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13/02/2001 | SUISSE | N°H.233/00

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 février 2001, H.233/00


«AZA 7»
H 233/00 Sm

IIe Chambre

composée des Juges fédéraux Lustenberger, Président, Meyer
et Ferrari; Addy, Greffier

Arrêt du 13 février 2001

dans la cause

P.________, recourant, représenté par Maître Bernard
Détienne, avocat, rue des Vergers 1, Sion,

contre

Caisse cantonale valaisanne de compensation, avenue
Pratifori 22, Sion, intimée,

et

Tribunal des assurances du canton du Valais, Sion

A.- La société D.________ SA, dont le siège se trou-
va

it à C.________, a été déclarée en faillite le 10 juin
1997. Son conseil d'administration était composé de
P.________, président, et M...

«AZA 7»
H 233/00 Sm

IIe Chambre

composée des Juges fédéraux Lustenberger, Président, Meyer
et Ferrari; Addy, Greffier

Arrêt du 13 février 2001

dans la cause

P.________, recourant, représenté par Maître Bernard
Détienne, avocat, rue des Vergers 1, Sion,

contre

Caisse cantonale valaisanne de compensation, avenue
Pratifori 22, Sion, intimée,

et

Tribunal des assurances du canton du Valais, Sion

A.- La société D.________ SA, dont le siège se trou-
vait à C.________, a été déclarée en faillite le 10 juin
1997. Son conseil d'administration était composé de
P.________, président, et M.________, vice-président.
Le 24 juin 1998, la Caisse cantonale valaisanne de
compensation a notifié à chacun des administrateurs prénom-
més une décision par laquelle elle leur réclamait le
paiement de 261 667 fr. 85 au titre de la réparation du

dommage qu'elle avait subi dans la faillite de la société
D.________ SA. P.________ et M.________ ont tous deux formé
opposition.

B.- Le 15 juillet 1998, la caisse de compensation a
saisi le Tribunal cantonal des assurances du canton du
Valais de deux actions, en concluant à la levée des opposi-
tions précitées et à la condamnation des administrateurs au
paiement de 261 667 fr. 85 fr.
Tout en concluant au rejet de ces actions, P.________
et M.________ ont requis un complément d'instruction, soit
en particulier l'audition de plusieurs témoins, la mise en
oeuvre d'une expertise comptable, et l'édition d'un dossier
pénal en cours d'instruction, dans lequel ils étaient pré-
venus, entre autres infractions, d'abus de confiance et de
gestion fautive. Ils ont par ailleurs demandé la suspension
de la procédure administrative jusqu'à ce que la faillite
de la société D.________ SA fût clôturée, et jusqu'à ce que
le sort des procédures pénales engagées contre eux fût
scellé.
Par deux jugements séparés du 24 mai 2000, le Tribunal
cantonal des assurances du canton du Valais a fait entière-
ment droit aux conclusions prises par la caisse de compen-
sation contre P.________ et M.________.

C.- P.________ interjette recours de droit administra-
tif contre le jugement prononcé à son encontre, en conclu-
ant à l'annulation de celui-ci et à la libération de
l'obligation de payer les montants réclamés par la caisse
de compensation. Comme devant l'instance cantonale, il
requiert par ailleurs la suspension de la procédure admi-
nistrative.
La caisse de compensation conclut au rejet du recours,
tandis que l'Office fédéral des assurances sociales ne
s'est pas déterminé.

D.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral des
assurances a rejeté le recours que M.________ avait éga-
lement formé contre le jugement rendu le 24 mai 2000 par le
Tribunal cantonal des assurances du canton du Valais, dans
le litige qui l'oppose à la caisse.

Considérant en droit :

1.- La décision litigieuse n'ayant pas pour objet
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance, le Tribu-
nal fédéral des assurances doit se borner à examiner si les
premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si
les faits pertinents ont été constatés d'une manière mani-
festement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis
au mépris de règles essentielles de procédure (art. 132 en
corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).

2.- Le recourant se plaint tout d'abord d'une viola-
tion de son droit d'être entendu, en faisant valoir que,
sans raison valable, la juridiction cantonale a refusé
d'ordonner les mesures probatoires qu'il a sollicitées et
qu'elle n'a pas donné suite à sa requête de suspension de
la procédure administrative. Il voit également une viola-
tion de son droit d'être entendu dans le fait que les
premiers juges n'auraient pas exposé ou auraient exposé de
manière sommaire les motifs pour lesquels ils ont rejeté sa
requête de suspension de la procédure et ses offres de
preuves.

a) La jurisprudence rendue en application de l'art. 4
aCst., qui garde toute sa valeur sous l'angle de l'art. 29
al. 2 Cst., a notamment déduit du droit d'être entendu le
droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une déci-
sion ne soit prise à son détriment, celui de fournir des

preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de
la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de par-
ticiper à l'administration des preuves, d'en prendre con-
naissance et de se déterminer à leur propos (ATF 124 I 51
consid. 3a, 242 consid. 2, 124 II 137 consid. 2b, 124 V 181
consid. 1a, 375 consid. 3b et les références).
Le droit de faire administrer des preuves n'empêche
pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction si, se
fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves
fournies par les investigations auxquelles elle doit procé-
der d'office (cf. art. 85 al. 2 let. c LAVS), elle est
convaincue que certains faits présentent un degré de vrai-
semblance prépondérante et que d'autres mesures probatoires
ne pourraient plus modifier cette appréciation (apprécia-
tion anticipée des preuves); une telle manière de procéder
ne viole pas le droit d'être entendu selon l'art. 4 al. 1
aCst. (ATF 124 V 94 consid. 4b, 122 V 162 consid. 1d,
119 V 344 consid. 3c et les références).

b) Au sujet des requêtes de suspension de la procédure
administrative et de complément d'instruction qui ont été
présentées par le recourant (interrogatoire de témoins,
aménagement d'une expertise comptable...), les premiers
juges ont considéré ceci :

«certes, il n'est pas exclu que la présente cause
puisse être influencée par l'instruction pénale en cours
(...). Il n'est toutefois pas certain qu'un tel jugement
puisse être rendu dans un avenir prévisible (RCC 1991,
379), de sorte qu'une suspension de la procédure n'est pas
justifiée, d'autant moins que (...) les délais de prescrip-
tion de l'art. 82 al. 1 RAVS ont été respectés par l'admi-
nistration et qu'il n'est dès lors pas nécessaire d'exami-
ner si le délai de prescription de plus longue durée, prévu
par l'art. 82 al. 2 RAVS, est applicable (ATF 113 V 258s.).
Le Tribunal a toutefois pris connaissance du dossier pénal
dont l'instruction est toujours en cours.
Quant au dossier de faillite, son édition n'a pas été
demandée étant donné que la procédure est également en
cours et que certaines pièces de ce dossier ont été dépo-
sées par l'intimé. Les renseignements figurant dans les

dossiers P.________ et M.________ sont d'autre part suf-
fisants à une bonne intelligence de la cause».

c) Il apparaît ainsi que si la juridiction cantonale a
rejeté la demande du recourant de suspendre la procédure
administrative, c'est notamment parce qu'elle a considéré
que l'admission d'une telle requête risquait de prolonger
de manière excessive la durée de la procédure. Calqué sur
les considérants de l'arrêt publié à la RCC 1991 p. 379, ce
motif se révèle toutefois guère convaincant dans le cas
d'espèce, comme le fait valoir le recourant. Alors que dans
l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt précité, l'instruction
du dossier pénal n'avait débuté que lors du dépôt du re-
cours de droit administratif devant le Tribunal fédéral des
assurances, l'ouverture de l'instruction pénale remonte
déjà, dans la présente cause, au mois d'avril 1997, et est
donc antérieure de plus de trois ans au prononcé du juge-
ment entrepris. Les premiers juges ne pouvaient par consé-
quent retenir, sans autre examen, qu'un jugement pénal
n'était pas susceptible d'être rendu dans un délai raison-
nable.
Cela étant, ils étaient tout de même fondés, mais pour
un autre motif, de rejeter la requête de suspension de la
procédure administrative ainsi que les autres offres de
preuves du recourant. En effet, ils pouvaient, au vu des
pièces au dossier et par appréciation anticipée des preu-
ves, s'estimer suffisamment renseignés pour trancher le
litige, comme il sera démontré dans le cadre de l'examen au
fond (infra consid. 3c). Pour ce motif également, la requê-
te tendant à la suspension de la procédure en instance fé-
dérale doit être rejetée (art. 135 OJ appliqué en corréla-
tion avec les art. 40 OJ et 6 al. 1 PCF).

d) Quant aux critiques du recourant tenant au fait que
le jugement attaqué serait insuffisamment motivé au sujet
des raisons qui ont conduit les premiers juges à refuser de

suspendre la procédure ou d'ordonner d'autres mesures pro-
batoires, elles sont infondées. C'est en effet le lieu de
rappeler que le juge des assurances sociales n'a pas
l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits,
moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais
peut se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être
tenus pour pertinents (ATF 124 V 180 consid. 1a p. 181;
121 I 54 consid. 2c p. 57 et les arrêts cités). Or, en
l'espèce, le recourant n'a fourni, en instance cantonale,
aucun élément concret propre à démontrer la pertinence des
mesures probatoires dont il a demandé la mise en oeuvre,
mais s'est au contraire contenté de solliciter celle-ci,
sans autre motif explicatif. C'est d'ailleurs également ce
qu'il fait à nouveau devant la Cour de céans lorsqu'il af-
firme que le dossier pénal constitue «un élément de preuve
important, comme le sera également le jugement pénal final
en lui-même», sans préciser quels faits nouveaux décisifs
pour l'issue du présent litige l'édition de ces pièces
- quand elle sera possible - pourrait, le cas échéant, ré-
véler. Les premiers juges étaient par conséquent en droit
de rejeter au moyen d'une motivation succincte les offres
de preuves du recourant, dont la pertinence n'a été ni
démontrée, ni même rendue vraisemblable.

3.- a) Le jugement entrepris expose correctement les
dispositions légales et la jurisprudence applicables en
matière de responsabilité de l'employeur et des organes de
celui-ci (art. 52 LAVS), de sorte qu'il suffit d'y ren-
voyer.

b) Les premiers juges ont constaté, de manière à lier
la Cour de céans (cf. supra consid. 2), que dès sa fonda-
tion en juin 1994 ou, au plus tard dès 1995, D.________ SA
a connu des difficultés financières qui ont amené
P.________, en sa qualité de président du conseil d'admi-
nistration et de responsable de la gestion de la société, à

prendre la décision de retarder le paiement des cotisations
sociales au profit d'autres créanciers sociaux tels les sa-
lariés ou les fournisseurs. Ils ont également retenu que,
malgré les sacrifices financiers consentis par P.________
(en particulier la renonciation à son salaire), la situa-
tion financière de la société n'a cessé de péricliter en
1995 et en 1996 au point d'entraîner la mise en faillite de
celle-ci en juin 1997. De ces faits, ils ont inféré que
P.________ avait commis une négligence grave, voire une
faute intentionnelle, en décidant de remettre le paiement
des cotisations sociales à des jours meilleurs. Au vu des
circonstances, singulièrement de l'importance des cotisa-
tions sociales en souffrance (1 000 000 fr. au jour de la
faillite), ils ont en effet considéré que le recourant ne
disposait pas de raisons sérieuses lui permettant de pen-
ser, au moment où il a pris la décision de différer le
paiement des cotisations sociales, que les difficultés de
la société n'étaient que passagères et que l'arriéré de
cotisations pourrait être remboursé dans un délai raison-
nable.
Pour l'essentiel, le recourant soutient que la fail-
lite de la société a été causée par un manque soudain et
imprévisible de liquidités, et n'est donc pas à mettre sur
le compte d'un défaut de vigilance de sa part.

c) Il est établi, ainsi qu'on l'a vu, que les cotisa-
tions sociales n'ont plus été régulièrement payées dès
1995, et cela jusqu'à la faillite de la société en juin
1997, soit durant près de deux ans et demi. Cette seule
constatation suffit à se convaincre, au degré de la vrai-
semblance prépondérante, que la faillite de D.________ SA
résulte, ainsi que l'on retenu les premiers juges, de l'en-
dettement croissant de la société dès 1995, et non d'un
manque de liquidités qui aurait été, comme voudrait le
faire admettre le recourant, aussi soudain que passager. Au
reste, les multiples causes que celui-ci met en avant pour

se disculper (mauvaise conjoncture, grosses pertes finan-
cières à la suite de la faillite de plusieurs clients im-
portants, défaillances répétées de M.________...) indiquent
bien que la faillite de la société n'est rien d'autre que
l'aboutissement d'un relativement long et inexorable pro-
cessus d'endettement. En laissant s'accumuler les cotisa-
tions impayées sur une période aussi prolongée, le recou-
rant a donc bel et bien continué l'exploitation d'une
entreprise hasardeuse, financée sans droit, indirectement
et en partie par l'assurance sociale (cf. ATF 108 V 197).
Partant, il répond, en vertu de l'art. 52 LAVS, du dommage
subi par la caisse intimée dans la faillite de la société.
Au demeurant, le recourant ne rend pas vraisemblable,
comme l'exige la jurisprudence pour admettre l'existence
d'un motif excusable, qu'il aurait eu des raisons objecti-
ves et sérieuses de retarder le paiement des cotisations
afin de maintenir la société en vie le temps que celle-ci
se sorte d'une passe délicate. A cet égard, le fait qu'il
ait personnellement consenti de grands sacrifices finan-
ciers (renonciation au salaire, investissements personnels
importants dans la société, cautionnements en faveur de
celle-ci) atteste tout au plus que, subjectivement, il
croyait à la reprise des affaires et au redressement de la
société; ce fait n'établit toutefois en rien qu'il avait,
au moment où il a pris la décision de différer le paiement
des cotisations sociales, des raisons suffisantes de penser

que la société pourrait rembourser celles-ci dans un délai
raisonnable (cf. ATF 108 V 188; RCC 1992 p. 261 con-
sid. 4b). Sa négligence apparaît d'ailleurs d'autant plus
grave que les cotisations n'ont plus été payées durant une
période relativement longue (pour compar. RCC 1996 p. 228
ss).
Le recours est mal fondé.

4.- La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un
litige qui ne porte pas sur l'octroi ou le refus de pres-

tations d'assurance (art. 134 OJ a contrario). Le recou-
rant, qui succombe, supportera les frais de justice
(art. 156 al. 1 OJ). Par ailleurs, il ne saurait, pour la
même raison, prétendre une indemnité de dépens pour l'ins-
tance fédérale (art. 159 al. 1 en corrélation avec
l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est rejeté.

II. Les frais de justice, d'un montant de 8000 fr., sont
mis à la charge du recourant et sont compensés avec
l'avance de frais, d'un même montant, qu'il a effec-
tuée.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tri-
bunal des assurances du canton du Valais et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 13 février 2001

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
p. le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : H.233/00
Date de la décision : 13/02/2001
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-13;h.233.00 ?
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