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26/03/2001 | SUISSE | N°4C.14/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 mars 2001, 4C.14/2001


«/2»
4C.14/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge,
et Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, défenderesse et recourante, représentée par
Me Christiane Terrier, avocate à Cernier,

et

1. Y.________, demandeur et intimé,
2. Z.________, demandeur et intimé,
tous deux représentés par Me Philippe Paratte, avocat

à
Neuchâtel;

(contrat de travail; paiement du treizième salaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f...

«/2»
4C.14/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge,
et Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, défenderesse et recourante, représentée par
Me Christiane Terrier, avocate à Cernier,

et

1. Y.________, demandeur et intimé,
2. Z.________, demandeur et intimé,
tous deux représentés par Me Philippe Paratte, avocat à
Neuchâtel;

(contrat de travail; paiement du treizième salaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Z.________ a été engagé comme plasticien le
1er juin 1978 par l'entreprise X.________, à C.________.
Le 20 mars 1990, Y.________ a été engagé par cette société
comme électricien-électronicien. Les contrats des deux em-
ployés prévoyaient une "indemnité de fin d'année: 13e sa-
laire".

En 1995, 1996, 1997 et 1998, l'employeur a réuni
les salariés de l'entreprise et leur a annoncé qu'il n'était
plus en mesure de verser le treizième salaire; il a ajouté
que les travailleurs qui n'étaient pas contents étaient
libres de donner leur démission (art. 64 al. 2 OJ). Bien
qu'ils ne fussent pas satisfaits, les salariés n'ont pas
formellement protesté contre la suppression de leur treiziè-
me salaire.

B.- Le 6 janvier 2000, Y.________ et Z.________
ont déposé contre X.________ une demande en paiement de res-
pectivement 22'000 fr. et 19'664 fr.75 plus intérêts à titre
de treizième salaire pour les années 1994 à 1998. X.________
a conclu au rejet des deux demandes.

Par jugement du 3 mai 2000, le Tribunal des
prud'hommes du district de Neuchâtel a rejeté les demandes
et condamné chacun des demandeurs aux dépens. Le Tribunal
des prud'hommes a retenu que la prétention au treizième sa-
laire de 1994 était prescrite et que l'absence d'opposition
formelle de la part des employés attestait leur accord sur
une renonciation au treizième salaire pour les années 1995
à 1998.

Statuant sur recours des demandeurs, la Cour de
cassation civile du Tribunal cantonal neuchâtelois, par
arrêt du 19 décembre 2000, a annulé ce jugement et con-
damné la défenderesse à payer à Y.________ la somme de
17'511 fr.80 brut et à Z.________ la somme de 16'687 fr.05
brut, intérêts en sus. En substance, la cour cantonale a
déclaré prescrite la prétention des demandeurs au versement
d'un treizième salaire pour l'année 1994. S'agissant des
prétentions des travailleurs relatives au paiement de cette
part de rémunération de 1995 à 1998, elle a considéré qu'au-
cune modification contractuelle n'était intervenue de ma-
nière concordante entre les parties et que les demandeurs
n'avaient jamais expressément accepté la suppression de leur
treizième salaire pour les années postérieures à 1994. Sur
la base des décomptes de salaire déposés par l'employeur,
elle a ainsi calculé les montants bruts dus à chacun des
travailleurs à ce titre.

C.- La défenderesse recourt en réforme au Tribunal
fédéral, en concluant implicitement au rejet des demandes.

Les demandeurs proposent le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) La défenderesse reproche à la cour canto-
nale d'avoir violé le droit fédéral en admettant que les
demandeurs n'ont pas renoncé à leur treizième salaire pour
les années 1995 à 1998. Elle soutient non pas que le contrat
de travail aurait été modifié définitivement, mais que les
demandeurs auraient renoncé, chaque année, au treizième sa-
laire, à l'occasion de réunions avec la direction. En effet,
cette dernière a informé chaque année les salariés de ce que
le paiement du treizième salaire n'était pas possible et

leur a indiqué que les travailleurs qui n'étaient pas con-
tents étaient libres de donner leur congé.

b) La remise de dette est un contrat aux termes
duquel les parties conviennent d'annuler une créance; elle
n'est soumise à aucune prescription de forme, même lorsque
la créance découle d'un contrat écrit (art. 115 CO). Le
créancier ne peut pas renoncer unilatéralement à la créance;
la remise de dette suppose un accord entre le créancier et
le débiteur (ATF 126 III 375 consid. 2d et les références
doctrinales).

On peut douter que l'information donnée par la dé-
fenderesse - selon laquelle il ne lui était pas possible de
verser le treizième salaire - ait dû être comprise de bonne
foi par leurs destinataires comme l'offre, formulée par
elle, de conclure un accord en vertu duquel les demandeurs
renonçaient définitivement, chaque année, à ce treizième sa-
laire. En effet, la défenderesse s'est bornée à donner une
information unilatérale; elle ne s'est point comportée comme
si elle présentait une proposition.

Si tant est que des offres aient été formulées, il
incomberait à la défenderesse de prouver qu'elles ont été
acceptées. Sauf circonstances particulières, le silence du
destinataire ne saurait être considéré comme valant accepta-
tion; le simple fait que le créancier laisse s'écouler une
longue période sans faire valoir ses droits ne signifie pas
qu'il y renonce (Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches
Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, nos 3204/3205, p. 226;
Gonzenbach, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 6 ad art. 115
CO). En particulier, l'employeur qui demande une remise de
dette à son salarié ne saurait admettre que cette remise est
acceptée si ce dernier s'abstient de démissionner; il incom-
be à l'employeur, en l'absence d'acceptation, de prendre
lui-même l'initiative de la résiliation du contrat (arrêt

du 18 mai 1982, consid. 3, publié in: SJ 1983 p. 94 ss et
résumé in: Aubert, Quatre cents arrêts sur le contrat de
travail, no 47, p. 36-37).

En l'occurrence, la défenderesse a d'emblée laissé
entendre qu'elle ne tiendrait pas compte d'un refus, puis-
qu'elle indiquait que les salariés mécontents étaient li-
bres de donner leur démission. Elle ne saurait donc tirer de
l'absence de manifestation d'un refus, de la part des sala-
riés, la conclusion que ceux-ci acceptaient la proposition.

De plus, dès lors qu'ils étaient au bénéfice d'un
contrat prévoyant le paiement d'un treizième mois, la défen-
deresse ne pouvait pas escompter que les intéressés donnent
leur démission pour manifester leur refus.

Dans de telles circonstances, il faut admettre,
avec la cour cantonale, que la défenderesse n'a pas prouvé
la renonciation des demandeurs au paiement des treizièmes
mois afférents aux années 1995 à 1998, de sorte que le grief
doit être rejeté.

2.- a) La défenderesse fait valoir que les deman-
deurs ont renoncé par écrit au treizième salaire de l'année
1994. Il faudrait en déduire que leur silence, après l'an-
nonce du non-versement des treizièmes salaires afférents aux
années postérieures, devrait être compris comme l'accepta-
tion de la décision de l'employeur. Faute d'avoir procédé à
une telle déduction, la cour cantonale aurait violé l'art.
343 al. 4 CO, voire l'art. 63 al. 2 OJ en commettant une in-
advertance manifeste.

La renonciation écrite au treizième salaire dû en
rapport avec l'année 1994 n'est plus litigieuse. On voit mal
comment on pourrait en tirer un indice en faveur d'une re-
nonciation tacite pour les années suivantes. Au contraire,

ayant exprimé leur renonciation par écrit pour l'année 1994,
les demandeurs pouvaient d'autant moins s'attendre que leur
silence après la notification orale de la suppression des
treizièmes salaires postérieurs risquât d'être interprété
comme une acceptation de leur part.

Cela étant, le grief n'a aucune incidence sur le
sort de la cause. Il est dès lors inutile d'examiner s'il
pourrait se fonder sur les dispositions légales précitées.

b) La défenderesse soutient que la cour cantonale
aurait eu tort de considérer que les demandeurs ne pouvaient
pas renoncer valablement à leur treizième salaire, en vertu
des art. 322 al. 1 et 341 al. 1 CO.

Cette question peut demeurer indécise, puisqu'il
appert, en l'occurrence, que les demandeurs n'ont pas re-
noncé aux montants dus.

c) La défenderesse soutient que la cour cantonale
aurait violé l'art. 2 CC en n'admettant pas que les parties
pouvaient et devaient, de bonne foi, admettre que les sala-
riés avaient renoncé à leurs prétentions.

Ce grief se confond avec celui relatif à l'inter-
prétation des manifestations de volonté des plaideurs, qui
a été rejeté (cf. consid. 1 supra).

Au demeurant, l'exercice d'une prétention pendant
le délai de prescription ne peut constituer un abus de droit
qu'en raison de circonstances tout à fait particulières, le
simple écoulement du temps n'étant à cet égard pas suffisant
(ATF 116 II 428 consid. 2; 110 II 273 consid. 2). En l'espè-
ce, comme les demandeurs étaient au service de la défende-
resse, on ne saurait leur reprocher d'avoir attendu pour
faire valoir leurs droits.

d) La recourante se plaint d'une fausse application
de l'art. 4 CC.

Ce grief est de toute évidence mal fondé. En effet,
la défenderesse ne montre nullement quelle disposition léga-
le, en l'occurrence, réserve le pouvoir d'appréciation du
juge ou le charge de prononcer en tenant compte soit des
circonstances, soit de justes motifs.

Au surplus, ce grief se confond également avec
celui relatif à l'interprétation des manifestations de vo-
lonté des parties, dont il a été fait justice au consid. 1
ci-dessus.

3.- Le recours doit ainsi être rejeté, l'arrêt at-
taqué étant confirmé. Comme le montant de la demande, au mo-
ment de l'ouverture de l'action, dépassait 20'000 fr., la
procédure n'est pas gratuite (cf. a contrario: art. 343 al.
2 et 3 CO; ATF 115 II 30 consid. 5b). Partant, les frais et
dépens seront mis à la charge de la recourante qui succombe
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera aux intimés,
créanciers solidaires, une indemnité de 3000 fr. à titre
de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de cassation civile du Tri-
bunal cantonal neuchâtelois.

__________

Lausanne, le 26 mars 2001
RAM/mnv

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.14/2001
Date de la décision : 26/03/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-26;4c.14.2001 ?
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