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01/02/2001 | SUISSE | N°6S.443/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 février 2001, 6S.443/2000


«/2»
6S.443/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

1er février 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

A.________, représenté par Me Yves Burnand, avocat à
Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 15 mai 2000 par la Cour de cassation
pénale du Tribun

al cantonal vaudois dans la cause qui
oppose le recourant au Ministère public du canton de
V a u d;

(abus de confiance...

«/2»
6S.443/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

1er février 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

A.________, représenté par Me Yves Burnand, avocat à
Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 15 mai 2000 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois dans la cause qui
oppose le recourant au Ministère public du canton de
V a u d;

(abus de confiance; prescription)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 16 novembre 1999, le
Tribunal correctionnel du district d'Aigle a condamné
A.________, pour abus de confiance (art. 140 ch. 1 al. 2
aCP) et complicité de faux dans les titres commis dans
l'exercice de fonctions publiques (art. 317 CP), à la
peine de 2 ans d'emprisonnement, le libérant en revanche
des chefs d'accusation d'abus de confiance qualifié, de
faux dans les titres et d'obtention frauduleuse d'une
constatation fausse. Il a par ailleurs condamné un
coaccusé, B.________, pour des infractions similaires,
statuant en outre sur le sort d'avoirs séquestrés, sur
des conclusions civiles et sur les frais.

B.- La condamnation de A.________ pour abus de
confiance repose, en résumé, sur les faits suivants.

a) Né en 1931, A.________, après avoir exercé
diverses activités, a ouvert un bureau de gérance immobi-
lière à Aigle. Dès 1984, il s'est consacré exclusivement
au courtage immobilier.

En mai 1987, il s'est associé avec B.________,
architecte, et feu C.________, notaire bien implanté de
la place, pour constituer une société simple, en vue
d'une importante promotion immobilière sur une parcelle
d'Ormont-Dessous, où se trouvait un hôtel voué à la
démolition. Souscrit le 15 mai 1987, le contrat de so-
ciété simple conférait notamment à A.________ le pouvoir
de gérer le compte bancaire de la promotion, ouvert
auprès de la Banque vaudoise de crédit, d'arrêter les
prix de vente, de signer les actes de vente et les actes

administratifs nécessaires à la réalisation du but de la
société et de signer et avaliser les plans et documents à
établir par l'architecte B.________. La vente immobilière
a été instrumentée le même jour par le notaire
C.________, A.________ devenant propriétaire de l'im-
meuble.

b) Le 4 mars 1988, A.________ et ses deux
associés se sont vus accorder par la Banque vaudoise de
crédit un prêt de 10'500'000 fr., sous la forme d'un cré-
dit de construction "exploitable au fur et à mesure de
l'avancement des travaux et sur le vu de bons signés par
l'architecte et visés par les propriétaires". Comme
A.________ était au bénéfice d'une procuration lui
permettant d'exploiter le crédit de construction et qu'il
était également le propriétaire formel de l'immeuble
ainsi que le maître de l'ouvrage, la banque n'a rien
objecté au fait qu'il utilise le crédit de construction à
la manière d'un compte courant, donc sous son seul nom et
sans présentation de bons d'architecte. C'est dans ces
conditions que, de novembre 1988 à mai 1991, A.________ a
débité, à l'insu des autres sociétaires, un montant total
de 1'640'008 fr. du crédit précité, qu'il a affecté à
l'achat de bijoux et d'une villa pour sa maîtresse, à
l'aménagement de cette villa ainsi qu'au financement d'un
salon de beauté déficitaire.

De mars 1989 à octobre 1990, A.________, avec
B.________, a en outre débité, à l'insu de C.________, le
compte crédit de construction d'un montant de 20'680 fr.,
qui a été utilisé pour financer des sorties nocturnes
sans rapport avec le projet immobilier. Il a encore
retiré, sans quittance et à l'insu de C.________, une
somme de 31'300 fr. que B.________ avait reçue, en dehors
de son mandat d'architecte, entre décembre 1989 et avril
1990.

c) Lié par une amitié ancienne à A.________,
D.________ lui a confié, le 8 janvier 1988, 87'000 fr.
pour "être conservés chez lui ou pour placement éventuel
selon possibilités". Le 19 juin 1990, D.________, qui
comptait s'installer en Thaïlande, a confié un mandat et
une procuration plus larges à A.________, l'autorisant à
traiter, avec toutes les instances communales et can-
tonales, les affaires pouvant concerner D.________, ainsi
qu'à retirer tous mandats postaux adressés à ce dernier.
A.________ a payé les factures de D.________ et lui a
rétrocédé le solde de l'argent, utilisant toutefois une
partie des fonds pour sa satisfaction personnelle. Le 30
décembre 1992, il a débité le compte de D.________ d'une
somme de 7'000 fr., qu'il s'est attribuée. Il a admis
avoir prélevé et déposé sur son compte personnel auprès
de l'UBS un montant de 70'270 fr. provenant des avoirs de
son mandant.

d) De fin 1988 au milieu de l'année 1992, alors
qu'ils étaient respectivement administrateur et président
de la société E.________ SA, A.________ et B.________ ont
exploité leur position pour puiser régulièrement dans les
comptes de la société ouverts auprès de la Banque vau-
doise de crédit afin de financer des sorties nocturnes
sans rapport avec leur mandat. Ils ont pu agir à l'insu
du conseil d'administration, en répartissant leurs pré-
lèvements dans des comptes de charges. Le montant total
des détournements a été évalué à quelques 60'000 francs.

En 1990, A.________ et B.________ ont en outre
retiré 30'000 fr. du compte de la société à titre d'hono-
raires de surveillances de chantier. Ils se sont répartis
la somme à concurrence de 20'000 fr. pour A.________ et
de 10'000 fr. pour B.________. Ces montants n'ont en
réalité aucunement profité à la société anonyme.

e) Dès 1985, F.________ et G.________, employés
au cabaret H.________ à Monthey, ont fait la connaissance
de A.________, qui fréquentait régulièrement l'établisse-
ment. En 1991, les deux employés ont acquis le cabaret.
A.________ a mené les tractations avec la Banque vaudoise
de crédit en vue d'obtenir les crédits nécessaires. Les
nouveaux propriétaires de l'établissement lui ont alors
confié un mandat de gestion pour la rénovation de l'im-
meuble ainsi que pour la comptabilité. A.________ s'est
vu conférer la signature individuelle sur le compte com-
mercial ouvert auprès de la Banque vaudoise de crédit,
avec une limite de crédit arrêtée à 1'100'000 francs. Il
a abusé de son mandat pour détourner environ 98'000 fr.
entre mai 1991 et décembre 1992.

f) En 1991, les époux I.________, avec lesquels
A.________ s'était lié d'amitié, ont vendu quatre caba-
rets dont ils étaient propriétaires, retirant de l'opé-
ration un bénéfice de 6'000'000 fr., qui a été réparti
sur différents comptes ouverts auprès de la Banque vau-
doise de crédit au nom de l'épouse. Le 9 juillet 1991,
peu avant le décès de son mari, celle-ci a rédigé une
procuration générale en faveur de A.________, par la-
quelle elle conférait à ce dernier le pouvoir d'agir en
toutes circonstances et en tous lieux au mieux de ses
intérêts, en la représentant devant toutes autorités,
administrations, régies immobilières ou autres, en gérant
et administrant tous ses biens tant mobiliers qu'immobi-
liers et en prenant toutes les décisions utiles. Après le
décès de son mari, elle a confirmé, le 6 août 1991, les
pouvoirs ainsi conférés.

A.________ a débité abusivement les comptes
bancaires de sa mandante, soit en opérant des prélève-
ments directs, soit en faisant bonifier des sommes sur
son compte personnel auprès de l'UBS. Il a en outre fait

verser sur ce compte les indemnités, représentant une
somme totale d'environ 1'000'000 fr., allouées par deux
assurances ensuite du décès de Monsieur I.________.
A.________ a ainsi détourné au total quelques 1'732'961
francs. Il a affecté 1'000'000 fr. à une promotion immo-
bilière pour le compte d'une tierce personne, dont il ré-
pondait en qualité de codébiteur solidaire, a utilisé
380'000 fr. pour combler des retraits abusifs sur le
compte du crédit de construction du projet
d'Ormont-Dessous, a financé à concurrence de 64'331 fr.
le train de vie de sa maîtresse et a utilisé le solde
pour lui-même.

g) Considérant que l'accusé, soit parce qu'il
n'avait pas de pouvoir décisionnel entier, soit parce
qu'il n'avait pas été prévu qu'il soit rémunéré pour ses
services, n'avait agi dans aucun des cas en tant que
gérant de fortune, le tribunal a estimé que l'abus de
confiance qualifié ne pouvait être retenu.

Le tribunal a par ailleurs constaté que les
divers abus de confiance avaient tous été commis avant
l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1995, du nouvel
article 138 CP; il a observé que le nouveau droit érige
l'abus de confiance simple en crime, alors qu'il s'agis-
sait d'un délit selon l'ancien droit; il en a déduit que
l'art. 140 aCP était applicable, parce que plus favorable
à l'accusé en ce qui concerne la prescription.

Examinant la question de la prescription, le tri-
bunal a considéré que les actes de l'accusé constituaient
une entité sous l'angle de la prescription; l'art. 71
al. 2 CP était donc applicable; comme les derniers actes
commis par l'accusé remontaient au 31 décembre 1992, la
prescription absolue n'était pas encore acquise au moment
du jugement.

C.- Par arrêt du 15 mai 2000, la Cour de cassa-
tion pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le re-
cours formé par A.________ contre ce jugement. Elle a
notamment considéré qu'aucun des abus de confiance repro-
chés à l'accusé n'était atteint par la prescription abso-
lue au moment où elle statuait.

D.- A.________ se pourvoit en nullité au Tri-
bunal fédéral, par le dépôt d'un mémoire motivé et d'un
mémoire complémentaire déposés en temps utile. Soutenant
que la quasi totalité des abus de confiance retenus sont
prescrits, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué,
sollicitant par ailleurs l'assistance judiciaire et
l'effet suspensif. Ce dernier a été accordé
superprovisoirement le 5 juillet 2000.

La cour cantonale se réfère à son arrêt.

Le Ministère public conclut au rejet du pourvoi.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Invoquant une violation de l'art. 71 al. 2
CP en relation avec l'art. 140 ch. 1 aCP, le recourant
fait valoir que, sous réserve de celui qui a été commis
au préjudice de D.________ le 30 décembre 1992, tous les
abus de confiance qui lui sont reprochés sont absolument
prescrits.

a) Les abus de confiance simples reprochés au
recourant, dont le dernier remonte au 31 décembre 1992,
ont tous été commis avant l'entrée en vigueur, le

1er janvier 1995, du nouvel art. 138 ch. 1 CP et du
nouvel art. 70 al. 2 CP. L'ancien droit, sous l'angle
de la prescription, étant plus favorable au recourant
(cf. art. 2 al. 2 et art. 337 CP; ATF 124 IV 5 consid. 2a
p. 6), il a été admis à juste titre qu'il est applicable.

b) Conformément à l'art. 71 al. 2 CP, si le dé-
linquant a exercé son activité coupable à plusieurs re-
prises, la prescription court du jour du dernier acte.

Pour déterminer si plusieurs infractions doivent
être considérées comme une entité au sens de l'art. 71
al. 2 CP, c'est-à-dire comme une activité globale pour
laquelle le délai de prescription commence à courir du
jour où le dernier acte a été commis, l'ancienne juris-
prudence se fondait sur la notion de délit successif,
mais aussi de délit par métier; plusieurs infractions de
même nature étaient considérées comme une entité juri-
dique, si elles lésaient le même bien juridiquement pro-
tégé et procédaient d'une intention unique. La notion de
délit successif a toutefois été abandonnée dans l'ATF 117
IV 408; désormais, savoir si et à quelles conditions une
pluralité d'infractions doit être réunie en une entité
juridique au regard de l'art. 71 al. 2 CP doit être
tranché exclusivement en fonction de critères objectifs;
le critère subjectif de l'intention unique n'entre plus
en considération; plusieurs infractions doivent être con-
sidérées comme une entité au sens de l'art. 71 al. 2 CP,
si elles sont identiques ou analogues, si elles ont été
commises au préjudice du même bien juridiquement protégé
et si elles procèdent d'un comportement durablement con-
traire à un devoir permanent de l'auteur (andauerndes
pflichtwidriges Verhalten), sans que l'on soit toute-
fois en présence d'un délit continu au sens de l'art. 71
al. 3 CP; la question de savoir si cette condition est
réalisée ne peut être définie exhaustivement en une for-

mule abstraite; elle doit être tranchée en fonction du
cas concret, en tenant compte du sens et du but de la
prescription ainsi que des circonstances de l'état de
fait du cas d'espèce; dans tous les cas, il faut que
l'infraction en cause implique, expressément ou par son
but, la violation durable d'un devoir permanent (ATF 126
IV 141 consid. 1a p. 142 s.; 124 IV 5 consid. 2b p. 7 et
les arrêts cités).

L'existence d'une unité du point de vue de la
prescription ne doit être admise que restrictivement,
pour éviter de réintroduire sous une autre forme la
notion de délit successif (ATF 124 IV 59 consid. 3b/aa
p. 61). Le Tribunal fédéral a notamment admis la réunion
de plusieurs infractions en une seule entité sous l'angle
de la prescription en cas de gestion déloyale, de viola-
tion d'une obligation d'entretien, d'infractions répétées
à la loi sur les douanes ou encore d'actes d'ordre sexuel
avec des enfants commis sur les mêmes élèves par un
maître d'école primaire (ATF 124 IV 5 consid. 2b p. 8, 59
consid. 3b/aa p. 61 et les arrêts cités); récemment, il a
également admis qu'une unité du point de vue de la pres-

cription pouvait se présenter en cas de corruption au
sens de l'art. 288 CP (ATF 126 IV 141 consid. 1b et c
p. 143 s.). Il l'a en revanche nié en cas d'acceptation
d'un avantage et en cas d'atteinte à l'honneur (ATF 124
IV 5 consid. 2b p. 8, 59 consid. 3b/aa p. 61 et les ar-
rêts cités); il a aussi nié que plusieurs escroqueries
constituent une unité sous l'angle de la prescription,
même si l'auteur a agi par métier, car la condition d'un
comportement durablement contraire à un devoir permanent
de l'auteur fait défaut en cas d'escroquerie, dont les
éléments constitutifs objectifs n'impliquent pas l'exis-
tence d'un tel comportement (ATF 124 IV 59 consid. 3b
p. 60 s.).

En ce qui concerne l'abus de confiance, le Tribu-
nal fédéral a notamment été amené à examiner la question
dans l'ATF 124 IV 5 ss, où il a admis que plusieurs abus
de confiance formaient une unité du point de vue de la
prescription dans le cas d'un responsable financier qui
avait détourné à des intervalles réguliers pendant une
longue durée des sommes d'argent qui lui avaient été
confiées par son employeur pour qu'il les gère (ATF 124
IV 5 consid. 3a p. 8). Antérieurement, il l'avait égale-
ment admis dans un arrêt non publié 6S.201/1994 du 9 juin
1994, soit celui auquel se réfère la cour cantonale à la
page 29 let. c de son arrêt, s'agissant de divers abus de
confiance liés à des préfinancements; dans ce cas, l'au-
teur s'était attribué des sommes d'argent destinées à des
sociétés qu'il administrait; or, en sa qualité d'adminis-
trateur, il avait une obligation générale et permanente
d'appliquer toute la diligence nécessaire à la gestion
des affaires sociales, en vertu de l'art. 722 aCO qui
était applicable dans le cas particulier, de sorte qu'il
était tenu de veiller constamment aux intérêts des socié-
tés qu'il administrait (arrêt 6S.201/1994 consid. 3b).

c) Il est établi en fait que le recourant a com-
mis plusieurs séries d'abus de confiance. Dans le cadre
de la promotion immobilière d'Ormont-Dessous, profitant
notamment d'une procuration qui lui avait été confiée, il
a détourné, en plusieurs fois, un montant total de plus
de 1'600'000 fr. entre novembre 1988 et mai 1991, agis-
sant parfois de connivence avec B.________, mais toujours
à l'insu de C.________. Dans le cadre du mandat que lui
avait confié un ami, D.________, il a détourné à son
profit une partie des avoirs que celui-ci lui avait con-
fiés en 1988, le dernier acte délictueux remontant au 30
décembre 1992. En tant qu'administrateur de la société
E.________ SA, dont B.________ était le président, il a,
avec ce dernier, détourné, en plusieurs fois, quelques
90'000 fr. au total entre la fin 1988 et le milieu de
l'année 1992, à l'insu du conseil d'administration. Entre
mai 1991 et décembre 1992, il a détourné une partie de
l'argent qui lui avait été confié pour la rénovation du
cabaret "H.________", s'appropriant ainsi quelques 98'000
fr. au préjudice des propriétaires, F.________ et
G.________. Enfin, entre octobre 1991 et juillet 1992, il
a détourné un montant total de plus de 1'700'000 fr. au
préjudice de dame I.________ dans le cadre du mandat que
celle-ci lui avait confié. Dans chacun de ces cinq cas,
le recourant a agi en plusieurs fois, détournant au total
plus de 3.500.000 fr.; il a toujours utilisé cet argent
en sa faveur ou en faveur de tiers, notamment de sa
maîtresse.

d) Dans le cas de la promotion immobilière
d'Ormont-Dessous (cf. supra, let. B/b), le recourant a
toujours agi de la même manière, en profitant de la
procuration qui lui avait été confiée et des fonctions
qu'il occupait dans le cadre du projet immobilier, pour
détourner des montants. Par le contrat de société simple
conclu le 15 mai 1997, les associés du recourant lui
avaient confié la gestion du compte bancaire de la pro-
motion immobilière, de sorte qu'il pouvait disposer de ce
compte, mais uniquement dans le but de régler les travaux
en relation avec la construction de l'immeuble; envers
ses associés, le recourant avait donc un devoir permanent
d'utiliser le compte de crédit de la construction confor-
mément aux instructions et au but fixés par le contrat;
en utilisant les avoirs de ce compte à son profit ou au
profit de tiers entre novembre 1988 et mai 1991, il a
durablement violé ce devoir. Les divers abus de confiance
commis par le recourant dans le cadre de la promotion
immobilière d'Ormont-Dessous forment donc une entité du
point de vue de la prescription.

Dans le cas de la société E.________ SA (cf. su-
pra, let. B/d), le recourant a exploité sa position
d'administrateur pour puiser régulièrement dans les
comptes bancaires de la société, agissant de concert avec
son coaccusé B.________, qui en était le président. Là
encore, le recourant a toujours procédé de la même ma-
nière et lésé le même bien juridiquement protégé, soit le
patrimoine de la société. En tant qu'administrateur, il
avait un devoir permanent d'utiliser les comptes ban-
caires de la société conformément aux instructions reçues
et au but prévu, devoir qu'il a violé durablement en pui-
sant à réitérées reprises dans ces comptes pour financer
des sorties nocturnes sans aucun rapport avec son mandat
d'administrateur. Les divers abus de confiance ainsi com-
mis forment donc également une entité du point de vue de
la prescription.

Il en va de même dans chacun des trois autres cas
(cf. supra, let. B/c, B/e et B/f). Le recourant a abusé
des mandats qui lui avaient été confiés, respectivement,
par D.________, par les propriétaires du cabaret
H.________ et par dame I.________, pour s'attribuer, par
des prélèvements ou des virements, une partie des avoirs
de ses différents mandants, qu'il a utilisés à son profit
ou au profit de tiers. Envers chacun de ses mandants, il
avait un devoir d'utiliser de la manière et dans le but
convenus les avoirs confiés; il a durablement violé ce
devoir par les divers détournements qu'il a commis au
préjudice de chacun d'eux, entre la fin 1988 et le milieu
de l'année 1992 dans le cas de la société E.________ SA,
entre mai 1991 et décembre 1992 dans le cas du cabaret
"H.________" et entre octobre 1991 et juillet 1992 dans
le cas de dame I.________.

Ainsi, dans chacun des cinq cas évoqués, les
divers abus de confiance commis par le recourant forment
une unité sous l'angle de la prescription.

e) Reste à examiner si, comme l'a admis la cour
cantonale, tous les abus de confiance perpétrés doivent
être considérés comme formant ensemble une seule entité
du point de vue de la prescription.

Certes, contrairement à ce qu'estime le recou-
rant, les divers abus de confiance commis sont de même
nature et lèsent le même bien juridiquement protégé. Que
ce soit en tant que promoteur, administrateur d'une so-
ciété anonyme ou mandataire, le recourant a toujours
abusé de pouvoirs qui lui avaient été conférés par les
personnes qui ont été lésées pour s'attribuer, en puisant
dans leurs comptes, et utiliser, à son profit ou au pro-
fit de tiers, une partie des avoirs qu'elles lui avaient
confiés. Il a toujours porté atteinte au même bien juri-
diquement protégé, soit le patrimoine d'autrui.

Peu importe que, dans chacun des cinq cas, le
recourant n'ait pas commencé et terminé son activité
coupable aux mêmes dates; cela ne fait que souligner
qu'il a agi à plusieurs reprises, sans quoi la question
de l'application de l'art. 71 al. 2 CP ne se poserait
pas. De même, le nombre des victimes n'est pas détermi-
nant; que l'auteur s'en soit pris à plusieurs personnes
n'exclut pas que ses actes puissent être considérés comme
une entité au sens de l'art. 71 al. 2 CP (cf. ATF 120 IV
6 ss). Quant au fait que les agissements du recourant
n'aient pas procédé d'une décision unique, il ne saurait
être pris en compte, dès lors que le critère de l'in-
tention unique n'entre plus en considération depuis que
la jurisprudence a abandonné la notion de délit successif
(cf. supra, let. 1b).

Toutefois, dans chacun des cinq cas évoqués, le
recourant s'est vu confier des avoirs par des personnes
physiques ou morales distinctes, sans lien entre elles,
de sorte que le devoir permanent qu'il avait d'utiliser
conformément aux instructions reçues et dans le but prévu
les avoirs qui lui avaient été confiés par ces diffé-
rentes personnes reposait sur un rapport juridique dis-
tinct. Contrairement à ce qui était le cas dans les af-
faires où, jusqu'ici, le Tribunal fédéral a admis la
réunion de plusieurs infractions en une seule entité sous
l'angle de la prescription (cf. supra, let. 1b), le
recourant a donc violé durablement plusieurs devoirs
permanents indépendants, résultant de rapports juridiques
distincts, établis avec des personnes différentes et sans
lien entre elles. On se trouve dès lors en présence non
pas d'une seule, mais de plusieurs activités coupables.
Dans la mesure où chacune d'elles s'est exercée à plu-
sieurs reprises, il se justifiait de faire application de
l'art. 71 al. 2 CP. En revanche, ces diverses activités
coupables ne sauraient être considérées comme formant une
entité au sens de l'art. 71 al. 2 CP, c'est-à-dire comme
une seule activité globale pour laquelle le délai de
prescription commencerait à courir du jour où le dernier
acte a été commis. Admettre le contraire pourrait aboutir
à réintroduire sous une autre forme la notion de délit
successif.

f) Il résulte de ce qui précède que, dans chacun
des cinq cas évoqués, les divers abus de confiance perpé-
trés doivent être considérés comme une entité au sens de
l'art. 71 al. 2 CP, c'est-à-dire comme une activité glo-
bale pour laquelle le délai de prescription commence à
courir du jour où le dernier acte a été commis. Le recou-
rant ne saurait donc être suivi lorsqu'il soutient que la
prescription a commencé à courir, pour chacun des abus de
confiance qui lui sont reprochés, du jour où il a été

perpétré et en conclut que, sous réserve de celui qui a
été commis au préjudice de D.________ le 30 décembre
1992, tous les abus de confiance retenus sont absolument
prescrits. En revanche, c'est à tort que l'arrêt attaqué
considère que l'ensemble des abus de confiance commis
forment une seule entité du point de vue de la prescrip-
tion et en déduit que, les derniers actes du recourant
- soit ceux commis au préjudice de D.________ - remontant
au 31 décembre 1992, aucun des abus de confiance qui lui
sont reprochés n'est atteint par la prescription absolue.

Comme le dernier des abus de confiance perpétrés
dans le cadre de la promotion immobilière d'Ormont-
Dessous remonte à mai 1991, la prescription absolue - de
7 1/2 ans - était acquise, pour ces infractions, depuis
novembre 1998, donc depuis environ 1 an et demi, au mo-
ment où la cour cantonale a statué, le 15 mai 2000. De
même, le dernier des abus de confiance commis au préju-
dice de la société E.________ SA remontant au milieu de
l'année 1992 et le dernier de ceux commis au préjudice
de dame I.________ remontant à juillet 1992, ces infrac-
tions étaient absolument prescrites, depuis plusieurs
mois, au moment où l'arrêt attaqué a été rendu. En
revanche, le dernier des abus de confiance commis au dé-
triment de D.________ remontant au 30 décembre 1992 et le
dernier des abus de confiance commis au détriment des
propriétaires du cabaret "H.________" remontant à
décembre 1992, ces infractions n'étaient pas encore
atteintes par la prescription absolue à la date de
l'arrêt attaqué.

Le pourvoi doit par conséquent être admis, l'ar-
rêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.

2.- Vu l'issue du pourvoi, la requête d'assis-
tance judiciaire du recourant, dont l'indigence est par
ailleurs suffisamment établie, sera admise (art. 152
al. 1 OJ). En conséquence, il ne sera pas perçu de frais
et une indemnité sera allouée à son mandataire à titre de
dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et
renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision.

2. Admet la requête d'assistance judiciaire du
recourant.

3. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
au mandataire du recourant une indemnité de 2'500 fr. à
titre de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud
et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois.
__________

Lausanne, le 1er février 2001

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.443/2000
Date de la décision : 01/02/2001
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 71 al. 2 CP et art. 140 ch. 1 aCP; point de départ de la prescription en cas de commission de plusieurs séries d'abus de confiance. Conditions auxquelles plusieurs infractions forment une unité du point de vue de la prescription; rappel de la jurisprudence (consid. 1b). Lorsque l'auteur a commis plusieurs séries d'abus de confiance, les divers abus de confiance qui composent chacune des séries forment une unité du point de vue de la prescription s'ils ont été perpétrés en violation d'un devoir permanent de l'auteur d'utiliser les avoirs confiés conformément aux instructions et au but prévus (consid. 1d); en revanche, les diverses séries d'abus de confiance ne forment pas ensemble une unité sous l'angle de la prescription si l'auteur a ainsi violé plusieurs devoirs permanents indépendants, résultant de rapports juridiques distincts, établis avec des personnes différentes et sans liens entre elles (consid. 1e). En pareil cas, la prescription court donc, non pas du jour où le dernier de l'ensemble des abus de confiance a été perpétré, mais, pour chacune des séries, du jour où le dernier des abus de confiance qui la composent a été commis (consid. 1f).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-02-01;6s.443.2000 ?
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