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26/02/2001 | SUISSE | N°4C.254/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 février 2001, 4C.254/2000


«AZA 1/2»

4C.254/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Françoise Marie Durant, à Paris (France), défenderesse et
recourante, représentée par Me Claude Aberlé, avocat à
Genève,

et

Cécile Christelle Augusti, à Paris (France), demanderesse et
intimée, représentÃ

©e par Me Alexandre Montavon, avocat à
Genève;

(contrat de gérance de fortune; instructions "post mortem"
du
mandant)

Vu ...

«AZA 1/2»

4C.254/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Françoise Marie Durant, à Paris (France), défenderesse et
recourante, représentée par Me Claude Aberlé, avocat à
Genève,

et

Cécile Christelle Augusti, à Paris (France), demanderesse et
intimée, représentée par Me Alexandre Montavon, avocat à
Genève;

(contrat de gérance de fortune; instructions "post mortem"
du
mandant)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Marc-Antoine Louis Augusti, ressortissant
français, domicilié de son vivant à Paris, est décédé à
Chatenay-Malabry (département des Hauts-de-Seine, France) le
26 mars 1995. Le défunt a laissé pour seule héritière légale
sa fille, Cécile Cristelle Augusti, née le 17 novembre 1973,
qu'il a instituée légataire universelle de tous ses biens
par testament olographe daté du 20 décembre 1987.

Lors de l'inventaire des avoirs du défunt, Cécile
Cristelle Augusti a découvert que son père était titulaire
de
comptes auprès d'établissements bancaires genevois, dont la
banque Bordier & Cie.

b) Un mois après la mort de Marc-Antoine Louis
Augusti, Françoise Marie Durant a retrouvé chez elle, à
Paris, une enveloppe fermée sur laquelle il était indiqué:
"à
remettre à Madame Arlette Loukal en main propre en cas de dé-
cès". Françoise Marie Durant a alors apporté cette enveloppe
à la banque Bordier & Cie et l'a remise à Arlette de Beau-
corps, autrefois Loukal, qui gérait les avoirs du défunt de-
puis une quinzaine d'années. Françoise Marie Durant avait
été
présentée à Arlette de Beaucorps par Marc-Antoine Louis
Augusti comme étant la compagne de ce dernier.

L'enveloppe en cause contenait des instructions
émanant du de cujus, datées du 8 mars 1995 et entièrement
dactylographiées, seule la signature étant manuscrite. Le
texte de ce document est le suivant:

"Je soussigné Marc Augusti né le 15 février 1928,
né à Maison Carré ALGER, désire que mon compte qui
porte le nom de code "ARLETTE" et dont vous avez la

gestion, revienne intégralement à Mademoiselle
Françoise Durant 43 avenue de Suffren, Paris 7ème,
en remerciement de toute sa sollicitude.
Fait à Paris le 8 mars 1995
(Signature : Augusti)".

Sur la base de ce document, la banque Bordier & Cie
a transféré, le 19 mai 1995, la totalité des avoirs déposés
sur le compte No 9787 concernant le défunt au crédit du comp-
te No 5701 ouvert au nom de Françoise Marie Durant lors de
la
visite de celle-ci à la banque.

Les prélèvements effectués par Françoise Marie
Durant au cours de la période allant d'août à septembre 1995
ont représenté en définitive 61'420 fr.

En raison du litige survenu entre Françoise Marie
Durant et Cécile Cristelle Augusti, les comptes considérés
ont fait l'objet d'un blocage interne opéré par la banque.

B.- Le 16 avril 1997, Cécile Cristelle Augusti a
déposé devant les tribunaux genevois une action en revendica-
tion et en enrichissement illégitime à l'encontre de
Françoise Marie Durant à qui elle a réclamé en particulier
la
restitution de l'ensemble des titres indûment transférés du
compte No 9787 au compte No 5701 de la banque Bordier & Cie
ainsi que le remboursement de la somme prélevée sans droit,
par 64'220 fr. plus intérêts de 6% dès le 19 mai 1995.

La défenderesse s'est opposée à la demande et a
conclu à libération.

Les parties en présence divergeant sur la nature et
la portée du document établi le 8 mars 1995 - instructions
"post mortem" valables selon la défenderesse; acte pour
cause
de mort ou donation entre vifs invalide sur le plan formel
d'après la demanderesse -, le Tribunal de première instance

de Genève a rendu, le 30 octobre 1998, une ordonnance pré-
voyant, par souci d'économie de procédure, que cette
question
devait faire l'objet d'un débat séparé. La cause a donc été
ajournée pour être plaidée uniquement sur ce point.

Par jugement du 6 mai 1999, le Tribunal de première
instance a constaté "sur partie" que le document daté du 8
mars 1995 était nul et dépourvu de tous effets juridiques et
que Françoise Marie Durant ne pouvait pas se prévaloir de
droits dans la succession de feu Marc-Antoine Louis Augusti.
Le Tribunal de première instance, sur le fond, a réservé la
suite de la procédure.

Saisie d'un appel de la défenderesse, la Chambre
civile de la Cour de justice genevoise, par arrêt du 16 juin
2000, a confirmé le jugement précité et renvoyé la cause au
Tribunal de première instance en vue de la poursuite de
l'instruction de l'affaire. En substance, l'autorité cantona-
le a retenu que le document dactylographié et daté du 8 mars
1995 constituait une disposition pour cause de mort et que
les instructions qu'il contenait étaient nulles à défaut de
satisfaire aux exigences formelles du droit français en la
matière. Elle a relevé qu'il en aurait été de même si l'on
avait pu considérer qu'il s'agissait d'une donation entre
vifs, la législation française soumettant celle-ci à la
forme
authentique.

C.- Françoise Marie Durant exerce un recours en
réforme au Tribunal fédéral. Concluant à la mise à néant de
l'arrêt cantonal, elle requiert que la lettre du 8 mars 1995
soit qualifiée comme étant des instructions données par un
mandant à son mandataire et qu'il soit dit que ce document
est valable à la forme, la demanderesse étant déboutée de
toutes ses conclusions.

L'intimée propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et li-
brement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
126 I 81 consid. 1, 207 consid. 1; 126 III 274 consid. 1,
485
consid. 1).

2.- a) Par le jugement du 6 mai 1999 qui a été
confirmé par l'arrêt cantonal du 16 juin 2000, il a été
rendu
une décision qui ne tranche pas le litige sur le fond, dans
la mesure où l'examen de la cause a porté sur la seule quali-
fication du document daté du 8 mars 1995.

b) Les décisions qui précèdent la décision finale
sur la prétention déduite en justice constituent des déci-
sions préjudicielles ou incidentes au sens des art. 49 et 50
OJ en ce sens qu'elles ne tranchent qu'une question
préalable
dont dépend le sort de l'action (Poudret, COJ II, n. 1.1.7.1
ad art. 48 OJ; Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fé-
déral in: SJ 2000 II p. 8). Il n'est pas nécessaire de dis-
tinguer la décision préjudicielle de la décision incidente
étant donné qu'elles sont toutes deux soumises au même
régime
juridique (Corboz, ibidem).

En principe, une décision incidente ou préjudiciel-
le ne peut être attaquée par la voie du recours en réforme
qu'avec la décision finale (Corboz, op. cit., p. 9), la
ratio
legis étant de ne soumettre la cause qu'une seule fois au
Tribunal fédéral (Poudret, op. cit., n. 4.1.1 ad art. 48 OJ).

Les décisions préjudicielles ou incidentes sont à
distinguer du jugement partiel qui statue de manière finale

sur un ou plusieurs chefs d'une demande, mais qui renvoie
l'examen des autres conclusions à une décision ultérieure.
Un
tel jugement peut faire l'objet d'un recours en réforme immé-
diat sans que l'on attende la décision finale si son objet
aurait pu donner lieu à un procès séparé et si cette
décision
revêt un caractère préjudiciel pour les conclusions qui de-
meurent (ATF 124 III 406 consid. 1a et les références
citées;
123 III 140 consid. 2a; Corboz, op. cit., p. 8).

c) Au regard des considérations qui précèdent,
l'arrêt attaqué constitue une décision préjudicielle ou inci-
dente dès lors que les juridictions genevoises se sont limi-
tées à qualifier l'acte par lequel Marc-Antoine Louis
Augusti, le 8 mars 1995, a donné des instructions sur la ma-
nière de disposer, après son décès, des fonds qu'il avait
déposés auprès de la banque Bordier & Cie et qu'elles n'ont
pas statué sur le mérite des conclusions pécuniaires prises
par l'intimée dans sa demande. Ce faisant, elles ont certes
tranché une question de fond, mais celle-ci ne l'a été qu'à
titre préalable.

Partant, sous réserve des art. 49 ou 50 OJ, une
telle décision ne peut être en principe attaquée par la voie
d'un recours en réforme qu'avec la décision finale.

3.- a) Il appert d'emblée que l'art. 49 OJ n'est
pas applicable en l'espèce, étant donné que les magistrats
genevois n'ont pas pris, dans l'arrêt critiqué, de décisions
sur la compétence à raison du lieu ou à raison de la matière
(Corboz, op. cit., p. 9 et 10).

b) Conformément à l'art. 50 al. 1 OJ, le recours en
réforme est recevable exceptionnellement contre les
décisions
préjudicielles ou incidentes lorsqu'une décision finale peut
ainsi être provoquée immédiatement et que la durée et les
frais de la procédure probatoire seraient si considérables

qu'il convient de les éviter en autorisant le recours immé-
diat devant le Tribunal fédéral. Les deux conditions
requises
par cette disposition sont cumulatives (cf. Corboz, op.
cit.,
p. 11).

c) L'ouverture du recours en réforme pour des mo-
tifs d'économie de procédure constitue donc une exception et
doit, comme telle, être interprétée restrictivement. Une
telle approche s'impose d'autant plus que les parties ne
subissent en principe pas de préjudice lorsqu'elles n'atta-
quent pas immédiatement des décisions préjudicielles ou inci-
dentes, l'art. 48 al. 3 OJ leur permettant de les contester
en même temps que la décision finale. Cette faculté subsiste
lorsque le Tribunal fédéral déclare irrecevable un recours
fondé sur l'art. 50 al. 1 OJ; en pareil cas, l'art. 48 al. 3
2ème phrase OJ n'est pas applicable. Selon l'art. 50 al. 2
OJ, le Tribunal fédéral examine librement si les conditions
de l'art. 50 al. 1 OJ sont réalisées (ATF 122 III 254
consid.
2a et l'arrêt cité).

Une décision finale ne peut être provoquée immédia-
tement au sens de l'art. 50 OJ que lorsque le Tribunal fédé-
ral est à même de la rendre. Cela suppose qu'il soit en mesu-
re de mettre fin définitivement à la procédure en jugeant
différemment la question tranchée dans la décision préjudi-
cielle ou incidente. En d'autres termes, il faut que la solu-
tion inverse de celle retenue dans la décision attaquée soit
finale comme l'entend l'art. 48 OJ; il n'en va pas ainsi si
le Tribunal fédéral peut seulement renvoyer la cause à la ju-
ridiction cantonale pour compléter l'instruction ou
appliquer
sa procédure et statuer à nouveau (ATF 122 III 254 consid.
2a
et les références).

La juridiction de réforme refuse d'entrer en matiè-
re lorsque la partie recourante ne donne pas les motifs pour
lesquels il s'agit d'un cas exceptionnel et ignore complète-

ment le problème de la recevabilité. Si elle soutient en re-
vanche que les conditions de l'art. 50 al. 1 OJ sont réali-
sées, il faut distinguer deux éventualités. S'il découle ma-
nifestement de la décision attaquée ou de la nature de la
cause que la poursuite de la procédure prendra un temps con-
sidérable et exigera des frais très importants, on peut re-
noncer à une longue démonstration. Si tel n'est pas le cas,
la partie recourante doit indiquer de manière détaillée quel-
les questions de fait sont encore litigieuses et quelles
sont
les preuves longues et coûteuses qui devraient être adminis-
trées (ATF 118 II 91 consid. 1a; 116 II 738 consid. 1b).
Elle
doit en plus établir, en se référant aux actes du dossier,
qu'elle a déjà invoqué ces moyens de preuve dans la
procédure
cantonale ou qu'elle s'est réservé le droit de le faire (ATF
118 II 91 consid. 1a in fine).

d) Dans le cas particulier, la recourante a simple-
ment allégué que l'arrêt attaqué constituait une décision fi-
nale prise en dernière instance cantonale et que le fait que
le jugement de première instance n'ait été qu'un jugement
sur
partie ne modifiait pas cette situation, aucune autre voie
de
recours n'étant ouverte.

Force est donc de constater que la défenderesse a
complètement ignoré le problème de recevabilité auquel l'ar-
rêt attaqué donne lieu en ne réalisant pas qu'il ne s'agis-
sait que d'une décision incidente ou préjudicielle suscepti-
ble d'être attaquée en même temps que la décision qui sera
rendue sur le fond de la querelle. Cela entraîne ipso facto
l'irrecevabilité du recours.

Par surabondance, il convient de relever que l'af-
faire soumise aux juridictions genevoises n'est pas d'une
complexité particulière et qu'elle ne nécessite pas des
actes
d'instruction longs et coûteux. En effet, au regard de la so-
lution retenue par l'autorité cantonale, laquelle a admis la

nullité des instructions du 8 mars 1995, il s'agit surtout
de
déterminer l'état des avoirs de la défenderesse auprès de la
banque Bordier & Cie au moment du blocage des comptes et
d'interroger la recourante sur le sort et l'utilisation des
sommes qu'elle a prélevées dans cet établissement bancaire
en
août et septembre 1995.

De surcroît, si le Tribunal fédéral adoptait la so-
lution inverse de celle retenue par la Cour de justice, à sa-
voir s'il admettait la validité des instructions données par
le de cujus le 8 mars 1995, il ne mettrait pas fin à la con-
testation, car il ne serait pas en mesure de rendre lui-même
un jugement final, mais devrait retourner la cause à la cour
cantonale pour qu'elle détermine les effets juridiques dé-
ployés par ces instructions quant à la dévolution de la suc-
cession
litigieuse.

En définitive, aucune des conditions requises par
l'art. 50 al. 1 OJ pour que le recours immédiat au Tribunal
fédéral soit ouvert n'est in casu réalisée.

4.- Le recours est irrecevable dans toute son
étendue. Vu l'issue du litige, les frais et dépens doivent
être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours irrecevable;

2. Met un émolument judiciaire de 3500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 3500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

___________

Lausanne, le 26 février 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.254/2000
Date de la décision : 26/02/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-26;4c.254.2000 ?
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