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15/03/2001 | SUISSE | N°4C.387/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 mars 2001, 4C.387/2000


«/2»

4C.387/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Serge Rouvinet, avocat à Genève,

et

Banque Y.________, défenderesse et intimée, représentée par
Me Carlo Lombardini, avocat à Genève;

(gérant de fortune indé

pendant; rupture des relations par la
banque dépositaire; acte illicite)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s s...

«/2»

4C.387/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., demanderesse et recourante, représentée par
Me Serge Rouvinet, avocat à Genève,

et

Banque Y.________, défenderesse et intimée, représentée par
Me Carlo Lombardini, avocat à Genève;

(gérant de fortune indépendant; rupture des relations par la
banque dépositaire; acte illicite)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Diverses personnes (ci-après: les clients) ont
ouvert chacune un compte auprès de la succursale genevoise
de
la Banque Y.________ (ci-après: la banque), y ont déposé des
fonds et ont chargé la banque d'exécuter leurs ordres et de
procéder à l'administration courante des titres
(encaissement
des coupons; échange des titres).

Parallèlement, ces personnes ont confié à un gérant
de fortune indépendant de la banque, la société X.________
S.A. (ci-après: X.________), la mission de gérer leurs
avoirs
auprès de la banque. X.________ devait décider elle-même des
opérations à effectuer et donner les ordres nécessaires à la
banque, en agissant en qualité de représentante directe. Il
était convenu que la gestion de X.________ serait
spéculative
et que les clients en prenaient le risque.

Estimant que X.________ donnait frénétiquement des
ordres désastreux pour les clients, la banque, par une
lettre
adressée à cette société le 8 mai 1998, a manifesté la volon-
té de suspendre provisoirement les opérations. Quelques
jours
plus tard, la banque a informé X.________ qu'elle renonçait
à
poursuivre cette activité.

X.________ a tenu à en aviser elle-même les
clients.

B.- Le 7 janvier 1999, X.________ a déposé devant
les tribunaux genevois une demande en paiement dirigée
contre
la banque, réclamant à cette dernière la somme de
1 679 894 fr.90 avec intérêts. Soutenant que la banque
s'était immiscée de manière illicite dans ses rapports avec

les clients, X.________ réclamait à la défenderesse le
manque
à gagner qui en était résulté pour elle.

Réformant un jugement rendu en première instance le
25 mai 2000, la Chambre civile de la Cour de justice genevoi-
se, par arrêt du 10 novembre 2000, a débouté X.________ de
toutes ses conclusions. La cour cantonale a jugé qu'elle ne
discernait pas en quoi consisterait l'acte illicite et
qu'elle ne voyait pas non plus comment le comportement criti-
qué aurait pu causer le dommage tel qu'il est invoqué.

C.- X.________ exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral. Persistant à soutenir que les conditions
de
l'art. 41 CO sont réunies, elle conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué et à ce que sa partie adverse soit condamnée
à lui payer la somme de 1 564 833 fr.70 avec intérêts à 5%
dès le 20 juillet 1998.

La banque intimée propose le rejet du recours et la
confirmation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions en paiement et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans
les
formes requises (art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche

pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 126 III 161 consid. 2b, 189 consid. 2a,
370 consid. 5; 125 III 305 consid. 2e).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119
II 353 consid. 5c/aa). Dans la mesure où un recourant pré-
sente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la
décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une
des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'y a pas
lieu d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation
des
preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale ne peut
être remise en cause (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78
consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il
n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

2.- a) Il résulte des constatations cantonales que
chaque client est lié avec la banque par une relation juridi-
que complexe dans laquelle on discerne les éléments caracté-
ristiques d'un compte courant, d'un dépôt ouvert, d'un
mandat

(pour la gestion administrative des titres) et d'une commis-
sion (pour l'achat ou la vente de titres au nom de la
banque)
(cf. arrêt du 29 octobre 1997, consid. 6a, publié in SJ 1998
p. 203; Alessandro Bizzozero, Situation juridique de la ban-
que relativement à l'activité d'un gérant indépendant, Jour-
née 1996 de droit bancaire et financier, p. 118 s.). La ban-
que n'était chargée ni de gérer les fonds, ni de donner des
conseils en placement (sur ces notions: cf. Stefan Jacques
Schmid, Die Geschäftsbeziehung im schweizerischen Bankver-
tragsrecht, thèse Berne 1993 p. 28 ss; Alessandro Bizzozero,
Le contrat de gérance de fortune, thèse Fribourg 1992, p. 14
ss; Daniel Guggenheim, Die Verträge der schweizerischen Bank-
praxis, Zürich 1986, p. 63 ss). La recourante n'est pas par-
tie à ces contrats. Le litige concerne le refus d'exécuter
les ordres, c'est-à-dire la partie de la relation contrac-
tuelle qui relève du contrat de commission (cf. art. 425 al.
1 CO). Par le renvoi de l'art. 425 al. 2 CO, les règles du
mandat sont applicables, sauf disposition spéciale
contraire.
Par le renvoi de l'art. 398 al. 1 CO, il faut appliquer
l'art. 321a al. 1 CO, d'où il résulte que le mandataire doit
exécuter avec soin la mission qui lui est confiée et sauve-
garder fidèlement les intérêts légitimes du mandant. Se fon-
dant sur ce devoir, la banque a estimé qu'elle devait mettre
fin à des opérations qu'elle jugeait catastrophiques, étant
observé que le mandat peut en principe être résilié en tout
temps (art. 404 al. 1 CO).

La question n'est cependant pas de savoir si la
banque était fondée à agir comme elle l'a fait à l'égard de
ses clients. En raison de la relativité des conventions, la
recourante, qui n'est pas partie à ces rapports
contractuels,
n'est pas légitimée à soulever le problème. Et n'étant pas
partie au contrat (ni cessionnaire), elle ne peut déduire au-
cun droit d'une éventuelle violation d'une convention entre
des tiers.

b) Chacun des clients a conclu un contrat avec la
recourante, qui la charge de gérer les avoirs déposés auprès
de la banque, en choisissant les opérations à effectuer et
en
donnant les ordres nécessaires. La recourante assumait donc
la mission d'un gérant de fortune indépendant, agissant à
l'égard de la banque en tant que représentante directe de
ses
clients. Un tel contrat, au moins pour l'essentiel, relève
du
mandat (cf. ATF 124 III 155 consid. 2b; arrêt du 29 octobre
1997 consid. 3a, publié in SJ 1998 p. 200; Alain Lévy, La
gestion de fortune par un gérant indépendant, Journée 1996
de
droit bancaire et financier, p. 105). La banque n'est pas
partie à ces conventions. Il a été constaté que les clients
avaient donné au gérant le pouvoir de les représenter à
l'égard de la banque en qualité de représentant direct (cf.
art. 396 al. 2 et art. 32 al. 1 CO; Bizzozero, op. cit., p.
121). Dans la représentation directe, le contrat se conclut
entre le représenté et le tiers contractant; il ne se noue
aucun lien contractuel avec le représentant lui-même (cf.
ATF
126 III 59 consid. 1b).

Les ordres adressés par la recourante à la banque,
au nom de ses clients, ne donnaient donc pas naissance à un
rapport contractuel entre la recourante et l'intimée.

c) Pour les faits invoqués, il n'existait ainsi
aucune relation contractuelle entre l'intimée et la demande-
resse, de sorte que cette dernière ne peut fonder son action
sur une éventuelle violation d'une obligation contractuelle.

3.- a) La recourante en est parfaitement conscien-
te, puisqu'elle se prévaut exclusivement de l'art. 41 CO.

La responsabilité extracontractuelle prévue par
cette disposition suppose, entre autres conditions, l'exis-
tence d'un acte illicite.

Selon la jurisprudence, un acte est illicite s'il
porte atteinte à un droit absolu, sans qu'il existe un fait
justificatif; dans le cas d'une simple atteinte aux intérêts
patrimoniaux, il n'y a acte illicite que si l'auteur a violé
une norme de comportement qui a pour but de protéger le lésé
contre ce type de dommage (ATF 123 III 306 consid. 4a; 122
III 176 consid. 7b p. 192; 119 II 127 consid. 3). Il appar-
tient au lésé de prouver la violation d'une norme
protectrice
qui a pour fin de lui éviter un dommage patrimonial du genre
de celui qu'il a subi (ATF 125 III 86 consid. 3b).

b) En l'espèce, il est évident qu'il n'y a eu aucu-
ne atteinte à un droit absolu, tel qu'un droit réel, un
droit
découlant de la propriété intellectuelle ou encore le droit
à
la vie, à l'intégrité corporelle, à la liberté personnelle,
à
l'honneur etc.

La recourante invoque uniquement une atteinte à ses
intérêts patrimoniaux. Dans une telle situation, il n'y a ac-
te illicite - comme on vient de le voir - que si l'auteur a
transgressé une norme protectrice.

On ne parvient cependant pas à discerner - et la
recourante ne l'explique pas non plus - quelle norme de com-
portement aurait été violée. La banque a refusé de continuer
à recevoir des ordres émanant de la demanderesse. Elle
n'avait cependant pris aucun engagement contractuel à son
égard. Et il n'apparaît pas qu'une norme générale obligerait
la banque à traiter avec la recourante.

Sur la base des constatations cantonales - qui
lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art.
63 al. 2 OJ) -, on ne voit pas que la banque ait commis une
infraction pénale, en particulier un acte de concurrence dé-
loyale. Il n'est pas établi que la banque ait proféré des al-
légations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes

(cf. art. 3 let. a LCD); il n'est pas davantage démontré que
la banque aurait incité les clients à rompre avec la recou-
rante pour conclure avec elle (art. 4 let. a LCD). D'après
l'état de fait déterminant, la banque a agi pour protéger
ses
propres clients et pour se protéger elle-même contre le ris-
que d'une action en responsabilité de leur part; qu'il en
soit résulté un préjudice pour la recourante ne change rien
au fait que l'on ne voit pas quelle norme protectrice géné-
rale aurait été transgressée.

Il n'existe évidemment pas de devoir général de
veiller à maintenir la recourante en activité et à lui per-
mettre la réalisation de bonnes affaires.

En l'absence de tout acte illicite, la cour canto-
nale a rejeté l'action fondée sur l'art. 41 CO sans enfrein-
dre le droit fédéral; partant, il n'est pas nécessaire
d'examiner les autres conditions prévues par cette disposi-
tion.

4.- En définitive, le recours doit être rejeté,
l'arrêt attaqué étant confirmé. Vu l'issue du litige, les
frais et dépens doivent être mis à la charge de la
recourante
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 12 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 15 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

_____________

Lausanne, le 15 mars 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.387/2000
Date de la décision : 15/03/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-15;4c.387.2000 ?
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