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30/03/2001 | SUISSE | N°4C.136/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 mars 2001, 4C.136/2000


«/2»

4C.136/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 mars 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett, juges, et M. Aubert, juge suppléant.
Greffier: M. Carruzzo.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

La Résidence Z.________ S.A., défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Nicolas Saviaux, avocat à Lausanne,

et

dame B.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Thierry T

honney, avocat à Lausanne;

(contrat de travail; obligation de discrétion du
travailleur;
résiliation immédiate)

Vu le...

«/2»

4C.136/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 mars 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett, juges, et M. Aubert, juge suppléant.
Greffier: M. Carruzzo.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

La Résidence Z.________ S.A., défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Nicolas Saviaux, avocat à Lausanne,

et

dame B.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Thierry Thonney, avocat à Lausanne;

(contrat de travail; obligation de discrétion du
travailleur;
résiliation immédiate)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La Résidence Z.________ S.A. (ci-après: la
Résidence) a occupé dame B.________ comme veilleuse de nuit
du début de septembre 1987 au 24 février 1998. Dame
B.________ a effectué en moyenne environ neuf veilles par
mois.

La Résidence a été l'objet de critiques de la part
de patients et des services administratifs cantonaux. Dame
B.________ était elle-même mécontente de la gestion de la
Résidence.

En 1997 et 1998, des enquêtes administratives fu-
rent conduites contre la Résidence à la suite de plaintes
émises par l'Association pour le bien-être des résidents en
EMS. Un compte rendu du 28 novembre 1997 relevait divers man-
quements reprochés à la direction. Cette dernière a répondu
le 19 décembre 1997. Une visite surprise a été effectuée le
20 février 1998 à 6 heures du matin par les représentants de
l'administration, au cours de laquelle de nouvelles constata-
tions ont été faites.

Dans les jours qui ont précédé le 24 février 1998,
durant la nuit, à l'insu de son employeur, dame B.________ a
tourné un film à l'intérieur de l'établissement; à cette oc-
casion, elle a procédé à une mise en scène faisant
apparaître
une ceinture de contention sur une chaise; elle a filmé une
patiente dormant dans son lit, sans l'autorisation de l'inté-
ressée; elle a admis que ce film avait été tourné pour être
remis à la Télévision suisse romande. De plus, elle a photo-
copié une fiche de soins concernant une patiente.

Le 23 février 1998, le Syndicat suisse des services
publics (ci-après: le SSP), dont dame B.________ est membre
depuis le 1er novembre 1997, a adressé au Service de la
santé
publique un dossier contenant des accusations de mauvais
traitements envers les pensionnaires.

L'ouverture d'une procédure de retrait de l'autori-
sation d'exploiter a été notifiée à la direction de l'éta-
blissement le 24 février 1998; un délai au 3 mars 1998 lui a
été imparti pour se déterminer sur les griefs formulés
contre
elle.

En accord avec des employées de la Résidence, le
SSP a décidé d'alerter la presse.

Le 24 février 1998, entre 10 heures et 10 heures 30
environ, le SSP a organisé une manifestation devant la Rési-
dence afin, notamment, de dénoncer les conditions de travail
imposées aux employés de celle-ci. Dame B.________ a parti-
cipé activement à cette manifestation.

Les manifestants, qui étaient munis de banderoles,
de cloches et de porte-voix, ont pénétré dans la propriété
louée par la Résidence et ont scandé divers slogans.
Certains
d'entre eux ont tenté de pénétrer dans les bâtiments, mais
n'y sont pas parvenus, les portes d'accès ayant été fermées
à
clef par d'autres employés de la Résidence.

Certains manifestants se sont ensuite rendus à
X.________ pour y distribuer, notamment aux commerçants, ou
placer sur les pare-brise de voitures en stationnement, des
tracts dans lesquels sont reprochés à la Résidence de nom-
breux comportements illicites, en particulier dans les rap-
ports de travail.

Afin de produire un effet de surprise, ni le SSP ni
dame B.________ n'avaient annoncé la manifestation à la Rési-
dence.

Le soir même, sur la chaîne de la Télévision suisse
romande, le téléjournal de 19 heures 30 diffusait un reporta-
ge sur l'établissement, comportant une interview de la deman-
deresse et reprenant les critiques contenues dans le dossier
du syndicat.

Lorsqu'elle a voulu reprendre son service le 24 fé-
vrier 1998 vers 20 heures 45, après la manifestation, dame
B.________ a été informée par la directrice de la Résidence
qu'elle était licenciée avec effet immédiat.

Le 12 mars 1998, le chef du Département de l'inté-
rieur et de la santé publique a refusé de renouveler l'auto-
risation d'exploiter l'EMS, arrivée à échéance à la fin de
décembre 1997; cette décision a été déférée par la Résidence
au Tribunal administratif, qui a octroyé un effet suspensif
au recours.

B.- Le 3 avril 1998, dame B.________ a ouvert ac-
tion contre la Résidence devant le Président du Tribunal ci-
vil du district de X.________, en réclamant le paiement de
6849 fr.90 représentant trois mois de salaire brut, soit le
délai de congé légal avec une indemnité de vacances et de
jours fériés (intérêts en sus), ainsi que 12 789 fr. pour
licenciement injustifié, correspondant à six mois de salaire
(intérêts en sus).

La défenderesse a conclu au rejet de la demande et,
reconventionnellement, au remboursement, par la
demanderesse,
de 446 fr.85, somme correspondant à deux veilles du mois de
février 1998 déjà payées, mais que la demanderesse n'avait

pas pu exécuter du fait de la résiliation abrupte de son con-
trat.

Le 19 mai 1999, la Résidence s'est prévalue, pour
justifier le licenciement immédiat, de faits qui lui étaient
inconnus lors du prononcé du congé (notamment le tournage du
film par la demanderesse).

Le 4 juin 1999, la demanderesse a réduit ses pré-
tentions de salaire à 6394 fr.50 et a conclu à la libération
de la conclusion reconventionnelle de la défenderesse.

Par jugement du 15 juin 1999, le Président du Tri-
bunal civil du district de X.________ a rejeté les conclu-
sions de la demanderesse et la conclusion reconventionnelle
de la défenderesse.

Saisie par la demanderesse, la Chambre des recours
du Tribunal cantonal du canton de Vaud a réformé ce jugement
et condamné la défenderesse à payer à la demanderesse
6394 fr.50, intérêts en sus, à titre de salaire et 8526 fr.,
intérêts en sus, à titre d'indemnité pour licenciement immé-
diat injustifié.

C.- Parallèlement à un recours de droit public, la
défenderesse interjette un recours en réforme en concluant à
ce que le Tribunal fédéral rejette la demande.

La demanderesse propose le rejet de ce recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis
en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à

droit connu sur le recours de droit public. La jurisprudence
déroge toutefois à cet ordre de priorité dans des situations
particulières, qui justifient l'examen préalable du recours
en réforme. Il en va ainsi lorsque la décision sur le
recours
de droit public n'a aucune incidence sur le recours en réfor-
me, notamment parce que le recours en réforme paraît devoir
être admis même sur la base des constatations de fait rete-
nues par l'autorité cantonale et critiquées dans le recours
de droit public (ATF 122 I 81 consid. 1, 120 Ia 377 consid.
1).

Cette hypothèse est réalisée en l'espèce, si bien
qu'il y a lieu de statuer d'abord sur le recours en réforme.

2.- a) La défenderesse a motivé le licenciement im-
médiat, notifié le 24 février 1998, en invoquant la partici-
pation de la demanderesse à la manifestation du même jour;
l'employée a été inculpée de diffamation.

Le 19 mai 1999, la défenderesse s'est prévalue
d'autres circonstances antérieures au 24 février 1998, mais
ignorées d'elle au moment du renvoi. Ces circonstances (scè-
nes tournées dans les locaux de la résidence, mise en scène,
patiente filmée dans son lit) ont conduit à l'inculpation
complémentaire de la demanderesse pour violation du secret
de
fonction et soustraction de données personnelles. La demande-
resse a admis que le film avait été tourné afin d'être pré-
senté à la télévision.

La cour cantonale a nié que la défenderesse ait eu
de justes motifs de licencier la demanderesse avec effet im-
médiat. Le fait que cette dernière avait participé à la mani-
festation du 24 février 1998 et qu'elle avait tourné un film
à l'intérieur de la résidence, à l'insu de son employeur,
pouvait certainement ébranler les relations de confiance en-
tre les parties. Toutefois, la manifestation critiquée

n'avait pas dégénéré. Au demeurant, selon les sévères obser-
vations du Chef du Département de l'intérieur et de la santé
publique, l'employeur avait commis de graves manquements en
matière de soins médicaux, infirmiers et pharmaceutiques pro-
pres à mettre en danger la santé des pensionnaires. Placés
dans une situation que l'on pouvait qualifier d'état de né-
cessité (par analogie avec l'art. 34 CP), certains employés,
et particulièrement dame B.________, ont alors pu se sentir
obligés de réagir en dénonçant publiquement les dysfonction-
nements constatés afin de préserver les pensionnaires des
dangers potentiels encourus. Une telle réaction, a priori
critiquable, apparaissait légitime et admissible au vu des
circonstances. Sous peine de commettre un abus de droit,
l'employeur ne pouvait donc invoquer de bonne foi ces dénon-
ciations pour justifier le licenciement immédiat de la deman-
deresse. De même, les infractions reprochées à celle-ci, qui
n'est encore qu'inculpée, ne suffisaient pas davantage à fon-
der une telle mesure.

b) A suivre la défenderesse, la cour cantonale a
violé le droit fédéral en admettant que le licenciement immé-
diat de la demanderesse était injustifié. En effet, cette
dernière l'avait diffamée; elle avait violé le secret de
fonction et soustrait des données personnelles; elle avait
participé à une tentative de violation de domicile, dans le
cadre d'une manifestation non autorisée. Selon la défenderes-
se, il appartient au Tribunal administratif de se prononcer
sur les accusations portées contre l'établissement. Si elle
s'estimait fondée à agir contre son employeur, la demanderes-
se aurait dû utiliser des moyens licites.

3.- L'employeur et le travailleur peuvent résilier
immédiatement le contrat de travail en tout temps pour de
justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment
considérées
comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon
les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de ce-

lui qui a donné le congé la continuation des rapports de tra-
vail (art. 337 al. 2 CO).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate
pour justes motifs doit être admise de manière restrictive
(Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat de travail,
2e
éd., n. 1 ad art. 337c CO; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum
Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 3 ad art. 337 CO et les ré-
férences). D'après la jurisprudence, seul un manquement par-
ticulièrement grave de l'autre partie justifie une résilia-
tion avec effet immédiat (ATF 121 III 467 consid. 4d p. 472,
117 II 72 consid. 3, 560 consid. 3, 116 II 145 consid. 6a p.
150). Si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner
une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un
avertissement (ATF 121 III 467 consid. 4d p. 472, 117 II 560
consid. 3, 116 II 145 consid. 6a p. 150). Par manquement du
travailleur, on entend la violation d'une obligation décou-
lant du contrat, par exemple l'obligation de loyauté ou de
discrétion (art. 321a al. 1 et 4 CO).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes
motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit
et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en consi-
dération tous les éléments du cas particulier, notamment la
position et la responsabilité du travailleur, la nature et
la
durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'im-
portance des manquements (ATF 111 II 245 consid. 3). Le Tri-
bunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité
prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque
celle-ci s'écarte sans raison des règles établies par la doc-
trine et la jurisprudence en matière de libre appréciation,
ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas parti-
culier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle
n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû
être pris en considération; il sanctionnera en outre les dé-
cisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lors-

qu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou
à
une iniquité choquante (ATF 119 II 157 consid. 2a in fine,
116 II 145 consid. 6a).

4.- a) Les justes motifs allégués par la défende-
resse consistent non seulement dans la participation de la
demanderesse à la manifestation du 24 février 1998, mais aus-
si dans le tournage d'un film à l'intérieur de l'entreprise;
ce film, tourné à l'insu de l'employeur, était destiné par
la
demanderesse à la télévision. Ces faits n'étaient pas connus
de la défenderesse lors de la résiliation du contrat avec ef-
fet immédiat.

Selon la jurisprudence, sous certaines conditions
restrictives, l'employeur peut, pour justifier un licencie-
ment immédiat, se prévaloir d'une circonstance qui existait
au moment de la déclaration de licenciement, mais qu'il ne
connaissait pas et ne pouvait pas connaître. Il faut se de-
mander, dans un tel cas, si les circonstances antérieures,
non invoquées au moment du licenciement immédiat, auraient
pu
conduire l'employeur, s'il les avait connues, à admettre que
le rapport de confiance était rompu et à résilier le contrat
de travail avec effet immédiat. Cependant, des faits posté-
rieurs au licenciement immédiat ne sauraient être pris
en
considération (ATF 124 III 25 consid. 3c, 121 III 467
consid.
5a et b).

La cour cantonale a elle-même admis que le tournage
du film dans les locaux de l'entreprise (mise en scène, pa-
tiente filmée sur son lit) était de même nature que les
faits
invoqués dans la lettre de licenciement. En outre, elle a ju-
gé que, s'il avait été connu de l'employeur au moment du li-
cenciement, ce tournage aurait certainement déterminé celui-
ci à résilier le contrat de travail avec effet immédiat. La
cour cantonale a donc accepté de prendre en considération,
dans sa décision, ces faits antérieurs au licenciement immé-

diat, mais non connus de l'employeur lors de la notification
du congé.

L'on ne peut que souscrire à la décision cantonale
sur ce point, puisqu'elle se conforme strictement à la juris-
prudence.

b) A suivre la demanderesse, la défenderesse serait
déchue de son droit d'invoquer des motifs antérieurs au li-
cenciement immédiat, mais inconnus d'elle au moment de ce
dernier, car elle ne les aurait pas fait valoir, dans la pro-
cédure cantonale, aussitôt après en avoir eu connaissance.

Selon la jurisprudence, l'employeur doit notifier
le licenciement immédiat dès qu'il a connu le juste motif
dont il entend se prévaloir ou, au plus tard, après un bref
délai de réflexion; s'il tarde à réagir, il est présumé
avoir
renoncé au licenciement immédiat; à tout le moins, il donne
à
penser que la continuation des rapports de travail est possi-
ble jusqu'à la fin du délai de congé (ATF 99 II 308 consid.
5a, 97 II 142 consid. 2a p. 146, 93 II 18).

La jurisprudence n'accorde qu'un court délai de ré-
flexion à l'employeur parce que, s'il attend trop
longuement,
ce dernier donne à penser au salarié qu'il pardonne le com-
portement reproché ou que, même en l'absence de pardon, la
continuation des rapports de travail est possible.

Cependant, une fois le licenciement immédiat noti-
fié, le salarié ne peut plus éprouver aucun doute quant à la
volonté de l'employeur de mettre fin immédiatement aux rap-
ports de travail. Les parties sont dès lors libres de faire
valoir leurs moyens selon les règles de la procédure canto-
nale, sous réserve de l'interdiction de l'abus de droit
(art.
2 CC).

En l'occurrence, il n'apparaît pas que les règles
de la procédure cantonale auraient été violées; d'ailleurs,
si tel avait été le cas, le grief n'aurait pas été recevable
dans le cadre d'un recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c
OJ). En outre, il ne ressort de l'arrêt cantonal aucun fait
démontrant que la défenderesse aurait adopté un comportement
contraire aux règles de la bonne foi. En effet, elle a atten-
du le résultat d'une enquête pénale pour se prévaloir des
faits antérieurs au congé immédiat et inconnus d'elle lors
de
ce dernier. Une telle manière de faire ne saurait être criti-
quée.

5.- a) Selon l'art. 321a CO, le travailleur sauve-
garde fidèlement les intérêts légitimes de l'employeur (al.
1); en outre, pendant la durée du contrat, il ne doit pas
utiliser ni révéler des faits destinés à rester confiden-
tiels, tels que les secrets de fabrication et d'affaires
dont
il a pris connaissance au service de l'employeur; il est
tenu
de garder le secret même après la fin du contrat en tant que
l'exige la sauvegarde des intérêts légitimes de l'employeur
(al. 4).

L'obligation de discrétion s'étend non seulement
aux faits que l'employeur a expressément qualifiés de se-
crets, mais aussi à tous ceux dont il apparaît, selon les
circonstances, que l'employeur veut interdire la
divulgation;
l'intérêt légitime au maintien du secret est présumé (Staehe-
lin, Commentaire zurichois, n. 54-56 ad art. 321a CO; Reh-
binder, Commentaire bernois, n. 13-14 ad art. 321a CO; Duc/
Subilia, Commentaire du contrat individuel de travail, n. 22
ad art. 321a CO, p. 114; Vischer, Der Arbeitsvertrag, in
Schweizerisches Privatrecht, VII/1, III, p. 70 s.; Streiff/
von Kaenel, op. cit., n. 12 ad art. 321a CO; Brühwiler,
Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd., n. 6-10 ad art.
321a CO; Geiser, Die Treuepflicht des Arbeitnehmers und ihre
Schranken, Berne 1983, p. 243 ss).

Le salarié doit aussi garder le secret sur des in-
fractions pénales ou administratives commises par l'em-
ployeur, à moins qu'un intérêt supérieur ne s'y oppose (Reh-
binder, op. cit., n. 13 in fine ad art. 321a CO; Brühwiler,
op. cit., n. 6 ad art. 321a CO; Geiser, op. cit., p. 267 s.;
plus restrictifs: Streiff/von Kaenel, op. cit., n. 14 ad
art.
321a CO; Staehelin, op. cit., n. 28 et 56 ad art. 321a CO).
Lorsque l'activité de l'employeur cause ou risque de causer
illicitement un dommage à autrui, le salarié ne peut faire
valoir un intérêt supérieur à rompre le secret que s'il res-
pecte lui-même le principe de la proportionnalité. Il doit
d'abord interpeller son employeur, puis saisir l'autorité
compétente (Staehelin, op. cit., n. 56 ad art. 321a CO; Reh-
binder, op. cit., n. 3 ad art. 321a CO, p. 128 en bas et 129
en haut); en effet, cette dernière peut agir sans porter at-
teinte à la réputation de l'employeur; ce n'est que si l'au-
torité demeure inactive que le salarié peut, lorsque les cir-
constances le justifient, saisir l'opinion publique (Rehbin-
der, ibidem).

L'on parvient à la même conclusion si l'on appli-
que, par analogie, les règles relatives à l'état de nécessi-
té. Le travailleur ne saurait se prévaloir de l'état de né-
cessité (ou de la légitime défense) que si l'intervention de
l'autorité ne peut pas être obtenue en temps utile (avec une
référence à l'art. 33 CP, cf. Geiser, op. cit., p. 265 s.;
sur le principe de la proportionnalité dans le cadre de
l'art. 52 al. 2 CO, cf. Schnyder, Commentaire bâlois, 2e
éd.,
n. 11 ad art. 52 CO avec d'autres références).

En l'occurrence, il est constant que la demanderes-
se a violé son obligation de loyauté et de discrétion en
tournant, de nuit, un film dans les locaux de la défenderes-
se, pour le remettre à la Télévision suisse romande, et en
participant à une émission de cette dernière, qui avait pour
but de stigmatiser l'employeur. Elle n'avait aucune raison
de

penser que la défenderesse l'autorisait à tourner ce film.
De
plus, elle a pris le risque de violer les droits de la per-
sonnalité d'une patiente, qu'elle a filmée dans son lit
(art.
28 CC).

A supposer que les intérêts défendus par la deman-
deresse aient justifié la dénonciation adressée à l'autorité
administrative - question qui peut rester ouverte -, la chro-
nologie des faits retenus par la cour cantonale n'en montre
pas moins que, en approchant la télévision et en lui remet-
tant le film litigieux, la demanderesse a agi de façon dis-
proportionnée. En effet, elle a tourné le film destiné à la
Télévision suisse romande avant même de déposer, le 23 fé-
vrier 1998, avec le SSP, une dénonciation au Service de la
santé publique. Elle n'a pas même attendu vingt-quatre
heures
la réponse de cette autorité. Elle a préféré participer elle-
même au procès de son employeur sur la place publique, en in-
tervenant à la télévision le 24 février 1998 au soir, dans
le
cadre d'une émission où fut présenté le film tourné en viola-
tion évidente de ses obligations. La demanderesse n'a pas mê-
me prétendu que l'intervention de l'autorité ne pouvait pas
être obtenue en temps utile. D'ailleurs, c'est avant l'émis-
sion de télévision du 24 février 1998, au soir, que l'autori-
té notifiait à l'employeur l'ouverture d'une procédure de re-
trait de l'autorisation d'exploiter.

Dans de telles circonstances, la violation de l'ob-
ligation de discrétion, commise au moyen des médias, allait
bien au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger les in-
térêts auxquels la demanderesse entendait veiller. En ne
s'interrogeant pas sur le point de savoir si la demanderesse
avait respecté le principe de la proportionnalité, exigence
admise par la doctrine unanime, la cour cantonale a perdu de
vue un élément d'appréciation décisif. Partant, elle a mécon-
nu la notion de juste motif selon l'art. 337 CO. Le grief
est
bien fondé.

b) La cour cantonale estime que la défenderesse
abuse de son droit en se prévalant de la violation de son
obligation de discrétion par la demanderesse.

Il est difficile de concevoir l'objection de l'abus
de droit dans le cadre de l'art. 337 CO. En effet, comme il
apprécie toutes les circonstances, le juge doit nécessaire-
ment tenir compte de celles qui feraient apparaître le com-
portement de l'employeur comme abusif.

Certes, selon les circonstances, l'employeur ne
saurait se prévaloir de l'obligation de discrétion à l'encon-
tre du salarié qui le dénonce à l'autorité administrative.
Toutefois, on ne voit pas en quoi la défenderesse abuserait
de son droit en reprochant à la demanderesse d'avoir violé
gravement son obligation de loyauté et de discrétion en la
stigmatisant sur la place publique sans attendre la réaction
de l'autorité saisie de sa dénonciation.

6.- Cela étant, il y a lieu d'admettre le recours
et de rejeter la demande. Bien qu'elle succombe, la demande-
resse n'aura pas à supporter les frais de la procédure fédé-
rale, laquelle est gratuite puisqu'elle a trait à un diffé-
rend résultant du contrat de travail dont la valeur litigieu-
se ne dépasse pas 20 000 fr. (cf. art. 343 al. 3 CO). En re-
vanche, elle devra payer à la défenderesse une indemnité à
titre de dépens, conformément à l'art. 159 al. 1 OJ.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et re-
jette la demande;

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais;

3. Dit que l'intimée versera à la recourante une
indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

___________

Lausanne, le 30 mars 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.136/2000
Date de la décision : 30/03/2001
1re cour civile

Analyses

Contrat de travail; obligation de discrétion du travailleur; résiliation immédiate (art. 321a et 337 CO). Rappel de la notion de justes motifs (consid. 3), qui peut inclure, sous certaines conditions restrictives, des circonstances antérieures à la résiliation immédiate du contrat de travail que l'employeur ne connaissait pas et ne pouvait pas connaître (consid. 4a); une fois le licenciement immédiat notifié, les parties sont libres de faire valoir leurs moyens selon les règles de la procédure cantonale, sous réserve de l'interdiction de l'abus de droit (consid. 4b). Objet et étendue de l'obligation de discrétion (consid. 5a). Violation de cette obligation par une employée d'un établissement médico-social qui tourne de nuit, à l'insu de l'employeur, un film à l'intérieur de cet établissement, le remet à la Télévision suisse romande et participe à une émission critique présentant le film en question (consid. 5b).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-30;4c.136.2000 ?
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