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27/03/2001 | SUISSE | N°4P.203/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 mars 2001, 4P.203/2000


«AZA 1/2»

4P.203/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 27 mars 2001

Présidence de M. Walter, Président du Tribunal fédéral.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

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Statuant sur le recours de droit public
formé par

Nicolas Salerno, à Wavre, représenté par Me Marino Montini,
avocat à Cornaux,

contre

l'arrêt rendu le 13 juillet 2000 par la Cour de cassation
c

ivile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel dans la
cause qui oppose le recourant à Manuel Ruiz, à Marin-
Epagnier, représen...

«AZA 1/2»

4P.203/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 27 mars 2001

Présidence de M. Walter, Président du Tribunal fédéral.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Nicolas Salerno, à Wavre, représenté par Me Marino Montini,
avocat à Cornaux,

contre

l'arrêt rendu le 13 juillet 2000 par la Cour de cassation
civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel dans la
cause qui oppose le recourant à Manuel Ruiz, à Marin-
Epagnier, représenté par Me Shokraneh Habibi Amini, avocate
à Neuchâtel;

(art. 9 et 29 al. 2 Cst.; procédure civile)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 16 octobre 1998, Nicolas Salerno a fait no-
tifier à Manuel Ruiz un commandement de payer la somme de
7770 fr.90, plus intérêts dès le 1er mai 1993, indiquant que
la cause de l'obligation était un prêt. Après la mainlevée
provisoire de l'opposition frappant ledit commandement,
Manuel Ruiz a introduit, le 3 mai 1999, action en libération
de dette. A l'appui de sa demande, il invoquait que la re-
connaissance de dette, qu'il avait signée le 27 mars 1997 en
faveur de Nicolas Salerno pour le montant de 14 370 fr.90,
avec intérêts de 10% minimum, était entachée de vices du
consentement et dépourvue de toute cause, de sorte qu'elle
ne
pouvait constituer un titre de mainlevée provisoire.

B.- Par jugement du 13 janvier 2000, le Tribunal
civil du district de Neuchâtel a libéré Manuel Ruiz de la
dette d'intérêts courus du 1er mai 1993 au 31 mars 1997 sur
la somme de 7770 fr.90; il a rejeté pour le surplus la deman-
de en libération de dette. Selon le premier juge, si la véri-
table cause de la reconnaissance de dette tient dans un com-
merce clandestin de viande - comme Nicolas Salerno l'a impli-
citement suggéré en sollicitant des preuves qui ont été ad-
ministrées, mais sans allégation formelle -, l'on peut conce-
voir que cela soit embarrassant pour l'une et l'autre
partie,
mais il n'est pas établi qu'une telle obligation soit elle-
même illicite. Par conséquent, Manuel Ruiz a certes prouvé
l'inexistence ou du moins l'insuffisance de plusieurs causes
éventuelles de sa reconnaissance de dette abstraite, mais
non
pas de toute cause licite.

Statuant sur recours de Manuel Ruiz, la Cour de
cassation civile du Tribunal cantonal du canton de
Neuchâtel,
par arrêt du 13 juillet 2000, a cassé le jugement de
première

instance et libéré Manuel Ruiz de toute obligation à l'égard
de Nicolas Salerno.

C.- Nicolas Salerno forme un recours de droit pu-
blic au Tribunal fédéral. Invoquant principalement l'inter-
diction de l'arbitraire et subsidiairement le droit à une dé-
cision motivée, il conclut à ce que l'arrêt cantonal soit
cassé.

L'intimé conclut tant à l'irrecevabilité qu'au re-
jet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué.

La Cour de cassation s'est également déterminée sur
le recours, estimant que le grief d'arbitraire était pour le
moins curieux et relevant que la preuve par l'intimé de
l'inexistence ou du moins de l'insuffisance de plusieurs cau-
ses éventuelles de la reconnaissance de dette, admise par le
premier juge, n'avait pas été contestée en procédure de cas-
sation.

Par ordonnance présidentielle du 15 septembre 2000,
la requête d'effet suspensif, présentée avec le recours, a
été rejetée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Sous réserve d'exceptions dont les conditions
ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit
public
ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée
(ATF
124 I 327 consid. 4a et les références). La conclusion de
l'intimé est donc irrecevable, dans la mesure où elle tend à
la confirmation de l'arrêt entrepris.

2.- Le recourant invoque la violation de l'art. 9
Cst. Il reproche, en substance, à la cour cantonale de
s'écarter des éléments ressortant du dossier et de
contredire
clairement la situation de fait.

a) Une décision est arbitraire lorsqu'elle contre-
dit clairement la situation de fait, lorsqu'elle viole grave-
ment une norme ou un principe juridique clair et indiscuté,
ou lorsqu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment
de
la justice et de l'équité; à cet égard, le Tribunal fédéral
ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale
de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en
contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée
sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain.
Par
ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de l'arrêt attaqué
soient insoutenables, encore faut-il que ce dernier soit ar-
bitraire dans son résultat. Il n'y a en outre pas arbitraire
du seul fait qu'une autre solution que celle de l'autorité
intimée apparaît comme concevable, voire préférable (ATF 123
I 1 consid. 4a; 122 I 61 consid. 3a; 122 III 130 consid.
2a).

b) L'arrêt entrepris s'appuie essentiellement sur
la thèse de Yung (La théorie de l'obligation abstraite et la
reconnaissance de dette non causée en droit suisse, Genève
1930, p. 149 ss). Selon cet auteur, la tâche du débiteur
quant à la preuve du défaut de la cause de la reconnaissance
de dette, qui lui incombe en principe (art. 17 CO et 8 CC;
Schwenzer; Basler Kommentar, n. 8 ad. art. 17 CO), est faci-
litée, lorsque le créancier adopte une attitude équivoque au
mépris de la bonne foi. Si le créancier a le droit de garder
le mutisme sur la cause de sa prétention au moment où il la
fait valoir, il n'a plus ce droit lorsque le débiteur a dé-
voilé la cause. Le créancier doit alors approuver ou contes-
ter les allégations du débiteur. Si le créancier reconnaît
que la cause indiquée par le débiteur est juste, celui-ci
est
dispensé de la prouver autrement. Si le créancier prétend au

contraire que l'obligation a une autre cause, il doit indi-
quer laquelle. Il ne peut se cantonner dans l'expectative
absolue que s'il rend vraisemblable qu'il ignore la cause.

c) En application des principes énoncés, la cour
cantonale relève l'attitude contradictoire du créancier le-
quel, dans la procédure de mainlevée ou dans les procédures
pénales, a admis les prêts comme cause de la reconnaissance
de dette, pour ensuite laisser entendre, dans la procédure
en
libération de dette, que la véritable cause était le
commerce
clandestin de viande. Même si la cour cantonale écarte ensui-
te, pour des raisons procédurales (défaut d'allégation), le
commerce clandestin de viande comme cause de la reconnaissan-
ce de dette, elle reproche au créancier une attitude contrai-
re à la bonne foi, qui dispenserait le débiteur de prouver
la
cause litigieuse autrement.

3.- a) De l'avis du recourant, l'intimé a toujours
su devoir le montant réclamé, mais a tenté, après la signa-
ture de la reconnaissance de dette litigieuse, le 22 mars
1997, de tirer profit de la destruction consentie d'un pre-
mier document qui attestait l'état de la créance et les rem-
boursements. Ladite destruction ayant enlevé toute possibili-
té de rétablir précisément la situation comptable, le recou-
rant conclut que l'on ne peut exiger de lui plus de preuves
que la production de la reconnaissance de dette litigieuse.

b) D'une part, la cour cantonale admet que le
créancier a dévoilé la cause de l'obligation (un ou
plusieurs
prêts), bien que le caractère abstrait de la reconnaissance
de dette ne l'y oblige nullement. D'autre part, elle admet
qu'il n'a pas allégué formellement le trafic clandestin de
viande et que, par conséquent, ce trafic ne saurait consti-
tuer la cause de la reconnaissance de dette.

Toutefois, dans la mesure où il ressort des faits
que le débiteur a également reconnu que des prêts étaient à
l'origine de la reconnaissance de dette litigieuse, la cour
cantonale ne pouvait le libérer du fardeau de la preuve,
c'est-à-dire renoncer à exiger de lui la preuve complète de
la cause de son engagement, d'une part, et la preuve qu'il
n'était plus tenu d'accomplir sa prestation, d'autre part.
La
solution de la cour cantonale s'appuie sur un comportement
du
créancier, qui paraît certes étonnant, mais dont déjà le
juge
de première instance n'a pu déduire qu'une suggestion impli-
cite de la véritable cause de la reconnaissance de dette li-
tigieuse, hypothèse finalement écartée par l'arrêt cantonal
lui-même. Les éléments du dossier ne suffisent donc pas à
justifier la dérogation au fardeau de la preuve qui incombe
au débiteur. De surcroît, en se référant au jugement de pre-
mière instance, selon lequel le débiteur a prouvé l'inexis-
tence de plusieurs causes éventuelles de l'obligation, le
raisonnement des juges cantonaux, qui se fonde sur une solu-
tion erronée, est incompréhensible. Partant, l'arrêt
cantonal
est arbitraire.

Il y a lieu d'admettre le recours. Par conséquent,
l'examen de la violation de l'art. 29 al. 2 Cst., invoquée à
titre subsidiaire, s'avère superflu.

4.- Le recours est admis. L'intimé, qui succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et ver-
sera des dépens au recourant (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de l'intimé;

3. Dit que l'intimé versera au recourant une in-
demnité de 2000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la la Cour de cassation civile du
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

____________

Lausanne, le 27 mars 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.203/2000
Date de la décision : 27/03/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-27;4p.203.2000 ?
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