massages musculaires avec un baume
d'odeur forte. Puis ils répandaient sur le corps des
clients un mélange de caillots de sang d'animal et
d'autres morceaux de chair auxquels ils ajoutaient de
l'eau, afin de donner l'illusion d'une véritable opéra-
tion chirurgicale avec incision, mais ne laissant ni

trace ni cicatrice. B.________ a reconnu que cette
méthode délibérément impressionnante avait pour but
d'attirer davantage de monde et de convaincre les clients
qu'il s'agissait d'une véritable intervention physique et
non seulement spirituelle.

Les clients interrogés ont tous cru que les ma-
tières organiques qui leur étaient présentées par les
guérisseurs en cours d'intervention étaient extraites de
leur corps. Entendus plus de huit ans après les faits,
la plupart d'entre eux ne pouvait se convaincre qu'il
s'agissait d'un subterfuge. Ils restaient persuadés non
seulement du bienfait de ces manipulations, mais aussi de
la réalité de l'opération subie. A.________ a admis qu'il
était parfaitement au courant de ces supercheries. Il a
même avoué avoir déclaré à plusieurs clients qu'il avait
été personnellement guéri de la sorte d'un cancer, alors
qu'en réalité il n'avait pas été atteint par cette mala-
die.

Le recrutement des clients s'est fait essentielle-
ment par le bouche à oreille. Les guérisseurs pouvaient
en effet profiter de la clientèle que s'étaient consti-
tuée leurs prédécesseurs au même endroit et jouissaient
d'une renommée internationale en raison de la parution de
plusieurs ouvrages vantant leurs dons et leur capacité
d'extraire, par la seule utilisation de leurs mains, les
éléments nuisibles des corps des malades. Ainsi, ils
recevaient jusqu'à 70 personnes par jour, six jours par
semaine, pour des consultations durant en moyenne 10
minutes. A.________ a réalisé un bénéfice total de
100'000 francs, B.________ d'environ 120'000 francs et
C.________ a indiqué avoir obtenu, lors de son premier
séjour, la somme de 11'000 francs. Tout en admettant
avoir trompé leur clientèle, les trois accusés ont pré-
tendu être convaincus que les "opérations" effectuées

étaient de nature, par l'autosuggestion de leurs clients,
à favoriser la guérison.

C.- Les trois condamnés ont déposé un pourvoi en
nullité commun et ont requis l'assistance judiciaire. Il
n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le pourvoi en nullité, qui a un caractère
cassatoire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé
que pour violation du droit fédéral et non pour violation
directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 269
PPF). Le pourvoi n'est pas ouvert pour se plaindre de
l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les
arrêts cités). Sous réserve de la rectification d'une
inadvertance manifeste, la Cour de cassation est liée par
les constatations de fait de l'autorité cantonale (art.
277bis al. 1 PPF). Il ne peut être présenté de griefs
contre celles-ci, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).

Dans la mesure où les recourants présenteraient un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la déci-
sion attaquée, il n'est pas possible d'en tenir compte;
le raisonnement juridique doit être mené exclusivement
sur la base de l'état de fait retenu par la cour canto-
nale (cf. ATF 124 IV 92 consid. 1 p. 93, 81 consid. 2a
p. 83 et les arrêts cités).

b) La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions des recourants (art. 277bis PPF), lesquelles
doivent être interprétées à la lumière de leur motivation
(ATF 124 IV 53 consid. 1 p. 55; 123 IV 125 consid. 1
p. 127). En l'espèce, les recourants se plaignent exclu-
sivement de la qualification d'escroquerie par métier
retenue par la Cour pénale.

c) Lorsqu'un pourvoi est manifestement infondé ou
bien fondé, l'arrêt est motivé sommairement, le cas
échéant par simple renvoi aux motifs de la décision atta-
quée (art. 275bis PPF, art. 36a OJ).

2.- Les recourants se plaignent d'une violation de
l'art. 146 CP. Ils estiment que les éléments objectifs et
subjectifs de l'escroquerie font défaut.

a) S'agissant de l'élément objectif de la trompe-
rie, la Cour pénale a retenu que les Philippins avaient
fait croire à leurs clients, notamment en s'arrogeant le
titre de guérisseur et en les invitant à signaler sur des
fiches leurs problèmes physiques ou psychiques, qu'ils
avaient la capacité technique de les soigner. Elle a en
outre retenu qu'ils avaient tout fait pour convaincre les
clients qu'ils intervenaient physiquement à l'intérieur
de leur corps pour en extraire les éléments indésirables
et nuisibles, notamment des tumeurs cancéreuses. Ils
avaient donc fait croire à leur capacité, inexistente en
réalité, d'opérer à mains nues.

Les recourants affirment ne jamais avoir eux-mêmes
prétendu opérer à mains nues. Cela ne change rien au fait
que, par leur mise en scène, ils ont trompé leurs clients
sur la réalité des "opérations".

b) Les recourants contestent que la tromperie
puisse être qualifiée d'astucieuse. Ils tirent un paral-
lèle entre le fait de faire croire aux clients qu'ils
intervenaient à l'intérieur du corps et l'utilisation de
placebos ou d'homéopathie.

aa) L'astuce est réalisée lorsque l'auteur recourt
à un édifice de mensonges, à des manoeuvres frauduleuses
ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne sim-
plement de fausses informations si leur vérification
n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut
raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dis-
suade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des
circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison
d'un rapport de confiance particulier (ATF 126 IV 165
consid. 2a p. 171 s.).

L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe
pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter
l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait
attendre d'elle. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y
ait escroquerie, que la dupe ait fait preuve de la plus
grande diligence et qu'elle ait recouru à toutes les
mesures de prudence possibles; la question n'est donc pas
de savoir si elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour
éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que lorsque
la dupe est coresponsable du dommage parce qu'elle n'a
pas observé les mesures de prudence élémentaires qui
s'imposaient. Cet aspect de la responsabilité de la dupe
doit, selon la jurisprudence récente, aussi être pris en
compte en cas de manoeuvres frauduleuses de la part de
l'auteur (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171 s.).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la
dupe a omis de prendre des mesures de prudence élémen-
taires, il ne suffit pas de se demander comment une per-

sonne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la trom-
perie; il faut au contraire prendre en considération la
situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la
connaît et l'exploite, par exemple une faiblesse d'es-
prit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état
de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que
la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur.
L'exploitation de semblables situations constitue préci-
sément l'une des caractéristiques de l'astuce (ATF 126
IV 165 consid. 2a p. 171 s.).

bb) En l'espèce on peut se demander si le fait de
prétendre opérer à mains nues et sans laisser de cicatri-
ces ne devait pas éveiller un minimum de soupçons chez
les clients potentiels des recourants. Il faut toutefois
tenir compte du fait que parmi ces clients figuraient des
personnes atteintes, parfois gravement, dans leur santé
physique ou mentale; or il est clair que, face à un char-
latan, une personne gravement malade à qui l'on fait
miroiter la guérison réagit différemment qu'une personne
en pleine santé; détresse et désespoir influent sur le
sens critique. Les clients des recourants se trouvaient
donc dans un état d'infériorité au sens de la jurispru-
dence susmentionnée. Dans ces circonstances, il faut
admettre que la tromperie dont ils ont été victimes était
astucieuse au sens de l'art. 146 CP.

La comparaison avec l'homéopathie ou avec l'admi-
nistration de placebos n'est pas pertinente pour juger du
caractère astucieux de la tromperie; elle serait tout au
plus pertinente pour déterminer si les clients ont ou non
été trompés. Cependant, comme il a été vu ci-dessus, la
tromperie sur la réalité des "opérations" est patente de
sorte que la comparaison invoquée par les recourants
n'est d'aucune utilité.

Les recourants allèguent encore que leur technique
n'est pas moins efficace pour aider des personnes malades
que certaines méthodes reconnues en médecine. Il s'agit
là d'un fait que la Cour pénale n'a pas constaté; le
grief est partant irrecevable (cf. supra, consid. 1a).
Au demeurant, l'efficacité du dit "traitement" est sans
pertinence pour juger de l'astuce, soit de la question de
savoir si les clients pouvaient et devaient se rendre
compte qu'ils étaient victimes de tromperie sur le genre
de traitement proposé.

c) Les recourants objectent que leurs actes n'ont
pas fait de victimes. Ils relèvent qu'aucune plainte n'a
été déposée et que personne ne s'est constitué partie
civile; ils ajoutent que tous les clients entendus se
sont félicités du résultat des soins prodigués.

Le fait qu'aucune plainte n'ait été déposée est
sans pertinence; l'escroquerie se poursuit d'office. Peu
importe aussi que des clients soient satisfaits du résul-
tat obtenu par les guérisseurs; cela ne change rien au
fait qu'ils ont été trompés sur le caractère réel de la
prestation fournie.

d) Les recourants objectent que les victimes n'ont
pas subi de dommage patrimonial puisqu'aucun tarif ne
leur a été imposé et qu'aucune d'entre elles n'a regretté
avoir versé anonymement un montant dans une enveloppe
avant l'intervention des guérisseurs.

Les clients ont payé pour une prestation promise,
soit une opération chirurgicale permettant d'enlever les
parties malades de leur corps, prestation qui n'a pas été
fournie; en ce sens, ils ont subi un dommage patrimonial.
Il peut être renvoyé sur ce point aux considérants perti-

nents de la Cour pénale que les recourants s'abstiennent
au demeurant de discuter.

e) Les recourants contestent enfin la condition
subjective de l'intention, affirmant qu'ils ont d'abord
agi dans le but de faire du bien autour d'eux.

La Cour pénale n'a rien constaté de tel; elle a
uniquement retenu que les recourants avaient agi pour se
procurer leur principal voire unique revenu. Le grief est
partant irrecevable (cf. supra, consid. 1a). Au demeu-
rant, il ressort de l'état de fait du jugement attaqué
que les recourants ont consciemment et volontairement
trompé leurs clients; cela suffit pour retenir l'inten-
tion au sens de l'art. 18 al. 2 CP.

3.- Le pourvoi était dénué de chances de succès;
l'assistance judiciaire sera partant refusée (art. 152
al. 1 OJ) et les recourants supporteront les frais de la
procédure (art. 278 al. 1 PPF).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est
recevable.

2. Rejette la requête d'assistance judiciaire.

3. Met à la charge de chacun des recourants un
émolument judiciaire de 500 francs.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants, au Procureur du Bas-Valais ainsi
qu'à la IIe Cour pénale du Tribunal cantonal valaisan.
_________

Lausanne, le 7 mai 2001

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.269/2001
Date de la décision : 07/05/2001
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-07;6s.269.2001 ?
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