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26/02/2001 | SUISSE | N°4P.248/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 février 2001, 4P.248/2000


«/2»

4P.248/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Hrant Hovagemyan, avocat
à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 25 octobre 2000 par la Présidente de
la Cour de justice du canton de Genève;

(art. 4 a

Cst. et 6 CEDH; procédure civile; frais de justice)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Pa...

«/2»

4P.248/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Hrant Hovagemyan, avocat
à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 25 octobre 2000 par la Présidente de
la Cour de justice du canton de Genève;

(art. 4 aCst. et 6 CEDH; procédure civile; frais de justice)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 1er septembre 2000, le Tribunal
de première instance du canton de Genève a condamné
X.________ S.A. à payer divers montants s'élevant à
11 422 723 fr., plus 200 000 fr. d'indemnités de procédure à
la Compagnie des montres Y.________ S.A. Le 4 octobre 2000,
X.________ S.A. a appelé de ce jugement; elle concluait prin-
cipalement à l'annulation de celui-ci et au déboutement de
toutes les conclusions de sa partie adverse.

Le 16 octobre 2000, le greffe de la Cour de justice
du canton de Genève a imparti un délai au 6 novembre 2000 à
X.________ S.A. pour verser l'émolument d'appel fixé à
73 000 fr., en attirant son attention sur le fait que, faute
pour elle de procéder comme indiqué et dans le délai
imparti,
l'appel serait déclaré irrecevable. En temps utile, l'appe-
lante a déposé une requête en contestation de l'émolument de
mise au rôle. Elle a conclu à l'annulation de la décision du
greffe.

Par ordonnance du 25 octobre 2000, la Présidente de
la Cour de justice du canton de Genève a rejeté la requête.

B.- X.________ S.A. forme un recours de droit pu-
blic au Tribunal fédéral. Invoquant les art. 4 Cst. (sic) et
6 CEDH, elle conclut à l'annulation de l'ordonnance de la
présidente de la Cour de justice ainsi que de la décision du
greffe.

Par ordonnance du 27 novembre 2000, le président de
la Cour civile du Tribunal fédéral a accordé l'effet suspen-
sif.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- L'ordonnance attaquée est une décision inciden-
te prise en dernière instance cantonale. Le Tribunal fédéral
a déjà jugé qu'une telle décision causait à l'intéressé un
dommage irréparable au sens de l'art. 87 OJ, de telle sorte
que le recours de droit public interjeté contre elle est re-
cevable (arrêt non publié du 16.09.1998 dans la cause
2P.155/1998 consid. 1b).

2.- a) La recourante fait valoir, en premier lieu,
que l'émolument de mise au rôle de 73 000 fr. fixé par le
greffe de la Cour de justice sur la base d'un règlement du
Conseil d'Etat et non d'une loi au sens formel ne dispose
pas
d'une base légale suffisante car il ne respecte pas le prin-
cipe de l'équivalence. Elle invoque la violation de l'art. 4
aCst.

Se référant à l'ATF 120 Ia 171 ss, la recourante
soutient que le tarif appliqué est non conforme au principe
de l'équivalence en ce qui concerne les appels à valeur
litigieuse élevée. Elle argue du fait que le montant exigé
d'elle constitue plus des deux tiers de l'émolument maximum,
à savoir 100 000 fr. Elle prétend que le respect du principe
d'équivalence ne pourrait être assuré que moyennant la per-
ception d'une taxe modique; la perception d'un émolument com-
plémentaire ne serait envisageable qu'ultérieurement, après
examen du cas, selon les circonstances particulières de l'es-
pèce.

La recourante ajoute qu'en tout état de cause
l'art. 3 al. 1 du règlement genevois ne permet pas la per-
ception d'un émolument de mise au rôle auprès de l'appelant
mais seulement auprès de la partie demanderesse.

b) La recourante allègue aussi que, par son impor-
tance, l'émolument de 73 000 fr. exigé d'elle pour la seule
recevabilité de l'appel, sans autre contre-prestation de la
Cour de justice, constitue une entrave excessive à l'accès à
la justice civile garanti par l'art. 6 CEDH.

3.- a) Les émoluments judiciaires sont des contri-
butions causales qui dépendent des coûts. A ce titre, ils
doivent respecter les principes de la couverture des frais
et
de l'équivalence (ATF 120 Ia 171 consid. 2a et les arrêts ci-
tés).

Le principe de la couverture des frais implique que
l'ensemble des ressources provenant d'un émolument ne soit
pas supérieur à l'ensemble des dépenses de la collectivité
pour l'activité administrative en cause. Quant au principe
de
l'équivalence, il suppose que le montant de chaque émolument
soit en rapport avec la valeur objective de la prestation
fournie et reste dans des limites raisonnables (ATF 121 I
230
consid. 3g/bb p. 238 et les arrêts cités). La valeur de la
prestation se mesure soit à son utilité pour le justiciable,
soit à son coût par rapport à l'ensemble des dépenses de
l'activité administrative en cause (ATF 120 Ia 171 consid.
2a
et les références). Pour respecter le principe de l'équiva-
lence, il faut que l'émolument soit raisonnablement propor-
tionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut
cependant pas une certaine schématisation. S'il n'est pas né-
cessaire que l'émolument corresponde exactement au coût de
l'opération administrative visée, il doit toutefois être éta-
bli selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des
différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs
pertinents. Le taux de l'émolument ne doit notamment pas em-
pêcher ou rendre difficile à l'excès l'utilisation de certai-
nes institutions (ATF 120 Ia 171 consid. 2a; 106 Ia 241 con-
sid. 3b p. 244 et 249 consid. 3a p. 253).

b) L'art. 11 al. 1 du règlement genevois fixant le
tarif des greffes en matière civile du 9 avril 1997 prévoit
que la mise au rôle d'une demande de nature pécuniaire donne
lieu à la perception d'un émolument progressif, à savoir de
150 fr. pour une valeur litigieuse inférieure à 2000 fr.,
passant par paliers à 70 000 fr. pour une valeur litigieuse
de 10 000 000 fr., plus 200 fr. par tranche ou fraction de
tranche de 100 000 fr. L'al. 2 indique que l'émolument de
mise au rôle ne peut dépasser 100 000 fr.

En l'espèce, le principe de la couverture des frais
n'est pas mis en question. Par ailleurs, un barème ne contre-
vient pas au principe de l'équivalence parce qu'il se fonde
uniquement sur la valeur litigieuse. De fait, on l'a vu, la
jurisprudence n'exclut pas tout schématisme et permet égale-
ment une certaine compensation entre les affaires
importantes
et les affaires mineures. Il n'en demeure pas moins que
l'émolument réclamé individuellement à chaque justiciable
doit être en rapport avec la valeur objective de la presta-
tion fournie et se tenir dans des limites raisonnables (ATF
120 Ia 171 consid. 4c; cf. aussi arrêt non publié du
16.09.1998 dans la cause 2P.155/1998 consid. 2a/b).

Tel est le cas de l'émolument réclamé en l'espèce à
la recourante (73 000 fr.), qui représente 0,63% de la
valeur
litigieuse en cause (11 600 000 fr. selon le recourant qui
ne
conteste pas l'exactitude du calcul du greffe de la Cour de
justice). Par ailleurs, si l'on se réfère à la comparaison
intercantonale faite par le Tribunal fédéral et mentionnée à
l'ATF 120 Ia 171 (consid. 4c p. 177), ce montant de
73 000 fr. se situe largement dans les limites de ce que pré-
lèvent généralement les cantons lorsque le montant en jeu
est
de l'ordre de 10 000 000 fr. Plusieurs cantons peuvent perce-
voir en effet, pour cette valeur, des émoluments plafonnant
à
100 000 fr., 200 000 fr., 250 000 fr., voire à 300 000 fr.

Dans la présente espèce, on est fort éloigné des
précédents où l'émolument fixé en application du règlement
genevois (qui ne prévoyait alors pas de plafonnement) a été
jugé excessif et violant le principe d'équivalence. En
effet,
dans un de ces cas, les émoluments jugés excessifs étaient
de
1 548 400 fr. pour une valeur litigieuse de 750 000 000 fr.
et représentaient plus du 13,6% du montant global des émolu-
ments judiciaires, alors que le tribunal concerné avait trai-
té quelque 23 000 affaires en 1992 (arrêt non publié du
28.11.1994, dans les causes 2P.353/1993 et 2P.74/1994, con-
sid. 3c-e). Dans l'autre cas, le montant des droits d'intro-
duction pour un appel en cause de treize personnes était de
907 666 fr., pour une valeur litigieuse de 277 925 012 fr.,
représentant le 6,36% du montant global des émoluments
perçus
en 1993 (arrêt non publié du 08.12.1994 dans la cause
4P.149/1994, consid. 4b). La recourante, qui n'allègue et ne
fournit aucune donnée quant au pourcentage que représente
l'émolument qui lui est réclamé par rapport au montant
global
des émoluments perçus en 1999 ou 2000, ne démontre pas la
moindre violation du principe d'équivalence.

On est ici beaucoup plus proche d'une affaire jugée
par le Tribunal fédéral le 19 mai 1993 (2P.362/1992, consid.
4d), où il a été considéré que les droits de greffe de 79
828
fr.50 réclamés pour une valeur litigieuse de plus de
15 000 000 fr., représentant 0,51% de la valeur litigieuse,
n'apparaissaient pas comme disproportionnés par rapport à
l'ensemble des opérations que pourrait requérir la procédure
et à l'intérêt économique de la cause.

c) La recourante entend tirer argument du fait que
l'émolument de mise au rôle est exigé avant tout examen de
l'appel par la cour de justice, qui ne peut tenir compte des
particularités de l'espèce. Ces objections sont infondées.
On
ne peut en effet nullement exclure que la cause atteigne une
certaine ampleur dès lors que, comme le relève l'ordonnance

attaquée, l'instruction a duré près de deux années en premiè-
re instance et qu'elle a nécessité de nombreuses enquêtes;
le
jugement rendu compte au surcroît plus de 80 pages tandis
que
l'appel, qui conclut au préalable à la réouverture d'enquê-
tes, à la production de pièces et documents techniques de mê-
me qu'à la mise en oeuvre d'une expertise, en comporte près
de 70.

A supposer, d'ailleurs, que la procédure se conclue
rapidement et sans grandes complications, la recourante pour-
rait toujours demander le remboursement de la partie de
l'émolument qui se révélerait excessive. A cet égard, l'art.
23 du règlement prévoit déjà pareille restitution dans cer-
taines hypothèses. Cependant, même en dehors de celles-ci,
la
recourante pourrait demander le remboursement de la part ex-
cessive de l'émolument versé: pareille obligation de rembour-
sement découlerait en effet directement de la violation des
principes de l'équivalence et de la légalité (arrêts non pu-
bliés du 16.09.1998 dans la cause 2P.155/1998, consid. 2b,
et
du 06.06.1996 dans la cause 2P.361/1995, consid. 3b).

Les principes d'équivalence et, par conséquent, de
la légalité, n'ont donc pas été violés par l'ordonnance atta-
quée.

d) L'argument selon lequel l'art. 3 du règlement ne
prévoit pas que l'émolument de mise au rôle puisse être pré-
levé auprès d'une partie appelante, mais uniquement auprès
de
la partie demanderesse, doit être écarté sans autre. La dis-
position vise clairement toute partie qui saisit une
autorité
judiciaire.

4.- Au cas où, comme en l'espèce, on ne constate
pas de violation du principe d'équivalence, on ne saurait re-
tenir l'existence d'une entrave excessive de l'accès à la
justice civile prohibée par l'art. 6 CEDH. La recourante ne

démontre d'ailleurs pas que la CEDH fixerait, en matière
d'émoluments judiciaires, des exigences plus grandes que
celles qu'a posées le Tribunal fédéral dans ce domaine en
application de l'art. 4 aCst. (9 Cst.). Le moyen fondé sur
la
violation de la CEDH ne peut dès lors qu'être rejeté.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante et à la Présidente de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

_____________

Lausanne, le 26 février 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.248/2000
Date de la décision : 26/02/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-26;4p.248.2000 ?
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