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06/04/2001 | SUISSE | N°4C.347/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 avril 2001, 4C.347/2000


«/2»

4C.347/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 avril 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. M.________, défendeur et recourant,
2. dame M.________, défenderesse et recourante,

tous deux représentés par Me Françoise Desaules-Zeltner,
avocate à Neuchâtel,

et

X.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée p

ar Me
Benoît Ribaux, avocat à Neuchâtel;

(contrat de bail; nullité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s ...

«/2»

4C.347/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 avril 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. M.________, défendeur et recourant,
2. dame M.________, défenderesse et recourante,

tous deux représentés par Me Françoise Desaules-Zeltner,
avocate à Neuchâtel,

et

X.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par Me
Benoît Ribaux, avocat à Neuchâtel;

(contrat de bail; nullité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Manège Y.________ Sàrl a été inscrit au Re-
gistre du commerce de B.________ le 26 octobre 1954. Le 19
avril 1977 les époux M.________ ont été inscrits en qualité
d'associés gérants disposant de la signature individuelle.
Dès le 14 février 1984, après radiation de M.________, la
société ne disposait que d'un associé gérant avec signature
individuelle en la personne de dame M.________. Manège
Y.________ Sàrl est devenue propriétaire de la parcelle 3703
du cadastre de Z.________ le 17 novembre 1954. Dame
M.________ a acquis la parcelle 3702 du même cadastre le 12
avril 1979.

X.________, devenue X.________ S.A. (ci-après: la
banque), a accordé différents prêts à dame M.________, d'une
part, et à dame M.________ et au Manège Y.________ Sàrl en
qualité de codébiteurs solidaires, d'autre part. Des échéan-
ces n'ayant pas été respectées, la banque a dénoncé ces cré-
dits au remboursement pour le 15 décembre 1994. Les créances
de la banque représentaient alors 1 908 267 fr.70. Des pour-
suites ont été engagées et, le 17 août 1995, la banque a
requis la vente des parcelles formant les articles 3702 et
3703. Des contacts ont eu lieu entre les époux M.________ et
le préposé à l'Office des poursuites et faillites de
B.________ en vue de la vente aux enchères des parcelles. La
date des enchères a été fixée au 11 juillet 1996, la publica-
tion s'y rapportant paraissant dans la feuille officielle
des
5, 12 et 19 juin 1996. La banque a acquis les immeubles sus-
mentionnés lors de la vente aux enchères du 11 juillet 1996.

B.- a) Par courriers des 12 juin 1996 à l'adresse
de la banque et 17 juin 1996 à l'adresse du préposé à l'Offi-
ce des poursuites et faillites de B.________, les époux

M.________ ont informé les destinataires de l'existence d'un
bail conclu le 1er mai 1994 entre Manège Y.________ Sàrl et
dame M.________, désignées en qualité de "bailleurs", et les
époux M.________, désignés en qualité de "preneurs". La ban-
que a émis des réserves quant à l'authenticité et à la vali-
dité dudit document. Le contrat de bail du 1er mai 1994 n'a
pas été porté à l'état des charges du 27 juin 1996. Les con-
ditions de vente du 27 juin 1996 indiquaient que le contrat
était remis en copie à l'acquéreur. La banque s'est vu déli-
vrer le 11 septembre 1996 un certificat d'insuffisance de
gage pour 1 038 931 fr.15.

Le 3 avril 1997, X.________ S.A. a introduit action
contre les époux M.________ et conclu à ce qu'il soit dit,
constaté et prononcé que le contrat de bail à loyer du 1er
mai 1994 est nul et de nul effet et, conséquemment, que soit
ordonné le déguerpissement immédiat des défendeurs des lieux
qu'ils occupent sans droit. La demanderesse a soutenu que le
prétendu contrat de bail était inexistant.

Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande,
affirmant qu'un contrat de bail avait bel et bien été passé
le 1er mai 1994; dans leurs conclusions en cause du 8
octobre
1999, ils ont encore invoqué le défaut de citation en conci-
liation devant l'Autorité régionale de conciliation, ce qui
rendrait la demande irrecevable.

b) Par jugement du 6 octobre 2000, la 1ère Cour
civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a ordonné le déguer-
pissement des époux défendeurs des lieux qu'ils occupent
sans
droit sur les parcelles formant les articles 3702 et 3703 du
cadastre de Z.________.

En substance, la cour cantonale a considéré, à pro-
pos de l'irrecevabilité de la demande invoquée par les défen-
deurs, qu'obliger les parties "à tout recommencer" en saisis-

sant l'autorité de conciliation constituerait une sanction
que la défense d'aucun intérêt légitime ne justifierait et
qui procéderait ainsi d'un formalisme excessif. L'autorité
cantonale a nié qu'un contrat de bail ait été conclu le 1er
mai 1994 pour divers motifs: les défendeurs n'ont jamais été
en mesure de produire un seul exemplaire original de la con-
vention, pourtant prétendument établie en quatre
exemplaires;
le préposé à l'Office des poursuites et faillites de
B.________ alors en fonction a formellement contesté avoir
eu
en mains à une quelconque date l'original du contrat; outre
que le bail n'a pas été porté à l'état des charges, l'office
n'a pas adressé aux locataires l'avis prévu par l'art. 70
ORFI; les défendeurs n'avaient curieusement jamais fait état
de l'existence du bail avant le mois de juin 1996; ni l'ex-
pert chargé de fixer la valeur vénale des immeubles, ni deux
autres experts ayant dû supputer l'état locatif des bâti-
ments, n'ont affirmé qu'on leur avait présenté un contrat de
bail; il en va de même d'un témoin, collaborateur de la ban-
que demanderesse; il est impossible de tirer des comptes
tels
qu'ils ont été présentés un quelconque élément de preuve
s'agissant de la réalité du prétendu contrat, la présence de
loyers dans certains comptes poursuivant vraisemblablement
un
but fiscal sans correspondre à aucune réalité.

La Cour civile a en outre jugé que l'on ne saurait
davantage retenir qu'un contrat de bail de durée indétermi-
née, passé le cas échéant oralement, ait été conclu entre la
Sàrl et les défendeurs, dès l'instant où ces derniers ne
l'allèguent même pas, fondant toute leur argumentation sur
le
prétendu contrat du 1er mai 1994.

L'existence d'un bail fixant à 2004 son échéance
n'ayant pas été démontrée, les magistrats cantonaux en ont
conclu que les défendeurs occupaient sans aucun titre les im-
meubles considérés, à tout le moins depuis la vente aux en-

chères du 11 juillet 1996, et que leur déguerpissement immé-
diat desdits lieux devait être ordonné.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de
ce jour, les époux M.________ recourent en réforme au Tribu-
nal fédéral. Ils concluent à la réforme du jugement
cantonal,
en ce sens que la demande du 3 avril 1997 est déclarée irre-
cevable.

L'intimée propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les recourants reprochent à la cour cantonale
une violation des art. 274a ss CO, prévoyant que les cantons
instituent des autorités de conciliation qui sont chargées
de
toute question relative aux baux de choses immobilières. Ils
font valoir que la procédure judiciaire doit être précédée
de
l'intervention de l'autorité de conciliation, qui est obliga-
toire, et que le défaut de citation préalable doit être rele-
vé d'office par le juge. Ils estiment qu'ils pouvaient soule-
ver le défaut de citation préalable jusqu'à fin de cause,
voire jusqu'en procédure de recours, sans commettre un abus
de droit, s'agissant d'un moyen que devait relever d'office
le tribunal saisi et qui est prévu par le droit fédéral en
vertu d'un intérêt public. Ils s'en prennent aussi à l'avis
de la cour cantonale selon lequel déclarer irrecevable la
demande à ce stade de la procédure serait du formalisme ex-
cessif.

2.- a) Dans un arrêt de principe, le Tribunal fé-
déral a posé que la procédure judiciaire au sens de l'art.
274f CO doit être précédée de l'intervention de l'autorité
de

conciliation (ATF 118 II 307 consid. 3 b/bb et cc). Il
s'agit
d'un passage obligé, préalable à toute procédure judiciaire
proprement dite (Lachat, Le bail à loyer, p. 93, ch. 2.2.3).
La compétence des autorités de conciliation en raison de la
matière doit être interprétée largement (Lachat, op. cit.,
p.
97, ch. 2.4.2); elle est donnée même si c'est l'existence du
bail qui est litigieuse (SVIT-Kommentar, Mietrecht II, n. 11
ad Art. 274-274a, p. 969). Le moyen tiré du défaut de cita-
tion préalable en conciliation doit être relevé d'office par
le juge (cf. Bohnet/Schweizer, Les défenses relatives à
l'instance et à l'action, in: RJN 1997, p. 60).

b) En droit strict, le moyen invoqué pourrait donc
être considéré comme parfaitement fondé. Mais, au vu des cir-
constances de l'espèce, le moyen tiré du défaut de concilia-
tion est nettement constitutif d'un abus de droit, qui peut
être retenu même à l'égard d'un moyen dont le juge doit se
saisir d'office (ATF 105 II 149 consid. 3a p. 155). En l'in-
voquant comme ils l'ont fait, au stade des conclusions en
cause, les recourants ont contrevenu aux règles de la bonne
foi. Et le principe de la bonne foi doit être respecté en
procédure civile, tant par les parties que par le juge
(Baumann, Commentaire zurichois, n. 34 et n. 35 ad art. 2
CC;
Frank/Sträuli/Messmer, Kommentar zur zürcherischen Zivilpro-
zessordnung, p. 208, n. 3).

Un des principaux devoirs imposés au plaideur par
la loyauté veut qu'il se prévale de ses moyens au moment pré-
vu par la loi et sans tarder, à défaut de quoi il
troublerait
inutilement le cours du procès. D'après la jurisprudence,
"il
est contraire au principe de la bonne foi d'invoquer après
coup des moyens que l'on avait renoncé à faire valoir en
temps utile en cours de procédure, parce que la décision in-
tervenue a finalement été défavorable" (ATF 111 Ia 161, con-
sid. 1a; cf. Egli, La protection de la bonne foi dans le pro-
cès, in: Juridiction constitutionnelle et juridiction admi-

nistrative, Zurich 1992, p. 239; Guldener, Treu und Glauben
im Zivilprozess, RSJ 39/1943, p. 395).

En application de ces principes, il est admis sin-
gulièrement en procédure neuchâteloise que, même si les par-
ties peuvent théoriquement soulever le moyen tiré du défaut
préalable de conciliation en matière de baux immobiliers jus-
qu'au stade ultime de la procédure, un tel moyen invoqué tar-
divement se révélera le plus souvent abusif (Bohnet/
Schweizer, op. cit., p. 60).

In casu, le moyen invoqué par les recourants à la
fin d'une procédure ayant duré plus de deux ans est
nettement
tardif, et doit être qualifié sans hésitation d'abusif.
Cette
qualification s'impose d'autant plus qu'en définitive la
cour
cantonale est parvenue à la conclusion que le bail invoqué
n'existait même pas. On peut encore ajouter que si le juge
avait soulevé d'office le moyen, il aurait pu se voir repro-
cher un formalisme excessif, à considérer les circonstances
de l'espèce.

Partant, c'est à juste titre, et sans violer le
droit fédéral, que la cour cantonale n'a pas donné suite aux
conclusions des défendeurs tendant à faire reconnaître l'ir-
recevabilité de la demande.

3.- Il suit de là que le recours doit être rejeté
et le jugement attaqué confirmé. Vu l'issue de la querelle,
les frais et dépens doivent être mis solidairement à la char-
ge des recourants (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement atta-
qué;

2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. solidai-
rement à la charge des recourants;

3. Dit que les recourants verseront solidairement à
l'intimée une indemnité de 7000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la 1ère Cour civile du Tribunal can-
tonal neuchâtelois.

__________

Lausanne, le 6 avril 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.347/2000
Date de la décision : 06/04/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-04-06;4c.347.2000 ?
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