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27/03/2001 | SUISSE | N°4C.168/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 mars 2001, 4C.168/2000


«/2»

4C.168/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 27 mars 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffier: M. Carruzzo.

______________

Dans la cause civile pendante
entre

M.________, demandeur et recourant, représenté par Me Jean-
Michel Henny, avocat à Lausanne,

et

1. X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée
par Me Bernard Katz, avoca

t à Lausanne,
2. Y.________, appelé en cause et intimé, représenté par
Me Christian Fischer, avocat à Lausanne;

(vente immo...

«/2»

4C.168/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 27 mars 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffier: M. Carruzzo.

______________

Dans la cause civile pendante
entre

M.________, demandeur et recourant, représenté par Me Jean-
Michel Henny, avocat à Lausanne,

et

1. X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée
par Me Bernard Katz, avocat à Lausanne,
2. Y.________, appelé en cause et intimé, représenté par
Me Christian Fischer, avocat à Lausanne;

(vente immobilière; conclusion du contrat, points réservés)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 15 avril 1994, le notaire Y.________ a ins-
trumenté un acte par lequel X.________ S.A. vendait à
M.________ 4443 m² de terres viticoles, pour le prix total
de
111'075 fr., payable au plus tard le 30 juin 1994.

Avant la signature de l'acte, le notaire a présenté
aux parties un plan, daté du 14 avril 1994, établi par un
géomètre. M.________ affirme qu'ayant vu ce plan, il a immé-
diatement signalé que le tracé proposé ne correspondait pas
à
l'alignement des ceps de vigne et il a demandé au notaire de
faire rectifier le plan. La venderesse était représentée par
dame T.________, qui, entendue plus tard en qualité de té-
moin, s'est exprimée de la manière suivante au sujet de l'in-
tervention de M.________: "il y a eu un problème de plan où
l'on disait qu'une limite était en discussion, le demandeur
voulant la changer". Le notaire a alors immédiatement télé-
phoné au géomètre, devant les parties, pour lui demander si
la modification requise par l'acheteur était possible; le
géomètre a répondu affirmativement. L'acte a ensuite été si-
gné par les parties.

Le même jour, le notaire a envoyé aux parties une
copie libre de l'acte, ainsi qu'une lettre dans laquelle il
écrivait ceci:

"Lors de l'instrumentation de l'acte, M.
M.________ a demandé que la nouvelle limite suive
l'alignement des ceps de vigne, ce qui n'était pas
le cas du plan de fractionnement qui m'avait été
remis.

Vérification faite séance tenante avec le géo-
mètre, il s'avère que cela est possible sans chan-
gement de surface.
Le géomètre a donc été chargé de modifier son
plan et d'aborner en conséquence."

Le 20 avril 1994, le géomètre a établi un nouveau
plan, qui suivait l'alignement des ceps.

Le notaire a ensuite adressé aux parties une let-
tre, datée du 24 mai 1994, contenant le passage suivant:

"Au moment de l'instrumentation de l'acte,
M. M.________ a demandé que la nouvelle limite sui-
ve l'alignement des ceps de vigne.

Le géomètre a donc été chargé séance tenante de
modifier son plan de fractionnement.

Il a dès lors établi le plan provisoire, daté
du 20 avril 1994, dont vous trouverez inclus photo-
copie.

Cette modification de limite suppose en défini-
tive une emprise réduite à quelques mètres carrés
sur la parcelle ... contrairement à ce que le géo-
mètre m'avait laissé entendre lors de notre entre-
tien téléphonique du 15 avril dernier.

Il en découle que la modification de limite en-
traînerait un échange mètre par mètre portant sur
une surface de 1319 m2.

Vous voudrez bien me faire savoir, à bref dé-
lai, si je dois préparer cet échange ou non."

Par courrier du 30 mai 1994, X.________ S.A. a ré-
pondu qu'elle n'était pas disposée à procéder à l'échange
proposé.

M.________ a indiqué au notaire, par lettre du 13
juin 1994, qu'il conditionnait le versement du prix de vente
à l'échange de terrains nécessaire pour que le tracé puisse
suivre l'alignement des ceps.

A l'échéance du 30 juin 1994, le prix fixé dans
l'acte n'a pas été payé.

Le 26 juillet 1994, X.________ S.A. a fait notifier
un commandement de payer à M.________, lui réclamant la
somme
de 111'075 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 1994
ainsi que les frais. Opposition ayant été formée, la mainle-
vée provisoire a été prononcée le 31 août 1994.

B.- Le 10 octobre 1994, M.________ a déposé devant
la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois une action en li-
bération de dette, soutenant "que le contrat ne l'oblige
pas".

Entendu en qualité de témoin, le géomètre a expli-
qué qu'après la passation de l'acte, il avait tracé une nou-
velle limite et placé deux bornes artificielles, qu'il avait
dû ensuite enlever. Au sujet de ces événements, il s'est ex-
primé de la manière suivante: "on a voulu anticiper en pen-
sant que cette rectification de limite - qui nous paraissait
logique parce qu'adaptée aux cultures - serait finalement
adoptée, ce qui n'a pas été le cas par la suite".

Il ressort d'une expertise privée et de l'expertise
judiciaire que le tracé figurant sur le plan du 14 avril
1994, qui coupe l'alignement des ceps, rend plus difficile
l'exploitation de la parcelle litigieuse.

La cour cantonale a retenu que le demandeur, avant
de signer l'acte, avait exprimé son désaccord sur le tracé.
Procédant à une appréciation des preuves, elle a conclu: "on
ignore en revanche si un accord est intervenu oralement
entre
les parties à cette occasion". S'agissant du notaire, appelé
en cause par le demandeur, les premiers juges ont relevé ce
qui suit: "Il n'est guère discutable qu'en instrumentant
l'acte de vente du 15 avril 1994, alors qu'il savait que le

contenu de celui-ci ne correspondait pas, sur un point acces-
soire au moins - la limite de la parcelle - à la réelle vo-
lonté de l'acheteur, l'appelé en cause a commis un acte illi-
cite. Il lui incombait en effet de surseoir à l'instrumenta-
tion de l'acte, le temps que le nouveau plan soit dressé et
approuvé par les parties". Et plus loin: "en instrumentant
l'acte du 15 avril 1994 alors qu'il savait que celui-ci ne
reflétait pas parfaitement la volonté concordante des par-
ties, l'appelé en cause a indiscutablement commis une faute".

Par jugement du 11 mai 1999, la Cour civile du Tri-
bunal cantonal a rejeté les conclusions prises par le deman-
deur à l'encontre de la défenderesse et de l'appelé en
cause;
elle a, en conséquence, constaté la somme due par l'acheteur
et prononcé la levée définitive de l'opposition à
concurrence
de 111'075 fr., sous déduction de deux montants de 6033
fr.80
et 13'444 fr.20 que la défenderesse reconnaissait devoir au
demandeur à un autre titre et qu'elle entendait compenser
avec sa créance en paiement du prix de vente. La cour canto-
nale a considéré que les arguments invoqués par le
demandeur,
à savoir l'erreur essentielle et, subsidiairement, le défaut
de la chose vendue, n'étaient pas fondés, dès lors que la
parcelle mise à sa disposition correspondait au plan du 14
avril 1994 auquel le contrat signé se référait. En ce qui
concerne les conclusions prises contre l'appelé en cause,
les
juges cantonaux ont estimé que le notaire avait commis un ac-
te illicite et fautif, mais que la preuve d'un dommage
n'avait pas été apportée.

C.- Le demandeur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Il y reprend ses conclusions sur le
fond, aussi bien contre la défenderesse que contre l'appelé
en cause.

La défenderesse propose le rejet du recours.

L'appelé en cause conclut à l'irrecevabilité du
recours et, subsidiairement, à son rejet.

Le demandeur a déposé parallèlement un recours en
réforme cantonal, qui a été déclaré irrecevable, par arrêt
du
20 septembre 2000 de la Chambre des recours, en tant qu'il
avait trait à l'action en libération de dette; ledit recours
est toujours pendant en ce qui concerne l'action dirigée con-
tre le notaire.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) La cour cantonale a rejeté les conclusions
prises par le recourant contre le notaire. Le recours en ré-
forme porte également sur ce point.

b) Il faut cependant constater que les instances
cantonales ne sont pas épuisées, puisque le recours en réfor-
me cantonal est toujours pendant.

S'il s'agissait d'un recours ordinaire, cela en-
traînerait l'irrecevabilité du recours en réforme (art. 48
al. 1 OJ). Si l'on était en présence d'un recours extraordi-
naire, il y aurait lieu de surseoir à statuer (art. 57 al. 1
OJ); il est cependant admis qu'il n'y a pas lieu d'attendre
si le recours en réforme est manifestement irrecevable ou in-
fondé (Poudret, Commentaire de l'OJ, n. 1.3 ad art. 57,
p. 458; Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral,
in
SJ 2000 II p. 53).

En l'espèce, le recours en réforme est manifeste-
ment irrecevable, indépendamment de la nature du recours can-
tonal.

En effet, le recours en réforme n'est ouvert que
pour violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). On en dé-

duit que le recours en réforme est irrecevable lorsque la
prétention litigieuse est soumise au droit cantonal (art. 55
al. 1 let. c OJ), même si celui-ci incorpore des notions de
droit fédéral ou renvoie au droit fédéral (ATF 126 III 370
consid. 5, 125 III 461 consid. 2 p. 463, 123 III 395 consid.
1b).

Lorsque le notaire accomplit ses fonctions ministé-
rielles, ses relations avec ses clients relèvent du droit pu-
blic et échappent au champ d'application des dispositions
contractuelles sur le mandat; la responsabilité du notaire
pour une éventuelle mauvaise exécution de ses tâches offi-
cielles ne relève donc pas du droit des contrats (ATF 126
III
370 consid. 7a et les références). La responsabilité des
fonctionnaires et employés publics cantonaux est en principe
régie par les art. 41 ss CO, sauf si le canton, en vertu de
l'art. 61 al. 1 CO, a réglementé la question (ATF 122 III
101
consid. 2a p. 103). Il n'est pas contesté en l'espèce que le
canton de Vaud a réglementé la responsabilité des notaires
(cf. art. 111 de la loi vaudoise du 10 décembre 1956 sur le
notariat). La prétention litigieuse relève donc entièrement
du droit public cantonal, ce qui exclut d'emblée un recours
en réforme.

c) Cela étant, les frais et dépens se rapportant
aux conclusions irrecevables prises contre le notaire appelé
en cause doivent être mis à la charge du recourant (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

2.- a) Il y a lieu, partant, de restreindre l'exa-
men du cas au litige de droit privé qui oppose l'acheteur et
la venderesse.

b) Interjeté par la partie qui a succombé dans ses
conclusions libératoires et dirigé contre un jugement final
rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supé-

rieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a
été formé en temps utile (art. 54 al. 1 et 34 al. 1 let. a
OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

c) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ) ou pour violation
du droit cantonal (ATF 126 III 189 consid. 2a, 370 consid.
5,
125 III 311 consid. 3e).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations repo-
sant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité canto-
nale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits perti-
nents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59
consid. 2a et les arrêts cités). Dans la mesure où un recou-
rant présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu
dans la décision attaquée sans se prévaloir avec précision
de
l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est
pas possible d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des con-
clusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a, 123 III 246 consid. 2, 122 III
150
consid. 3). Le Tribunal fédéral peut donc admettre un
recours
pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant et
il

peut également rejeter le recours en adoptant une autre argu-
mentation juridique que celle retenue par la cour cantonale
(Corboz, op. cit., p. 59).

3.- a) Le recourant se plaint d'une inadvertance
manifeste au sens de l'art. 163 (recte: 63) al. 2 OJ. Il re-
proche à la cour cantonale d'avoir méconnu la lettre du no-
taire du 15 avril 1994. Cet argument est de toute évidence
mal fondé, puisque le passage invoqué par le recourant est
entièrement et correctement reproduit dans l'arrêt attaqué à
la page 7, de sorte que l'on ne saurait dire que la cour can-
tonale a méconnu cette pièce.

Invoquant l'art. 8 CC, le recourant reproche à la
cour cantonale d'avoir mal dégagé le sens de ce document. Sa-
voir si une lettre est propre à fonder une conviction sur la
volonté réelle d'une personne est une question
d'appréciation
des preuves, qui n'est pas régie par l'art. 8 CC. En effet,
cette disposition ne prescrit pas comment le juge doit appré-
cier les preuves et sur quelles bases il peut parvenir à une
conviction (cf. ATF 122 III 219 consid. 3c p. 223, 119 III
60
consid. 2c, 118 II 365 consid. 1 p. 366).

S'il faut interpréter
une manifestation de volonté
selon le principe de la confiance, il s'agit d'une question
de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement (ATF
126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid. 2e/aa p.
379, 125 III 305 consid. 2b p. 308, 435 consid. 2a/aa), sans
qu'intervienne ici l'art. 8 CC.

Il n'y a donc pas trace d'une violation de cette
disposition.

b) La cour cantonale a retenu que l'acheteur sa-
vait, au moment de signer l'acte de vente, que le plan du 14
avril 1994 ne correspondait pas à ce qu'il souhaitait, de

sorte qu'il n'y a pas eu d'erreur de sa part (cf. art. 24
al.
1 CO); au demeurant, comme le terrain mis à sa disposition
est conforme à ce plan, la chose n'est pas défectueuse (cf.
art. 197 et 200 CO).

Ces questions ne se posent que pour autant que le
contrat de vente ait été valablement conclu.

C'est le lieu de rappeler que le Tribunal fédéral,
saisi d'un recours en réforme, n'est pas lié par l'argumenta-
tion juridique des parties ou de la cour cantonale. Le juge
doit examiner d'office si le contrat invoqué est venu à chef
(Kramer, Commentaire bernois, n. 6 ad art. 2 CO), en tout
cas
lorsqu'une partie soutient qu'elle n'est pas liée (cf. Bu-
cher, Commentaire bâlois, n. 25 ad art. 1er CO). On se
trouve
ici dans cette dernière hypothèse. En effet, contrairement à
l'acheteur qui, en concluant principalement à la réduction
du
prix en raison des défauts de la chose vendue, manifeste, ce
faisant, sa volonté de maintenir la vente, mais avec un con-
tenu modifié (ATF 88 II 412; arrêt du 13 août 1991, consid.
1, reproduit in SJ 1992 p. 13), l'acheteur qui, tel le recou-
rant, invoque au premier chef le moyen tiré de l'erreur
(art.
24 CO), fait valoir qu'il n'a jamais été lié par le contrat
en cause (cf. ATF 114 II 131 consid. 3b p. 143; Engel,
Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 339) à l'égal de
celui qui soutient que les parties ne se sont pas mises d'ac-
cord sur les points essentiels du contrat de vente.

c) La cour cantonale semble avoir admis implicite-
ment que l'acheteur ne pouvait pas remettre en cause la con-
clusion du contrat, parce qu'il avait signé un acte authen-
tique.

Selon l'art. 216 al. 1 CO, les ventes d'immeubles
ne sont valables que si elles sont faites par acte authenti-
que. L'observation de la forme requise par la loi est donc

une condition de validité du contrat (art. 11 CO). La conclu-
sion du contrat n'en est pas moins soumise aux règles généra-
les des art. 1er et 2 CO et l'interprétation de cet acte ju-
ridique doit être faite conformément à l'art. 18 CO. Il est
donc possible, même pour un contrat soumis à une exigence de
forme, que ce qui a été déclaré ne corresponde pas à la vo-
lonté réelle et commune des parties (art. 18 al. 1 CO; ATF
122 III 361 consid. 4 p. 366, 121 III 118 consid. 4b/bb et
les références).

Certes, les faits constatés dans un titre authenti-
que sont présumés exacts, mais il n'est pas exclu de renver-
ser cette présomption (art. 9 CC; ATF 118 II 32 consid. 3d
p.
34).

d) Selon l'art. 1er al. 1 CO, le contrat est par-
fait lorsque les parties ont, réciproquement et d'une
manière
concordante, manifesté leur volonté. Si les parties ne se
sont pas mises d'accord sur tous les éléments essentiels du
contrat, celui-ci n'est pas venu à chef (Bucher, op. cit.,
n.
20, 22 et 23 ad art. 1er CO; Kramer, ibid.; Engel, op. cit.,
p. 218).

Savoir ce qui constitue un élément essentiel est
une question de qualification juridique que le Tribunal fédé-
ral, saisi d'un recours en réforme, peut revoir librement
(cf. dans le cas de l'erreur essentielle: ATF 113 II 25 con-
sid. 1a p. 27, 105 II 16 consid. 5 p. 22).

Dans un contrat de vente, la détermination de l'ob-
jet vendu constitue l'un des éléments essentiels (ATF 103 II
190 consid. 1 p. 193; Bucher, Schweizerisches Obligationen-
recht, Allgemeiner Teil, 2e éd., p. 117 note 28;
Guhl/Koller,
Das schweizerische Obligationenrecht, 9e éd., p. 106 n. 8;
Keller/Schöbi, Allgemeine Lehren des Vertragsrechts, 3e éd.,
p. 53; Engel, op. cit., p. 219; Jäggi, Commentaire
zurichois,

n. 3 ad art. 2 CO). Dans le cas d'une vente immobilière,
l'indication d'une surface ne suffit pas; il faut que soient
déterminés la forme et l'emplacement de la parcelle (ATF 95
II 42 consid. 1, 90 II 21 consid. 1). L'objet vendu doit
être
déterminé ou à tout le moins déterminable sur la base de
l'accord des parties (von Tuhr/Peter, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen Obligationenrecht, vol. I, p. 191).

Si un élément essentiel fait défaut, l'art. 2 CO
n'est pas applicable (Kramer, ibid.).

e) Il arrive que les parties ne puissent pas se
mettre d'accord sur tous les éléments essentiels du contrat
et qu'elles réservent l'un ou l'autre des points à un accord
ultérieur; dans ce cas, le contrat n'est pas encore conclu
et
il ne vient à chef que lorsque tous les points essentiels
ont
fait l'objet d'un accord (von Tuhr/Peter, ibid.).

La réserve d'un point à régler peut être convenue
de manière informelle, même dans le cadre d'un contrat
soumis
à une exigence de forme (Jäggi, op. cit., n. 20 et 21 ad
art.
2 CO).

f) Selon les constatations souveraines de la cour
cantonale, le notaire a soumis aux parties, lors de la
séance
du 15 avril 1994, un projet qui fixait tous les éléments es-
sentiels d'une vente immobilière. Le recourant a cependant
exprimé son désaccord à l'égard du plan, manifestant la vo-
lonté que le tracé suive l'alignement des ceps de vigne. Il
y
avait dès cet instant un désaccord patent portant sur un élé-
ment essentiel, à savoir la détermination exacte de la chose
à vendre.

La cour cantonale constate, à la page 37 de son
jugement, qu'elle n'est pas parvenue à établir si un accord
était alors intervenu oralement entre les parties. Dès lors,

en l'absence d'une constatation quant à une commune et
réelle
intention, il faut interpréter les manifestations de volonté
selon le principe de la confiance (sur cette notion: ATF 126
III 375 consid. 2e/aa p. 380 et les arrêts cités).

Il résulte des constatations des premiers juges que
la représentante de la venderesse a pris connaissance de la
demande du recourant, mais ne s'est pas déterminée à son su-
jet. On ne peut donc pas déduire de l'attitude des parties,
telle qu'elle a été constatée en fait par la cour cantonale,
que la modification du tracé demandée par le recourant ait
été acceptée.

On ne saurait non plus déduire de l'attitude du
recourant que ce dernier aurait renoncé à son exigence.
C'est
le contraire qui ressort des circonstances. Le notaire a té-
léphoné au géomètre, avant que le recourant ne signe le con-
trat, pour s'assurer qu'il était possible de modifier le tra-
cé conformément à son désir; à la suite d'une réponse affir-
mative du géomètre, on sait qu'il lui a été donné pour ins-
truction de modifier le bornage en conséquence (lettre du no-
taire du 15 avril 1994); la représentante de la venderesse
n'a pas opposé de veto; ce n'est que dans ces circonstances
que le recourant a accepté de signer le contrat.

Il suit de là que le recourant a clairement mani-
festé son désaccord avec le tracé proposé et qu'il n'est pas
revenu sur cette prise de position. Il a certes signé le con-
trat - ce qui constituait une imprudence de sa part - en par-
tant de l'idée, reconnaissable pour son cocontractant, que
la
question du tracé était réservée et ferait l'objet d'un ac-
cord ultérieur. Les lettres du notaire des 15 avril et 24
mai
1994, ainsi que les déclarations du géomètre sont corrobora-
tives et montrent que c'est bien de cette manière que la po-
sition prise par le recourant devait être comprise de bonne
foi.

Si le recourant a signé malgré tout, ce n'est pas -
comme semble le croire la cour cantonale - parce qu'il consi-
dérait que la question était d'importance mineure. Il
ressort
au contraire des constatations des juges précédents que le
tracé avait une grande importance pour l'exploitation vitico-
le et affectait, par voie de conséquence, la valeur du ter-
rain. En réalité, il a signé parce qu'il pensait que le
point
essentiel réservé pourrait être facilement réglé, sur la
base
des assurances du géomètre transmises par le notaire.

L'erreur commune, au moment de la signature de
l'acte, a consisté à minimiser les problèmes à résoudre pour
donner satisfaction au recourant. Cela résulte clairement de
la lettre du notaire rédigée le 24 mai 1994 après
dissipation
de cette erreur: "cette modification de limite suppose en dé-
finitive une emprise (...) sur la parcelle ... contrairement
à ce que le géomètre m'avait laissé entendre lors de notre
entretien téléphonique du 15 avril dernier". Il est ainsi ap-
paru postérieurement, sur le point essentiel réservé, qu'il
était plus difficile qu'on ne le pensait de donner satisfac-
tion au recourant et les parties ont buté sur une difficulté
qui n'a pas pu être surmontée.

En signant l'acte le 15 avril 1994, les parties
sont allées trop vite en besogne, comme cela ressort claire-
ment des déclarations du géomètre ("on a voulu anticiper en
pensant que cette rectification de limite - qui nous parais-
sait logique parce qu'adaptée aux cultures - serait finale-
ment adoptée, ce qui n'a pas été le cas par la suite") et
des
reproches adressés par la cour cantonale au notaire ("en ins-
trumentant l'acte du 15 avril 1994 alors qu'il savait que
celui-ci ne reflétait pas parfaitement la volonté
concordante
des parties, l'appelé en cause a indiscutablement commis une
faute").

D'un point de vue juridique, il faut retenir que le
recourant, bien qu'il ait signé le contrat, n'a pas accepté
le tracé résultant du plan du 14 avril 1994, ce que sa cocon-
tractante savait. Il résulte de l'attitude des parties que
cet élément essentiel, touchant la détermination de l'objet
vendu, a été réservé lors de la passation de l'acte, un ac-
cord ultérieur sur cette question étant envisagé. Comme cet
accord - contrairement à ce que les parties espéraient -
n'est jamais intervenu, il faut constater qu'il n'y a pas eu
d'accord sur tous les éléments essentiels du contrat, de sor-
te que celui-ci n'est pas venu à chef.

En conséquence, le recourant ne doit pas le prix de
vente et le jugement attaqué doit être réformé sur ce point
dans le sens de l'admission de l'action en libération de det-
te et du maintien de l'opposition formée par le recourant au
commandement de payer litigieux. Il va sans dire, pour le
surplus, que, dans la mesure où l'intimée n'était titulaire
d'aucune créance en paiement du prix de vente à l'égard du
recourant, elle n'a pu valablement éteindre les dettes qu'el-
le admet avoir envers celui-ci (soit les montants précités
de
6033 fr.80 et 13'444 fr.20) par voie de compensation avec
cette prétendue créance qui s'est avérée inexistante.

4.- Les frais et dépens concernant le recours en
réforme dirigé contre la venderesse doivent être mis à la
charge de l'intimée qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours irrecevable en tant qu'il est
dirigé contre l'intimé Y.________;

Met un émolument judiciaire de 1000 fr. à la
charge du recourant;

Condamne le recourant à verser à l'intimé une
indemnité de 2000 fr. à titre de dépens;

2. Admet le recours en réforme, en tant qu'il est
dirigé contre l'intimée X.________ S.A., et réforme le juge-
ment attaqué, en ce qui concerne les rapports entre le re-
courant et l'intimée, de la manière suivante:

L'action en libération de dette est admise et
il est constaté que le recourant ne doit pas à
l'intimée la somme de 111'075 fr., avec intérêts à
5% l'an dès le 1er juillet 1994;

L'opposition formée par le recourant au com-
mandement de payer ... est maintenue;

Renvoie la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens de la procédure canto-
nale;

Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la
charge de l'intimée X.________ S.A.;

Condamne l'intimée X.________ S.A. à verser au
recourant une indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

__________

Lausanne, le 27 mars 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.168/2000
Date de la décision : 27/03/2001
1re cour civile

Analyses

Responsabilité du notaire vaudois; moyen de droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ et art. 61 al. 1 CO). Dans le canton de Vaud, l'action en responsabilité dirigée contre un notaire en rapport avec l'exercice de ses activités ministérielles relève du droit public cantonal. Par conséquent, la décision y relative ne peut pas faire l'objet d'un recours en réforme (consid. 1). Vente immobilière; conclusion du contrat; points réservés (art. 9 CC; art. 1, 2, 11, 18 al. 1 et 216 al. 1 CO). Les contrats soumis à l'exigence d'une forme n'en obéissent pas moins aux règles générales en ce qui concerne leur conclusion et leur interprétation (consid. 3c). Dans une vente immobilière, l'indication d'une surface ne suffit pas; il faut que soient déterminés l'emplacement et la forme de la parcelle vendue (consid. 3d). Si les parties réservent un point essentiel à un accord ultérieur - ce qu'elles peuvent faire de manière informelle - le contrat n'est conclu que lorsque ce point essentiel a fait l'objet d'un accord (consid. 3e). En l'espèce, faute d'un accord ultérieur - réservé lors de la passation de l'acte authentique de vente - au sujet de la détermination exacte de la chose vendue, le contrat n'est pas venu à chef (consid. 3f).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-27;4c.168.2000 ?
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