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07/02/2001 | SUISSE | N°4C.352/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 février 2001, 4C.352/2000


«/2»
4C.352/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

7 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz, juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

P a s c h u s a C o r p . S.A., à Panama City (République
de Panama), demanderesse et recourante, représentée par Me
Carlo Lombardini, avocat à Genève,

et

A B N A m r o B a n k ( S u i s s e ) S.A., à Genève,
déf

enderesse et intimée, représentée par Me Pierre Gillioz,
avocat à Genève;

(interprétation d'une clause contractuelle)

...

«/2»
4C.352/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

7 février 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz, juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

P a s c h u s a C o r p . S.A., à Panama City (République
de Panama), demanderesse et recourante, représentée par Me
Carlo Lombardini, avocat à Genève,

et

A B N A m r o B a n k ( S u i s s e ) S.A., à Genève,
défenderesse et intimée, représentée par Me Pierre Gillioz,
avocat à Genève;

(interprétation d'une clause contractuelle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 1er novembre 1982, R.________ (ci-après: le
client) a ouvert un compte auprès d'ABN Amro Bank (Suisse)
S.A. (ci-après: la banque), succursale de Genève. Le client
n'a pas confié de mandat de gestion à la banque. Il procé-
dait à des opérations de spéculation sur les marchés des
changes, en particulier sur le dollar américain. Il avait
acquis une grande expérience de ces marchés et donnait à la
banque des instructions précises, que celle-ci exécutait.

Par acte daté du 18 avril 1994 et signé par les deux
parties, la banque a octroyé à son client "une facilité de
crédit" d'un montant maximum de 16 900 000 US$, prêt garan-
ti par les avoirs du client auprès de la banque. L'acte du
18 avril 1994 prévoit que les avoirs en couverture doivent
fournir en tout temps une marge de sécurité minimum de 10%
pour les opérations de change à terme et pour les ventes à
découvert d'options sur devises. Il contient la clause sui-
vante: "En cas d'insuffisance de couverture non remédiée
dans un délai de deux jours ouvrables, la banque se réser-
ve le droit de clôturer les contrats existants avant leur
échéance, à sa seule appréciation et sans notification
préalable au client".

En mars 1995, le client, qui spéculait sur une hausse
du dollar, a subi les effets de la baisse du cours de cette
monnaie. La banque lui a demandé d'augmenter ses avoirs. Le
client s'est rendu dans les locaux de la banque, à Genève,
une première fois le 15 mars 1995. Le 17 mars 1995, il a de-
mandé à deux autres banques, à savoir la Republic National
Bank et l'Union Bancaire Privée, de transférer ses avoirs
auprès d'ABN. Il s'est rendu une seconde fois à la banque le
28 mars 1995. Il était par ailleurs en relation téléphonique

constante avec les gestionnaires responsables. Selon le té-
moin Niederberger, les fonds apportés étaient insuffisants
pour reconstituer la marge; la banque a conseillé à son
client d'apporter des fonds supplémentaires ou de résilier
des contrats en cours; le client tenait cependant à garder
ses positions; toujours selon le témoin, un employé de la
banque passait des heures au téléphone avec celui-ci pour
essayer de suggérer des solutions; le dollar américain con-
tinuait de baisser, ce qui représentait des pertes très im-
portantes pouvant aller jusqu'à 500 000 fr. par heure.

Le 31 mars 1995, la banque a pris la décision de li-
quider les positions du client, considérant que la marge
n'était plus couverte.

Par la suite, les relations entre la banque et le
client se sont poursuivies, mais le client a estimé qu'il
avait droit à une indemnisation.

Le 1er mars 1997, le client a cédé à Paschusa Corp.
S.A., société anonyme de la République de Panama, tous ses
droits de demander des dommages-intérêts à la banque.

B.- Le 16 avril 1997, Paschusa Corp. S.A. a déposé de-
vant les tribunaux genevois une demande en dommages-intérêts
dirigée contre la banque, réclamant à cette dernière la som-
me de 12 599 407 fr. avec intérêts.

Par jugement du 2 novembre 1998, le Tribunal de pre-
mière instance du canton de Genève a débouté Paschusa Corp.
S.A. de toutes ses conclusions.

Statuant sur appel de la demanderesse le 6 octobre
2000, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a
confirmé le jugement du 2 novembre 1998.

C.- Paschusa Corp. S.A. recourt en réforme au Tribunal
fédéral. Invoquant une mauvaise interprétation de la clause
contractuelle reproduite intégralement ci-dessus, elle con-
clut à l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice et au
renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle dé-
cision.

La défenderesse invite le Tribunal fédéral à rejeter le
recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans ses
conclusions en paiement et dirigé contre un jugement final
rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supé-
rieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a
été déposé en temps utile (art. 54 al. 1, 32 al. 2 OJ; art.
1 de la loi fédérale sur la supputation des délais compre-
nant un samedi) dans les formes requises (art. 55 OJ).

S'agissant d'un recours en réforme (et non d'un recours
cassatoire), le recourant devrait en principe prendre des
conclusions sur le fond; il en est toutefois dispensé lors-
que le Tribunal fédéral, dans l'hypothèse où il admettrait
le recours, ne serait de toute manière pas en mesure de sta-
tuer lui-même et ne pourrait que renvoyer la cause à la cour
cantonale (ATF 125 III 412 consid. 1b; 106 II 201 consid.
1). Cette condition est remplie en l'espèce, puisqu'il fau-
drait préalablement établir la quotité du dommage; le re-
cours est donc recevable quand bien même la recourante s'est
bornée à conclure à l'annulation de la décision attaquée et
au renvoi de la cause à l'autorité cantonale.

b) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations
reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ)
ou qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126
III 59 consid. 2a; 119 II 353 consid. 5c/aa; 117 II 256 con-
sid. 2a). Dans la mesure où une partie recourante présente-
rait un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la
décision attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une
des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas
possible d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.- En l'espèce, la recourante se plaint exclusivement
d'une violation de l'art. 18 CO, soit plus précisément d'une
mauvaise interprétation de la clause contractuelle autori-
sant la banque à liquider les positions du client en cas de
marge insuffisante.

En présence d'un litige sur l'interprétation d'une
clause contractuelle, le juge doit tout d'abord s'efforcer
de déterminer la commune et réelle intention des parties
(art. 18 al. 1 CO); s'il y parvient, il s'agit d'une cons-
tatation de fait qui ne peut être remise en cause dans un
recours en réforme (ATF 125 III 305 consid. 2b; 118 II 365
consid. 1; 107 II 430 consid. 2).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être éta-
blie, le juge doit interpréter les déclarations faites selon
la théorie de la confiance; il s'agit là d'une question de
droit que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réfor-

me, peut revoir librement (ATF 126 III 59 consid. 5b; 125
III 305 consid. 2b; 124 III 363 consid. 5a; 123 III 165
consid. 3a; 121 III 414 consid. 2a).

En l'espèce, la cour cantonale n'a manifestement pas
déterminé la volonté réelle des parties quant à la clause
litigieuse. Il faut donc procéder à une interprétation selon
le principe de la confiance, ce qui constitue une question
de droit qui peut être examinée librement dans un recours en
réforme.

Selon le principe de la confiance, une déclaration doit
être interprétée dans le sens que son destinataire pouvait
et devait lui donner de bonne foi en fonction de l'ensemble
des circonstances (ATF 126 III 59 consid. 5b). Les circons-
tances relèvent cependant des constatations de fait qui
lient le Tribunal fédéral (ATF 124 III 363 consid. 5a; 123
III 165 consid. 3a).

Il est constant que la clause litigieuse permet à la
banque de liquider les positions sans l'accord du client.

Le litige porte sur les conditions qui confèrent à la
banque un tel pouvoir.

Il ressort clairement de la clause litigieuse - ce qui
n'est pas contesté - qu'il faut tout d'abord une insuffisan-
ce de couverture. Il a été constaté de manière à lier le
Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) que les parties sont
convenues d'une marge de sécurité de 10%. Procédant à une
appréciation des preuves, la cour cantonale a retenu que,
quel que soit le mode de calcul, la marge n'était manifes-
tement plus couverte dès le 16 mars 1995 (arrêt attaqué
p. 16). L'appréciation des preuves et les constatations de
fait qui en découlent - dès lors que la question n'est pas
régie par le droit fédéral - ne peuvent donner lieu à un

recours en réforme (ATF 125 III 78 consid. 3a; 122 III 26
consid. 4a/aa; 122 III 61 consid. 2c/cc; 122 III 73 consid.
6b/bb). Déterminer la valeur d'un bien est une question de
fait (ATF 120 II 260 consid. 2a), de sorte que les constata-
tions opérées à ce sujet ne peuvent être remises en cause
(art. 63 al. 2 OJ). La première condition posée par la clau-
se litigieuse était donc réalisée.

Il faut encore, selon le texte clair de la clause, que
le client ne remédie pas à l'insuffisance de couverture pen-
dant un délai de deux jours ouvrables. Il s'agit ici de dé-
terminer comment le client, qui a accepté cette clause, pou-
vait la comprendre de bonne foi. Il est manifeste qu'il doit
pouvoir disposer de deux jours pour remédier à la situation;
ce délai ne lui est cependant utile que pour autant qu'il
ait la possibilité de connaître la situation d'insuffisance
de couverture. La cour cantonale, interprétant la clause
litigieuse, a admis que le client, pour pouvoir remédier à
l'insuffisance de couverture dans le délai de deux jours
prévu, devait être informé de l'existence de celle-ci (arrêt
attaqué p. 17). On ne voit pas en quoi cette interprétation
violerait le principe de la confiance découlant de l'art. 18
al. 1 CO. Procédant à une appréciation des preuves, la cour
cantonale a retenu qu'au moment de la liquidation, le 31
mars 1995, le client était au courant de l'insuffisance de
couverture depuis deux jours au moins (arrêt attaqué p. 18).
Comme on vient de le voir, l'appréciation des preuves ne
peut être remise en cause dans un recours en réforme. Déter-
miner ce qu'une personne savait ou ignorait à un moment don-
né relève des constatations de fait qui lient le Tribunal
fédéral (ATF 124 III 182 consid. 3). La deuxième condition
est donc également remplie.

Dès lors que le client savait que la couverture était
insuffisante et qu'il devait connaître le contenu de la
clause contractuelle, il lui appartenait évidemment de pren-

dre les mesures nécessaires pour rétablir la marge. Il n'est
pas contesté qu'il ne l'a pas fait dans les deux jours qui
ont précédé la liquidation. Cette question relève d'ailleurs
également des constatations de fait.

Il en résulte, selon la clause litigieuse, que la ban-
que pouvait liquider les positions "avant leur échéance, à
sa seule appréciation et sans notification préalable au
client". Il est donc manifeste que la banque n'avait pas
à procéder à une mise en demeure, à accorder un autre délai
ou à donner un avis préalable.

En considérant que la banque avait correctement appli-
qué la clause contractuelle, on ne voit pas que la cour can-
tonale ait interprété celle-ci d'une manière contraire au
principe de la confiance, c'est-à-dire en violant l'art. 18
al. 1 CO.

La recourante reproche en définitive à la banque de ne
pas avoir indiqué préalablement au client le montant exact
qu'il fallait apporter. Cette argumentation confine à la
mauvaise foi. Tout d'abord, il faut observer qu'une mention
formelle de ce chiffre n'est pas exigée par la clause con-
tractuelle. Ensuite, il résulte des constatations cantonales
que le client avait de longues conversations téléphoniques,
chaque jour, avec les représentants de la banque. Il est
évident que le découvert variait constamment en fonction
de l'évolution des cours. Si le client voulait connaître le
montant dont la banque se satisferait, il lui suffisait de
poser la question par téléphone. La banque aurait pu répon-
dre facilement, puisqu'elle déterminait régulièrement l'état
de la marge dans cette affaire. Il n'est pas établi dans la
décision attaquée que le client aurait demandé le montant
à verser et que la banque aurait refusé de le renseigner.
Cette hypothèse invraisemblable, dès lors qu'elle ne trouve
aucun point d'appui dans les constatations cantonales, ne

peut être prise en compte ici. Il résulte au contraire de
l'état de fait cantonal que le client avait fourni les ap-
ports qui lui étaient possibles, mais que ceux-ci étaient
insuffisants et qu'il ne voulait pas liquider ses positions
en s'obstinant à espérer un renversement de tendance; l'in-
téressé n'a rien entrepris de sérieux pour reconstituer la
marge et il ne ressort pas des constatations cantonales que
sa carence soit imputable à un défaut d'information de la
part de la banque.

Sur la base de l'état de fait qui lie le Tribunal fédé-
ral, on ne voit pas en quoi la cour cantonale aurait mal in-
terprété la clause litigieuse ou, de toute
autre manière,
violé le droit fédéral.

3.- Les frais et dépens doivent être mis à la charge de
la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 18 000 fr. à la char-
ge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une indem-
nité de 20 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice ge-
nevoise.

______________

Lausanne, le 7 février 2001
MMH/mnv

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.352/2000
Date de la décision : 07/02/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-07;4c.352.2000 ?
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