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20/04/2001 | SUISSE | N°5C.261/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 avril 2001, 5C.261/2000


«AZA 1/2»
5C.261/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

20 avril 2001

Composition de la Cour: M. Bianchi, juge présidant,
M. Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile
pendante entre

U B S S A , à Zurich et Bâle, défenderesse et recourante,
représentée par Me Bernard Détienne, avocat à Sion,

et

P r a d e r v a n d & Cie, à Martigny, demanderesse et in-
timée, représentée par Me Marius-Pascal Copt, avocat à Marti-
g

ny;

(privilège des artisans et entrepreneurs
selon l'art. 841 al. 1 CC)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
...

«AZA 1/2»
5C.261/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

20 avril 2001

Composition de la Cour: M. Bianchi, juge présidant,
M. Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile
pendante entre

U B S S A , à Zurich et Bâle, défenderesse et recourante,
représentée par Me Bernard Détienne, avocat à Sion,

et

P r a d e r v a n d & Cie, à Martigny, demanderesse et in-
timée, représentée par Me Marius-Pascal Copt, avocat à Marti-
gny;

(privilège des artisans et entrepreneurs
selon l'art. 841 al. 1 CC)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat des 4/6 janvier 1989, Styx-Immobi-
lien AG (ci-après: la société) a obtenu de la Société de Ban-
que Suisse (ci-après: la banque) un prêt pour l'achat de la
parcelle n° 1426, d'une surface de 3'895 m2, sise à Verbier,
sur le territoire de la commune de Bagnes. Elle avait acquis
cette parcelle le 21 décembre précédent pour le prix de
2'000'000 fr. (513 fr. 60/m2) en vue d'y construire un ensem-
ble d'habitations. En garantie de ses obligations résultant
du prêt, elle a souscrit, le 2 mars 1989, une obligation hy-
pothécaire au porteur de 2'000'000 fr., créance qui a été ga-
rantie par une hypothèque de premier rang sur la parcelle n°
1426.

A la suite de l'exercice d'un droit d'emption sur
une parcelle attenante (n° 1421) de 1'812 m2, acquise pour
900'000 fr., et de la vente de 406 m2 à la commune, la surfa-
ce de la parcelle n° 1426 a été portée à 5'301 m2.

Le 7 juin 1990, la société a souscrit une obligation
hypothécaire au porteur de 2'900'000 fr. En garantie de
cette
créance, une hypothèque de premier rang a été inscrite au re-
gistre foncier le 24 octobre suivant et la première hypothè-
que de 2'000'000 fr. a été radiée. La nouvelle obligation hy-
pothécaire au porteur remise à la banque mentionnait que les
frais admis par le prêteur selon l'art. 4 al. 2 de l'Arrêté
fédéral urgent du 6 octobre 1989 concernant la charge maxima-
le en matière d'engagement des immeubles non agricoles (ci-
après: AFCM; RO 1989 III 1978) s'élevait à 960'000 fr. Les
2'900'000 fr. de prêt consentis par la banque ont toutefois
été exclusivement consacrés à l'achat des biens-fonds men-
tionnés ci-dessus.

Avant d'accorder le premier prêt de 2'000'000 fr.,
l'employé du centre de la banque à Zurich avait pris par té-
léphone quelques renseignements sur les prix des terrains
pratiqués à Verbier. Selon la teneur du cadastre communal
les
terrains du secteur étaient estimés entre 400 et 450 fr./m2,
selon le directeur de l'Office du tourisme de Verbier entre
700 et 1'000 fr./m2 et selon un employé de la banque à Marti-
gny entre 700 et 800 fr./m2. C'est en fonction de ces seuls
renseignements téléphoniques que l'employé de Zurich avait
fixé la valeur du terrain à 700 fr./m2, soit à 2'726'000
fr.,
ce qui représentait une évaluation de près de 40% supérieure
au prix de vente effectif.

L'entreprise Pradervand & Cie (ci-après: l'entrepri-
se), à qui la société avait confié les travaux de ferblante-
rie et de couverture des constructions qui furent érigées
sur
la parcelle n° 1426, a obtenu, le 18 septembre 1992, l'ins-
cription définitive d'une hypothèque légale sur ladite par-
celle à concurrence de 124'775 fr. et la condamnation de la
société à lui payer ce montant avec intérêt à 6% dès le 14
novembre 1991.

Par la suite, la société a obtenu un sursis concor-
dataire avec abandon d'actifs. Vendu aux enchères le 10 dé-
cembre 1995, l'immeuble en question a été adjugé à la banque
pour le prix de 3'400'000 fr.

B.- Sa propre créance étant demeurée totalement à
découvert et se fondant, en sa qualité de titulaire d'une hy-
pothèque légale d'artisan et entrepreneur, sur l'art. 841
al.
1 CC, l'entreprise a ouvert action contre la banque en paie-
ment de la somme de 75'000 fr. plus accessoires. L'Union de
Banques Suisses a succédé comme partie à la Société de
Banque
Suisse.

En cours d'instruction, deux experts ont été succes-
sivement désignés afin de déterminer la valeur des biens-
fonds achetés par la société. L'un, Charles-Albert Udry, les
a estimés à 1'960'125 fr., l'autre, Patrice Gagliardi, à au
moins un demi million de francs de plus. La cour cantonale
s'est ralliée à l'expertise Udry.

Par jugement du 21 septembre 2000, notifié le 23 du
mois suivant aux parties, la IIe Chambre civile du Tribunal
cantonal valaisan a admis l'action à concurrence de 47'738
fr. 90 avec intérêt à 5% dès le 5 janvier 1996.

C.- Par acte du 21 novembre 2000, la banque a in-
terjeté un recours en réforme contre le jugement précité,
concluant au rejet de l'action avec suite de frais et dépens
des instances cantonale et fédérale.

L'intimée n'a pas été invitée à déposer une réponse.

D.- Par arrêt de ce jour, la cour de céans a reje-
té, dans la mesure de sa recevabilité, le recours de droit
public formé par la recourante contre le même jugement.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83 et arrêts cités).

a) Interjeté en temps utile contre une décision fi-
nale prise en dernière instance cantonale, dans une contesta-
tion civile dont la valeur dépasse manifestement 8'000 fr.,
le recours est recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et
54 al. 1 OJ.

b) Les dépens des instances cantonales ne sont pas
régis par le droit fédéral. Le recours est donc irrecevable
dans la mesure où la recourante cherche à en obtenir (cf.
art. 43 al. 1 OJ). Celle-ci entend sans doute son chef de
conclusions comme une conséquence de l'admission de son re-
cours (cf. art. 159 al. 6 OJ).

2.- La recourante voit une inadvertance manifeste
dans le fait que le jugement attaqué retient qu'elle se se-
rait fait remettre une garantie excédant de 147% la valeur
du
terrain.

Ce grief est justifié et le Tribunal fédéral peut
rectifier d'office l'état de fait sur ce point (art. 63 al.
2
OJ). En effet, selon l'expertise Udry retenue par l'autorité
cantonale, la parcelle litigieuse valait 1'966'125 fr. lors
de la constitution du gage en 1990 et la garantie remise por-
tait sur 2'900'000 fr. Celle-ci excédait donc la valeur du
terrain de 47%. Il faut ainsi lire soit que la recourante
s'est fait remettre une garantie excédant la valeur du ter-
rain de 47%, soit que la garantie représentait 147% de la va-
leur du terrain, ce qui revient au même.

3.- La cour cantonale a constaté que les prêts con-
sentis par la banque avaient été consacrés exclusivement à
l'acquisition des biens-fonds, alors que l'obligation hypo-
thécaire au porteur de 2'900'000 fr. mentionnait que les
frais admis par le prêteur selon l'art. 4 al. 2 AFCM s'éle-
vaient à 960'000 fr. Elle en a déduit que ce procédé en
marge
de la loi avait permis de grever l'immeuble pour l'entier du
prix de vente en violation de l'art. 4 al. 1 AFCM. La recou-
rante conteste avoir violé cette disposition.

Selon l'art. 4 al. 1 AFCM, la charge maximale équi-
vaut aux 4/5 de la valeur vénale de l'immeuble à grever,
c'est-à-dire du prix d'acquisition indiqué dans les actes au-
thentiques ou l'estimation officielle prévue à l'art. 843
CC,
auquel s'ajoutent les frais des nouvelles constructions ou
transformations selon devis admis par le prêteur (art. 4 al.
2 AFCM). Si celui-ci consent à financer les constructions de-
visées, l'immeuble peut donc non seulement être grevé des
4/5
de sa valeur vénale initiale, mais en plus des 4/5 du devis
accepté. Ainsi, il est admis que ces constructions apporte-
ront à l'immeuble une plus-value équivalant au montant du de-
vis, de sorte qu'après leur exécution la charge grevant l'im-
meuble ne dépassera pas les 4/5 de sa valeur vénale comme le
prescrit l'art. 4 al. 1 AFCM. Ce résultat ne peut toutefois
être atteint que si la part du crédit destinée à l'exécution
des travaux devisés sert effectivement à financer ceux-ci,
c'est-à-dire à créer cette plus-value. Si les fonds sont uti-
lisés autrement, par exemple pour financer l'acquisition du
terrain, il n'y a pas création de plus-value et l'immeuble
est grevé d'une dette dépassant les 4/5 de sa valeur vénale,
ce qui contrevient à l'art. 4 al. 1 AFCM. Cette disposition
impose ainsi au créancier de veiller à ce que la part du cré-
dit destinée au financement de la création de plus-value
soit
investie dans les travaux qu'il s'est engagé à payer.

Il est constant que la recourante a consenti à ce
que les prêts accordés par elle soient consacrés exclusive-
ment à l'acquisition des biens-fonds, alors que l'obligation
hypothécaire au porteur qui lui a été remise mentionnait que
les frais admis par elle selon l'art. 4 al. 2 AFCM
s'élevaient à 960'000 fr. Les juges cantonaux ont donc
retenu
à bon droit qu'elle avait violé ledit arrêté en pleine
connaissance de cause.

4.- La recourante reproche à l'autorité cantonale
d'avoir violé les art. 3 al. 2 et 4 CC, en relation avec
l'art. 841 CC, en retenant qu'elle avait manqué à son devoir
de diligence lors de l'évaluation du terrain litigieux.

a) L'art. 841 al. 1 CC prévoit que si les artisans
et entrepreneurs au bénéfice d'une hypothèque légale subis-
sent une perte lors de la réalisation de leur gage, les
créanciers de rangs antérieurs les indemnisent sur leur pro-
pre part de collocation, déduction faite de la valeur du
sol,
dans la mesure où ces créanciers pouvaient reconnaître que
la
constitution de leur gage porterait préjudice aux artisans
et
entrepreneurs.

Le but de cette disposition est de réserver pour la
garantie des artisans et entrepreneurs la plus-value résul-
tant de leurs activités et de leurs apports (ATF 100 II 314
consid. 2 p. 317; 80 II 22 p. 24; 43 II 606 consid. 3 p.
611). Il y a dès lors préjudice au sens de l'art. 841 al. 1
CC lorsque la part du crédit hypothécaire qui dépasse la va-
leur de l'immeuble au moment de la constitution du gage n'a
pas été utilisée pour payer les créances de ceux qui ont
créé
une plus-value, mais a profité au créanciers gagistes de
rang
antérieur (ATF 85 II 145 consid. 1 p. 150; 100 II 314 p.
317;
D. Zobl, Das Bauhandwerkerpfandrecht de lege lata und de
lege
ferenda, RDS 101 II, 1982, p. 168 ss; P.-H. Steinauer, Les
droits réels, III, n° 2906 ss). Tel est le cas lorsqu'un cré-
dit hypothécaire dépassant la valeur de l'immeuble au moment
de la constitution du gage sert exclusivement à
l'acquisition
du terrain sur lequel des constructions sont projetées. Il
suit de là qu'un crédit hypothécaire accordé pour la seule
acquisition d'un bien-fonds ne porte pas préjudice aux arti-
sans et entrepreneurs au bénéfice d'hypothèques légales s'il
ne dépasse pas la valeur de l'immeuble grevé.

b) Le droit à l'indemnisation des artisans et entre-
preneurs ne naît que si le créancier hypothécaire de rang an-
térieur pouvait reconnaître, en agissant avec la diligence
requise, que la constitution de son gage leur porterait pré-
judice (ATF 100 II 314 p. 317; 86 II 145 p. 151; 80 II 22 p.
25; H. Pfister-Ineichen, Das Vorrecht nach Art. 841 ZGB und

die Haftung der Bank als Vorgangsgläubigerin, p. 150; R.
Schumacher, Das Bauhandwerkerpfandrecht, 2e éd., n° 985;
Zobl, op. cit., p. 178). En application de l'art. 3 al. 2
CC,
le créancier qui n'a pas reconnu les suites préjudiciables
de
son comportement faute d'avoir examiné la situation avec
l'attention commandée par les circonstances ne peut se préva-
loir de son ignorance (ATF 100 II 314 consid. 2 p. 317; 80
II
22 p. 25; Pfister-Ineichen, ibid.; Zobl, ibid.).

Selon la jurisprudence, il faut apprécier de
manière
rigoureuse le devoir de diligence de celui qui accorde des
prêts hypothécaires sur un terrain à bâtir, surtout s'il s'a-
git d'une banque, expérimentée dans ce genre d'affaires et
consciente du risque qu'elle assume, et que le débiteur est
une société immobilière créée uniquement pour réaliser une
opération de promotion immobilière (ATF 100 II 314). La ban-
que qui veut éviter de devoir indemniser les artisans et en-
trepreneurs en application de l'art. 841 al. 1 CC doit s'as-
surer que le crédit hypothécaire destiné à financer exclusi-
vement l'achat de biens-fonds destinés à la construction ne
dépasse pas la valeur du terrain. Cela implique qu'elle éva-
lue les biens-fonds de manière sérieuse et prudente. Est dé-
terminante à cet égard la valeur objective de l'immeuble
avant l'exécution des travaux; au besoin, le créancier le fe-
ra estimer par des experts; il ne peut pas se fier au prix
de
vente s'il savait, ou devait savoir, qu'il s'agissait d'un
prix spéculatif; il ne peut pas non plus se fier à la possi-
bilité aléatoire d'une augmentation des prix des terrains
(ATF 100 II 314 p. 318; J. Hofstetter, Commentaire bâlois,
n.
20 ad art. 841; Pfister-Ineichen, op. cit., p. 154; Schuma-
cher, op. cit., n° 987; Steinauer, op. cit., n° 2908a).

c) En l'espèce, il est constant que pour estimer la
valeur du terrain la recourante s'est contentée de faire re-
cueillir par son employé de Zurich quelques renseignements
par téléphone, lesquels n'étaient aucunement concluants dès

lors que les personnes contactées indiquaient des prix va-
riant entre 400 et 1000 fr./m2. Ces renseignements étaient
largement insuffisants pour procéder à une évaluation sérieu-
se du terrain, la recourante devant en effet se rendre
compte
que les chiffres recueillis pouvaient être de nature spécula-
tive. Elle devait être d'autant plus prudente que le prix le
plus bas indiqué
par ses informateurs était de 400 fr./m2,
donc inférieur au prix que la société avait payé pour
l'achat
des terrains (513 fr./m2). En évaluant le terrain à 700 fr.
le m2 et en accordant un crédit hypothécaire calculé sur cet-
te valeur, alors que le débiteur l'avait payé deux semaines
auparavant 513 fr. le m2, la banque a compté sur une augmen-
tation aléatoire des prix des biens-fonds. En réalité, et en
pleine connaissance des faits, elle a accepté de financer
l'achat du seul terrain et non pas, comme indiqué dans
l'obligation hypothécaire au porteur pour justifier le res-
pect de l'AFCM, une partie des frais de construction
destinée
en principe aux artisans et entrepreneurs, façon de faire
qui
consacrait subjectivement une violation claire de son devoir
de diligence. La banque ne saurait dès lors prétendre
n'avoir
pas pu reconnaître que son gage était de nature à porter pré-
judice aux artisans et entrepreneurs au bénéfice d'une hypo-
thèque légale. L'autorité cantonale n'a par conséquent pas
violé le droit fédéral en retenant que la responsabilité de
la recourante était engagée.

5.- Il résulte de ce qui précède que le recours
doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux
frais
de la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a
pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée, qui n'a pas été
invitée à déposer une réponse.

Par ces motifs,

le T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme l'arrêt attaqué.

2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 4000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal du canton du Valais.

Lausanne, le 20 avril 2001
FYC/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Juge présidant,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.261/2000
Date de la décision : 20/04/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-04-20;5c.261.2000 ?
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