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25/01/2001 | SUISSE | N°4A.5/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 janvier 2001, 4A.5/2000


«AZA 1/2»

4A.5/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

25 janvier 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu
et Corboz, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

Pierre E n g e l, rue de Beaumont 8, à Genève,

contre

la décision rendue le 5 septembre 2000 par l'Autorité de sur-
veillance du Registre du commerce du canton de Genève dans
la
cause qui oppose le recoura

nt à la S.A. du Journal de Genève
et de la Gazette de Lausanne, représentée par Me Daniel
Tunik
et par Me Shelby du Pasquie...

«AZA 1/2»

4A.5/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

25 janvier 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu
et Corboz, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

Pierre E n g e l, rue de Beaumont 8, à Genève,

contre

la décision rendue le 5 septembre 2000 par l'Autorité de sur-
veillance du Registre du commerce du canton de Genève dans
la
cause qui oppose le recourant à la S.A. du Journal de Genève
et de la Gazette de Lausanne, représentée par Me Daniel
Tunik
et par Me Shelby du Pasquier, avocats à Genève;

(inscription au registre du commerce; modification)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La "Société Anonyme du Journal de Genève et de
la Gazette de Lausanne" (ci-après: la Société) est inscrite
au registre du commerce depuis le 10 avril 1883,
initialement
sous la raison sociale "Société Anonyme du Journal de Genè-
ve", puis, à partir du 26 août 1991, sous la raison sociale
actuelle.

Le but social de la Société, tel qu'inscrit au Re-
gistre du commerce et régulièrement publié, a évolué comme
suit :

- du 10 avril 1883 au 1er juillet 1976 : Publication d'un
journal national, politique, littéraire et scientifique
sous le titre "Journal de Genève" et exploitation d'une
imprimerie;

- du 2 juillet 1976 au 5 août 1993 : Édition de toutes pu-
blications et journaux, notamment publication d'un jour-
nal national, politique, littéraire et scientifique
sous
le titre "Journal de Genève", exécution de tous travaux
d'imprimerie, et en général de toute opération rentrant
dans le domaine de l'imprimerie, de la publicité et de
l'édition;

- du 6 août 1993 au 20 novembre 1997 : Édition de publica-
tions et journaux, notamment publication d'un journal
national politique, littéraire et scientifique, exécu-
tion de travaux d'imprimerie et opérations rentrant
dans
le domaine de l'imprimerie, de la publicité et de l'édi-
tion;

- dès le 21 novembre 1997 : Édition de publications et
journaux, en particulier d'un journal national, politi-
que, littéraire et scientifique, notamment par la prise
de participations dans des sociétés; opérations
rentrant
dans le domaine de l'imprimerie, de la publicité et de
l'édition.

Cette dernière modification du but social a été ap-
prouvée le 15 octobre 1997 par 94,37 % des voix exprimées
par
les actionnaires de la Société, qui projetait de fusionner
le
"Journal de Genève et Gazette de Lausanne" avec le "Nouveau
Quotidien" pour donner naissance à un nouveau journal (Le
Temps).

Pierre Engel, actionnaire de la Société, et quel-
ques autres opposants, ont cherché sans succès à empêcher le
préposé au Registre du commerce de procéder à l'inscription
de cette modification statutaire.

B.- Le 22 décembre 1999, Pierre Engel a demandé au
Registre du commerce de faire changer la raison sociale de
la
Société, compte tenu de la modification effective du but so-
cial, de la cessation de la parution du Journal de Genève et
Gazette de Lausanne dès le 28 février 1998, ainsi que de la
parution du nouveau journal: Le Temps.

Le 20 avril 2000, le préposé au Registre du commer-
ce a refusé la demande de Pierre Engel. Par décision du 5
septembre 2000, l'autorité cantonale de surveillance a
rejeté
le recours déposé par celui-ci. Elle a considéré en
substance
que, compte tenu des changements apportés tant au but social
qu'au titre du journal publié, la raison sociale ne servait
qu'à l'identification de la société anonyme, mais n'avait au-
cun lien fonctionnel avec le journal publié. Il n'y avait
par

conséquent pas lieu d'adapter la raison sociale au produit
connu du public.

C.- Contre la décision du 5 septembre 2000, Pierre
Engel dépose un recours de droit administratif au Tribunal
fédéral. Il conclut à l'annulation de la décision attaquée
et
à ce que le Tribunal fédéral, statuant à nouveau, invite le
Registre du commerce de Genève à sommer la Société d'effec-
tuer le changement de sa raison sociale en conformité des
art. 944 et 950 CO, ainsi que de l'art. 60 ORC.

Invitée à répondre, la Société conclut au rejet du
recours et à la confirmation de la décision entreprise.

L'autorité cantonale de surveillance déclare s'en
référer aux considérants de sa décision.

Quant à l'Office fédéral de la justice, agissant
par l'intermédiaire de l'Office fédéral du registre du com-
merce, il a renoncé à présenter des observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Dirigé contre une décision émanant d'une auto-
rité judiciaire cantonale (cf. art. 35 LOJ genevoise), la
voie du recours de droit administratif est ouverte en regard
des art. 98 let. g OJ et 5 de l'ordonnance du 7 juin 1937
sur
le registre du commerce (RS 221.411; ci-après: ORC).

Le présent recours, qui a été déposé en temps utile
(art. 106 OJ) et dans les formes requises (art. 108 OJ), est
donc en principe recevable.

2.- a) Selon l'art. 104 OJ, le recours de droit
administratif peut être formé pour violation du droit fédé-
ral, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation
(let. a), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète
des faits pertinents, sous réserve de l'art. 105 al. 2 OJ
(let. b). Cette disposition prévoit que, lorsque le recours
est dirigé contre la décision d'une autorité judiciaire, ce
qui est le cas en l'espèce, puisque, conformément à l'art.
98a OJ (cf. ATF 124 III 259 consid. 2a), le canton de Genève
a confié la surveillance du registre du commerce à une cham-
bre de la Cour de justice (cf. art. 35 LOJ genevoise), le
Tribunal fédéral est lié par les faits constatés dans la dé-
cision entreprise, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou
incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles es-
sentielles de procédure (art. 105 al. 2 OJ).

b) Saisi d'un recours de droit administratif, le
Tribunal fédéral revoit d'office l'application du droit fédé-
ral, qui englobe notamment les droits constitutionnels des
citoyens (ATF 125 II 497 consid. 1b/aa p. 500 et les arrêts
cités).

3.- Le recourant reproche tout d'abord aux autori-
tés cantonales d'avoir commis un déni de justice en tardant
à
statuer.

a) Ce faisant, il se plaint implicitement d'une
violation de l'art. 29 al. 1 Cst., à teneur duquel toute per-
sonne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrati-
ve, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée
dans un délai raisonnable. Selon la jurisprudence relative à
l'art. 4 aCst. dont il n'y a pas lieu de se départir sous
l'empire du nouveau droit, il y a retard injustifié lorsque
l'autorité diffère sa décision au-delà de tout délai raison-
nable. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure

s'apprécie en fonction des circonstances particulières de la
cause. Il faut notamment prendre en considération l'ampleur
et la difficulté de celle-ci, ainsi que le comportement du
justiciable (ATF 125 V 188 consid. 2a; 119 Ib 311 consid. 5b
p. 325; 117 Ia 193 consid. 1c p. 197; 107 Ib 160 consid. 3b
p. 164 s.).

b) En l'espèce, le recourant a déposé, le 22 décem-
bre 1999, une demande visant à obtenir du préposé au
registre
du commerce la modification de la raison sociale de la socié-
té intimée, ce que celui-ci a refusé le 20 avril 2000. Le re-
courant soutenait que la raison sociale en cause ne corres-
pondait plus à l'exigence de véracité, dès lors que le Jour-
nal de Genève et la Gazette de Lausanne avait cessé de paraî-
tre depuis la fin du mois de février 1998. Cette requête a
donc été déposée près de deux ans après la survenance de
l'événement à son origine, de sorte que le recourant ne sau-
rait soutenir qu'elle revêtait une extrême urgence. En
outre,
en cours de procédure, le recourant a adressé au préposé
trois pièces qu'il qualifie lui-même d'importantes et dont
deux étaient antérieures à sa demande. Le dépôt de ces docu-
ments a ralenti le prononcé de la décision, puisqu'il a
fallu
les transmettre à la société en cause et lui donner l'occa-
sion de prendre position à ce sujet. Dans ce contexte, même
si l'affaire n'apparaît pas compliquée, on ne voit pas que
le
préposé, en mettant un peu moins de quatre mois pour rendre
sa décision, ait statué au-delà de tout délai raisonnable.
Quant à l'autorité de surveillance, elle s'est aussi pronon-
cée environ quatre mois après le dépôt du recours, ce qui,
compte tenu des féries estivales, n'apparaît à l'évidence
pas
excessif. On ne discerne donc aucun retard injustifié con-
traire à l'art. 29 al. 1 Cst.

4.- Le recourant soutient ensuite que l'autorité
cantonale aurait dû faire rectifier la raison sociale de

l'intimée, dès lors que celle-ci ne respecte pas les exigen-
ces posées aux art. 944 al. 1 CO et 38 ORC.

a) Une société anonyme peut, sous réserve des dis-
positions générales sur la formation des raisons de
commerce,
former librement sa raison sociale (art. 950 al. 1 CO). Il
découle de l'art. 944 al. 1 CO que toute raison de commerce
peut contenir, outre les éléments essentiels prescrits par
la
loi, des indications portant notamment sur la nature de l'en-
treprise, ou un nom de fantaisie, pourvu qu'elle soit confor-
me à la vérité, ne puisse induire en erreur et ne lèse aucun
intérêt public. L'art. 38 al. 1 ORC contient les mêmes exi-
gences (ATF 112 II 59 consid. 1; 103 Ib 6 consid. 4 in
fine).
L'interdiction des indications fallacieuses est en particu-
lier violée lorsqu'un public moyen peut tirer des
conclusions
erronées quant au siège, à la nature de l'entreprise ou
quant
à son genre d'activité. Il importe peu qu'il existe une vo-
lonté de tromper ou que le responsable ait été conscient du
risque d'erreur (ATF 123 III 220 consid. 4b p. 225 s. et les
références citées). Ce risque ne doit pas être examiné de fa-
çon abstraite, mais en fonction des circonstances particuliè-
res du cas d'espèce (ATF 117 II 192 consid. 4b/bb p. 197;
112
II 59 consid. 1b p. 61; 108 II 130 consid. 4; 100 Ib 240 con-
sid. 5b in fine). La doctrine souligne l'importance que
revêt
l'examen concret en ce domaine (Clemens Meisterhans, Prü-
fungspflicht und Kognitionsbefugnis der Handelsregisterbehör-
de, thèse Zurich 1996, p. 127; Martin Karl Eckert, Bewilli-
gungspflichtige und verbotene Firmenbestandteile, thèse Zu-
rich 1991, p. 46; Eduard Achermann, Die Täuschungsgefahr im
Firmenrecht, in Festgabe Hans Marti, Berne 1985, p. 47 ss,
54).

b) En l'espèce, les relations entre la raison so-
ciale, le titre du journal publié et le but social de la
société intimée se sont transformées au fil du temps.

A l'origine, soit en 1883, il existait un lien
étroit entre la raison sociale inscrite au Registre du com-
merce sous la désignation "Société anonyme du Journal de Ge-
nève", le but social, qui prévoyait une seule publication
sous la dénomination "Journal de Genève", et le titre effec-
tivement publié par l'intimée.

Les rapports entre la raison sociale et le titre du
quotidien se sont élargis en 1976, année où l'intimée n'a
plus limité son but social à la publication du Journal de Ge-
nève, mais y a ajouté l'édition de toutes publications et
journaux. A partir de ce moment, l'intimée pouvait donc pu-
blier d'autres titres que celui correspondant à sa raison so-
ciale.

A la suite de la reprise de la "Société de la Ga-
zette de Lausanne et du Journal La Suisse" par l'intimée,
celle-ci a adapté sa raison sociale. Depuis le 26 août 1991,
le registre du commerce mentionne désormais "Société anonyme
du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne".

En août 1993, l'intimée a fait supprimer du regis-
tre du commerce l'indication d'un titre de journal dans son
but social. Comme l'a relevé justement l'autorité de surveil-
lance, cette modification a eu pour effet de faire disparaî-
tre la corrélation entre la raison sociale et le titre du
journal, même si, dans les faits, l'intimée a continué à pu-
blier un quotidien portant son nom jusqu'à la fin du mois de
février 1998.

Enfin, dans le but de pouvoir fusionner le "Journal
de Genève et la Gazette de Lausanne" avec le "Nouveau quoti-
dien" et de créer le journal "Le Temps", l'intimée a modifié
encore une fois son but social, le 21 novembre 1997, en y
ajoutant la possibilité de prendre des participations dans
des sociétés.

Cette évolution montre que les liens existant à
l'origine entre le titre du journal publié par l'intimée, sa
raison sociale et son activité se sont peu à peu distendus.
La raison sociale actuelle, soit la "Société anonyme du Jour-
nal de Genève et de la Gazette de Lausanne", n'a ainsi plus
de rapport avec le titre du quotidien publié, mais
correspond
à une vérité historique: elle désigne les quotidiens que
l'intimée a fait paraître avant le journal "Le Temps". Elle
n'a aucun caractère trompeur pour le public moyen, dès lors
qu'elle évoque la presse et l'édition, ce qui correspond pré-
cisément aux activités déployées par l'intimée. De plus, les
lecteurs ne risquent pas d'être induits en erreur en confon-
dant le nom de cette société avec le titre d'un journal
édité
par un tiers, puisque "Le Journal de Genève et la Gazette de
Lausanne" a cessé d'exister. En outre, depuis 1993, le regis-
tre du commerce ne mentionne plus le titre du journal natio-
nal, politique, littéraire et scientifique que la société in-
timée a pour but de publier, de sorte que, sous cet angle
également, sa raison sociale n'apparaît pas trompeuse.
Enfin,
on ne voit manifestement pas en quoi celle-ci
pourrait léser
un quelconque intérêt public, ce que le recourant ne prétend
du reste nullement.

Dans ces circonstances, il ne peut être reproché
aux autorités cantonales d'avoir refusé de donner suite à la
demande de modification de la raison sociale de l'intimée
formée par le recourant.

Le recours doit ainsi être rejeté.

5.- Les frais et dépens seront mis à la charge du
recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 3'000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux par-
ties, à l'autorité cantonale de surveillance en matière de
registre du commerce et à l'Office fédéral du registre du
commerce.

__________

Lausanne, le 25 janvier 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4A.5/2000
Date de la décision : 25/01/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-01-25;4a.5.2000 ?
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