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26/02/2001 | SUISSE | N°4P.261/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 février 2001, 4P.261/2000


«AZA 1/2»

4P.261/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Massimo Gangemi, à Monthey, représenté par Me Michel Ducrot,
avocat à Martigny,

contre

la décision prise le 12 septembre 2000 par le Tribunal du
travail du canton du Valais dans la cause qui oppose le re-

courant à Nadine Perrier, à Monthey, représentée par le Syn-
dicat Industrie & Bâtiment (SIB), rue de la Moya 6, à Marti-
gny;
...

«AZA 1/2»

4P.261/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Massimo Gangemi, à Monthey, représenté par Me Michel Ducrot,
avocat à Martigny,

contre

la décision prise le 12 septembre 2000 par le Tribunal du
travail du canton du Valais dans la cause qui oppose le re-
courant à Nadine Perrier, à Monthey, représentée par le Syn-
dicat Industrie & Bâtiment (SIB), rue de la Moya 6, à Marti-
gny;

(art. 6 CEDH et 30 Cst.; procédure civile valaisanne,
récusa-
tion)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Dans le cadre d'une procédure prud'homale oppo-
sant, devant le Tribunal du travail du canton du Valais, Na-
dine Perrier à Massimo Gangemi, ce dernier a demandé la récu-
sation du président de cette juridiction, l'avocat Jean-
Michel Zufferey. Il a fait valoir que celui-ci est le fils
de
Michel Zufferey, secrétaire général des "Syndicats Chré-
tiens", et qu'il est devenu l'avocat attitré de ce syndicat
dont il perçoit d'importants honoraires. A son avis,
l'avocat
Zufferey ne peut dès lors être considéré comme un président
neutre et impartial.

B.- Par décision du 12 septembre 2000, le Tribunal
du travail a rejeté la demande de récusation. Il s'est fondé
pour ce faire sur une jurisprudence du Tribunal fédéral
selon
laquelle le fait qu'un juge d'un tribunal des baux et loyers
a travaillé par le passé comme avocat pour une association
de
défense des locataires ne justifie pas la récusation de ce
magistrat par le bailleur opposé à un locataire représenté
par la même association (arrêt non publié du 24 novembre
1997
mentionné par Malinverni/Hottelier, La pratique suisse rela-
tive aux droits de l'homme, in Revue suisse de droit interna-
tional et de droit européen [RSDIE] 1998 p. 494). Il est éga-
lement relevé, dans ladite décision, que le Conseil d'Etat
valaisan, en nommant Me Jean-Michel Zufferey juge au
Tribunal
du travail, a estimé que cette personne était impartiale;
que
l'impartialité du président peut du reste être contrôlée par
les deux assesseurs qui constituent avec lui l'autorité de
jugement; qu'enfin, l'avocat Zufferey ne sera jamais amené à
traiter un dossier dans lequel une partie serait représentée
par les Syndicats Chrétiens, tel n'étant pas le cas en l'es-
pèce.

C.- Massimo Gangemi a formé un recours de droit pu-
blic contre cette décision dont il requiert l'annulation. A
sa demande, la procédure du recours de droit public a été
suspendue, par ordonnance présidentielle du 13 novembre
2000,
jusqu'à droit connu sur l'appel interjeté par lui contre la
même décision auprès du Tribunal du district de Monthey.

L'appel cantonal a été déclaré irrecevable par dé-
cision du 13 novembre 2000 et la procédure fédérale reprise.

Nadine Perrier n'a pas déposé de réponse dans le
délai qui lui a été imparti pour ce faire. Quant au Tribunal
du travail, il a renoncé à en déposer une. En revanche, le
Conseil d'Etat du canton du Valais s'est déterminé spontané-
ment sur le recours par écriture du 17 janvier 2001 à laquel-
le il a joint, entre autres pièces, une copie d'une lettre
adressée le 16 décembre 1999 par Michel Zufferey à son fils
Jean-Michel.

Par lettres des 25 et 26 janvier 2001, le conseil
du recourant a demandé à pouvoir se déterminer sur
l'écriture
et la lettre en question. Il lui a été répondu, les 30 et 31
janvier 2001, qu'il serait statué ultérieurement sur cette
double requête si nécessaire.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Si le Tribunal fédéral ordonne un échange
d'écritures, il communique le recours à l'autorité qui a
pris
la décision attaquée ainsi qu'à la partie adverse et à d'au-
tres intéressés éventuels en leur impartissant un délai suf-
fisant pour répondre et pour produire le dossier (art. 93
al.
1 OJ). Conformément au texte de cette disposition,
l'autorité
intimée est celle-là même qui a statué et non pas la collec-

tivité publique dont elle dépend (Messmer/Imboden, Die eidge-
nössischen Rechtsmittel in Zivisachen, p. 201, note de pied
28). Quant aux autres intéressés éventuels, ils ne peuvent
se
déterminer sur le recours que s'ils ont été invités à le fai-
re par le Tribunal fédéral; peu importe que l'autorité canto-
nale leur en ait donné l'occasion (Birchmeier, Handbuch des
Bundesgesetzes über die Organisation der Bundesrechtspflege,
p. 399, let. c).

En l'occurrence, le Conseil d'Etat du canton du Va-
lais, bien qu'il n'ait pas été invité par le Tribunal
fédéral
à déposer une réponse, s'est néanmoins déterminé sur le re-
cours de Massimo Gangemi, en produisant de surcroît une
pièce
qui ne figure pas au dossier cantonal. En application des
principes sus-indiqués, il ne sera tenu aucun compte de
cette
écriture et de ses annexes, qui n'ont du reste été communi-
quées au recourant qu'à titre de renseignements. Aussi n'y a-
t-il pas matière à un second échange d'écritures (cf. art.
93
al. 3 OJ). En d'autres termes, comme la détermination du Con-
seil d'Etat valaisan et les pièces qui l'accompagnent
doivent
être écartées du dossier, le recourant ne saurait exiger que
la possibilité lui soit offerte de se déterminer sur le con-
tenu de ces écrits.

2.- La décision entreprise a été rendue en dernière
instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), étant donné que l'ap-
pel interjeté contre elle par le recourant a été déclaré ir-
recevable et qu'il s'agissait du seul moyen de droit
cantonal
entrant en ligne de compte. Pour le surplus, en tant qu'elle
a trait à une demande de récusation prise séparément dans le
cadre d'une procédure pendante, cette décision pouvait et de-
vait être attaquée directement en vertu de l'art. 87 al. 1
OJ. Elle l'a été en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans
la
forme requise (art. 90 al. 1 OJ) par une personne qui met en
cause l'impartialité du président de la juridiction appelée
à
trancher le litige la divisant d'avec l'intimée et qui a
donc

un intérêt juridiquement protégé à ce que ladite décision
n'ait pas été prise en violation de ses droits constitution-
nels (art. 88 OJ). Rien ne s'oppose, partant, à l'entrée en
matière.

3.- a) La jurisprudence a déduit des art. 58 al. 1
aCst. et 6 par. 1 CEDH - qui ont sur ce point la même portée
- le droit pour le justiciable d'être jugé par un tribunal
indépendant et impartial (ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122).
Cette garantie a été codifiée à l'art. 30 Cst., si bien que
les principes jurisprudentiels développés à propos de l'art.
58 aCst. restent pleinement valables sous l'empire de la nou-
velle Constitution (ATF 126 I 235 consid. 2a p. 236).

La garantie d'un tribunal indépendant et impartial
permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou
le comportement est de nature à faire naître un doute sur
son
impartialité. Elle tend notamment à éviter que des circons-
tances extérieures à la cause ne puissent influencer le juge-
ment en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose
pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective
du juge est établie, car une disposition interne de sa part
ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances
donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une
activité partiale du magistrat. Seules des circonstances
constatées objectivement doivent être prises en considéra-
tion; les impressions purement individuelles d'une des par-
ties au procès ne sont pas décisives (ATF 125 I 119 consid.
3a p. 122 et les arrêts cités).

b) C'est au regard de ces principes qu'il convient
d'examiner les griefs formulés par le recourant à l'encontre
de la décision attaquée.

aa) Le Tribunal du travail est composé d'un prési-
dent, de deux présidents substituts, juristes de formation,

d'un assesseur travailleur et d'un assesseur employeur et de
trois suppléants travailleurs et trois suppléants
employeurs.
Assisté de greffiers, en principe de formation juridique, il
siège valablement à trois membres, dont le président ou le
président substitut, et peut former plusieurs cours (art. 30
al. 1 et 2 de la loi valaisanne sur le travail du 16
novembre
1966; RSV n° 1751).

Les tribunaux mixtes, tel le Tribunal du travail du
canton du Valais, sont compatibles avec le principe de l'in-
dépendance et de l'impartialité, pour autant que la composi-
tion d'ensemble du tribunal soit équilibrée. Le Tribunal fé-
déral en avait déjà jugé ainsi, dans une affaire valaisanne,
à propos de la Commission cantonale d'arbitrage en matière
de
conflits du travail, qui a été remplacée par le Tribunal du
travail (ATF 119 Ia 81). Dans un récent arrêt, concernant un
tribunal des baux paritaire, il a confirmé la chose en s'ap-
puyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme (ATF 126 I 235 consid. 2b et les références).

Sous réserve du problème des juges suppléants, qui
sera traité plus loin, le recourant ne remet pas en cause
l'institution en tant que telle de la juridiction paritaire
valaisanne en matière prud'homale. Point n'est donc besoin
de
pousser plus avant l'examen de cette question.

bb) Le recourant insiste sur le rôle éminent qui
est dévolu au président d'un tribunal mixte, s'agissant de
garantir l'indépendance et l'impartialité de cette juridic-
tion. A son avis, cette fonction d'arbitre serait mise en pé-
ril lorsque le président, qui exerce son activité à titre ac-
cessoire, est lié par des relations professionnelles ou éco-
nomiques à une association qui a pour mission de défendre
les
travailleurs et pourrait être tenté, de ce fait, de prendre
le parti de l'assesseur représentant les travailleurs.
Ainsi,
dans le cas particulier, il ne serait pas pensable que le

président Zufferey voulût déplaire à un client - les Syndi-
cats Chrétiens - qui lui fournit de nombreux mandats, de
même
qu'à son père, en n'ayant pas tendance à donner systématique-
ment raison aux travailleurs.

Que la neutralité du président d'un tribunal pari-
taire revête une importance primordiale n'est pas contesta-
ble. Jusque-là, on ne peut que donner raison au recourant.
En
revanche, c'est aller trop loin que de voir, dans les cir-
constances invoquées par ce dernier, des motifs propres à
fonder objectivement une apparence de partialité de la per-
sonne mise en cause et à exclure qu'elle puisse assumer cor-
rectement sa mission de président du Tribunal du travail. Il
est, en effet, normalement permis d'attendre d'un magistrat
exerçant parallèlement la profession d'avocat qu'il fasse la
distinction entre ses fonctions de juge, d'une part, et ses
relations familiales ou son activité professionnelle,
d'autre
part. Qu'un président d'une juridiction prud'homale ait un
père syndicaliste ne suffit donc pas en soi à mettre en
doute
son impartialité, car on peut présumer, en règle générale,
qu'un tel magistrat fera abstraction de son lien de parenté
dans l'exercice de ses fonctions judiciaires et qu'il sera
guidé par d'autres soucis que volonté de ne pas déplaire à
son père. Au demeurant, ériger le lien de filiation comme
tel
en critère décisif pour juger de l'impartialité d'un magis-
trat dans des affaires n'intéressant pas les personnes unies
par ce type de lien reviendrait à élargir à l'excès les mo-
tifs de récusation. La même remarque peut être faite pour ce
qui est des mandats d'avocat que le président à temps
partiel
d'un tribunal du travail se voit confier dans l'exercice de
sa profession principale par un syndicat de travailleurs qui
n'est pas partie à la procédure ayant donné lieu à la
demande
de récusation. D'ailleurs, en raisonnant par l'absurde, on
pourrait tout aussi bien craindre in abstracto, en pareille
hypothèse, et à l'inverse du recourant, que ce président ne
soit enclin à donner tort au travailleur comparaissant
devant

lui du seul fait que ce dernier est membre d'une association
de travailleurs faisant concurrence à celle qui lui fournit
de nombreux mandats, à plus forte raison s'il s'agit de syn-
dicats qui ne sont pas de la même tendance politique. Quoi
qu'il en soit, il n'est même pas établi, en l'espèce, que le
président visé par la demande de récusation serait l'avocat-
conseil attitré des Syndicats Chrétiens et qu'il se verrait
confier de nombreux mandats d'avocat par cette association
de
travailleurs. De fait, l'autorité intimée utilise le condi-
tionnel pour décrire cette prétendue activité; quant au re-
courant, il a sollicité, à titre de moyen de preuve, dans
son
mémoire d'appel cantonal, "l'édition par Me Zufferey de la
liste de tous les mandats qu'il a reçus depuis l'ouverture
de
son étude pour défendre des membres des Syndicats Chrétiens
ainsi que le montant des honoraires encaissés",
reconnaissant
par là même implicitement que ses allégations à ce sujet res-
taient à prouver.

Pour le surplus, il n'est pas établi, ni même allé-
gué d'ailleurs, que l'avocat Zufferey donnerait systématique-
ment raison aux travailleurs quand il préside le Tribunal du
travail.

Ainsi, les arguments développés par le recourant ne
sont pas propres, ni objectivement ni subjectivement, à sus-
citer des doutes au sujet de l'indépendance et de l'impartia-
lité du Tribunal du travail valaisan lorsqu'il siège sous la
présidence de Jean-Michel Zufferey.

cc) Le recourant souligne enfin que, dans une ré-
cente décision, la Cour européenne des droits de l'homme a
admis le grief de
manque d'impartialité du Tribunal adminis-
tratif du canton de Zurich parce que cette instance comprend
des juges suppléants à temps partiel qui exercent également
le métier d'avocat.

L'arrêt en question a été rendu le 21 décembre 2000
dans la cause Wettstein contre La Suisse et il n'est pas en-
core définitif, vu l'art. 44 par. 2 CEDH. Contrairement à ce
que soutient le recourant, cette décision ne remet pas en
cause l'institution des juges suppléants en tant que telle.
On peut, en effet, y lire ceci à ce sujet (ch. 41): "Accor-
dingly, in the present case there is no reason to doubt that
legislation and practice on part-time judiciary in general
can be framed as to be compatible with Article 6". En réali-
té, si la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à
la
violation de l'art. 6 par. 1 CEDH dans cette affaire zuri-
choise, c'est notamment pour la raison suivante: lorsque le
requérant avait introduit son action devant le Tribunal admi-
nistratif, comprenant le juge suppléant mis en cause, la pro-
cédure parallèle dans laquelle ce dernier représentait, en
tant qu'avocat, la municipalité de Küsnacht contre le requé-
rant était pendante devant le Tribunal fédéral qui avait ren-
du son arrêt huit mois plus tard; moins de deux mois après,
le Tribunal administratif rendait son jugement de sorte que
le requérant avait des raisons de penser que le juge sup-
pléant en question continuerait de le considérer comme la
partie adverse. Vu la simultanéité des procédures, l'intéres-
sé pouvait donc craindre le manque d'impartialité de ce juge
(ch. 47).

Il apparaît ainsi que le recourant ne peut rien
tirer en sa faveur dudit arrêt. Comme il n'avance pas d'au-
tres arguments, en ce qui concerne l'institution des juges
suppléants (cf, à ce sujet, l'ATF 124 I 121 consid. 3 et les
arrêts cités), que ceux qui ont déjà été réfutés plus haut,
ce dernier grief est voué au même sort que les précédents.

4.- La décision attaquée a été rendue dans une af-
faire résultant du contrat de travail dont la valeur liti-
gieuse ne dépasse pas 20 000 fr. Par conséquent, il n'y a
pas

lieu de percevoir un émolument judiciaire (art. 343 al. 3
CO).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais;

3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et au Tribunal du travail du canton du Valais.

____________

Lausanne, le 26 février 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.261/2000
Date de la décision : 26/02/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-26;4p.261.2000 ?
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