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24/04/2001 | SUISSE | N°2A.387/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 avril 2001, 2A.387/2000


2A.387/2000
«AZA 1/2»

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
************************************************

24 avril 2001

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger, pré-
sident, Hartmann, Hungerbühler, Müller et Yersin.
Greffière: Mme Rochat.
______________

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

le Département fédéral de l'économie publique, à Berne,

contre

la décision prise le 4 juillet 2000 par la Commission de re-
cours pour les

questions de concurrence en la cause Rhône-
Poulenc S.A. (France) et Merck & Co. Inc. (USA), sociétés re-
présentées p...

2A.387/2000
«AZA 1/2»

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
************************************************

24 avril 2001

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger, pré-
sident, Hartmann, Hungerbühler, Müller et Yersin.
Greffière: Mme Rochat.
______________

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

le Département fédéral de l'économie publique, à Berne,

contre

la décision prise le 4 juillet 2000 par la Commission de re-
cours pour les questions de concurrence en la cause Rhône-
Poulenc S.A. (France) et Merck & Co. Inc. (USA), sociétés re-
présentées par Me Silvio Venturi, avocat à Genève,

(art. 2 al. 2 et 9 LCart: concentration d'entreprises)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 23 mai 1997, la société française Rhône-
Poulenc SA et la compagnie américaine Merck & Co Inc. ont re-
groupé leurs secteurs "santé animale" et "génétique avicole"
au sein d'une nouvelle entreprise commune dénommée Merial.
En
1996, Rhône-Poulenc SA avait réalisé en Suisse un chiffre
d'affaires de 315 millions, dont environ 3'170'000 fr. pour
les secteurs concernés par le regroupement, alors que Merck
&
Co Inc. avait obtenu respectivement des chiffres d'affaires
de 155 millions et 715'000 fr. environ. Sur le plan mondial,
le chiffre d'affaires de Rhône-Poulenc s'élevait à 13,217
milliards ECU (85,818 milliards de FF) et celui de Merck &
Co
Inc. atteignait 15,616 milliards ECU (19,819 milliards de
US$).

Le 2 juillet 1997, la Commission des Communautés eu-
ropéennes a déclaré que le regroupement en cause était compa-
tible avec le marché commun, sur la base du Règlement
N/4064/89 du Conseil (ci-après: le Règlement CEE; voir déci-
sion du 02.07.1997 in Journal officiel no C312 du 14/10/1997
p. 0015). Le 8 juillet suivant, Rhône-Poulenc SA et Merck &
Co Inc. ont notifié l'opération Merial au Secrétariat de la
Commission de la concurrence, en précisant qu'elles dési-
raient réaliser la concentration au 1er août 1997.

Après un échange de correspondances, notamment pour
compléter les informations fournies, le Secrétariat a, par
courrier du 5 août 1997, fixé au 1er août le point de départ
du délai d'attente d'un mois prévu dès l'ouverture de la pro-
cédure d'examen, conformément à l'art. 32 de la loi fédérale
du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à
la
concurrence (loi sur les cartels ou LCart; RS 251).

Le 18 août 1997, la Commission de la concurrence a
conclu que l'opération Merial ne créerait pas et ne renfor-
cerait pas davantage une position dominante sur le marché
des
parasiticides et de la génétique avicole. Rhône-Poulenc SA
et
Merck & Co Inc. ont toutefois réalisé l'opération de concen-
tration le 1er août 1997, tout en déclarant avoir suspendu
leurs ventes vers la Suisse.

B.- Par décision du 16 février 1998, la Commission
de la concurrence a, sur la base de l'art. 51 al. 1 LCart,
infligé aux entreprises Rhône-Poulenc SA et Merck & Co Inc.
une amende de 60'000 fr. chacune pour avoir réalisé l'opé-
ration Merial pendant le délai d'interdiction provisoire de
l'art. 32 al. 2 LCart. Elle est cependant revenue sur cette
décision le 21 décembre 1998 et a réduit les amendes pour
tenir compte des chiffres d'affaires annuels respectifs réa-
lisés en Suisse par chacune des entreprises. L'amende de
Rhône-Poulenc SA a ainsi été fixée à 23'625 fr. et celle de
Merck & Co Inc. à 11'625 fr.

C.- Statuant le 4 juillet 2000 sur le recours déposé
par Rhône-Poulenc SA et Merck & Co Inc., la Commission de re-
cours pour les questions de concurrence a admis le recours
et
annulé la décision du 21 décembre 1998. Elle a retenu en
bref
que les règles sur la notification des opérations de concen-
tration (art. 9 LCart) n'étaient pas applicables, dès lors
que rien ne permettait d'admettre que le regroupement en cau-
se serait en mesure d'influencer de manière sensible la con-
currence en Suisse. Dans ces conditions, elle a estimé qu'il
n'était pas nécessaire d'examiner s'il y avait eu contraven-
tion à l'interdiction provisoire prévue à l'art. 32 al. 2
LCart et si, le cas échéant, les sanctions prononcées
étaient
justifiées.

D.- Agissant par la voie du recours de droit admi-
nistratif, le Département fédéral de l'économie publique con-

clut à l'annulation de la décision du 4 juillet 2000 et au
renvoi de la cause à la Commission de recours pour les ques-
tions de concurrence pour nouvelle décision dans le sens des
considérants. Il fait notamment valoir que la loi sur les
cartels s'applique dès qu'un effet se produit en Suisse,
sans
égard à son intensité et à sa nature; à défaut, ce serait
les
entreprises procédant à la concentration qui, contrairement
à
la volonté du législateur, devraient estimer elles-mêmes les
effets de l'opération en cause sur le marché suisse.

La Commission de recours pour les questions de con-
currence a renoncé à se déterminer.

Les entreprises Rhône-Poulenc SA et Merck & Co Inc.
concluent, sous suite de frais et dépens, au rejet du re-
cours. Elles soutiennent essentiellement que l'opération réa-
lisée n'était pas assujettie à l'obligation de notification,
car elle n'était pas susceptible de produire des effets sur
la concurrence au sens de l'art. 2 al. 2 LCart.

Le Département fédéral de l'économie publique a re-
noncé à se déterminer sur la réponse des intimées.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t:

1.- a) Le présent litige porte sur les mesures admi-
nistratives que la Commission de la concurrence a la compé-
tence de prendre en vertu des art. 18 ss LCart. La décision
de la Commission de recours pour les questions de
concurrence
est donc bien une décision au sens de l'art. 97 al. 1 OJ, en
relation avec l'art. 5 al. 1 PA, prise par une commission fé-
dérale (art. 98 lett. f OJ), qui est susceptible d'être atta-
quée auprès du Tribunal fédéral par la voie du recours de
droit administratif. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral
est
lié par les faits constatés par la Commission de recours,
sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou
s'ils
ont été établis au mépris de règles essentielles de la procé-
dure (art. 105 al. 2 OJ).

b) Selon l'art. 103 lett. b OJ, le Département fédé-
ral compétent dans le domaine en cause a qualité pour former
un recours de droit administratif contre les décisions
émanant des commissions fédérales de recours, lorsque, comme
en l'espèce, il défend un intérêt public à l'application cor-
recte du droit fédéral (ATF 127 II 32 consid. 1b p. 35 et
les
références citées).

c) Il y a lieu dès lors d'entrer en matière sur le
recours de droit administratif qui a en outre été déposé en
temps utile et dans les formes requises.

2.- Les entreprises Rhône-Poulenc et Merck & Co Inc.
ont leur siège respectif en France et aux Etats-Unis et ne
possèdent pas d'établissements ou de filiales en Suisse.
Après avoir notifié leur opération de concentration à la Com-
mission des Communautés européennes (ci-après: la Commission
CEE), selon l'art. 4 du Règlement CEE, elles ont obtenu un
avis positif, le 2 juillet 1997. Elles ont ensuite notifié
l'opération en cause au Secrétariat de la Commission de la
concurrence, conformément à l'art. 9 al. 1 LCart, en décla-
rant vouloir réaliser la concentration au 1er août 1997.
Pour
expliquer leur démarche, les intimées ont soutenu devant la
Commission de recours pour les questions de concurrence que
la décision de la Commission CEE revêtait un caractère préa-
lable pour la notification en Suisse, car il s'agissait de
savoir si l'opération Merial devait ou non être considérée
comme une entreprise commune de nature "concentrative" soumi-
se à notification (voir recours du 28 janvier 1999). Après
la
procédure de notification, elles ont toutefois prétendu, com-
me dans leur réponse au présent recours, que la loi sur les

cartels n'était pas applicable à la concentration en cause,
du moment que celle-ci n'engendrait aucune modification
structurelle, soit aucun effet qualifié sur le marché
suisse,
seul visé par l'art. 2 al. 2 LCart. Or, l'opération Merial
ne
produisait des effets que sur les ventes de produits non con-
currents effectuées en Suisse et n'entrait donc pas dans le
champ d'application de la loi. La Commission de recours a
partagé ce point de vue et a, par conséquent, annulé la déci-
sion de la Commission de la concurrence du 21 décembre 1998.

Il s'agit dès lors d'examiner au préalable si la loi
sur les cartels est ou non applicable à la concentration réa-
lisée par les entreprises intimées.

3.- a) Selon l'art. 2 LCart, la loi sur les cartels
s'applique:

- "aux entreprises de droit privé ou de droit public
qui sont parties à des cartels ou à d'autres
accords
en matière de concurrence, qui sont puissantes sur
le marché ou participent à des concentrations d'en-
treprises (al. 1);

- aux états de faits qui déploient leurs effets en
Suisse, même s'ils se sont produits à l'étranger
(al. 2)." (En allemand: "Das Gesetz ist auf Sach-
verhalte anwendbar, die sich in der Schweiz auswir-
ken, auch wenn sie im Ausland veranlasst werden").

L'ancien droit se fondait déjà sur le principe dit
des effets et admettait ainsi l'application du droit suisse
lorsqu'une restriction de concurrence produisait ses effets
sur le marché suisse (ATF 93 II 192 consid. 3 p. 196). La
loi
du 6 octobre 1995 innove en ce sens qu'elle précise expressé-
ment son champ d'application géographique et le définit en
fonction du principe des effets sur le marché suisse, même
si
les restrictions à la concurrence se sont produites à
l'étranger (art. 2 al. 2 LCart.; Message concernant la loi
sur les cartels du 23 novembre 1994 in FF 1995 I p.
535/536).

Avec l'art. 2 al. 2 LCart, le principe des effets ("Auswir-
kungsprinzip"), largement reconnu sur le plan international,
est donc maintenant inscrit dans la loi. Il ne s'agit cepen-
dant que des effets sur le marché suisse prévisibles d'em-
blée, afin de réserver à l'autorité compétente la
possibilité
de procéder ensuite à un examen plus approfondi (Jürg Borer,
Schnittstellen der schweizerischen mit der europäischen
Wettbewerbsordnung, in "Der Einfluss des europäischen Rechts
auf die Schweiz, Festschrift für Professor Roger Zäch zum
60.
Geburtstag", Zurich 1999, p. 221; Ulrich Immenga, Zur extra-
territorialen Anwendung der europäischen Fusionskontrolle,
ebenda, p. 349 ss). L'art. 2 al. 2 LCart est donc une règle
de conflit qui fixe les conditions d'application de la loi
suisse sur les cartels et oblige la Commission de la concur-
rence à exercer un contrôle préventif, en examinant l'in-
fluence de la concentration sur le marché suisse déjà au sta-
de de la notification de l'opération en cause selon l'art. 9
al. 1 LCart (Jürg Borer, Kommentar zum schweizerischen
Kartellgesetz, Zurich 1998, n. 20 à 23 ad art. 2, p. 104 à
109).

b) Conscient des difficultés qui pouvaient survenir
lorsqu'aucune des entreprises concernées ne relevait de la
juridiction suisse et que tout leur patrimoine se trouvait à
l'étranger, le Conseil fédéral avait certes introduit une rè-
gle de conflit spéciale qui visait à limiter l'application
du
principe des effets. L'art. 9 al. 4 du projet de loi pré-
voyait ainsi qu'une concentration d'entreprises n'était pas
soumise au régime de l'autorisation lorsque toutes les entre-
prises participantes avaient leur siège à l'étranger et
n'étaient pas affiliées à une entreprise en Suisse, ni ne
disposaient d'un établissement en Suisse actif sur les mêmes
marchés ou sur les marchés voisins (FF 1995 I p. 575/576).
La
Commission du Conseil national a cependant décidé de suppri-
mer cette disposition, jugeant préférable de ne pas se
priver
de toute possibilité d'intervention. Le Parlement a ensuite

approuvé sans discussion cette modification (voir Bruno
Schmidhauser, Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz,
Zurich 1997, n. 43 ad art. 2, p. 17; Ducrey/Drolshammer,
Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, Zurich 1997,
Vorbemerkungen zu Art. 9 bis 11, n. 12 à 18, p. 9 à 11 et
n. 29 ad art. 9, p. 18).

Il s'ensuit que l'obligation d'annoncer les opéra-
tions de concentration selon le droit suisse peut déjà résul-
ter des effets potentiels que lesdites opérations sont sus-
ceptibles de produire sur le marché suisse, même si les en-
treprises concernées ne sont pas physiquement présentes en
Suisse (Ducrey/Drolshammer, op. cit. n. 30 ad art. 9, p. 19;
Rolf Bär, Das Auswirkungsprinzip im schweizerischen und euro-
päischen Wettbewerbsrecht, in "Die neue schweizerische
Wettbewerbsordnung im internationalen Umfeld", Berner Tage
für die juristische Praxis 1996, p. 93).

4.- a) L'obligation d'annoncer une concentration
d'entreprises est réglée par l'art. 9 al. 1 LCart, qui en
fixe les critères formels de la manière suivante:

"1. Les opérations de concentration d'entreprises
doivent être notifiées avant leur réalisation à la
Commission de la concurrence lorsque, dans le der-
nier exercice précédant la concentration:

a. les entreprises participantes ont réalisé ensem-
ble un chiffre d'affaires minimum de 2 milliards de
francs ou un chiffre d'affaires en Suisse de 500
millions de francs, et

b. au moins deux des entreprises participantes ont
réalisé individuellement en Suisse un chiffre d'af-
faires de 100 millions de francs."

A noter que ces montants ne s'appliquent pas aux en-
treprises de journaux et aux diffuseurs de programmes radio

et télévision (art. 9 al. 2 LCart) et que
d'autres critères
sont prévus pour les assurances et les banques (art. 9 al. 3
LCart).

L'art. 9 al. 1 LCart contient donc deux conditions
cumulatives: la première concrétise le principe des effets
(lettre a) et la seconde a pour but de soustraire au
contrôle
les concentrations entre petites entreprises ou entre des en-
treprises qui n'ont pratiquement pas d'activités en Suisse
(lettre b, dénommée "clause bagatelle"; à propos de cette
disposition, voir Ducrey/Drolshammer, op. cit. n. 1, 34 avec
remarque, et 41 ad art. 9, p. 8, 21 et 24; Jürg Borer, Kom-
mentar, n. 15 ad art. 2, p. 101; Patrik Ducrey, Unter-
nehmenszusammenschlüsse im Kartellrecht, in: Mergers & Acqui-
sitions, Zurich 1998, p. 138; Eugen Marbach, Die Fusions-
kontrolle im schweizerischen und europäischen Wettbewerbs-
recht, in "Die neue schweizerische Wettbewerbsordnung im in-
ternationalen Umfeld", Berner Tage für die juristische
Praxis
1996, p. 122/123; Rolf Watter/Urs Lehmann, Die Kontrolle von
Unternehmenszusammenschlüssen im neuen Kartellgesetz, in:
PJA
7/1996, p. 864). Les montants relativement élevés des
valeurs
seuils ont pour résultat de limiter le contrôle de la Commis-
sion de la concurrence aux entreprises qui ont une certaine
puissance financière et sont à même d'acquérir une position
dominante sur le marché suisse (FF 1995 I p. 572/573 ; Jürg
Borer, Kommentar, n. 2 ad art. 9, p. 229/230; Isabelle
Chabloz, Influence du droit européen sur le droit suisse des
"cartels", in "La décartellisation en Suisse: influences eu-
ropéennes" p. 48, Fribourg 1999). Ainsi fixées dans la loi,
les valeurs seuils offrent une certaine sécurité sur le plan
juridique et permettent également aux entreprises de pouvoir
évaluer plus facilement si elles ont l'obligation d'annoncer
leur concentration (Jürg Borer, Kommentar, n. 15 ad art. 2
p. 102). Les modes de calcul des valeurs seuils selon les
chiffres d'affaires sont précisés aux art. 3 à 5 de l'ordon-
nance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations

d'entreprises (OCCE; RS 251.4). Lorsque, comme en l'espèce,
la concentration concerne deux secteurs de production, les
chiffres d'affaires des entreprises participantes doivent
être pris en compte globalement, pour tenir compte de leur
puissance économique sur le marché suisse, et non pas seule-
ment sur la base des secteurs directement concernés par
l'opération (Ducrey/Drolshammer, op. cit., n. 14 et 47 à 53
ad art. 9, p. 14 et 27/28; Eugen Marbach, op. cit. p. 123).

b) La loi sur les cartels de 1962 ne faisait aucune
allusion aux opérations de concentrations d'entreprises ou à
leur contrôle; quant à la loi de 1985, elle permettait à
l'ancienne Commission des cartels d'ouvrir une enquête, qui
s'effectuait le plus souvent a posteriori, s'il paraissait
qu'une fusion avait pour effet de créer ou de renforcer une
position dominante. L'idée d'un contrôle des concentrations
s'est en fait développée à la lumière du droit communautaire
(Frank Scherrer, Das europäische und das schweizerische
Fusionskontrollverfahren, thèse Zurich 1996, p. 312 ss;
Christian Bovet, Premières expériences dans le contrôle des
concentrations, in: Journée du droit de la concurrence,
Genève 1998, p. 61/62). Fondé sur les art. 85 et 86 du
Traité
CEE, ainsi que sur le Règlement CEE, le droit européen de la
concurrence joue en effet un "rôle locomotive" à l'égard des
législations nationales et le Conseil fédéral s'en est égale-
ment inspiré lorsqu'il a édicté le projet de loi, en particu-
lier pour fixer les valeurs seuils permettant de soumettre
les entreprises participantes au contrôle (FF 1995 I p. 530
et 532; Thomas Huggenberger, Die marktbeherrschende Stellung
in der Fusionskontrolle der EG, Berne 2000, p. 47 ss; Frank
Scherrer, op. cit. p. 335/336). Selon le Règlement CEE,
toute
opération de concentration est de dimension communautaire,
lorsque le chiffre d'affaires réalisé sur le plan mondial re-
présente un montant supérieur à 5 milliards d'écus (=
environ
7,5 milliards de francs) et lorsque le chiffre d'affaires
réalisé individuellement dans la Communauté par au moins
deux
des entreprises concernées représente un montant supérieur à
250 millions d'écus (= environ 380 millions de francs;
Ducrey/Drolshammer, op. cit., n. 96 à 100 ad art. 9, p. 50).

En comparaison, la Suisse a donc des valeurs seuils
relativement élevées par rapport à la dimension de son mar-
ché. Ces valeurs ont cependant été voulues par le
législateur
pour des raisons politiques (FF 1995 I p. 573 et 579;
Ducrey/Drolshammer, op. cit. n. 39 ad art. 9, p. 22; Jürg
Borer, Kommentar, n. 2 ad art. 9, p. 229/230; Frank
Scherrer,
op. cit. p. 342; Rolf Dähler, Die Fusionskontrolle, in "Das
neue schweizerische Kartell- und Wettbewerbsrecht", Zurich
1996, numéro spécial de la Revue suisse du droit des affai-
res, p. 27). Les montants prévus par l'art. 9 al. 1 LCart ex-
cluent en principe que les entreprises qui réalisent
ensemble
un chiffre d'affaires de 500 millions (ou 2 milliards sur le
plan mondial) et individuellement de 100 millions n'aient au-
cune influence sur le marché suisse. Il paraît dès lors peu
probable qu'elles ne soient pas assujetties à la loi en
vertu
de l'art. 2 al. 2 LCart et qu'un éventuel conflit puisse sur-
venir entre les deux dispositions (Jürg Borer, Kommentar, n.
23 ad art. 2, p. 108/109; Ducrey/Drolshammer, op. cit., n.
29
et 39 ad art. 9, p. 18 et 22; Scherrer, op. cit., p. 336).
Au
contraire, en ce qui concerne l'obligation d'annoncer, les
valeurs seuils ainsi fixées par l'art. 9 al. 1 LCart
concrétisent le principe des effets ("Auswirkungsprinzip")
contenu à l'art. 2 al. 2 LCart.

Dans ces conditions, il y a lieu d'admettre que les
entreprises dont les chiffres d'affaires atteignent les va-
leurs seuils de l'art. 9 al. 1 LCart sont assujetties à la
loi sur les cartels et ont l'obligation d'annoncer leur opé-
ration de concentration, même si elles ont leur siège à
l'étranger. C'est au demeurant la procédure qui a tout

d'abord été suivie par les entreprises intimées, avant qu'el-
les ne soutiennent que la loi suisse n'était pas applicable
dans leur cas.

c) La notification d'une opération de concentration
selon l'art. 9 LCart entraîne automatiquement l'ouverture de
la procédure d'examen selon les art. 32 ss LCart, procédure
qui présente plusieurs similitudes avec celle du Règlement
CEE, notamment en ce qui concerne la suspension de l'opéra-
tion de concentration pendant la procédure d'examen: un mois
selon l'art. 32 al. 2 LCart et trois semaines selon l'art. 7
du Règlement CEE, avec des possibilités de prolongation ou
de
dérogation semblables (Franz Hoffet, Unternehmenszusammen-
schlüsse - Materielles Fusionskontrollrecht, Art. 9-10 KG,
in
"Das Kartellgesetz in der Praxis", Zurich 2000; voir aussi
tableau comparatif de Jürg Borer, Erste Erfahrungen im Be-
reich der Fusionskontrolle, in "Das neue Kartellgesetz.
Erste
Erfahrungen in der Praxis", p. 156 ss). La violation de
cette
interdiction peut entraîner des sanctions administratives
(art. 51 LCart: paiement d'un montant d'un million de francs
au plus) et pénales (art. 55 LCart: amende de 20'000 fr. au
plus). Faute de compétence de la Commission de la
concurrence
sur le plan international, ces sanctions restent certes dif-
ficiles à imposer aux entreprises qui n'ont aucune présence
physique en Suisse (Ducrey/Drolshammer, op. cit. ad art. 9
ch. 30, p. 19 et ch. 38, p. 22, voir aussi l'analyse de l'af-
faire Merial par Christian Bovet, op. cit., p. 88/89). Toute-
fois, comme on l'a vu (supra consid. 3b), la volonté du lé-
gislateur était clairement de donner à la Commission la pos-
sibilité d'intervenir, dans chaque cas, pour rétablir une
concurrence efficace, plusieurs mesures étant prévues à
cette
fin (art. 37 LCart). Il paraît donc logique que la
Commission
de la concurrence puisse aussi intervenir déjà au stade de
la
procédure d'examen, en particulier pour faire respecter le
délai d'attente de l'art. 32 al. 2 LCart. Au demeurant, le
Tribunal fédéral, comme les instances fédérales compétentes

en la matière, reste lié par cette réglementation aussi long-
temps qu'il n'existe pas de normes internationales
contraires
(art. 191 Cst.). La Commission CEE connaît d'ailleurs des
problèmes semblables lorsqu'il s'agit d'appliquer le
Règlement CEE à des pays qui ne sont pas membres de la
Communauté européenne. Fondamentalement, la véritable
solution ne peut donc être trouvée qu'au travers des
conventions internationales (Frank Montag/Christoph
Leibenath, Aktuelle Probleme in der Europäischen Fusions-
kontrolle, in: Neueste Entwicklungen im europäischen und
internationalen Kartellrecht, Siebentes St. Galler Inter-
nationales Kartellrechtsforum 2000, p. 98 ss, spéc. p. 100;
Ulrich Immenga, op. cit. in "Festschrift für Professor Roger
Zäch zum 60. Geburtstag", Zurich 1999, p. 358).

d) Avec ses modalités fixées aux art. 11 ss OCCE,
la procédure de notification reste donc une phase
essentielle
du contrôle des concentrations d'entreprises. Dans cette pro-
cédure, la Commission de la concurrence dispose d'un large
pouvoir d'examen et a notamment la possibilité de préciser
les conditions de la notification, ainsi que les
informations
à fournir en vertu de l'art. 11 OCCE. Par conséquent, elle
peut également déterminer dans quelle mesure une
notification
déposée auprès d'une autorité étrangère est utilisable en
Suisse, de sorte qu'il paraît souhaitable que le formulaire
de notification tienne compte de l'évolution des procédures
de notification à l'étranger (Philippe Gugler/Benoît Merkt,
Considérations sur le formulaire de notification des concen-
trations d'entreprises, in Journée du droit de la concurren-
ce, Genève 1998, p. 92 et 100). La procédure de notification
pourrait notamment être simplifiée pour les entreprises
ayant
leur siège à l'étranger en leur donnant, par exemple, la pos-
sibilité de déposer simultanément leur formulaire devant la
Commission CEE et la Commission de la concurrence. Il est en
revanche exclu que les entreprises se fondent sur le
résultat

de leur démarche auprès de la Commission CEE pour déposer ou
non leur demande en Suisse, ainsi que l'ont fait les inti-
mées.

5.- a) En l'espèce, il n'est pas contesté que les
chiffres d'affaires des entreprises intimées doivent être
pris en compte globalement (voir supra consid. 4a). Il est
également admis que ceux-ci s'élèvent en Suisse à environ
315
millions de francs pour Rhône-Poulenc et 155 millions pour
Merck & Co Inc. (respectivement 85 Mrd FF et 19,8 Mrd US$
sur
le plan mondial), de sorte qu'ils dépassent les valeurs
seuils de l'art. 9 al. 1 LCart; partant, ils ont en même
temps des effets potentiels déterminants sur le marché
suisse
au sens de l'art. 2 al. 2 LCart. La Commission de la concur-
rence a donc admis à juste titre que l'opération de concen-
tration des entreprises intimées était assujettie à la loi
sur les cartels. Le fait qu'elle a reconnu par la suite la
licéité de cette opération, ne modifie pas le bien-fondé de
l'examen auquel elle a procédé. Dès lors, la décision de la
Commission de recours pour les questions de concurrence, qui
a annulé la décision de l'autorité de première instance en
niant l'assujettissement des intimées à la loi, viole le
droit fédéral. Le présent recours doit ainsi être admis et
la
décision attaquée annulée.

b) Dans sa décision du 4 juillet 2000, la Commission
de recours pour les questions de concurrence ne s'est pas
prononcée sur les sanctions infligées aux entreprises inti-
mées pour violation de l'interdiction provisoire de l'art.
32
al. 2 LCart. Il se justifie dès lors de lui renvoyer l'affai-
re pour nouvelle décision sur ce point.

c) Au vu de l'issue du recours, les frais doivent
être mis à la charge des entreprises intimées, à parts
égales
et solidairement entre elles (art. 156 al. 1 et 7 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le recours et annule la décision attaquée,
l'affaire étant renvoyée à la Commission de recours pour les
questions de concurrence pour nouvelle décision dans le sens
des considérants.

2. Met un émolument judiciaire de 5'000 fr. à la
charge des intimées, par moitié chacune et solidairement en-
tre elles.

3. Communique le présent arrêt en copie au recou-
rant, au mandataire des intimées, à la Commission de la con-
currence, à Berne, et à la Commission de recours pour les
questions de concurrence, à Frauenkappelen.
_______________

Lausanne, le 24 avril 2001
ROC/elo

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.387/2000
Date de la décision : 24/04/2001
2e cour de droit public

Analyses

Art. 2 et 9 LCart: concentration d'entreprises. Recevabilité du recours de droit administratif en matière de droit de la concurrence et qualité pour agir du département (consid. 1). Art. 2 al. 2 LCart: la loi sur les cartels est applicable en fonction du principe dit des effets ("Auswirkungsprinzip"), soit les effets potentiels qu'une concentration d'entreprise est susceptible de produire sur le marché suisse (consid. 3). Art. 9 al. 1 LCart: interprétation de cette disposition et comparaison avec le droit européen; il y a obligation d'annoncer une concentration d'entreprises dès que les valeurs seuils de l'art. 9 al. 1 LCart sont atteintes, même si les entreprises concernées ont leur siège à l'étranger (consid. 4a et b). Possibilités d'intervention de la Commission de la concurrence (consid. 4c). Application au cas d'espèce (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-04-24;2a.387.2000 ?
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