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12/02/2001 | SUISSE | N°4P.233/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 février 2001, 4P.233/2000


«/2»

4P.233/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Mes Benoît Chappuis et
Gilles Favre, avocats à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 6 septembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la r

ecou-
rante à A.________ S.A., représentée par Me Daniel
Guggenheim,
avocat à Genève;

(arbitraire; droit d'être entendu)
...

«/2»

4P.233/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Mes Benoît Chappuis et
Gilles Favre, avocats à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 6 septembre 2000 par la Chambre civile de
la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante à A.________ S.A., représentée par Me Daniel
Guggenheim,
avocat à Genève;

(arbitraire; droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) B.________ S.A., devenue par la suite
A.________ S.A., pratique le commerce des cigarettes et four-
nit notamment D.________ dont le siège est à Dubai (Emirats
Arabes Unis).

Pour le paiement de la marchandise, D.________ don-
nait un ordre à sa banque, la C.________, à Dubai, qui le
transmettait à sa banque correspondante, la E.________, à
New
York, laquelle créditait un compte du groupe X.________, à
New York, les fonds étant ensuite portés au crédit du compte
courant n° 719.100.82.1 de B.________ S.A. ouvert auprès de
la succursale genevoise de X.________ S.A. Ce compte courant
était soumis aux conditions générales de la banque, qui pré-
voyaient à l'art. 7 ce qui suit:

"Toute réclamation du client relative à l'exécution
ou à l'inexécution d'un ordre ainsi qu'à l'encontre d'autres
communications de la banque doit être présentée à réception
de l'avis correspondant ou au plus tard dans le délai fixé
par la banque (...). Les contestations concernant les
relevés
de compte et de dépôts doivent être présentées dans le délai
d'un mois. Ce délai écoulé, les relevés sont considérés
comme
approuvés. L'approbation expresse ou tacite du relevé de
compte emporte celle de tous les articles qui y figurent ain-
si que des réserves éventuelles de la banque".

L'art. 14 desdites conditions générales déclarait
le droit suisse applicable et fixait le for au siège de la
banque ou au lieu de la succursale traitant avec le client.

B.________ S.A. étant un important client de
X.________ S.A., il avait été convenu qu'elle devait perce-
voir des intérêts sur les montants virés en sa faveur dès
réception des fonds par X.________ à New York. Par le
système
électronique Infaccount, B.________ S.A. pouvait connaître
en
tout temps l'état de son compte et constater instantanément
toute variation.

b) Le 4 juillet 1991, C.________ à Dubai, agissant
sur mandat de D.________, a envoyé à E.________ un ordre
électronique de payer, valeur 5 juillet 1991, 6 600 000 US$
à
X.________ à New York, par le débit du compte de C.________
auprès de E.________. Le même jour, C.________ a fait parve-
nir à X.________ S.A. à Zurich un ordre de transfert télégra-
phique, priant ladite banque de créditer, valeur 5 juillet
1991, le compte de B.________ S.A. à Genève, précisant
"avoir
crédité" du montant en question le compte de X.________ à
New
York, également valeur 5 juillet 1991.

Toujours en date du 4 juillet 1991 - jour férié aux
Etats-Unis d'Amérique -, X.________ S.A., se fiant à l'arri-
vée des fonds à X.________ à New York, a crédité le compte
de
B.________ S.A., valeur 5 juillet 1991, puis a établi et ex-
pédié à B.________ S.A. un avis de crédit ordinaire, sans
condition ni réserve, valeur à la même date.

Le 5 juillet 1991, les avoirs de C.________ ont été
bloqués dans le monde entier, suite au retrait de l'autorisa-
tion de pratiquer accordée à cette banque. E.________ a déci-
dé de ne pas exécuter l'ordre donné par C.________ en faveur
de X.________, alors même que cet ordre était antérieur au
blocage et que le compte de C.________ auprès de E.________
était suffisamment provisionné.

Le 8 juillet 1991, X.________ S.A. a pris connais-
sance de cette situation tout à fait exceptionnelle et a in-
formé par téléphone B.________ S.A. que le crédit devait mal-
heureusement être extourné. Le lendemain, X.________ S.A. a
procédé à l'extourne sur le compte de B.________ S.A.,
valeur
5 juillet 1991.

Le 9 juillet 1991, X.________ S.A. a adressé à
B.________ S.A. un avis de débit portant sur 6 600 000 US$
valeur 5 juillet 1991 avec la mention "extourne de notre
écriture du 5 juillet 1991". Ce débit figure également sur
le
relevé mensuel de compte au 31 juillet 1991 et sur les rele-
vés trimestriels au 30 juin 1991 et au 30 septembre 1991.

Il n'est pas prouvé que B.________ S.A. ait protes-
té ou émis des réserves.

B.________ S.A. s'est employée à soutenir son
client D.________ dans ses tentatives pour obtenir le rem-
boursement de son virement par C.________ ou E.________; un
avocat américain est parvenu à la conclusion qu'il fallait
s'adresser à C.________. Pour obtenir la livraison de
B.________ S.A., D.________ lui a versé à nouveau la somme
de
6 600 000 US$.

D.________ a produit une créance de 6 600 000 US$
dans la liquidation de C.________, recevant des liquidateurs
au total 3 044 537,64 US$.

A la suite d'un avis de droit donné par son actuel
avocat, B.________ S.A. a réclamé à X.________ S.A., par let-
tre du 29 juillet 1997, le remboursement du montant
extourné,
faisant valoir que l'extourne n'était pas justifiée.

B.- Le 9 février 1998, B.________ S.A. a déposé
devant les tribunaux genevois une demande en paiement
dirigée
contre X.________ S.A., concluant au paiement de la somme de
6 600 000 US$. En cours de procédure, les conclusions ont
été
réduites à 3 555 462,36 US$ plus intérêts.

Par jugement du 27 janvier 2000, le Tribunal de
première instance de Genève, après avoir constaté que
B.________ S.A. était devenue A.________ S.A., a débouté
cette dernière de toutes ses conclusions.

Statuant sur appel de la demanderesse par arrêt du
6 septembre 2000, la Chambre civile de la Cour de justice ge-
nevoise a au contraire condamné X.________ S.A. à payer à
A.________ S.A. 3 555 462,36 US$ avec intérêts.

C.- X.________ S.A. saisit le Tribunal fédéral pa-
rallèlement d'un recours de droit public et d'un recours en
réforme. Dans le recours de droit public, invoquant l'inter-
diction de l'arbitraire et le droit d'être entendu, elle con-
clut à l'annulation de la décision attaquée.

L'intimée conclut au rejet du recours, alors que
l'autorité cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Selon la règle générale de l'art. 57 al. 5
OJ, le recours de droit public sera examiné en premier lieu.

b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan f-
édéral ou cantonal dans la mesure où la recourante invoque
la
violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de sor-
te que la règle de la subsidiarité du recours de droit
public

est respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche,
si
la recourante soulève une question relevant de l'application
du droit fédéral, le grief n'est pas recevable, parce qu'il
pouvait faire l'objet d'un recours en réforme (art. 43 al. 1
et 84 al. 2 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui la condamne à paiement, de sorte
qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement pro-
tégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en
violation
de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a quali-
té pour recourir (art. 88 OJ).

c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b et les
références; cf. également ATF 110 Ia 1 consid. 2a).

2.- a) La recourante invoque tout d'abord l'inter-
diction de l'arbitraire, découlant de l'art. 9 Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou enco-
re lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la
justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée
pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 I 168 con-
sid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129
consid. 5b).

b) aa) La recourante reproche à la cour cantonale
d'avoir retenu arbitrairement "que les fonds seraient
arrivés
auprès de X.________ à New York".

Dans les passages invoqués par la recourante, la
cour cantonale se réfère manifestement à la succession de vi-
rements qui était prévue, mais sans prendre position sur le
stade où l'opération s'est effectivement arrêtée. Dans le
premier passage cité, la cour cantonale se borne à évoquer
la
série de virements habituellement suivie. Dans le deuxième
et
troisième passage, elle indique que la défenderesse "se
fiait" à l'arrivée des fonds, c'est-à-dire pensait qu'ils
suivraient le cheminement ordinaire. Le quatrième passage se
réfère également au processus habituellement suivi. On ne
peut donc pas en déduire - contrairement à ce que soutient
la
recourante - que l'autorité cantonale aurait admis que
X.________ à New York aurait été titulaire d'une créance, ce
qui rendrait d'ailleurs le litige, tel qu'il est décrit, par-
faitement incompréhensible. La recourante procède manifeste-
ment à une mauvaise interprétation de l'arrêt attaqué. Dès
lors que la cour cantonale n'a pas fait les constatations
que
lui reproche la recourante, ce premier grief est dépourvu de
tout fondement.

bb) La recourante reproche à la Cour de justice
d'avoir écarté arbitrairement certains faits constatés dans
le jugement de première instance.

Il perd cependant de vue que l'arrêt cantonal com-
mence par les mots suivants: "la Cour se réfère aux faits ex-
posés par le Tribunal de première instance dans son jugement
du 27 janvier 2000 (ATF 119 II 478 consid. 1d = JT 1995 I
19;
ATF 90 II 210 consid. 2; SJ 1969 p. 45), dont les plus impor-
tants peuvent être résumés, complétés et rectifiés comme
suit". Il en résulte que les magistrats genevois ont adopté
l'état de fait contenu dans le jugement de première
instance,

qui doit être considéré comme une partie intégrante de l'ar-
rêt déféré. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours en réforme, est lié non seulement par les constata-
tions de fait contenues dans l'arrêt attaqué, mais également
par les constatations de l'autorité inférieure auxquelles la
cour cantonale renvoie (Corboz, Le recours en réforme au Tri-
bunal fédéral in: SJ 2000 II p. 61; Messmer/Imboden, Die eid-
genössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 128 n° 93). Les
faits invoqués par la recourante n'ont donc pas été écartés
par la cour cantonale, mais au contraire incorporés à sa dé-
cision par renvoi. Le grief est dépourvu de tout fondement.

Certes, la formule employée par la cour cantonale
réserve la possibilité d'une rectification. La recourante ne
prétend cependant pas que l'état de fait contenu dans
l'arrêt
attaqué modifierait, sur l'un ou l'autre des points qu'il ci-
te, le jugement de première instance, de sorte qu'il n'y a
pas lieu d'examiner la question sous cet angle (art. 90 al.
1
let. b OJ).

3.- a) La recourante invoque également une viola-
tion du droit d'être entendu, tel qu'il découle de l'art. 29
Cst. Plus précisément, elle se plaint d'une violation de son
droit à une décision motivée.

La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu
l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin
que
le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement
s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer
son
contrôle (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa, 97 consid. 2b; 125 II
369 consid. 2c; 124 II 146 consid. 2a). Il y a également vio-
lation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait
pas
à son devoir minimum d'examiner et traiter les problèmes per-
tinents (ATF 126 I 97 consid. 2b; 124 II 146 consid. 2a; 122
IV 8 consid. 2c).

b) En l'espèce, la recourante reproche à la cour
cantonale de ne pas avoir examiné son argument selon lequel
l'avis de crédit était affecté d'une erreur essentielle, la
défenderesse croyant que les virements étaient déjà parvenus
à X.________ à New York.

L'argumentation contenue dans l'arrêt attaqué est
suffisante pour comprendre les raisons qui ont guidé la déci-
sion et pour permettre à la recourante de l'attaquer utile-
ment. La cour cantonale a exprimé en détail l'opinion que la
recourante, en portant une créance dans le compte de l'inti-
mée, a accepté l'assignation et donné naissance à une
créance
abstraite, lui interdisant de se prévaloir d'une absence de
couverture. On en déduit - d'une manière peut-être
implicite,
mais suffisamment claire - que la défenderesse ne pouvait
pas
se prévaloir d'une erreur de sa part sur l'existence ou non
de la couverture. La question de l'erreur se trouve ainsi
tranchée et il n'y a pas de place pour une
violation du
droit
d'être entendu.

Certes, on peut se demander si l'opinion de la cour
cantonale est fondée, mais cette question relève du droit fé-
déral et ne peut donc être examinée ici, en raison de la
subsidiarité du recours de droit public par rapport au re-
cours en réforme (art 84 al. 2 et 43 al. 1 OJ).

4.- Le recours doit être rejeté. Vu l'issue du
litige, les frais et dépens de la procédure fédérale doivent
être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 18 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

___________

Lausanne, le 12 février 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.233/2000
Date de la décision : 12/02/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-12;4p.233.2000 ?
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