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24/04/2001 | SUISSE | N°1P.641/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 avril 2001, 1P.641/2000


«/2»

1P.641/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

24 avril 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Me Cornelia Seeger Tappy, avocate
à Lausanne,

contre

le jugement rendu le 12 septembre 2000 par le Tribunal de
police du district d'Yve

rdon;

(présomption d'innocence)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 12...

«/2»

1P.641/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

24 avril 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Me Cornelia Seeger Tappy, avocate
à Lausanne,

contre

le jugement rendu le 12 septembre 2000 par le Tribunal de
police du district d'Yverdon;

(présomption d'innocence)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 12 août 1999 à 9h57, sur l'autoroute A1 entre
Yverdon et Lausanne, un appareil automatique de contrôle de
la vitesse a photographié le véhicule Chrysler n°________,
immatriculé au nom de la société R.________ AG, qui
circulait
à 139 km/h (après déduction de la marge de sécurité). La gen-
darmerie vaudoise a adressé une amende d'ordre de 180 fr.
(dépassement de la vitesse autorisée sur autoroute, de 16 à
20 km/h) à R.________, administrateur de la société; par la
suite, cette amende restant impayée, elle a dénoncé l'infra-
ction au Préfet du district d'Yverdon.

Par un prononcé sans citation du 24 décembre 1999,
ce magistrat a infligé à R.________ une amende de 260 fr.
pour violation des règles de la circulation (art. 90 ch. 1
LCR). Les lettres reçues ensuite de ce dernier, d'après les-
quelles l'auteur de la contravention ne pouvait pas être dé-
couvert, ont été traitées d'abord comme demande de réexamen,
puis comme déclaration d'appel; le dossier a ainsi été trans-
mis au Tribunal de police du district d'Yverdon.

B.- Devant ce tribunal, à l'audience du 12 septembre
2000, R.________ a contesté être l'auteur de la contraven-
tion; il a affirmé que le véhicule était conduit, lors du
contrôle de vitesse, par un membre de sa famille, et il a
fait valoir qu'il n'était pas tenu d'en révéler l'identité.

Statuant le même jour, le Tribunal de police a reje-
té l'appel et confirmé l'amende infligée par le Préfet.
Selon
le jugement, le détenteur d'un véhicule ne peut pas se con-
tenter, pour échapper à toute sanction pénale, de simplement
contester être l'auteur d'une infraction routière dûment
constatée, et d'invoquer le droit de refuser de témoigner;
au

contraire, il lui incombe d'indiquer "de quelle manière et
pour quel motif" un tiers se trouvait en possession de son
véhicule; il doit aussi fournir des renseignements "plausi-
bles et vérifiables" afin d'"établir qu'au moment de la com-
mission de l'infraction, il s'adonnait à une autre activité
que la conduite de sa voiture". En l'occurrence, "l'appelant
n'[avait] pas fait preuve du minimum de collaboration qu'on
était en droit d'attendre de lui dans l'établissement des
faits, et [devait] dès lors être considéré comme l'auteur de
l'infraction constatée".

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
R.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler le
jugement
du Tribunal de police. Il tient sa condamnation pour contrai-
re, notamment, à l'art. 32 al. 1 Cst. relatif à la présomp-
tion d'innocence.

Invités à répondre, le Tribunal de police et le Pré-
fet du district d'Yverdon ont renoncé à déposer des observa-
tions.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- D'après la loi vaudoise du 18 novembre 1969 sur
les contraventions, le Préfet connaît des contraventions pou-
vant entraîner une peine d'arrêts ou d'amende, lorsqu'une
peine d'amende paraît suffisante (art. 14 al. 2 let. b); son
prononcé est susceptible d'appel au Tribunal de police (art.
15 al. 1 let. c). Le jugement rendu sur appel par ce
tribunal
est, lui, définitif s'il a pour objet, comme en l'espèce,
une
contravention de droit fédéral (art. 80a al. 2). En particu-
lier, le jugement ne peut pas être déféré au Tribunal canto-
nal. Il constitue donc un prononcé cantonal de dernière ins-

tance, contre lequel le recours de droit public est
recevable
au regard de l'art. 86 al. 1 OJ.

2.- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la
présomption d'innocence, garantie par les art. 32 al. 1 Cst.
et 6 par. 2 CEDH, porte à la fois sur la répartition du far-
deau de la preuve dans le procès pénal, d'une part, et sur
la
constatation des faits et l'appréciation des preuves,
d'autre
part.

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, il in-
combe entièrement et exclusivement à l'accusation d'établir
la culpabilité du prévenu, et non à celui-ci de démontrer
qu'il n'est pas coupable. La présomption d'innocence est vio-
lée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul
motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence. Lorsque le
recourant se plaint d'une telle violation, le Tribunal fédé-
ral examine librement s'il ressort du jugement, considéré
objectivement, que le juge a condamné l'accusé uniquement
parce qu'il n'avait pas prouvé son innocence.

Quant à la constatation des faits, la présomption
d'innocence interdit au juge de prononcer une condamnation
alors qu'il éprouve des doutes sur la culpabilité de l'ac-
cusé. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours
possibles, ne suffisent certes pas à exclure une condamna-
tion. De ce point de vue, dans la procédure du recours de
droit public, la présomption d'innocence n'offre pas de pro-
tection plus étendue que l'interdiction d'une appréciation
arbitraire des preuves, garantie par l'art. 9 Cst. La pré-
somption d'innocence n'est invoquée avec succès que si le
recourant démontre qu'à l'issue d'une appréciation exempte
d'arbitraire de l'ensemble des preuves, le juge aurait dû
éprouver des doutes sérieux et irréductibles sur sa culpabi-
lité (ATF 120 Ia 31 consid. 2 p. 33; voir aussi ATF 124 IV
86
consid. 2a p. 87/88).

Dans la mesure où une condamnation est fondée, no-
tamment, sur le refus du prévenu de répondre à certaines
questions et, ainsi, de collaborer à la constatation des
faits, la présomption d'innocence est en cause sous ses deux
aspects: le verdict de culpabilité peut éventuellement signi-
fier que le prévenu a renoncé à prouver son innocence, ou a
échoué dans cette preuve; le refus de répondre peut aussi,
selon les circonstances, apparaître comme un élément entière-
ment dépourvu de pertinence pour l'appréciation des preuves,
le juge ayant ainsi méconnu arbitrairement les doutes qu'il
aurait dû éprouver quant à la culpabilité du prévenu. En
réalité, la portée de la présomption d'innocence apparaît
ici
étroitement liée à celle du droit du prévenu de se taire et
de ne pas témoigner contre soi-même. Si le prévenu a adopté,
dans le procès, un comportement excédant les limites de son
droit de se taire, il ne peut vraisemblablement pas invoquer
la présomption d'innocence pour critiquer les conclusions
que
le juge a, le cas échéant, inférées de son silence.

3.- Selon certains auteurs, le droit de se taire et
de ne pas témoigner contre soi-même - droit consacré en ter-
mes explicites à l'art. 14 ch. 3 let. g du Pacte internatio-
nal relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2) -
découle d'ailleurs directement de la présomption d'innocence
(Velu/Ergec, La Convention européenne des droits de l'homme,
Bruxelles 1990, n. 561 p. 470; Villiger, Handbuch der Euro-
päischen Menschenrechtskonvention, 2e éd., Zurich 1999, n.
502 p. 321). La Cour européenne des droits de l'homme consi-
dère, elle, que ce droit fait partie des normes internatio-
nales généralement reconnues qui se trouvent au coeur de la
notion de procès équitable, selon l'art. 6 par. 1 CEDH
(arrêt
du 8 février 1996 Murray c. Royaume-Uni, ch. 45, Rec. 1996
p.
30; voir aussi arrêts du 6 juin 2000 Averill c. Royaume-Uni,
ch. 45; du 2 mai 2000 Condron c. Royaume-Uni, ch. 56; ATF
121
II 257 consid. 4a p. 264).

D'après la Cour de Strasbourg, le droit de se taire
interdit au juge de fonder une condamnation exclusivement ou
essentiellement sur le silence du prévenu, ou sur son refus
de répondre à des questions ou de déposer. Par contre, ce
droit n'interdit pas de prendre en considération le silence
du prévenu dans des situations qui appellent assurément une
explication de sa part, pour apprécier la force de
persuasion
des éléments à charge; à cet égard, le droit de se taire n'a
donc pas de portée absolue. Pour apprécier si le fait de
tirer de son silence des conclusions défavorables au prévenu
est contraire à l'art. 6 CEDH, il faut tenir compte de l'en-
semble des circonstances et rechercher dans chaque cas si
les
charges de l'accusation sont suffisamment sérieuses pour ap-
peler une réponse. Le juge de la cause pénale ne peut pas
conclure à la culpabilité du prévenu simplement parce que
celui-ci choisit de garder le silence. C'est seulement si
les
preuves à charge appellent une explication que l'accusé de-
vrait être en mesure de donner, que l'absence de celle-ci
peut permettre de conclure, par un simple raisonnement de
bon
sens, qu'il n'existe aucune explication possible et que l'ac-
cusé est coupable (arrêt précité Murray, ch. 47 et ss;
arrêts
Averill et Condron, loc. cit.).

4.- Il est ainsi nécessaire d'examiner, d'abord,
s'il existait des indices de culpabilité suffisamment
concluants à la charge du recourant, propres à appeler une
explication de sa part; dans l'affirmative, il faut recher-
cher s'il a fourni cette explication ou si, au contraire,
elle lui a été demandée sans succès.

Le Tribunal fédéral a déjà admis que, lorsqu'une
infraction a été commise par le conducteur non identifié
d'un
véhicule, la qualité de détenteur de ce véhicule constitue
un
indice de culpabilité; il a également admis que si le déten-
teur refuse alors d'indiquer qui était le conducteur, le
juge
peut, sans violer la présomption d'innocence, au stade de

l'appréciation des preuves, retenir que le détenteur condui-
sait lui-même. Dans cette dernière affaire, le détenteur ne
prétendait pas avoir un quelconque lien, notamment de paren-
té, avec le tiers qu'il refusait de désigner (arrêt du 12 no-
vembre 1993 dans la cause S., consid. 2c).

Dans une autre cause, le véhicule était immatriculé,
comme dans le cas présent, au nom d'une société anonyme; le
juge avait condamné l'un des membres du conseil d'adminis-
tration, en renvoyant ceux-ci à identifier eux-mêmes la per-
sonne qui avait commis l'infraction et devrait acquitter
l'amende. Le Tribunal fédéral a annulé cette condamnation
pour violation de la présomption d'innocence (arrêt de la
Cour de cassation pénale du 17 octobre 2000 dans la cause
P.,
consid. 3).

En l'espèce, le nom de la société détentrice du
véhicule n°________ donne à penser que cette personne morale
est dominée par le recourant exclusivement, et que celui-ci
est donc, en principe, seul en droit d'utiliser ou de faire
utiliser ledit véhicule. Cette impression est corroborée par
le fait que le recourant, selon ses propres déclarations,
savait qui était au volant le 12 août 1999 au matin. Il
n'est
cependant pas nécessaire d'apprécier si ces indices peuvent
être tenus, sans arbitraire, pour suffisamment sûrs et con-
cluants. En effet, de toute manière, même si le recourant
n'a
pas désigné le conducteur, il a néanmoins fourni l'explica-
tion que l'on pouvait attendre de lui.

Le recourant a indiqué que le conducteur était un
membre de sa famille. Pour le surplus, l'art. 195 CPP vaud.
prévoit que nul n'est tenu de répondre, comme témoin, à une
question portant sur un fait de nature à exposer à des pour-
suites pénales ses parents ou alliés en ligne directe, ses
frères ou soeurs, ou son conjoint ou ex-conjoint. De façon
implicite, à l'audience, le recourant s'est prévalu de cette

disposition, et le jugement attaqué ne met pas en doute
qu'elle soit applicable. Le recourant bénéficiait donc d'une
règle de droit qui le dispensait expressément de fournir une
explication plus précise. Dans ces conditions, on ne peut
pas
lui reprocher un usage excessif du droit de se taire, et on
ne peut donc pas non plus tirer, de son refus de répondre,
des conclusions défavorables au sujet de sa culpabilité.

L'utilisation d'un véhicule par plusieurs personnes,
dans le cercle familial du détenteur ou de l'ayant droit,
est
une situation très courante, et l'explication fournie appa-
raît donc plausible. Elle est aussi de nature à disculper le
recourant, personnellement visé par la poursuite pénale. En
l'état du dossier, il n'existe aucun élément propre à
établir
que cette explication soit contraire à la vérité, de sorte
que le Tribunal de police aurait dû tenir la culpabilité du
recourant pour sérieusement douteuse. La condamnation atta-
quée est, par conséquent, intervenue en violation de la pré-
somption d'innocence, ce qui doit entraîner son annulation.
Il appartiendra au Tribunal de police de prononcer l'acquit-
tement du recourant, à moins que ce tribunal ne juge utile
de
requérir d'abord un complément d'enquête, conformément à
l'art. 79 al. 2 de la loi cantonale sur les contraventions.

5.- Le recourant qui obtient gain de cause a droit à
des dépens, à la charge du canton de Vaud.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule le jugement attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Dit que le canton de Vaud versera une indemnité
de 1'000 fr. au recourant à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie à la manda-
taire du recourant, à la Préfecture du district d'Yverdon et
au Tribunal de police du district d'Yverdon.

Lausanne, le 24 avril 2001
THE/col

Au nom de la Ie Cour de droit public

du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.641/2000
Date de la décision : 24/04/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-04-24;1p.641.2000 ?
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