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17/04/2001 | SUISSE | N°4C.23/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 avril 2001, 4C.23/2001


«/2»

4C.23/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

17 avril 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame A.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Saverio Lembo, avocat à Genève,

et

1. Dame G.________, défenderesse et intimée,
2. E.________, défendeur et intimé,
3. F.__

______, défendeur et intimé,

tous trois représentés par Me Daniel Tunik, avocat à Genève,

et

4. X.________ S.A., défen...

«/2»

4C.23/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

17 avril 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame A.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Saverio Lembo, avocat à Genève,

et

1. Dame G.________, défenderesse et intimée,
2. E.________, défendeur et intimé,
3. F.________, défendeur et intimé,

tous trois représentés par Me Daniel Tunik, avocat à Genève,

et

4. X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par
Me Bruno Mégevand, avocat à Genève;

(recours en nullité; application du droit étranger à la
place
du droit suisse; forme d'une stipulation pour autrui à cause
de mort)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Dame A.________ allègue avoir découvert récem-
ment, dans une maison appartenant à sa mère dame B.________
décédée le 22 février 1983, des documents anciens relatifs à
des biens dont elle ignorait l'existence. Elle soutient, sur
la base de ces pièces, que sa mère, dont elle est l'unique
héritière, avait des droits sur deux comptes bancaires: un
compte BL ... auprès de Y.________ à Genève (devenue après
fusion X.________ S.A.) et un compte n° ... auprès de
X.________ à Genève (devenue après fusion X.________ S.A.).

Le 16 juin 2000, dame A.________ a déposé auprès
des tribunaux genevois une requête en mesures
provisionnelles
dirigée contre dame G.________, E.________, et F.________ -
qui, semble-t-il, ont acquis la maîtrise des biens litigieux
par voie de succession - et contre X.________ S.A. Elle de-
mandait en particulier que les comptes litigieux soient blo-
qués à titre conservatoire et que la banque la renseigne sur
l'ensemble des opérations effectuées.

Afin de rendre vraisemblable les droits de sa mère
sur les deux comptes litigieux, dame A.________ a produit
différents documents.

Il en résulte que le compte BL ... a été ouvert par
un contrat conclu à Genève le 29 juin 1955 entre C.________
(frère de dame B.________) et Y.________, à Genève. Ce docu-
ment, partiellement préimprimé et partiellement dactylogra-
phié, indique que le compte est établi au nom de dame
D.________ (mère de dame B.________) et de dame B.________.
Il contient l'art. 2 suivant:

" Ce dépôt et ce ou ces comptes sont sous la direc-
tion exclusive de Monsieur C.________, sa vie du-
rant, qui seul pourra les administrer et en dispo-
ser sans aucune restriction, étant entendu que sa
seule signature déchargera entièrement et définiti-
vement la dépositaire.

Les titulaires en nom des dépôts et comptes de-
vront par conséquent apporter à la dépositaire la
preuve du décès du constituant, aux fins de pouvoir
entrer en pleine possession des avoirs existant en
son nom".

Ce contrat prévoit en principe la compétence des
tribunaux genevois et déclare applicable le droit suisse.

Dame A.________ a produit également deux notes ma-
nuscrites, qui seraient de la main de C.________; dans l'une
d'elles, ce dernier parle d'un "atto di proprietà a tuo favo-
re" et dans l'autre de "mio/tuo conto".

Le 18 juillet 1961, C.________ a donné l'ordre à
Y.________ de transférer à X.________ à Genève en faveur du
compte n° ... la totalité des titres se trouvant dans le
dossier BL ... Il ressortirait de l'une des deux notes ma-
nuscrites produites que dame B.________ avait une
procuration
sur ce compte.

C.________, ressortissant italien domicilié en Ita-
lie, est décédé à Gênes le 6 janvier 1972. Par testament, il
avait institué son épouse héritière universelle et avait ac-
cordé différents legs à dame B.________, que celle-ci a re-
connu avoir reçus.

B.- Par ordonnance du 30 août 2000, le Président
ad intérim du Tribunal de première instance de Genève a,
pour
l'essentiel, autorisé la saisie conservatoire des deux comp-
tes litigieux et condamné X.________ S.A. à fournir à dame

A.________ tout renseignement concernant le compte BL ...
ouvert le 29 juin 1955.

Statuant sur le recours déposé par dame G.________,
E.________ et F.________, la Première Section de la Cour de
justice du canton de Genève, par arrêt du 14 décembre 2000,
a
annulé l'ordonnance attaquée et débouté dame A.________ de
toutes ses conclusions. La cour cantonale a estimé que le
contrat du 29 juin 1955, soumis à la législation suisse par
élection de droit, constituait une stipulation pour autrui à
cause de mort, qui devait être considérée comme nulle, parce
qu'elle ne remplissait pas les exigences de forme du droit
italien en matière d'attribution pour cause de mort. En con-
séquence, elle a conclu que la requérante n'était pas parve-
nue à rendre vraisemblables les droits de sa mère sur les
avoirs litigieux.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté par arrêt de ce jour, dame A.________ interjette
un recours en nullité au Tribunal fédéral. Soutenant que le
droit italien a été appliqué à tort à la place du droit suis-
se, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au ren-
voi de la cause à l'autorité cantonale. Elle a sollicité éga-
lement l'effet suspensif, qui lui a été refusé par décision
présidentielle du 27 mars 2001.

Les parties intimées proposent l'irrecevabilité,
subsidiairement le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours en nullité n'est recevable que si
le recours en réforme n'est pas ouvert (art. 68 al. 1 OJ).

La voie de la réforme n'est pas ouverte contre une
décision sur mesures provisionnelles, parce qu'elle ne
statue
pas sur la prétention matérielle, mais seulement sur une pro-
tection provisoire (ATF 115 II 297 consid. 2). Il n'y a pas
lieu d'examiner - comme cela a été soulevé - s'il faudrait
faire une exception pour la partie de la requête qui tend à
l'obtention de renseignements, parce que le recours doit de
toute manière (cf. ci-dessous) être rejeté.

b) Interjeté par la partie qui a succombé dans ses
conclusions tendant à une protection provisoire et dirigé
contre un jugement rendu en dernière instance cantonale sur
une contestation civile qui, en principe, ne peut pas faire
l'objet d'un recours en réforme, le recours en nullité est
ouvert.

c) Il ne peut être formé que pour l'un des motifs
énumérés à l'art. 68 al. 1 OJ.

En l'espèce, la recourante soutient que le droit
étranger a été appliqué à la place du droit fédéral déter-
minant (art. 68 al. 1 let. b OJ).

Ce grief ne permet pas de faire valoir que le juge
aurait mal appliqué le droit suisse lorsque celui-ci est ap-
plicable ou qu'il aurait mal appliqué le droit étranger lors-
que celui-ci est applicable (Poudret, COJ II, n. 4 ad art.
68
OJ, p. 643).

d) Déposé en temps utile (art. 69 al. 1 et 34 al. 1
let. c OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 71 OJ), le
recours en nullité est recevable.

e) Hormis l'hypothèse de l'art. 68 al. 1 let. e OJ
(qui n'entre pas en considération ici), le recours ne peut

tendre qu'au renvoi de l'affaire à la juridiction cantonale
pour qu'elle statue à nouveau (art. 73 al. 2 OJ).

f) Par le renvoi de l'art. 74 OJ, l'art. 63 OJ est
applicable par analogie (Poudret, op. cit., n. 2 ad art. 74
OJ).

En conséquence, le Tribunal fédéral doit conduire
son raisonnement sur la base des faits contenus dans la déci-
sion attaquée, à moins que des dispositions fédérales en ma-
tière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rec-
tification de constatations reposant sur une inadvertance ma-
nifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a
pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement
allégués
(art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119 II 353 consid.
5c/aa). Dans la mesure où un recourant présente un état de
fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée,
sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent d'être rappelées, il n'y a pas lieu d'en tenir comp-
te. Il ne peut être présenté de griefs contre les constata-
tions de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.- a) Saisi d'une demande, le juge suisse doit
procéder à une qualification juridique des faits selon la
lex
fori (ATF 127 III 123 consid. 2c).

En l'espèce, la cour cantonale, analysant le con-
trat signé le 29 juin 1955, est parvenue à la conclusion
qu'il s'agissait d'une stipulation pour autrui à cause de
mort. Cette qualification relève entièrement du droit fédé-
ral, dont l'application ne peut donner lieu à un recours en
nullité.

b) La cour cantonale a estimé que la forme de cet
acte juridique était régie par le droit italien.

La recourante le conteste. Elle produit un avis de
droit qui conclut à l'application de l'art. 93 al. 2 LDIP,
selon lequel la Convention de la Haye du 5 octobre 1961 sur
les conflits de lois en matière de forme des dispositions
testamentaires s'applique par analogie à la forme d'autres
dispositions pour cause de mort.

Cette opinion ne peut pas être suivie. En effet, la
LDIP est entrée en vigueur le 1er janvier 1989 (RS 291). Or,
dans l'interprétation de la disposition transitoire de
l'art.
196 LDIP, le Tribunal fédéral a déjà jugé que cette loi ne
régissait pas la forme d'un acte juridique passé avant son
entrée en vigueur (ATF 118 II 514 consid. 3a). Comme l'acte
d'espèce a été signé le 29 juin 1955, l'art. 93 al. 2 LDIP
n'est pas applicable.

c) Il reste que la Convention de la Haye déjà citée
(RS 0.211.312.1) est entrée en vigueur pour la Suisse le 17
octobre 1971. A son art. 8, elle prévoit son application à
tous les cas où le testateur est décédé après l'entrée en vi-
gueur de la Convention.

Comme C.________ est décédé le 6 janvier 1972, la
Convention de la Haye est en principe applicable.

Il est cependant douteux que la stipulation en cau-
se puisse être qualifiée de disposition testamentaire au
sens
de la Convention de la Haye.

Si l'on répond négativement à cette question, le
juge aurait dû probablement, en raison des biens en Suisse,
s'inspirer de l'art. 24 de l'ancienne loi fédérale sur les
rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour
(LRDC; cf. ATF 118 II 514 consid. 3c; 96 II 79 consid. 9a p.
98), qui concerne de façon générale les dispositions de
dernière volonté, les pactes successoraux et les donations à
cause de mort. Que l'on applique l'art. 1er de la Convention
de la Haye ou l'art. 24 LRDC, le problème n'en est pas
modifié dans le cas d'espèce.

d) Le droit international privé suisse prévoit que
plusieurs lois sont applicables à la question de la forme
des
attributions pour cause de mort; il suffit que l'acte soit
valable à la forme selon l'une des lois énumérées pour que
le
juge suisse doive en reconnaître la validité.

S'agissant d'un ressortissant italien qui était do-
micilié en Italie au moment de l'acte et qui a eu son
dernier
domicile en Italie, il est évident que le juge suisse devait
prendre en considération le droit italien, que l'on applique
l'art. 1er de la Convention de la Haye ou l'art. 24 LRDC.
C'est donc à juste titre que la cour cantonale a examiné le
droit italien, parce qu'elle aurait dû tenir l'acte pour va-
lable à la forme s'il avait été valable en droit italien.

Le droit italien était donc bien applicable en ver-
tu du droit international privé suisse et il n'est pas exact
de dire qu'il a été appliqué en lieu et place du droit suis-
se.

Savoir si le droit italien a été bien ou mal appli-
qué est une question qui ne peut donner lieu à un recours en
nullité (Poudret, op. cit., n. 4 ad art. 68 OJ).

e) Il reste que l'autorité cantonale, qu'elle ap-
plique l'art. 1er de la Convention de la Haye ou l'art. 24
LRDC, aurait également dû se demander si l'acte était
valable
à la forme selon le droit interne suisse, en tant que loi du
lieu où l'acte a été passé. En effet, si l'acte était
valable
à la forme selon le droit interne suisse, sa validité aurait
dû être admise.

Il est possible que la cour cantonale n'ait pas
examiné la question, parce que la réponse lui paraissait par
trop évidente. A supposer qu'elle ait perdu la question de
vue, il s'agirait d'une violation du droit international pri-
vé suisse, conduisant à ne pas appliquer le droit suisse
dans
un cas où il devait être appliqué. Il ne s'agit cependant
pas
d'une application du droit étranger à la place du droit suis-
se. On se trouve en présence d'une pure violation du droit
fédéral, laquelle ne peut donner lieu à un recours en
nullité
(Poudret, op. cit., n. 4 ad art. 68 OJ).

f) De toute manière, l'examen de la validité for-
melle de l'acte selon le droit interne suisse n'aurait pas
modifié l'issue du litige.

Une stipulation pour autrui mortis causa exige la
forme requise pour une donation à cause de mort (Rainer
Gonzenbach, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 8 ad art. 112 CO;
Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches Obligationenrecht,
Allgemeiner Teil, 7e éd., n° 4035; Engel, Traité des obliga-
tions en droit suisse, 2e éd., p. 421).

Selon l'art. 245 al. 2 CO, les donations dont
l'exécution est fixée au décès du donateur sont soumises aux
règles concernant les dispositions pour cause de mort.

On ne voit pas comment un acte, partiellement pré-
imprimé et partiellement dactylographié, pourrait répondre
aux exigences de forme des art. 498 ss CC.

L'acte
est donc également nul à la forme selon le
droit interne suisse. La prise en considération de ce droit
par la cour cantonale n'aurait donc eu aucune incidence sur
la querelle.

g) Contrairement à ce que soutient la recourante,
la nullité formelle d'une disposition pour cause de mort
peut
être invoquée en tout temps par voie d'exception (art. 521
al. 3 CC; ATF 89 II 87 consid. 6 p. 94).

3.- Il suit de là que le recours doit être rejeté
dans la mesure où il est recevable. Vu l'issue du litige,
les
frais et dépens seront mis à la charge de la recourante
(art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 10 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à dame G.________,
E.________, et F.________, créanciers solidaires, une indem-
nité de 10 000 fr. à titre de dépens et à X.________ S.A.
une
indemnité de 10 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Première Section de la Cour de
justice genevoise.

___________

Lausanne, le 17 avril 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.23/2001
Date de la décision : 17/04/2001
1re cour civile

Analyses

Recevabilité du recours en nullité (art. 68 al. 1 let. b OJ). Le motif de nullité ancré à l'art. 68 al. 1 let. b OJ ne sanctionne ni la fausse application du droit fédéral applicable, ni celle du droit étranger applicable (consid. 1). Stipulation pour autrui (art. 112 CO). Une stipulation pour autrui mortis causa exige la forme des dispositions pour cause de mort des art. 498 ss CC (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-04-17;4c.23.2001 ?
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