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06/03/2001 | SUISSE | N°4P.205/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 mars 2001, 4P.205/2000


«/2»

4P.205/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz, juges. Greffière: Mme Charif Feller.

______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., à Chêne-Bougeries, représentée par Me
Bernard Reymann, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 29 juin 2000 par la Cour d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la caus

e
qui oppose la recourante à B.________, à Vollèges;

(art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation arbitraire des
preuves...

«/2»

4P.205/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 mars 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz, juges. Greffière: Mme Charif Feller.

______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., à Chêne-Bougeries, représentée par Me
Bernard Reymann, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 29 juin 2000 par la Cour d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la cause
qui oppose la recourante à B.________, à Vollèges;

(art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation arbitraire des
preuves)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ S.A. (ci-après: X.________) a en-
gagé, le 25 mars 1997, B.________, né en 1962, en qualité
d'agent de sécurité auxiliaire, payé à l'heure. Ancien
garde-frontière, celui-ci avait été membre d'un syndicat du
personnel de la Confédération. Le "Règlement d'entreprise"
de
X.________, adopté le 1er janvier 1998, prévoit à son
article
3 lettre e qu'"aucun document de X.________ ou d'un de ses
clients ne peut être copié, reproduit, diffusé ou sorti des
locaux de la société, sans l'accord écrit de la direction".
Le 1er mai 1998, B.________ a été engagé comme personnel
fixe
pour un salaire mensuel de 4100 fr. brut. Le 1er janvier
1999, il a été promu responsable d'un site et son salaire
mensuel a été porté à 4400 fr. brut.

En juin 1999, B.________ et son collègue de tra-
vail, C.________, ont adhéré au Syndicat Interprofessionnel
des Travailleurs et des Travailleuses (ci-après: SIT), à
Genève, auprès duquel ils s'étaient plaints des conditions
de
travail chez X.________. Lors de l'assemblée générale organi-
sée par le SIT le 19 juillet 1999, ils ont été désignés "re-
présentants du personnel", chargés de solliciter une rencon-
tre avec la direction de X.________ dans le but d'améliorer
les conditions de travail, notamment par la conclusion d'une
Convention collective de travail (CCT). Par courrier du 21
juillet 1999, le SIT a informé X.________ de ces décisions.
Celle-ci n'a pas réagi à ce courrier, mais a présenté, le 23
juillet 1999, un nouveau concept de gestion intitulé CAPE
(pour: Confidentialité, Attitude, Pro-activité, Efficacité),
puis a fait savoir au SIT, le 12 août 1999, qu'elle ne
voyait
pas l'utilité d'une rencontre, dès lors qu'elle respectait
la
loi.

Le 2 septembre 1999, le SIT a sollicité à nouveau
une rencontre avec X.________, faute de quoi "il serait
alors
forcé de recourir à des mesures syndicales". Le 20 septembre
1999, X.________ a adressé à B.________ une mise en garde
contre toute initiative prise sous l'influence dudit syndi-
cat, tel un débrayage, et contre tout dommage pouvant en ré-
sulter. Le 27 septembre 1999, le directeur de X.________
s'est posté à l'entrée du lieu prévu pour la tenue d'une as-
semblée générale du SIT, afin de vérifier l'identité et le
nombre de personnes y participant. Lors de cette
observation,
il était en contact téléphonique avec l'administrateur de
X.________. Le 29 septembre 1999, le SIT a adressé à
X.________ la liste des revendications de son personnel et
la
proposition de conclure une CCT. Le même jour, X.________ a
signifié à B.________ son licenciement pour fin novembre
1999, tout en le libérant immédiatement de l'obligation de
travailler. Cette décision était motivée par une faute pro-
fessionnelle grave reprochée à B.________ qui avait remis à
son employeur, le 24 septembre 1999, la photocopie d'un docu-
ment appartenant à un client de X.________, lequel prévoyait
de ne plus reconduire le contrat de surveillance avec cette
société. Le 5 octobre 1999, B.________ s'est opposé à son li-
cenciement, estimant que cette mesure abusive et dispropor-
tionnée était liée à son activité syndicale. Le 7 novembre
1999, B.________ a trouvé un nouvel emploi pour un salaire
mensuel de 4150 fr. brut.

B.- Le 25 octobre 1999, B.________ a assigné
X.________ en paiement de 30 403 fr. 50, à différents
titres,
dont 26 400 fr., à titre d'indemnité pour licenciement abu-
sif. Par jugement du 15 février 2000, le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève a condamné X.________ à ver-
ser 11 168 fr.30 brut, plus intérêts, et lui a donné acte de
ce qu'elle s'engageait à verser en outre la somme de
2880 fr.15 brut, avec intérêts.

Appelant de ce jugement, B.________ a sollicité
l'annulation du jugement en tant qu'il l'a débouté de ses
conclusions tendant au paiement de 26 400 fr., à titre d'in-
demnité pour licenciement abusif. X.________ a admis que la
somme de 2880 fr.15 s'entendait net.

Dans son arrêt du 29 juin 2000, la Cour d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a
condamné
X.________ au paiement de 4400 fr., avec intérêts, à titre
d'indemnité pour licenciement abusif.

C.- X.________ forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral. Invoquant la violation de l'art. 4 Cst.,
elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi
de la cause à la Cour d'appel pour nouvelle décision dans le
sens des considérants.

L'intimé conclut à la confirmation de l'arrêt can-
tonal et au rejet du recours.

Dans ses observations, la Cour d'appel relève que
la Constitution fédérale de 1874 a été remplacée et déclare
persister, pour le surplus, dans les termes de son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Sous réserve d'exceptions dont les conditions
ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit
public
ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée
(ATF
124 I 327 consid. 4a et les références). Par conséquent, la
conclusion de la recourante qui tend au renvoi de la cause à
la Cour d'appel pour nouvelle décision dans le sens des con-
sidérants est irrecevable. Il en va de même de la conclusion
de l'intimé tendant à la confirmation de l'arrêt entrepris.

2.- a) La recourante invoque l'art. 4 aCst., alors
que l'art. 9 Cst. est entré en vigueur le 1er janvier 2000
et
que la décision attaquée a été rendue le 29 juin 2000. Cela
ne porte toutefois pas à conséquence en l'espèce, car le
grief de l'interdiction de l'arbitraire ressort clairement
du
recours.

La recourante reproche, en substance, à la cour
cantonale de ne pas avoir tenu compte, lors de l'admission
du
caractère abusif de la résiliation du contrat de travail,
tel
que prévu par l'art. 336 al. 2 let. a CO, de la déposition
de
deux témoins, soit de son chef du personnel et de son direc-
teur. L'arrêt cantonal aurait méconnu leurs déclarations, en
n'y faisant aucune référence. Selon la recourante, le motif
du licenciement de l'intimé réside exclusivement dans la fau-
te professionnelle grave, qu'il a commise, et non dans son
appartenance à un syndicat, comme retenu par la cour cantona-
le.

b) En matière de preuves, les autorités cantonales
jouissent d'un large pouvoir d'appréciation. Le Tribunal fé-
déral se montre réservé et n'intervient que si lesdites auto-
rités ont abusé du pouvoir d'appréciation qui leur est accor-
dé, ou si elles l'ont excédé (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30
et les arrêts cités). La décision attaquée ne doit, par con-
séquent, être annulée que si cette appréciation se révèle ar-
bitraire, c'est-à-dire manifestement insoutenable, en con-
tradiction flagrante avec les pièces du dossier, fondée ex-
clusivement sur une partie des moyens de preuve ou heurtant
gravement le sentiment de l'équité. Il n'y a pas arbitraire
du simple fait qu'une autre solution paraît également conce-
vable, voire même préférable. Il appartient au recourant
d'établir la réalisation de ces conditions en tentant de dé-
montrer, par une argumentation précise, que la décision in-
criminée est insoutenable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 120
Ia 369 consid. 3a p. 373 et les arrêts cités).

3.- a) Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale
relève notamment que lorsque l'origine du congé repose sur
différents motifs, dont certains sont abusifs et d'autres
licites, le juge doit rechercher et retenir la cause qui,
très vraisemblablement, était la cause prépondérante et dé-
cisive (arrêt du 11 novembre 1993, dans la cause 4C.87/1993,
partiellement reproduit in: SJ 1995 798, consid. 2c). En cas
de pluralité de motifs, dont l'un au moins s'avère abusif,
il
incombe à l'employeur de démontrer qu'il aurait licencié le
travailleur même en l'absence du motif abusif (Staehelin,
Zürcher Kommentar, n. 38 ad art. 336 CO; Streiff/Von Kaenel,
Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 20 ad art.
336
CO).

b) Pour déterminer le motif prépondérant et décisif
du licenciement, la cour cantonale se base sur trois indices
que la recourante critique successivement.

aa) Il s'agit tout d'abord du témoignage
C.________, duquel il ressort que l'administrateur de la
recourante aurait déclaré que le fait de se syndiquer sa-
lissait la profession. La cour cantonale considère cette
déposition, faite alors que le témoin était encore employé
par la recourante et qu'il risquait ainsi de perdre son
emploi, comme crédible. Pour la recourante, cette
déclaration
n'est qu'une réaction de vengeance aux lettres d'avertisse-
ment qu'elle avait adressées au témoin à cette époque. Elle
estime encore que même dans l'hypothèse où lesdits propos
auraient été tenus, cela ne suffirait pas à prouver que
l'activité syndicale de l'intimé constituait le motif de la
résiliation. Ce faisant, la recourante ne fait qu'opposer sa
thèse à celle de la cour cantonale, perdant de vue que ledit
témoignage ne constitue précisément pas à lui seul la preuve
du motif décisif du licenciement de l'intimé, mais
uniquement
un indice parmi d'autres. Par ailleurs, la recourante relève
que l'arrêt attaqué mentionne dans sa partie "EN FAIT" les
déclarations de son chef du personnel et de son directeur,
selon lesquelles l'employeur ne ferait aucune différence en-
tre les employés syndiqués et ceux qui ne le sont pas. Par
conséquent, la recourante ne saurait reprocher à la cour can-
tonale de ne pas avoir tenu compte desdites déclarations, du
fait qu'elles ne figurent pas dans les considérants de l'ar-
rêt attaqué. En effet, les juges précédents étaient libres
d'écarter ces preuves, par appréciation anticipée, sans que
leur décision puisse être qualifiée d'arbitraire à cet
égard.

bb) Le deuxième élément retenu par la cour cantona-
le a trait au fait que la même faute professionnelle,
commise
à la fin de l'année 1998 par un employé non syndiqué,
n'avait
entraîné qu'un simple avertissement et non un licenciement.
Pour les juges précédents, cette inégalité de traitement dé-
note la présence d'un biais antisyndical dans l'esprit de
l'employeur. De l'avis de la recourante, le principe de con-
fidentialité ne revêtait pas encore, lorsque l'employé non
syndiqué l'a enfreint en 1998, l'importance qui lui a été
donnée par le concept CAPE, en juillet 1999. Il convient tou-
tefois de relever, que l'employeur avait auparavant déjà,
soit le 1er janvier 1998, adopté un règlement d'entreprise,
prévoyant expressément, à son article 3 lettre e, qu'"aucun
document de X.________ ou d'un de ses clients ne peut être
copié, reproduit, diffusé ou sorti des locaux de la société,
sans l'accord écrit de la direction". De surcroît, il n'est
pas interdit de penser, au vu des circonstances de l'époque,
que le concept CAPE n'a été présenté par la recourante qu'en
réaction à son interpellation par le syndicat et par ses re-
présentants, dont l'intimé faisait partie. Aussi est-il dif-
ficile d'imaginer que ledit principe de la confidentialité,
dont la recourante admet qu'il revêt une importance capitale
dans la branche concernée, n'avait pas, dans le récent règle-
ment d'entreprise le prévoyant expressément, la même portée
que dans le concept CAPE, lequel aurait été plus strict à
cet
égard. Au demeurant, les photocopies effectuées au mépris du-
dit principe l'ont été, dans les deux cas, dans l'intérêt de
l'employeur, ce dont l'arrêt attaqué tient également compte.
Sur ce point, l'appréciation de la cour cantonale ne saurait
par conséquent être considérée comme arbitraire.

cc) La cour cantonale relève enfin qu'il n'a pas
été allégué ni prouvé que l'intimé aurait déployé une activi-
té syndicale non conforme au droit, l'organisation d'une grè-
ve étant licite. La recourante estime que ce troisième "indi-
ce" n'en est pas un. Elle affirme ne jamais avoir soutenu
que
l'intimé aurait exercé une activité syndicale non conforme
au
droit. A ses yeux, une activité syndicale licite serait de
nature à influencer positivement un employeur et celle de
l'intimé n'aurait pas entraîné la résiliation de son contrat
de travail. La cour cantonale se réfère à la mise en garde,
adressée par la recourante à l'intimé le 20 septembre 1999,
contre toute initiative prise sous l'influence du SIT, tel
un
débrayage. La cour cantonale confirme ainsi implicitement
que
la recourante "s'est montrée rétive à l'intrusion du phénomè-
ne syndical" dans son entreprise. Ajouté aux deux autres in-
dices discutés, ce troisième élément permet aux juges précé-
dents de conclure que l'activité syndicale constitue le
motif
prépondérant et décisif de la résiliation du contrat de tra-
vail de l'intimé. Pour autant qu'elle puisse être considérée
comme suffisante, au regard des exigences posées par l'art.
90 al. 1 let. b OJ, l'argumentation de la recourante, qui se
recoupe partiellement avec ses affirmations précédentes,
n'est pas propre à démontrer l'arbitraire de l'arrêt entre-
pris au sujet du troisième indice retenu.

4.- En définitive, le recours doit être rejeté,
dans la
mesure où il est recevable. La procédure n'est pas
gratuite, puisque la valeur litigieuse, déterminée selon la
prétention du demandeur au moment de l'ouverture de l'action
(ATF 115 II 30 consid. 5b), dépasse 20 000 fr. (art. 343 al.
2 et 3 CO a contrario). Des dépens sont en principe dus par

la partie qui succombe (art. 159 al. 1 OJ). Toutefois, l'in-
timé n'a pas recouru au service d'un avocat et ne paraît pas
avoir assumé des frais; en conséquence, il n'y a pas lieu de
lui allouer des dépens (art. 159 al. 3 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève (Cause n° C/26078/99-5).

____________

Lausanne, le 6 mars 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.205/2000
Date de la décision : 06/03/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-03-06;4p.205.2000 ?
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