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04/05/2001 | SUISSE | N°2P.292/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 mai 2001, 2P.292/2000


2P.292/2000
«/2»

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

4 mai 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
Hungerbühler et Zappelli, Juge suppléant.
Greffier: M. Dubey.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________ et B.________ SA, toutes deux représentées par Me
Antoine Kohler, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 24 octobre 2000 par le Tribunal administra-
tif du canton de Gen

ève, dans la cause qui oppose les recou-
rantes au Département de l'action sociale et de la santé du
canton de G e n...

2P.292/2000
«/2»

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

4 mai 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
Hungerbühler et Zappelli, Juge suppléant.
Greffier: M. Dubey.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________ et B.________ SA, toutes deux représentées par Me
Antoine Kohler, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 24 octobre 2000 par le Tribunal administra-
tif du canton de Genève, dans la cause qui oppose les recou-
rantes au Département de l'action sociale et de la santé du
canton de G e n è v e;

(art. 27 Cst.: interdiction d'exploiter un cabinet de
physiothérapie constitué en personne morale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par arrêté du 7 septembre 1983, le Conseil d'Etat
du canton de Genève a autorisé A.________ à exercer la pro-
fession de physiothérapeute à titre indépendant dans le can-
ton de Genève, où l'intéressée a ouvert un cabinet de phy-
siothérapie exploité sous la raison individuelle
"A.________" jusqu'au 29 juillet 1998.

Le 29 juillet 1998, la société "B.________ SA" a été
inscrite au registre du commerce. Selon l'art. 3 de ses sta-
tuts, "la société a pour but: l'exploitation d'un cabinet de
physiothérapie et de naturopathie ainsi que toutes techni-
ques et prestations paramédicales. Elle pourra faire toutes
opérations financières et commerciales en rapport direct ou
indirect avec son but social". Le capital-actions de 100'000
fr. est divisé en mille actions au porteur de cent francs
chacune, dont la cession s'opère par la tradition du titre.
A.________ a été nommée directrice de la nouvelle société,
dont elle est l'actionnaire unique.

Le 17 août 1998, cette société a requis son affiliation
à la Caisse interprofessionnelle d'assurance vieillesse et
survivants de la fédération romande des syndicats patronaux
(CIAM), ce qu'elle a obtenu le 16 octobre 1998.

Le 1er octobre 1998, la Fédération suisse des physio-
thérapeutes a signalé au Service du médecin cantonal du can-
ton de Genève que la constitution de la société anonyme pré-
citée lui paraissait contraire à la législation cantonale
sur les professions de la santé. Le 14 décembre 1998, le
Service du médecin cantonal a invité A.________ à lui commu-
niquer les raisons pour lesquelles elle avait transformé son

entreprise individuelle en société anonyme, tout en souli-
gnant qu'elle se trouvait ainsi dans une situation contraire
à la loi; il précisait qu'en fonction des explications four-
nies, il l'informerait s'il y avait lieu de la contraindre à
modifier cet état de fait. Le 6 janvier 1999, A.________ a
envoyé au service en question les statuts de sa société en
précisant que les personnes employées au sein de son cabinet
étaient les mêmes qu'auparavant, que ce cabinet fonctionnait
toujours de la même manière et qu'elle en restait la respon-
sable. Par lettre du 30 juin 1999, le Service du Médecin
cantonal, constatant que l'exploitation du cabinet de
A.________ était contraire à la loi du fait qu'il était
constitué sous la forme d'une société anonyme et exposant
qu'il n'entendait pas tolérer une telle situation, a imparti
à l'intéressée un délai de six mois pour fournir des docu-
ments prouvant la dissolution de ladite société et la con-
formité du cabinet aux dispositions légales. A.________ a
contesté ce point de vue.

B.- Par décision du 3 janvier 2000, le Chef du Départe-
ment de l'action sociale et de la santé du canton de Genève,
retenant que le cabinet de physiothérapie de A.________
était constitué de façon contraire à la loi, a imparti à
l'intéressée un nouveau délai de six mois pour s'y confor-
mer. Il a considéré en bref qu'il convenait d'assurer au pu-
blic que la responsabilité d'un cabinet soit assumée par un
professionnel de la santé et non pas par des actionnaires
guidés principalement par des intérêts économiques.

Statuant sur recours le 24 octobre 2000, le Tribunal
administratif du canton de Genève a confirmé cette décision.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation de l'art. 27 Cst. notamment, A.________ et
physiothérapie B.________ SA demandent au Tribunal fédéral

d'annuler l'arrêt du 24 octobre 2000 et de renvoyer la cause
à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens
des considérants.

Le Département de l'action sociale et de la santé con-
clut au rejet du recours. Le Tribunal administratif se réfè-
re aux considérants de son arrêt.

D.- La requête d'effet suspensif présentée par les re-
courantes a été admise par ordonnance présidentielle du 22
janvier 2001.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Déposé en temps utile contre une décision finale
prise en dernière instance cantonale, qui ne peut être atta-
quée que par la voie du recours de droit public et qui tou-
che manifestement les recourantes dans leurs intérêts juri-
diquement protégés (art. 88 OJ), le présent recours est en
principe recevable au regard des art. 84 ss OJ.

b) Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce,
le recours de droit public ne peut tendre qu'à l'annulation
de la décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 126
II 377 consid. 8c p. 395 et les arrêts cités). Dès lors, la
conclusion de la recourante tendant au renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants est irrecevable.

2.- Les recourantes se plaignent de la violation de
leur droit d'être entendues. Comme elles ne se référent pas
aux règles du droit cantonal régissant le droit d'être en-
tendu, c'est à la lumière de la garantie minimale de procé-

dure découlant de l'art. 29 al. 2 Cst qu'il convient d'exa-
miner leur grief (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les ar-
rêts cités).

a) Selon la jurisprudence, le droit d'être entendu com-
prend pour les justiciables notamment le droit d'obtenir
l'administration des preuves pertinentes et valablement of-
fertes, de participer à l'administration des preuves essen-
tielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela
est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 126 I
15 consid. 2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a p. 51; 122 I 53
consid. 4a p. 55 et les arrêts cités). Le droit d'être en-
tendu ne peut être exercé que sur les éléments qui sont dé-
terminants pour décider de l'issue du litige. Il est ainsi
possible de renoncer à l'administration de certaines preuves
offertes lorsque le fait à établir est sans importance pour
la solution du cas, qu'il résulte déjà de constatations res-
sortant du dossier ou lorsque le moyen de preuve avancé est
impropre à fournir les éclaircissements nécessaires. L'ap-
préciation anticipée des preuves ne constitue pas une at-
teinte au droit d'être entendu directement déduit de l'art.
29 al. 2 Cst. (ATF 125 I 127 consid. 6c/cc p. 135, 417 con-
sid. 7b p. 430; 124 I 208 consid. 4a p. 211, 241 consid. 2
p. 242; 124 V 180 consid. 1a p. 181 et les arrêts cités). Au
même titre que toute appréciation des preuves, l'apprécia-
tion anticipée de celles-ci est soumise à l'interdiction de
l'arbitraire (ATF 124 I 274 consid. 5b p. 285 et les réfé-
rences citées).

b) Les recourantes reprochent au Tribunal administratif
de n'avoir pas donné suite à leur offre de preuve tendant à
l'audition en qualité de témoin de X.________, inspecteur
sanitaire auprès du Service du Médecin cantonal. Celui-ci
aurait garanti à A.________ qu'elle pouvait exercer de ma-
nière licite son activité de physiothérapeute sous la forme
d'une société anonyme. Ces assurances lui auraient été don-

nées au cours d'un entretien téléphonique survenu au mois de
septembre 1998. La cour cantonale ayant implicitement rejeté
cette offre de preuve, les recourantes n'auraient ainsi pas
eu le droit d'établir qu'elles étaient au bénéfice d'assu-
rances reçues quant à la conformité de la société anonyme
litigieuse avec la loi, alors qu'à leur avis il s'agirait
d'un fait déterminant pour l'issue du litige sous l'angle du
principe de la bonne foi.

Ce moyen doit être rejeté. En effet, le Tribunal admi-
nistratif pouvait, par une appréciation anticipée des preu-
ves proposées échappant à l'arbitraire, renoncer à adminis-
trer la preuve proposée, dans la mesure où celle-ci ne por-
tait pas sur un fait juridiquement pertinent. Certes, le
principe de la bonne foi permet à l'administré d'obtenir le
respect d'assurances données, éventuellement contraires au
droit matériel; encore faut-il, entre autres conditions cu-
mulatives, qu'il ait pris sur cette base des dispositions
irréversibles (cf. ATF 125 I 209 consid. 9c p. 219/220 et la
jurisprudence citée). Or tel n'est pas le cas en l'espèce:
ce n'est pas en se fondant sur de prétendues assurances re-
çues en septembre 1998 de la part de l'autorité compétente
que A.________ aurait pris des dispositions irréversibles,
puisqu'elle a fait inscrire sa société anonyme au registre
du commerce le 29 juillet 1998 déjà, sans requérir préala-
blement les autorisations nécessaires prévues par la loi.
Comme l'une au moins des conditions d'application du prin-
cipe de la bonne foi n'apparaissait d'emblée pas réalisée,
il était inutile d'entendre X.________ (dont l'audition n'a
du reste pas été expressément requise par les recourantes)
sur l'existence ou non d'assurances qu'il aurait données à
A.________ en septembre 1998. Enfin, le Tribunal cantonal
pouvait d'autant plus renoncer à administrer dite preuve
qu'il existait un sérieux doute quant à la réalité des assu-
rances données. En effet, dans sa lettre du 6 janvier 1999
adressée au Service du Médecin cantonal qui lui reprochait

de se trouver dans une situation illégale, A.________ n'a
fait aucune allusion aux assurances qu'elle aurait reçues en
septembre 1998 déjà.

c) Les recourantes se plaignent ensuite d'une consta-
tation arbitraire des faits. Selon elles, le Tribunal admi-
nistratif a omis de prendre en considération le fait
qu'elles avaient été mises au bénéfice d'assurances de la
part du Service du Médecin cantonal en septembre 1998. Or ce
grief est manifestement dénuée de fondement, car, comme on
vient de le voir, il ne s'agit de toute manière pas d'un
fait déterminant pour l'issue du litige, de sorte qu'il
n'avait pas à être pris en considération.

3.- a) Les recourantes soutiennent que l'arrêt attaqué
porterait atteinte à leur liberté économique telle que ga-
rantie par l'art. 27 Cst. Selon elles, il n'y aurait, en
réalité, aucune différence pour les patients entre un cabi-
net exploité sous une raison individuelle et un institut de
physiothérapie exploitée sous la forme d'une société ano-
nyme. La distinction effectuée par la législation cantonale
- au demeurant peu claire - serait donc purement artificiel-
le. En outre, l'interdiction faite à A.________ de consti-
tuer une société anonyme pour exercer sa profession de phy-
siothérapeute ne reposerait sur aucun motif d'intérêt pu-
blic. Implicitement enfin, cette mesure ne serait pas pro-
portionnée au but visé.

b) aa) Selon l'art. 27 Cst., la liberté économique est
garantie (al. 1); elle comprend notamment le libre choix de
la profession, le libre accès à une activité économique lu-
crative privée et son libre exercice (al. 2). Cette liberté
protège toute activité économique privée, exercée à titre
professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un
revenu (cf. Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996
relatif à une nouvelle Constitution fédérale, in FF 1997 I

p. 1 ss, p. 176), telle celle de physiothérapeute (cf. SJ
1995 713 consid. 1 p. 714, ATF 123 I 212 consid. 3a p. 217).
Elle peut être invoquée tant par les personnes physiques que
par les personnes morales (FF 1997 I 179; Andreas Auer/Gior-
gio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suis-
se, vol. II, Berne 2000, n. 605, p. 315). Le libre choix de
la profession implique notamment la liberté de choisir la
forme juridique sous laquelle on entend l'exercer (Andreas
Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, op. cit., n. 653
p. 338).

bb) Aux termes de l'art. 36 Cst., toute restriction
d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale.
Les restrictions graves doivent être prévues par une loi.
Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés
(al. 1). Toute restriction d'un droit fondamental doit être
justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un
droit fondamental d'autrui (al. 2). Toute restriction d'un
droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al.
3). L'essence des droits fondamentaux est inviolable (al.
4).

L'ordre intimé à A.________ de se mettre en conformité
avec la loi dans un délai de six mois, sans pour autant lui
interdire d'exercer sa profession de physiothérapeute, ne
constitue pas une restriction grave à la liberté économique
des recourantes. Il n'est donc pas nécessaire que ladite
restriction repose sur une loi au sens formel (art. 36 al.
1, 2ème phr., Cst.). En conséquence, le Tribunal fédéral
examine le droit cantonal sous l'angle restreint de l'arbi-
traire s'agissant de la question de la base légale (ATF 121
I 326 consid. 2b p. 329). En revanche, le Tribunal fédéral
revoit librement si l'exigence de l'intérêt public (cf.
art. 36 al. 2 Cst.) et de la proportionnalité (cf. art.

36 al. 3 Cst.) sont respectées (cf. Walter Kälin, Das
Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2ème éd., Berne
1994, p. 176-177).

4.- a) aa) En premier lieu, il convient d'examiner si
la législation cantonale établit une distinction reconnais-
sable entre les cabinets et les instituts de physiothérapie
et si elle contient une base légale qui prohibe
la pratique
de la physiothérapie sous la forme d'un cabinet constitué en
société anonyme, tel que cela a été choisi par A.________.

bb) La loi genevoise du 16 septembre 1983 sur l'exerci-
ce des professions de la santé, les établissements médicaux
et diverses entreprises du domaine médical (ci-après: LPS)
se fixe pour objectif de contribuer à la sauvegarde et à
l'amélioration de la santé publique. Elle distingue notam-
ment: "a) l'exercice, à titre privé, des professions de la
santé" et "b) l'exploitation des établissements médicaux, à
l'exclusion des établissements publics médicaux" (art. 1er).
Parmi les professions de la santé figure notamment celle de
physiothérapeute (art. 3 al. 1 let. c LPS). En vertu de
l'art. 112 LPS, l'autorisation de pratiquer à titre indé-
pendant la profession de physiotérapeute confère au titu-
laire le droit d'ouvrir un cabinet (al. 1); l'intéressé ne
peut être responsable que d'un seul cabinet, dans lequel il
pratique à plein temps et dont il assure personnellement la
surveillance (al. 2). Aux termes de l'art. 10 al. 1 LPS, le
terme cabinet désigne, d'une part, le personnel, et d'autre
part, les locaux, les appareils et installations utilisés
pour l'exercice indépendant d'une profession de la santé par
une personne autorisée ou par plusieurs membres autorisés
d'une même profession ne formant pas entre eux une personne
morale inscrite au registre du commerce. Selon l'art. 116
LPS, plusieurs physiothérapeutes peuvent néanmoins s'asso-
cier pour l'exploitation en commun d'un cabinet de physio-
thérapie, sans que ce groupement constitue un établissement

médical au sens des art. 39 et 48 (al. 1); en revanche, ce-
lui qui se propose de créer un institut de physiothérapie
tombe sous le coup des articles 39 et 48. Il doit démontrer
dans sa requête que l'établissement projeté diffère par ses
structures et ses activités d'un cabinet de physiothérapie,
le préavis de la commission étant expressément réservé (al.
2). Sous le titre "Création et exploitation des établisse-
ments médicaux", l'art. 39 définit les établissements médi-
caux, dont font partie les établissements (ou instituts) de
physiothérapie, comme suit: "[...] tout établissement, orga-
nisme ou institut de droit privé ayant pour objet la préven-
tion, le diagnostic et le traitement des affections humaines
(...) et qui remplit les conditions suivantes: a) garantit
une assistance médicale suffisante; b) dispose du personnel
qualifié nécessaire; c) dispose d'équipements adéquats; d)
garantit la fourniture adéquate des médicaments" (al. 1);
"le règlement d'exécution détermine les conditions d'octroi
de l'autorisation. Celles-ci visent notamment l'aménagement
des locaux, l'effectif et la qualification du personnel,
ainsi que les exigences à l'égard du ou des répondants" (al.
2). L'art. 40 LPS, sous le titre "exceptions", prévoit que
les cabinets installés notamment par les physiothérapeutes,
en vue de l'exercice à titre indépendant et individuel des-
dites professions, ne sont pas des établissements médicaux
au sens de l'art. 39, les cas particuliers prévus notamment
à l'art. 116 étant réservés.

En résumé, le législateur cantonal a clairement distin-
gué, d'une part, l'exercice de la profession de physiothéra-
peute à titre privé (art. 1, let. a LPS) et, pour les indé-
pendants, sous la forme d'un cabinet (art. 10, 40, 112 LPS),
qu'ils exercent seuls ou avec des collaborateurs, voire avec
des associés mais sans constituer une personne morale (art.
116 al. 1 et 10 LPS), et, d'autre part, l'exercice de cette
profession sous la forme d'un établissement privé, appelé
aussi institut (art. 1 let. b, 39, 116 al. 2 et 10 a contra-

rio LPS). Il résulte de ces dispositions qu'en principe le
physiothérapeute indépendant exerce sa profession sous la
forme d'un cabinet et que ce n'est qu'en démontrant la réa-
lisation de conditions plus contraignantes qu'il peut
l'exercer sous la forme d'un établissement ou d'un institut
constitué en personne morale (art. 116 al. 2 LPS). Contrai-
rement à ce que soutiennent les recourantes, les deux régi-
mes sous lesquels la profession de physiothérapeute peut
être exercée, cabinet d'une part, lequel ne peut pas être
une personne morale, ou institut d'autre part, sont donc
distinctement réglés par la loi et son règlement qui four-
nissent en outre une base légale claire pour l'interdiction
d'exploiter un cabinet sous la forme d'une personne morale.

Par conséquent, en transformant son cabinet inscrit
sous la raison individuelle "A.________" en société anonyme
"B.________ SA", qui plus est sans en demander l'autorisa-
tion à l'autorité comme l'y oblige l'art. 6 du règlement
d'exécution du 9 novembre 1983 de la loi sur l'exercice des
professions de la santé, les établissements médicaux et di-
verses entreprises du domaine médicale (ci-après: RLPS),
A.________ a enfreint les dispositions légales précitées. Il
s'ensuit que l'interdiction faite à A.________ d'exercer sa
profession de physiothérapeute sous la forme d'un cabinet
constitué en société anonyme se fonde sur une base légale
claire et suffisante.

b) aa) Il convient ensuite d'examiner si la distinction
entre un cabinet et un institut de physiothérapie et l'in-
terdiction d'exercer cette profession sous la forme d'un ca-
binet constitué en personne morale répondent à un intérêt
public prépondérant.

bb) Sous le titre "cabinet", l'art. 112 LPS prévoit que
l'autorisation de pratiquer à titre indépendant confère au
titulaire le droit d'ouvrir un cabinet (al. 1). Un physio-
thérapeute ne peut être responsable que d'un seul cabinet,
dans lequel il pratique à plein temps et dont il assure per-
sonnellement la surveillance (al. 2). L'art. 113 LPS exige
qu'un cabinet ne puisse être ouvert qu'après avoir été ins-
pecté par le médecin cantonal et dans la mesure où ce der-
nier déclare dans son rapport à l'office fédéral des assu-
rances sociales que les locaux, les installations et les ap-
pareils sont adéquats. Les personnes autorisées à ouvrir un
cabinet peuvent engager des physiothérapeutes, mais elles
doivent s'assurer que ces personnes sont inscrites dans le
registre de leur profession (art. 114 al. 1 LPS). Enfin, se-
lon l'art. 116 al. 1 LPS, plusieurs physiothérapeutes et
masseurs-kinésithérapeutes inscrits peuvent aussi s'associer
pour l'exploitation en commun d'un cabinet de physiothérapie
sans que ce groupement constitue un établissement médical au
sens des articles 39 et 48.

Dans le chapitre "établissements médicaux", l'art. 39
LPS prévoit que la création et l'exploitation de tout éta-
blissement ayant pour objet la prévention, le diagnostic et
le traitement des affections humaines sont soumises à l'au-
torisation du Conseil d'Etat. Selon l'art. 41 LPS, la direc-
tion médicale d'un des établissements visés à l'art. 39 doit
être assurée par un médecin inscrit, appelé "médecin répon-
dant"; celui-ci ne peut être le répondant que d'un seul éta-
blissement" (al. 1). S'il s'agit d'un établissement de phy-
siothérapie - que la loi désigne alors sous le terme d'ins-
titut (art. 116 al. 2 LPS), l'art. 48 LPS précise qu'un phy-
siothérapeute inscrit peut être le répondant d'un établisse-
ment dans lequel tous les traitements effectués entrent dans
le cadre de la profession de physiothérapeute défini au ti-
tre VI, chapitre III. Ce dernier chapitre (art. 105-116 LPS)
décrit notamment le champs des activités autorisées et les

conditions d'exercice de la profession de physiothérapeute.
En outre, les conditions d'octroi de l'autorisation sont
énoncées par le règlement d'exécution (art. 39 al. 2 LPS).
Ainsi, la requête au Conseil d'Etat en vue d'obtenir l'auto-
risation d'exploiter un établissement doit être accompagnée
a) des plans d'aménagement; b) de la liste du personnel, à
savoir les personnes devant exercer dans l'établissement
l'une des professions visées à l'art. 3 de la loi; c) du nom
du médecin répondant s'il s'agit d'un établissement médical
au sens des art. 39 à 42 de la loi ou du répondant médecin-
dentiste, chiropraticien ou physiothérapeute s'il s'agit
d'un des établissements visés aux articles 46, 47 ou 48 de
la loi (art. 24 RLPS). L'autorisation est accordée après
préavis du médecin cantonal (art. 26 RLPS), qui procède à
des inspections périodiques des établissements, dans la rè-
gle au moins une fois par an (art. 28 RLPS). Le physiothéra-
peute répondant d'un institut au sens de l'art. 48 LPS doit
s'assurer que les collaborateurs engagés dans l'établisse-
ment pour y exercer l'une des professions visées à l'art. 3
de la loi sont dûment autorisés et inscrits dans le registre
de leur profession. S'il s'agit de physiothérapeutes accom-
plissant leur stage réglementaire, les intéressés doivent
être titulaires de l'arrêté du Conseil d'Etat les autorisant
à pratiquer à titre dépendant et inscrits comme tels dans le
registre de leur profession (art. 36 RLPS). Ils doivent en
sus a) adresser chaque mois au médecin cantonal un état du
personnel de l'établissement et la liste des mutations qui
se sont produites parmi les collaborateurs exerçant l'une
des professions visées à l'art. 3 de la loi et b) signaler
immédiatement au médecin cantonal toute infraction à la loi
survenue dans l'établissement, sous peine de sanctions admi-
nistratives ou pénales (art. 37 RLPS). L'art. 38 RLPS ajoute
que le changement de répondant doit être immédiatement porté
à la connaissance du médecin cantonal par le titulaire de
l'autorisation d'exploiter l'un des établissements visés aux
articles 39, 42, 46, 47 et 48 de la loi (al. 1). Il en va de

même de toute modification apportée ultérieurement aux élé-
ments contenus dans la requête et ses documents d'accompa-
gnement (al. 2).

Pour l'ouverture d'un cabinet (art. 113 LPS) comme pour
celle d'un établissement (art. 10 RLPS), l'autorisation du
Conseil d'Etat est délivrée sur préavis du médecin cantonal.
Toutefois, les exigences de l'art. 113 LPS sont inférieures
à celle prévues par l'art. 10 al. RLPS. Celui-ci prévoit en
effet que l'autorisation n'est délivrée que lorsque les lo-
caux et les installations ont été reconnus conformes aux
exigences: a) de la loi fédérale sur le travail et ses dis-
positions d'exécution tant fédérales que cantonales, b) des
dispositions légales et réglementaires en matière de sécuri-
té et de salubrité des constructions, c) des dispositions
légales et réglementaires relatives à la lutte contre l'in-
cendie.

cc) Les recourantes mettent en relief les similitudes
existant entre les conditions exigées par la législation
cantonale pour ouvrir un cabinet et celles requises pour ou-
vrir un institut de physiothérapie. Elles en déduisent que
la distinction entre les deux types d'autorisation que peut
octroyer le Conseil d'Etat, est artificielle et ne repose
sur aucun intérêt public.

Il est vrai à cet égard qu'à l'instar de ceux qui se
proposent de créer un institut de physiothérapie (art. 39
LPS), celui qui veut ouvrir un cabinet de physiothérapie
doit en être le responsable, y pratiquer à plein temps et en
assumer personnellement la surveillance (art. 112 LPS). Il
remplit ainsi des fonctions analogues à celles du répondant
d'un institut (art. 48 LPS; art. 36 et 37 RLPS). S'il engage
du personnel spécialisé, le physiothérapeute qui exploite un
cabinet doit s'assurer que son employé est inscrit dans le
registre de la profession (art. 109 et 114 al. 1 LPS). Cette

obligation est le pendant de celle faite au répondant d'un
institut (art. 36 et 37 RLPS). De même que celle d'un ins-
titut (art. 39 al. 1 let. c LPS; art. 10 RLPS), l'ouverture
d'un cabinet n'est autorisée que s'il possède les installa-
tions et appareils conformes et adéquats (art. 113 LPS). Ce-
pendant, ces similitudes ne démontrent pas encore que la
distinction entre cabinet et établissement est artificielle
et inutile. Elles marquent au contraire la volonté du légis-
lateur de s'assurer que les deux types d'organisation of-
frent à tout le moins les mêmes garanties au public en ma-
tière de santé.

Il existe au demeurant quelques différences, qui tien-
nent à la structure de chacun des deux types d'organisation.
Elles ressortent des art. 39 LPS, 10, 36 et 37 RLPS. Ainsi,
la requête en vue de l'ouverture d'un établissement, à la
différence de celle en vue d'ouvrir un cabinet doit être
accompagnée des plans d'aménagement, de la liste du person-
nel et du nom du répondant (art. 24 RLPS). En effet, de par
leur taille, les établissements sont des entreprises qui
nécessitent des règles d'organisation mais aussi des locaux
et des installations compatibles avec la présence de nom-
breuses personnes. Ces exigences vont au-delà de celles im-
posées pour l'ouverture d'un simple cabinet. De même, les
obligations du répondant à l'égard de l'autorité, notamment
en matière de surveillance du personnel, sont plus strictes
que ce qui est demandé à l'exploitant d'un cabinet (art. 36
et 37 RLPS). Dans la mesure où elles résultent des lois fé-
dérale et cantonale sur le travail, des dispositions légales
en matière de sécurité et de salubrité et des dispositions
légales relatives à la lutte contre l'incendie, de telles
exigences répondent à n'en pas douter à un intérêt public
prépondérant.

dd) Les recourantes soutiennent encore que l'exploita-
tion d'un cabinet sous la forme d'une personne morale pré-

sente les mêmes garanties que celles d'un établissement et
ne met donc pas en danger la santé publique. L'interdiction
qui leur est faite ne répondrait par conséquent à aucun in-
térêt public prépondérant.

Or à cet égard, les motifs invoqués par l'Etat de
Genève, partagés par l'autorité intimée dans son arrêt du 24
octobre 2000, méritent protection. Selon l'art. 39 LPS, ou-
tre les conditions matérielles exigées pour
leur création,
les établissements doivent avoir pour objet la prévention,
le diagnostic et les traitements des affections humaines.
L'art. 3 des statuts de "B.________ SA" prévoit certes, à
cet égard, que "la société a pour but: l'exploitation d'un
cabinet de physiothérapie et de naturopathie ainsi que toute
technique et prestations paramédicales". Lesdits statuts
ajoutent cependant: "Elle pourra faire toutes opérations fi-
nancières et commerciales en rapport direct ou indirect avec
son but social". Il ressort de là que, comme cela est d'ail-
leurs la fonction ordinaire d'une société commerciale, la
société recourante a un but économique prépondérant, que vi-
sent les titulaires des actions émises au porteur et trans-
missibles par simple tradition du titre (art. 6 des sta-
tuts). Le risque ne peut être dès lors exclu, comme le relè-
ve l'autorité intimée, que des décisions de portée médicale
soient prises par des actionnaires plus soucieux de rende-
ment que de prévention, de diagnostic et de traitement. On
peut penser à cet égard au devoir de traiter les patients de
manière économique qu'impose l'art. 32 de la loi fédérale du
18 mars 1994 sur l'assurance maladie (LAMal; RS 832.10) qui
pourrait s'opposer à des impératifs de rendement.

Certes, on ne peut d'emblée et par principe soupçonner
A.________ et ses collaborateurs de tels desseins. Il n'em-
pêche que la nature de la société comporte en soi un tel
risque et que les mesures proposées par les recourantes (dé-

pôt des actions auprès du Service du Médecin cantonal) ne
représentent pas une garantie, la recourante pouvant en tout
temps récupérer ou vendre ses actions sans que l'Etat puisse
s'y opposer. En soi, ce risque pourrait aussi exister pour
les établissements constitués conformément à la loi. La loi
ne l'interdisant pas, un établissement pourrait prendre la
forme d'une société anonyme dont les actions seraient émises
au porteur et transmissibles. Il est vrai aussi que les phy-
siothérapeutes pratiquant leur profession au sein d'un cabi-
net, soit sous la forme d'une raison individuelle, soit sous
celle d'une personne morale, n'échappent pas à leurs respon-
sabilités vis-à-vis de leur patient (art. 110 et 111 LPS).
Les différences sur le plan de la protection de la santé pu-
blique entre un cabinet exploité sous la forme d'une person-
ne morale et un établissement ne sont par conséquent pas
considérables. En définitive, toutefois, ces différences
tiennent au contrôle accru de l'Etat sur les conditions
d'exercice de la profession lorsque celle-ci s'exerce par
l'entremise d'une personne morale, au sein d'un établisse-
ment. Comme le démontrent les art. 39 LPS et 10, 36 à 41
RLPS, il s'agit d'un contrôle permanent, sans cesse réactua-
lisé (art. 37-38 RLPS) qui permet à l'Etat de veiller à ce
que les conditions légales soient constamment respectées.
Or, un tel contrôle serait plus malaisé pour un cabinet
constitué en société anonyme, essentiellement parce qu'il
n'a pas de physiothérapeute répondant, dont les obligations,
qui correspondent à un intérêt public prépondérant (cf. con-
sid. 4b/cc), sont plus élevées que celles imposées au phy-
siothérapeute titulaire d'un cabinet. Dès lors que l'exploi-
tation d'un cabinet constitué en société anonyme ne comporte
pas les mêmes sécurités en termes de santé publique, il
existe un intérêt public prépondérant à en interdire la
constitution. Aussi est-ce à juste titre que l'autorité in-
timée a exigé de A.________ qu'elle se conforme à la loi,
soit en transformant à nouveau son cabinet en raison indivi-
duelle, soit, comme cela a été suggéré (arrêt p. 10, ch. 12

i.f.), en adaptant ses structures à celles d'un établisse-
ment au sens de la loi et du règlement précités.

c) aa) Reste à examiner si la distinction entre un ca-
binet et un institut de physiothérapie et l'interdiction
d'exercer cette profession sous la forme d'un cabinet cons-
titué en personne morale constituent des mesures proportion-
nées aux buts visés.

bb) A cet égard, les recourantes prétendent que la re-
quête tendant à obtenir l'autorisation d'ouvrir un institut
de physiothérapie ne serait pas une simple formalité, dès
lors qu'il faut démontrer (art. 116 al. 2 LPS) en quoi un
tel institut diffère d'un cabinet. Or, selon les recouran-
tes, cette distinction ne serait pas clairement exprimée
dans les textes légaux, la preuve en étant le fait qu'il
n'existe aucun institut de physiothérapie à Genève.

On pourrait en effet soutenir que seraient contraires à
la liberté économique des prescriptions légales rendant ex-
cessivement difficiles l'exercice de la profession de phy-
siothérapeute sous la forme d'un établissement, dès lors
qu'il s'agit de la seule forme autorisée pour cet exercice
au travers d'une personne morale. Mais les recourantes ne
démontrent en rien la réalité de ces prétendues difficultés.
Les exigences légales pour l'ouverture d'un établissement
sont raisonnables et sont, on l'a vu ci-dessus, motivées par
un besoin, légitime, de contrôle en vue de sauvegarder la
santé publique. Elles ne représentent pas un obstacle sans
proportion avec l'objectif de l'Etat. Les recourantes ne
prétendent pas que leur cabinet ne remplirait pas les condi-
tions requises - caractère approprié des locaux, qualifica-
tion du personnel, présence d'un répondant - pour être qua-
lifié d'institut. L'autorité intimée n'a par conséquent pas
violé le principe de proportionnalité.

5.- Le présent recours doit ainsi être rejeté dans la
mesure où il est recevable.

Succombant, les recourantes doivent supporter les frais
judiciaires (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ) et n'ont pas
droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble.

2. Met un émolument judiciaire de fr. 2'000 fr. à la
charge des recourantes, solidairement entre elles.

3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
des recourantes, au Département de l'action sociale et de la
santé et au Tribunal administratif du canton de Genève.

Lausanne, le 4 mai 2001
DCE/elo

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.292/2000
Date de la décision : 04/05/2001
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-05-04;2p.292.2000 ?
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