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22/03/2001 | SUISSE | N°I.264/00

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 mars 2001, I.264/00


«AZA 7»
I 264/00 Rl

IIe Chambre

composée des Juges fédéraux Lustenberger, Président et
Ferrari, Jaeger, suppléant; Addy, Greffier

Arrêt du 22 mars 2001

dans la cause

M.________, recourante,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, La Chaux-de-Fonds, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- Après l'obtention d'un certificat de maturité en
juillet 1990, M.________ a étudié durant une

année aux
Etats-Unis. A son retour en Suisse, elle a, entre autres
activités, fréquenté durant une année la faculté des
lettres de...

«AZA 7»
I 264/00 Rl

IIe Chambre

composée des Juges fédéraux Lustenberger, Président et
Ferrari, Jaeger, suppléant; Addy, Greffier

Arrêt du 22 mars 2001

dans la cause

M.________, recourante,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, La Chaux-de-Fonds, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- Après l'obtention d'un certificat de maturité en
juillet 1990, M.________ a étudié durant une année aux
Etats-Unis. A son retour en Suisse, elle a, entre autres
activités, fréquenté durant une année la faculté des
lettres de l'Université de Neuchâtel, avant de travailler

dès le 16 août 1993 en qualité de secrétaire auprès de
Z.________. Le 27 juin 1994, elle a résilié ses rapports de
travail pour le 30 septembre 1994 en vue de reprendre, à
l'automne, des études universitaires à Genève.
Entre-temps, M.________ a présenté durant quatre
semaines, en juillet 1994, un épisode de délire mystique et
de grandeur, avec un état maniaque. Malgré une prise en
charge psychiatrique, son état de santé ne s'est guère
amélioré par la suite et, en mars 1995, elle a séjourné
durant un mois au département de psychiatrie adulte de
Y.________. Les médecins y ont posé le diagnostic de
trouble affectif bipolaire et de personnalité émo-
tionnellement labile, type borderline (rapport du 7 avril
1995 du docteur D.________, chef de service au Y.________).
Depuis ce moment, M.________ n'a plus été capable, en dépit
de plusieurs tentatives, de poursuivre des études ou
d'occuper durablement une place de travail, mais a enchaîné
des courtes périodes de travail ou d'études et des périodes
de chômage. Sa maladie a nécessité une nouvelle hospitali-
sation, du 14 mai au 28 juillet 1997, à la clinique de psy-
chiatrie de l'hôpital psychiatrique X.________.
Le 4 septembre 1998, M.________ a présenté une demande
de prestations de l'assurance-invalidité.
Au vu des renseignements d'ordre médical et profes-
sionnel qu'il a recueillis, l'Office AI du canton de
Neuchâtel (ci-après : l'OAI-NE) a renoncé à mettre en
oeuvre des mesures de réadaptation. Il a reconnu à l'assu-
rée le droit à une rente entière d'invalidité dès le
1er juillet 1995, mais ne lui a versé des prestations qu'à
partir du 1er septembre 1997, soit douze mois avant le
dépôt de la demande, vu la tardiveté de celle-ci (décision
du 24 janvier 2000).

B.- M.________ a recouru contre cette décision auprès
du Tribunal administratif de la République et canton

de Neuchâtel, en concluant à l'octroi d'une rente entière
d'invalidité à partir du 1er juillet 1995.
Par jugement du 6 avril 2000, le tribunal a rejeté le
recours.

C.- M.________ interjette recours de droit adminis-
tratif contre ce jugement dont elle requiert implicitement
l'annulation, en reprenant les mêmes conclusions qu'en
instance cantonale.
L'OAI-NE conclut au rejet du recours, tandis que l'Of-
fice fédéral des assurances sociales ne s'est pas détermi-
né.

Considérant en droit :

1.- a) L'art. 48 al. 1 LAI dispose que le droit à des
prestations arriérées s'éteint cinq ans après la fin du
mois pour lequel elles étaient dues.
Aux termes de l'art. 48 al. 2 LAI, si l'assuré présen-
te sa demande plus de douze mois après la naissance du
droit, les prestations ne sont allouées que pour les douze
mois précédant le dépôt de la demande. Elles sont allouées
pour une période antérieure si l'assuré ne pouvait pas
connaître les faits ouvrant droit à prestations et qu'il
présente sa demande dans les douze mois dès le moment où il
en a eu connaissance.

b) Selon la jurisprudence, l'art. 48 al. 2 seconde
phrase LAI s'applique lorsque l'assuré ne savait pas et ne
pouvait pas savoir qu'il était atteint, en raison d'une
atteinte à la santé physique ou mentale, d'une diminution
de la capacité de gain dans une mesure propre à lui ouvrir
le droit à des prestations. Cette disposition ne concerne
en revanche pas les cas où l'assurait connaissait ces faits
mais ignorait qu'ils donnent droit à une rente de l'assu-

rance-invalidité (ATF 102 V 113 consid. 1a). Autrement dit,
«les faits ouvrant droit à des prestations (que) l'assuré
ne pouvait pas connaître», au sens de l'art. 48 al. 2 se-
conde phrase LAI, sont ceux qui n'étaient objectivement pas
reconnaissables, mais non ceux dont l'assuré ne pouvait
subjectivement pas saisir la portée (ATF 100 V 119 sv.
consid. 2c; RCC 1984 p. 420 sv. consid. 1; Valterio, Droit
et pratique de l'assurance-invalidité [les prestations],
p. 305 sv.).
Toutefois, une restitution de délai doit également
être accordée si l'assuré a été incapable d'agir pour cause
de force majeure - par exemple en raison d'une maladie
psychique entraînant une incapacité de discernement (ATF
108 V 228 sv. consid. 4; arrêt non publié V du 16 mars
2000, I 149/99) - et qu'il présente une demande de presta-
tions dans un délai raisonnable après la cessation de l'em-
pêchement. Mais encore faut-il, ici aussi, qu'il s'agisse
d'une impossibilité objective, s'étendant sur la période au
cours de laquelle l'assuré se serait vraisemblablement
annoncé à l'assurance-invalidité s'il l'avait pu, et non
d'une difficulté ou d'un motif subjectif, comme celui
d'ignorer son droit ou de mal concevoir ses intérêts (ATF
102 V 115 consid. 2a; RCC 1984 p. 420 sv. consid. 1;
Valterio, eod. loc.).

2.- a) La recourante ne conteste pas que sa demande de
prestations était tardive au sens de l'art. 48 al. 2 pre-
mière phrase LAI : à raison, du moment que cette demande a
été déposée le 4 septembre 1998, soit largement plus de
douze mois après la naissance du droit à la rente, fixée au
1er juillet 1995 par l'OAI-NE. En revanche, la recourante
soutient qu'elle n'a pas été en mesure de se rendre compte,
avant le dépôt de sa demande, de «l'évolution négative de
sa maladie», car elle était convaincue qu'elle pourrait
s'en sortir rapidement par ses propres moyens, en tous cas
sans avoir recours à l'AI dont l'aide lui «paraissait in-
supportable et contraire à (ses) principes». Ce que la

recourante demande donc, du moins implicitement, c'est une
restitution de délai au sens de l'art. 48 al. 2 seconde
phrase LAI.

b) En l'espèce, la recourante a présenté dès 1994 des
troubles psychiques invalidants selon les constatations de
son médecin traitant, le docteur A.________ (rapport du
27 octobre 1998). Bien que ce médecin n'ait formellement
attesté une incapacité de travail durable qu'à partir du
mois d'août 1997, et qu'il semble qu'aucun autre médecin ne
l'ait fait auparavant, on doit admettre, au vu des circons-
tances, que le caractère invalidant de ces troubles a été
objectivement reconnaissable dès leur apparition. C'est
ainsi qu'après le mois de juillet 1994, mois au cours du-
quel les troubles ont pour la première fois nécessité un
arrêt de travail d'une durée d'un mois environ, la recou-
rante n'a plus été capable de reprendre des études ou
d'occuper durablement une place de travail. En raison de
son état psychique, ses nombreuses tentatives de réintégrer
l'université ou d'exercer une activité lucrative se sont en
effet toutes soldées par des échecs. Le docteur A.________
confirme d'ailleurs que si la recourante n'a pas demandé de
certificat attestant une incapacité de travail avant le
mois d'août 1997, c'est uniquement parce qu'«elle passait
d'une formation professionnelle à l'autre et d'une univer-
sité à l'autre sans en terminer aucune» (rapport précité,
p. 2). De fait, l'impossibilité dans laquelle elle se trou-
vait d'étudier ou de travailler, que ses hospitalisations
de mars 1995 et de mai 1997 n'ont fait que rendre plus
manifeste encore, n'ont pas échappé à la recourante : à
l'occasion de sa première hospitalisation, les médecins ont
en effet relevé la chose suivante à son sujet : «elle
désespère de constater que tout ce qu'elle a appris ne lui
sert à rien» (rapport du 7 avril 1995 du docteur
D.________, chef de service au Y.________). Au demeurant,
la recourante reconnaît elle-même qu'elle n'ignorait pas
que son état de santé lui ouvrait droit à des prestations
de l'assurance-invalidité. Elle explique bien, en effet,
qu'elle n'a eu de cesse de repousser ses démarches auprès

de l'assurance-invalidité afin de se donner une chance de
s'en sortir par elle-même. Mais il s'agit-là précisément
d'un motif qui, pour compréhensible et louable qu'il soit,
entre dans la catégorie des motifs personnels ou subjectifs
que la jurisprudence considère comme dénués de pertinence
sous l'angle de l'art. 48 al. 2 seconde phrase LAI (pour
des ex., voir Valterio, op. cité p. 305 in fine).

c) Il y a lieu d'ajouter que le dossier ne contient
pas d'indices permettant de penser, et la recourante ne le
soutient du reste pas, qu'elle était privée de la faculté
d'agir raisonnablement en raison de ses troubles psychiques
(situation que la jurisprudence assimile à un cas de force
majeure; supra consid. 1b). Au sens de l'art. 16 CC, le
discernement comporte en effet deux éléments : un élément
intellectuel, soit la capacité d'apprécier le sens, l'op-
portunité et les effets d'un acte déterminé (capacité co-
gnitive); et un élément volontaire ou caractériel, soit la
faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonna-
ble, selon sa libre volonté (aptitude volitive) (ATF
124 III 8 consid. 1a et les références). Or, si l'on ex-
cepte les deux phases critiques du printemps 1995 et de mai
à juillet 1997, les troubles psychiques diagnostiqués
(trouble affectif bipolaire, personnalité émotionnellement
labile, type borderline) n'évoquent pas l'existence d'une
maladie mentale propre à faire douter de la capacité de
discernement de la recourante. Au contraire, celle-ci a
démontré, au travers de ses nombreuses démarches adminis-
tratives, d'abord auprès de l'assurance-chômage (recherches
d'emploi, satisfaction des prescriptions de contrôle du
chômage...), ensuite auprès de l'assurance-invalidité
(demande de prestations, recours...) qu'elle était parfai-
tement capable de comprendre sa situation à l'égard de ces
institutions et, en fonction de cette compréhension, de
décider ce qu'elle voulait faire. Son médecin traitant la
décrit d'ailleurs comme une personne «très intelligente»,

en précisant que «seule son affection psychiatrique l'a
empêchée de réussir de brillantes études ou de garder les
places de secrétaire qu'elle avait obtenues» (rapport
précité du docteur A.________, p. 2). En définitive, le
fait que la recourante n'a, en ce qui concerne son droit à
une rente d'invalidité, pas pris la bonne décision en re-
tardant le moment de son annonce à l'assurance-invalidité,
n'est pas de nature à remettre en cause sa capacité de
discernement, dont l'existence se présume (ATF 118 Ia 238
consid. 2b).

3.- Il s'ensuit que la rente d'invalidité dévolue à la
recourante ne peut lui être allouée pour une période anté-
rieure aux douze mois qui précèdent le dépôt de sa demande
de prestations.
Le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est rejeté.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif de la République et canton de
Neuchâtel et à l'Office fédéral des assurances socia-
les.

Lucerne, le 22 mars 2001

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.264/00
Date de la décision : 22/03/2001
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-22;i.264.00 ?
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