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16/03/2001 | SUISSE | N°5P.1/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 mars 2001, 5P.1/2001


«/2»
5P.1/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

16 mars 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Meyer. Greffier: M. Abrecht.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représentée par Me Jean-Marie Faivre, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 novembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à la Y.______

__ Assurances, intimée, représen-
tée par Me Philippe Zoelly, avocat à Genève;

(art. 29 al. 1 Cst.; contrat d'assurance)
...

«/2»
5P.1/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

16 mars 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Meyer. Greffier: M. Abrecht.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représentée par Me Jean-Marie Faivre, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 novembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à la Y.________ Assurances, intimée, représen-
tée par Me Philippe Zoelly, avocat à Genève;

(art. 29 al. 1 Cst.; contrat d'assurance)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ avait conclu avec la Y.________ Assu-
rances un contrat d'assurance ménage couvrant l'inventaire
du
ménage au domicile notamment contre le risque de "vol avec
effraction, détroussement et vol simple au domicile", pour
une valeur de 1'850'000 fr. Ensuite du non-paiement de la
prime d'assurance pour la période du 1er avril 1995 au 31
mars 1996, les parties ont convenu d'un arrangement aux ter-
mes duquel cette prime serait payée en quatre versements de
1'306 fr. chacun, au plus tard aux dates respectives du 1er
mai 1995, 1er août 1995, 1er novembre 1995 et 1er janvier
1996, afin de maintenir la couverture d'assurance. Le
premier
de ces versements a été effectué de telle manière que la cou-
verture d'assurance était acquise jusqu'au 31 juillet 1995.
Le second montant de 1'306 fr. a été acquitté à la poste le
2
août 1995 et a été crédité encore ultérieurement sur le comp-
te de l'assureur.

B.- Le 4 août 1995, X.________ a adressé à la
Y.________ Assurances une déclaration de sinistre dans
laquelle elle indiquait que dans la nuit du 1er août 1995 en-
tre 01h30 et 2h00, alors qu'elle était en vacances en
Valais,
sa villa avait été l'objet d'un vol avec effraction au cours
duquel de très nombreux objets avaient été dérobés. La
Y.________ Assurances lui a répondu qu'au moment du sinistre
annoncé, la police d'assurance ménage était suspendue depuis
le 31 juillet 1995, le second versement convenu sur la prime
arriérée n'ayant pas été effectué dans le délai accordé.

C.- Par assignation déposée en conciliation le 30
juillet 1999, X.________ a actionné la Y.________ Assurances
en paiement de la somme de 1'163'052 fr. 75, avec intérêt à
5% l'an dès le 13 septembre 1995, à titre de règlement du si-
nistre du 1er août 1995. La défenderesse s'est opposée à la

demande, en invoquant le fait que la couverture d'assurance
était suspendue le 1er août 1995 et qu'en tout état, la réa-
lité du sinistre n'était pas établie.

Par jugement du 30 mars 2000, le Tribunal de premiè-
re instance du canton de Genève a rejeté la demande. Il a
considéré que le sinistre dont la demanderesse réclamait le
paiement s'était produit selon sa déclaration à une date où
la couverture d'assurance était suspendue, de sorte que la
défenderesse n'avait pas à le prendre en charge.

D.- Contre ce jugement, la demanderesse a formé,
devant la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève, un appel par lequel elle contestait l'argumentation
qui avait conduit le Tribunal de première instance à considé-
rer que la couverture d'assurance était suspendue au moment
du sinistre; exposant que le premier juge n'avait pas ins-
truit le fond du litige, elle concluait à l'annulation du
jugement attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité infé-
rieure pour instruction et jugement. Par arrêt du 10
novembre
2000, la cour cantonale a déclaré l'appel irrecevable pour
le
motif que la demanderesse n'avait pas pris de conclusions
chiffrées sur le fond.

E.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral pour formalisme excessif, la
demanderesse
conclut avec suite de frais et dépens à l'annulation de cet
arrêt. L'intimée propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Formé en temps utile contre une décision finale
prise en dernière instance cantonale, le recours est receva-
ble au regard des art. 89 al. 1 et 87 OJ. Il l'est également
du chef de l'art. 84 al. 2 OJ, le grief soulevé par la recou-

rante ne pouvant l'être que par la voie du recours de droit
public.

2.- La motivation de l'arrêt attaqué est en substan-
ce la suivante.

Selon la jurisprudence, les conclusions pécuniaires
doivent être chiffrées sous peine d'irrecevabilité, sauf si
le droit fédéral en dispose autrement. En vertu de l'art.
300
LPC/GE - qui correspond pour l'essentiel, en ce qui concerne
les exigences de forme requises pour un mémoire d'appel, à
l'art. 7 LPC/GE relatif au contenu de l'assignation par la-
quelle toute demande doit être formée -, l'appel doit compor-
ter, à peine de nullité, les conclusions de l'appelant. La
jurisprudence cantonale a interprété cette disposition en ce
sens que l'acte d'appel doit non seulement demander la réfor-
me du jugement entrepris, mais préciser les conclusions de
fond suivant lesquelles il est à modifier; il ne suffit
ainsi
pas de solliciter la rétractation d'un jugement et le renvoi
de la cause au premier juge pour qu'il procède à des enquê-
tes, mais il faut au contraire prendre des conclusions au
fond avec l'indication de l'objet même de la demande en jus-
tice (SJ 1940 400; SJ 1951 445; SJ 1954 605).

Dans un arrêt récent reproduit in SJ 1997 215, con-
sid. 4b, le Tribunal fédéral a considéré qu'en présence d'un
jugement ordonnant l'évacuation d'un immeuble dans le cadre
d'une action en revendication, il suffisait que l'appelant -
défendeur au fond - conclue à l'annulation du jugement atta-
qué; en effet, il fallait comprendre par là la mise à néant
de l'ordre d'évacuation, de sorte que les conclusions de
l'appelant ne tendaient pas uniquement à des mesures d'ins-
truction. Au demeurant, toujours selon le Tribunal fédéral,
l'appelant n'avait aucune raison de conclure au rejet sur le
fond de l'action en revendication, dès lors qu'il s'était
plaint d'une violation de son droit d'être entendu et que,

même si l'appel était par principe une voie de réformation,
la cassation du jugement et le renvoi de la cause au premier
juge ne paraissait pas exclue en cas de vices de procédure.

La situation est toutefois différente en l'espèce,
car lorsque ce n'est pas la partie défenderesse, mais la par-
tie demanderesse qui forme l'appel en concluant à l'annula-
tion du jugement, de telles conclusions ne comportent pas de
conclusions au fond (arrêt attaqué, consid. 2).

En l'occurrence, force est de constater que l'appe-
lante n'a pas indiqué ce à quoi elle conclut, de sorte que
l'appel est irrecevable. Cette solution s'impose d'autant
plus que contrairement à la cause précitée (SJ 1997 215),
l'appelante est assistée d'un mandataire professionnellement
qualifié (arrêt attaqué, consid. 3).

3.- a) Aux yeux de la recourante, la décision de la
Cour de justice serait "arbitraire, au sens de l'art. 9
Cst.,
en ce qu'elle concrétise un excès de formalisme sans justifi-
cation digne d'intérêt en reprochant à la recourante de ne
pas avoir repris, en appel, des conclusions en paiement,
alors même qu'elle n'était pas à même de statuer quant au
dommage invoqué par [la recourante] puisque, selon une prati-
que constante, elle aurait dû, en cas d'admission du
recours,
renvoyer la cause à l'autorité inférieure pour instruction
et
jugement, au sens des considérants." D'ailleurs, dans une
situation analogue, le Tribunal fédéral admet la
recevabilité
d'un recours en réforme qui n'énonce pas de conclusions au
fond, du moment qu'il doit ordonner le renvoi sollicité. Dès
lors que la Cour de justice aurait été contrainte de
renvoyer
le dossier au premier juge, puisque le principe même du si-
nistre et le montant du dommage n'avaient fait l'objet d'au-
cune instruction, l'exigence de conclusions au fond ne procé-
derait d'aucun intérêt digne de protection; au contraire,
elle tendrait indirectement à contraindre la recourante au

paiement de droits de greffe sans commune mesure avec la
question à résoudre au stade de l'appel, à savoir le
principe
de la couverture d'assurance.

b) aa) Cette critique est mal fondée. En effet,
selon la jurisprudence, les formes procédurales sont néces-
saires dans la mise en oeuvre des voies de droit pour
assurer
le déroulement de la procédure conformément au principe de
l'égalité de traitement, ainsi que pour garantir l'applica-
tion du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se
trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du
formalisme excessif découlant de l'art. 29 al. 1 Cst. - aupa-
ravant de l'art. 4 al. 1 aCst. (ATF 114 Ia 34 consid. 3 et
les références citées). Il y a formalisme excessif seulement
lorsque la stricte application des règles de procédure ne se
justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une
fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisa-
tion du droit matériel ou entrave de manière inadmissible
l'accès aux tribunaux (ATF 125 I 166 consid. 3a; 121 I 177
consid. 2b/aa et les références citées).

bb) En procédure civile genevoise, l'appel est une
voie de réforme et non de cassation: si la Cour de justice
estime l'appel bien fondé, elle infirme, en tout ou en par-
tie, le jugement attaqué, et statue, par de nouvelles dispo-
sitions, sur les points qu'elle a infirmés, conformément à
l'art. 309 LPC/GE (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commen-
taire de la loi de procédure civile genevoise, vol. II, n. 2
ad art. 292 LPC/GE). Selon l'art. 307 LPC/GE, la Cour de
justice peut ordonner que les procédures probatoires qui ont
eu lieu en première instance et qui lui paraissent défectueu-
ses ou insuffisantes soient refaites devant elles; elle peut
aussi ordonner toute autre espèce d'instruction ou de preuve
qui n'a pas été ordonnée par les premiers juges. Cette possi-
bilité semble couramment utilisée par la Cour de justice,
même s'il arrive aussi que celle-ci estime devoir renvoyer
la

cause devant le premier juge pour complément d'instruction
(Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 4 ad art. 291
LPC/GE et les arrêts cités).

cc) L'appel genevois n'est ainsi pas comparable au
recours en réforme au Tribunal fédéral, où celui-ci doit
fonder son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés
par la dernière autorité cantonale (art. 63 al. 2 OJ), sous
réserve des exceptions prévues aux art. 63 al. 2 et 64 al. 2
OJ. C'est uniquement pour cette raison que, nonobstant
l'art.
55 al. 1 let. b OJ qui exige des conclusions réformatoires,
le Tribunal fédéral admet la recevabilité de conclusions en
annulation lorsqu'en cas d'admission du recours, il ne
serait
pas à même de statuer au fond, mais devrait renvoyer la
cause
à l'autorité cantonale pour complément d'instruction (ATF
110
II 74 consid. I/1; 106 II 201 consid. 1; 103 II 267 consid.
1b et la jurisprudence citée).

dd) Exiger de l'appelant qu'il prenne des conclu-
sions au fond, et non seulement en annulation du jugement de
première instance ne procède pas d'un formalisme excessif
qui
ne se justifierait par aucun intérêt digne de protection.
Cette exigence apparaît au contraire justifiée par la nature
réformatoire de l'appel et par des impératifs légitimes au
regard de l'économie de la procédure: en effet, la Cour de
justice doit en principe pouvoir statuer elle-même sur le
litige - ce qui n'est possible qu'en présence de conclusions
au fond - après avoir le cas échéant procédé elle-même à
l'administration des preuves qu'elle juge nécessaires en
application de l'art. 307 LPC/GE, lequel se retrouverait
vidé
de sa substance si la thèse de la recourante devait être
suivie.

L'on ne saurait considérer que l'exigence de conclu-
sions au fond - au demeurant simple à remplir - entrave de
manière inadmissible l'accès à la Cour de justice, ce d'au-

tant moins que, comme l'a souligné à juste titre l'autorité
cantonale, la recourante était assistée d'un avocat qui a
formulé ses conclusions en connaissance de cause (cf. ATF
113
Ia 84 consid. 3d), apparemment dans le seul but de ne pas
devoir s'acquitter de droits de greffe en rapport avec la
valeur litigieuse.

ee) Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas de
formalisme excessif à déclarer irrecevable, sur la base de
l'art. 300 al. 1 let. d LPC/GE, un appel dans lequel la par-
tie demanderesse - agissant par l'intermédiaire d'un avocat
-
qui invoque une violation du droit matériel (cf. pour les
vices de procédures l'arrêt précité du 21 janvier 1997 repro-
duit in SJ 1997 215, consid. 4b) ne prend pas de conclusions
au fond, mais se borne à solliciter l'annulation du jugement
de première instance et le renvoi de la cause au premier
juge
pour instruction et jugement.

4.- En conclusion, le recours se révèle mal fondé et
doit par conséquent être rejeté. La recourante, qui
succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi
que ceux de l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge de la recourante:
a) un émolument judiciaire de 8'000 fr.;
b) une indemnité de 8'000 fr. à verser à l'intimée à
titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 16 mars 2001
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.1/2001
Date de la décision : 16/03/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-16;5p.1.2001 ?
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