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27/02/2001 | SUISSE | N°5P.13/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 février 2001, 5P.13/2001


«/2»
5P.13/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

27 février 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Raselli. Greffier: M. Abrecht.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame X.________, représentée par Me Marie-Séverine
Courvoisier, avocate à Genève,

contre

la décision rendue le 23 novembre 2000 par la Présidente de
la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui
oppose la recou

rante à l'Assistance juridique du canton de
Genève;

(art. 29 al. 2 et 3 Cst.; assistance
juridique; droit d'être entendu...

«/2»
5P.13/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

27 février 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Raselli. Greffier: M. Abrecht.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame X.________, représentée par Me Marie-Séverine
Courvoisier, avocate à Genève,

contre

la décision rendue le 23 novembre 2000 par la Présidente de
la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui
oppose la recourante à l'Assistance juridique du canton de
Genève;

(art. 29 al. 2 et 3 Cst.; assistance
juridique; droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux X.________, nés respectivement en 1949
et 1954, s'opposent dans une procédure de divorce ouverte
par
l'épouse le 19 décembre 1994 devant la 4e Chambre du
Tribunal
de première instance de Genève. Par octroi du 18 janvier
1995, l'épouse a été mise au bénéfice d'une assistance juri-
dique civile pour cette procédure.

B.- Dans le cadre de la liquidation du régime matri-
monial, le Tribunal de première instance, par ordonnance du
6
septembre 1999, a décidé du principe d'une expertise de la
valeur des acquêts de X.________, exception faite des
meubles
et des véhicules.

Par ordonnance du 9 mars 2000, le Tribunal a désigné
un expert-comptable et un expert architecte, avec pour mis-
sion de dresser l'inventaire précis des actifs et passifs de
X.________ au 19 décembre 1994. Il a désigné les biens à
expertiser, soit principalement une soixantaine d'immeubles
en nom, une trentaine d'immeubles en société et plusieurs
dizaines de participations dans des sociétés ou des consor-
tiums de promotion immobilière. Dans un premier temps, les
experts étaient invités à estimer ces biens à leur valeur
vénale au jour de l'expertise sur la base des pièces produi-
tes et des expertises existantes, en se bornant à relever le
cas échéant les estimations ou opérations insolites ou injus-
tifiées. Une expertise des immeubles ne devait être ordonnée
que dans une seconde étape, en tant que de besoin. L'avance
des frais d'expertise a été fixée à 110'000 fr., à charge
des
parties par moitié chacune. L'épouse, au bénéfice de l'assis-
tance juridique, était dispensée d'assumer ladite avance.

Par ordonnance du 24 mai 2000, le Tribunal a mis la
totalité de l'avance de frais à la charge de l'assistance ju-
ridique, le mari n'ayant pas fourni sa part de cette avance.

C.- Par décision du 21 août 2000, la Vice-présidente
du Tribunal de première instance a dit que le service de
l'assistance juridique ne procéderait pas à l'avance de
frais
de 110'000 fr. prévue par l'ordonnance du 9 mars 2000. Elle
a
constaté que si X.________, qui exerçait la profession de
promoteur immobilier, était effectivement à la tête d'un pa-
trimoine immobilier considérable (de l'ordre de 300 millions
de francs), il résultait des pièces produites et des déclara-
tions recueillies dans le cadre de la procédure de divorce
que son endettement était très vraisemblablement plus consi-
dérable encore. Elle a dès lors considéré que la fourniture
d'une avance de frais de 110'000 fr. en vue d'expertiser ce
patrimoine, alors qu'il était d'ores et déjà rendu vraisem-
blable que l'endettement était supérieur aux actifs, consti-
tuait une démarche qu'un plaideur raisonnable n'entrepren-
drait pas à ses propres frais, de sorte que l'assistance
juridique devait être refusée pour cette démarche.

D.- Par décision du 23 novembre 2000, la Présidente
de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le
recours
formé par dame X.________ contre la décision de la Vice-pré-
sidente du Tribunal de première instance. Se ralliant aux
considérations de celle-ci, elle a estimé que même si une
expertise devait permettre de voir plus clair dans les
actifs
et passifs de X.________, il n'était pas rendu vraisemblable
qu'un bénéfice de l'union conjugale s'en dégage. L'issue
d'une telle expertise - dont le juge du fond admettait déjà
qu'elle pût être complétée - étant ainsi aléatoire, il était
disproportionné d'engager des frais si importants.

E.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral, dame X.________ conclut avec suite de
frais et dépens à l'annulation de cette décision, et sollici-
te l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de
recours de droit public. L'autorité intimée a renoncé à ré-
pondre au recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
126
III 275 consid. 1; 124 III 44 consid. 1, 134 consid. 2 et
les
arrêts cités). En l'espèce, la recourante reproche à l'auto-
rité cantonale de lui avoir dénié le droit à l'assistance
juridique pour l'avance de frais d'expertise de 110'000 fr.
prévue par l'ordonnance du 9 mars 2000. Le droit à l'assis-
tance judiciaire gratuite est une garantie de procédure qui
découle directement de l'art. 29 al. 3 Cst. dans la mesure
où, comme en l'espèce, la recourante ne fait pas valoir que
les dispositions cantonales réglant la matière assurent une
protection plus étendue; le recours de droit public est
ainsi
recevable de ce point de vue (cf. ATF 122 I 267 consid. 1b;
121 I 60 consid. 2a et les arrêts cités). Il l'est également
au regard de l'art. 87 OJ, le recours de droit public étant
selon une jurisprudence constante ouvert contre une décision
refusant l'assistance judiciaire (ATF 121 I 321 consid. 1;
111 Ia 276 consid. 2; cf. ATF 126 I 207 consid. 2a). Il y a
donc lieu d'entrer en matière sur le recours.

2.- a) Aux termes de l'art. 29 al. 3 Cst., toute
personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a
droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chan-
ce de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Cette dis-
position reprend les conditions générales du droit à l'assis-

tance judiciaire telles que développées au regard de l'art.
4
aCst. par la jurisprudence du Tribunal fédéral, à laquelle
on
peut dès lors se référer (cf. FF 1997 I 184; ATF 126 I 194
consid. 3a in fine).

La recourante ne fait pas valoir - à juste titre
(cf. arrêts non publiés du 6 octobre 1995 en la cause D.,
consid. 2b, et du 16 juin 1992 en la cause L., consid. 7a) -
que les dispositions genevoises relatives à l'assistance
juridique en matière civile assureraient une protection plus
étendue que l'art. 29 al. 3 Cst. Dès lors, le Tribunal fédé-
ral peut se borner à contrôler si les garanties offertes par
cette dernière disposition ont été respectées, ce qu'il fait
avoir un plein pouvoir d'examen (cf. ATF 124 I 1 consid. 2
et
la jurisprudence citée; ATF 119 Ia 11 consid. 3a et les
arrêts cités).

b) Selon la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst.,
un procès est dénué de chances de succès lorsque les perspec-
tives de le gagner sont notablement plus faibles que les ris-
ques de le perdre et qu'elles ne peuvent guère être considé-
rées comme sérieuses; il ne l'est en revanche pas lorsque
les
chances de succès et les risques d'échec s'équilibrent à peu
près ou que les perspectives de succès ne sont que
légèrement
inférieures. Ce qui est déterminant, c'est si une personne
raisonnable et de condition aisée renoncerait à s'y engager
en raison des frais qu'elle s'exposerait à devoir supporter;
en effet, une partie ne doit pas pouvoir soutenir aux frais
de l'État un procès qu'elle ne mènerait pas à ses propres
frais et risques (ATF 125 II 265 consid. 4b; 124 I 304 con-
sid. 2c; 122 I 267 consid. 2b; 119 Ia 251 consid. 3b; 119
III
113 consid. 3a; 109 Ia 5 consid. 4 et les arrêts cités).

3.- a) La recourante, qui souligne qu'il n'est pas
contesté qu'elle n'a pas les moyens d'assurer les frais inhé-

rents à la défense de ses droits, expose que cette défense
passerait obligatoirement par la réalisation d'une expertise
permettant de faire toute la clarté sur la situation pécu-
niaire de son mari, en particulier de savoir si un bénéfice
de l'union conjugale peut être dégagé. Le fait que le juge
du
fond admette d'ores et déjà que l'expertise qu'il a ordonnée
puisse être complétée ultérieurement révélerait la
complexité
de la cause, partant l'importance absolue de recourir à un
expert. Quoi qu'en dise l'autorité cantonale, considérer
qu'il serait d'ores et déjà rendu vraisemblable que l'endet-
tement de X.________ serait supérieur à ses actifs revien-
drait à substituer l'appréciation de l'assistance juridique
à
celle de l'instance de jugement.

En outre, toujours selon la recourante, la décision
attaquée, à la suite de la décision de première instance, se
réfère à des pièces au sujet desquelles les différentes juri-
dictions qui sont intervenues dans le cadre des mesures pro-
tectrices de l'union conjugale et des mesures provisoires
dans le procès en divorce avaient admis qu'elles n'étaient
pas probantes. Ainsi le bilan 1994 annexé à la déclaration
fiscale 1995 de X.________ - dont il résultait une valeur
d'exploitation de son patrimoine immobilier de quelque 295
millions de francs - a-t-il été établi par un certain sieur
Y.________, qui était alors administrateur d'une société
détenue à 100% par le frère de X.________. L'expertise
devait
permettre de débrouiller les arcanes du système comptable
imaginé par X.________ pour rendre sa situation financière
aussi peu transparente que possible. De plus, les expertises
sur lesquelles se sont fondées les autorités cantonales
fixent une valeur 1993. Or l'immobilier ayant fortement re-
pris depuis lors, l'expertise devrait permettre de dégager
des valeurs nettement supérieures. Enfin, les déclarations
des témoins auxquelles se réfèrent les autorités cantonales
seraient incomplètes et peu précises, quand elles ne sont
pas
contredites par d'autres témoignages. Ainsi, aux yeux de la

recourante, la décision entreprise, à la suite de celle de
première instance qu'elle confirme laconiquement, se fonde-
rait sur des documents erronés dépourvus de toute force pro-
bante, sur des expertises dépassées et sur des dépositions
partielles, incomplètes ou contredites par d'autres témoigna-
ges.

b) Par ailleurs, en ignorant superbement les griefs
de la recourante, pourtant fixés en substance dans la partie
en fait de la décision incriminée, l'autorité intimée aurait
consacré une violation du droit d'être entendu de la recou-
rante, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.

4.- a) Dans les considérants en droit de sa déci-
sion, l'autorité intimée, après avoir rappelé les principes
régissant l'octroi de l'assistance judiciaire, a motivé le
rejet du recours de la manière suivante:

"En l'espèce, contrairement à l'avis de la recou-
rante, la Présidente du Tribunal de première ins-
tance ne s'est pas substituée au juge du fond en
considérant que l'expertise ordonnée n'était pas
nécessaire.

Il appartient certes au juge du fond de décider de
la nécessité d'une expertise (art. 255 LPC) pour
l'instruction de la cause qui lui est soumise.
Cependant, l'octroi de l'assistance juridique dé-
pend non seulement de la nécessité de la mesure
mais encore de savoir si un plaideur "raisonnable
et aisé" agirait en justice eu égard au résultat
escomptable et aux frais à encourir.

Or, même si une expertise était de nature à permet-
tre de voir plus clair dans les actifs et passifs
de X.________, il n'est pas rendu vraisemblable
qu'un bénéfice de l'union conjugale s'en dégage.
Partant, l'issue d'une telle expertise, dont le
juge du fond admet déjà qu'elle puisse être complé-
tée, étant aléatoire, il est disproportionné d'en-
gager des frais si importants.

En conséquence, le recours sera rejeté et la déci-
sion querellée confirmée."

b) Si l'autorité intimée s'est ainsi exprimée sur le
grief selon lequel l'autorité de première instance se serait
substituée au juge du fond en considérant que l'expertise
ordonnée n'était pas nécessaire, elle n'a en revanche pas
répondu aux griefs de la recourante - pourtant exposés en
substance dans la partie en fait de la décision entreprise
(lettre D p. 4/5) - selon lesquels la décision de première
instance était fondée sur des documents erronés dépourvus de
toute force probante, sur des expertises dépassées et sur
des
dépositions incomplètes ou contredites par d'autres témoigna-
ges.

Or ces griefs, tels que formulés dans le recours
cantonal et repris dans le recours de droit public (cf. con-
sid. 3a supra), n'apparaissaient pas d'emblée si dénués de
pertinence que l'autorité cantonale pouvait se dispenser d'y
répondre au regard de l'obligation de motivation des déci-
sions qui découle du droit d'être entendu (cf. ATF 126 I 97
consid. 2b; 122 IV 8 consid. 2c et les arrêts cités). Il y a
en effet violation du droit d'être entendu si l'autorité ne
satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et traiter les
problèmes pertinents (ATF 122 IV 8 consid. 2c et la jurispru-
dence citée). En l'espèce, il ne pouvait d'emblée être exclu
que les griefs invoqués soient de nature à ébranler l'appré-
ciation de l'autorité inférieure selon laquelle un bénéfice
de l'union conjugale était suffisamment peu vraisemblable
pour affirmer qu'un plaideur raisonnable et aisé
n'engagerait
pas lui-même des frais d'expertise si importants, étant en-
tendu que le montant de l'avance de frais d'expertise doit
être mis en rapport avec le gain escompté du procès.

5.- a) Il résulte de ce qui précède que la décision
attaquée doit être annulée pour défaut de motivation. Il con-
vient toutefois de rappeler que selon la jurisprudence, pour
déterminer si la
personne qui demande l'assistance
judiciaire
ne dispose pas de ressources suffisantes - première
condition
du droit à l'assistance judiciaire (cf. consid. 2a supra) -,
il y a lieu de tenir compte également des ressources des
proches qui ont à son égard une obligation d'entretien, en
particulier de la provisio ad litem due par le conjoint en
vertu de l'art. 163 CC (ATF 119 Ia 11 consid. 3a; 103 Ia 99
consid. 4 et les arrêts cités). En l'occurrence, la décision
attaquée ne constate pas si la recourante a réclamé une pro-
visio ad litem à son mari. Il appartiendra dès lors à l'auto-
rité cantonale d'examiner en premier lieu cette question. En
effet, si le mari de la recourante peut être astreint à ver-
ser à celle-ci une provisio ad litem en vue de payer
l'avance
des frais d'expertise, l'assistance judiciaire doit être
refusée. Dans le cas contraire, il s'agira d'un élément à
prendre en considération pour évaluer les chances de succès
de l'expertise requise en vue d'établir l'existence d'un
bénéfice de l'union conjugale.

b) La demande d'assistance judiciaire de la recou-
rante pour la procédure de recours de droit public est sans
objet. En effet, obtenant gain de cause, la recourante a
droit à des dépens de la part du canton de Genève (art. 159
al. 1 OJ), lequel supportera aussi les frais judiciaires
(art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule la décision attaquée.

2. Met à la charge du canton de Genève:
a) un émolument judiciaire de 1'000 fr.;
b) une indemnité de 1'000 fr. à verser à la
recourante à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie à la manda-
taire de la recourante et à la Présidente de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 27 février 2001
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.13/2001
Date de la décision : 27/02/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-27;5p.13.2001 ?
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