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24/01/2001 | SUISSE | N°4C.322/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 janvier 2001, 4C.322/2000


«/2»

4C.322/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

24 janvier 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

R.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Yves Donzallaz, avocat à Sion,

et

F.________, demandeur et intimé, représenté par Me Laurent
Métrailler, avocat à Monthey;

(cont

rat de location de services; détermination du cocon-
tractant; bonne foi; solidarité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
l...

«/2»

4C.322/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

24 janvier 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

R.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Yves Donzallaz, avocat à Sion,

et

F.________, demandeur et intimé, représenté par Me Laurent
Métrailler, avocat à Monthey;

(contrat de location de services; détermination du cocon-
tractant; bonne foi; solidarité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Z.________ S.A. (anciennement Y.________
S.A.), société de travail intérimaire, a mis du personnel à
disposition de l'entreprise exploitée par R.________, à la
demande de cette dernière et moyennant rémunération.

Le 20 juin 1994, Z.________ S.A. a cédé à
F.________ des créances futures, notamment des créances ré-
sultant des prestations fournies à l'entreprise de
R.________.

Le 26 mai 1997, F.________ a déposé devant la Ie
Cour civile du Tribunal cantonal valaisan une demande en
paiement dirigée contre R.________ S.A., réclamant à cette
dernière, sur la base de la cession de créances, un montant
de 73 579 fr.95 avec intérêts et sollicitant par ailleurs la
mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement
de payer notifié à ce sujet.

La défenderesse soutient que la demande est mal di-
rigée, le cocontractant de Z.________ S.A. n'étant pas
R.________ S.A., mais l'entreprise individuelle R.________.

Sur ce point, la cour cantonale a constaté les
faits suivants.

- Au registre du commerce, il existe effectivement
une entreprise individuelle "R.________" et une société ano-
nyme "R.________ S.A.". Les deux entités juridiques s'occu-
pent de charpentes métalliques et elles sont sises au même
lieu. Elles ont le même compte de chèques postal, le même
numéro de télécopieur et utilisent toutes deux le raccorde-
ment téléphonique 322 84 41.

- Les deux entités sont économiquement dans les
mêmes mains; elles avaient les mêmes animateurs. La gestion
du personnel était confiée à P.________, C.________ et
S.________.

- La mise à disposition de personnel était demandée
à Z.________ S.A. par l'une de ces trois personnes. Il n'est
pas établi que l'une d'entre elles ait jamais précisé si
elle
agissait pour l'entreprise individuelle ou pour la société
anonyme. Pour les organes ou représentants de Z.________
S.A., il n'existait qu'une seule entreprise.

- Si l'on examine les factures ou rappels envoyés à
son cocontractant par Z.________ S.A., on constate que cette
dernière a employé diverses dénominations: "R.________ ",
"A.R.________", "R.________ S.A." ou encore "Entreprise
R.________". Sans protestation ni clarification, ces
factures
ont été payées indistinctement. Selon la déclaration de
P.________: "R.________ ou R.________ S.A., c'était pour
nous
sans incidence". En conséquence, des factures adressées à
"R.________ S.A." ont été payées.

- Seul l'examen de la comptabilité permet de cons-
tater que la société anonyme n'avait à l'époque pas d'activi-
té.

B.- Par jugement du 29 septembre 2000, la Ie Cour
civile du Tribunal cantonal valaisan a condamné R.________
S.A. à payer à F.________ la somme de 67 996 fr.20 avec in-
térêts au taux de 5% l'an dès le 26 juin 1996 et prononcé la
mainlevée définitive à due concurrence. La cour cantonale a
retenu que le demandeur agissait comme cessionnaire des
droits de Z.________ S.A. qui étaient déduits de la
passation
d'un contrat de location de services. Dans les circonstances
d'espèce, la cour cantonale a estimé que la défenderesse
agissait contrairement aux règles de la bonne foi en invo-

quant la dualité entre l'entreprise individuelle et la socié-
té anonyme pour se soustraire à ses obligations contractuel-
les.

C.- R.________ S.A. exerce un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué.

L'intimé propose le rejet du recours pour autant
qu'il soit recevable, le jugement attaqué étant confirmé.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Dans le recours en réforme, l'acte de re-
cours doit contenir l'indication exacte des points attaqués
de la décision et des modifications demandées (art. 55 al. 1
let. b OJ). Comme il s'agit d'un recours en réforme et non
d'un recours cassatoire, le recourant ne doit pas se borner
à
demander l'annulation de la décision attaquée; il doit pren-
dre des conclusions sur le fond du litige (Corboz, Le
recours
en réforme au Tribunal fédéral in: SJ 2000 II p. 45). Il
n'est autorisé à conclure à l'annulation de la décision atta-
quée que si le Tribunal fédéral, en cas d'admission du re-
cours, ne serait de toute manière pas en situation de
statuer
lui-même sur le fond et ne pourrait que renvoyer la cause à
l'autorité cantonale (ATF 125 III 412 consid. 1b; 111 II 384
consid. 1; 106 II 201 consid. 1; 104 II 209 consid. 1; 103
II
267 consid. 1b).

En l'espèce, la recourante, en se fondant entière-
ment sur les constatations cantonales, soutient qu'il est dé-
montré qu'elle n'est pas la cocontractante et, par voie de
conséquence, qu'elle n'est pas la débitrice. Si l'on devait
suivre cette argumentation, il est évident que le Tribunal

fédéral serait en situation de statuer lui-même sur le fond
en réformant le jugement attaqué. La recourante ne pouvait
donc pas se limiter à conclure à l'annulation de la décision
cantonale.

Son recours devrait donc être déclaré irrecevable
pour ce motif. Il n'est toutefois pas nécessaire de trancher
la question sous cet angle, puisqu'il apparaît d'emblée -
comme on le verra - que le recours est infondé.

b) Dans l'acte de recours, le représentant de la
défenderesse affirme que R.________ lui aurait remis, après
le jugement du Tribunal cantonal, un chèque qui n'aurait pas
été pris en compte. Il s'agit là manifestement d'un fait ou
d'un moyen de preuve nouveau, qui est irrecevable dans un re-
cours en réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).

c) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédé-
ral doit conduire son raisonnement sur la base des faits con-
tenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y
ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille
compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119
II 353 consid. 5c/aa).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il
n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

2.- a) La cour cantonale a rappelé les principes
juridiques qui permettent de faire abstraction de la dualité
entre un actionnaire et sa société anonyme. Il n'y a ainsi
pas d'entités indépendantes lorsque la société, économique-
ment, est entièrement entre les mains de son actionnaire et
que la dualité est opposée à un tiers d'une manière qui cons-
titue un abus de droit ou qui porte une atteinte manifeste à
des intérêts légitimes (ATF 121 III 319 consid. 5a/aa et les
arrêts cités).

Il appert d'emblée que l'on ne se trouve pas en
présence ici d'un problème de dualité entre l'actionnaire et
la société anonyme. La question n'est pas de savoir si le
créancier peut rechercher l'actionnaire qui se cacherait der-
rière le paravent de la personne morale, simple instrument
entre ses mains. In casu, il existe deux entreprises inscri-
tes au registre du commerce: une entreprise individuelle et
une société anonyme. Et il convient de déterminer laquelle a
loué les services de Z.________ S.A., devenant, par voie de
conséquence, la débitrice de la rémunération convenue.

b) Les constatations cantonales ne permettent en
rien d'admettre l'existence d'une société simple entre les
deux entreprises en relation avec les locations de services
en cause. On ne voit pas qu'elles se seraient associées en
vue de la réalisation d'un but commun impliquant la mise à
disposition du personnel demandé à l'entreprise de travail
temporaire. La question n'a pas à être examinée sous cet
angle (à ce propos: art. 544 al. 3 CO; arrêt du 12 mai 1981
publié in Rep. 1982 n° 115 p. 36).

c) Selon l'état de fait déterminant, il y avait, de
la part des deux parties, une certaine indifférence quant à
la distinction entre l'entreprise individuelle et la société
anonyme. On pourrait donc être tenté de se référer à l'art.
32 al. 2 CO, qui évoque l'indifférence en matière de repré-

sentation (sur la portée de cette disposition: cf. ATF 117
II
387 consid. 2a et les références citées).

Cette norme ne trouve application que pour détermi-
ner si le créancier peut s'adresser au représenté plutôt
qu'au représentant dans le cas où ce dernier n'a pas fait sa-
voir qu'il agissait en tant que représentant. En l'espèce,
il
n'est pas douteux que les personnes physiques qui ont comman-
dé les locations de services agissaient en tant que représen-
tants et que la société de travail intérimaire devait claire-
ment l'inférer des circonstances; la question litigieuse est
cependant de savoir qui ces personnes représentaient. On se
trouve en présence de deux représentés possibles et cette si-
tuation n'est en rien régie par l'art. 32 al. 2 CO.

d) Il résulte des constatations cantonales - qui
lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art.
63 al. 2 OJ) - qu'il n'y avait, d'un point de vue
économique,
qu'une seule entreprise active. Les organes ou représentants
de celle-ci n'ont pas indiqué, au moment de conclure, s'il
s'agissait de l'entreprise individuelle ou de la société ano-
nyme. Il ressort des déclarations recueillies que le
bailleur
de services ne connaissait pas cette dualité juridique au
moment de conclure. On ne pouvait exiger de lui qu'il
réclame
les comptabilités pour essayer d'élucider quelle était l'en-
treprise active.

Le libellé des factures et des rappels montre que
l'entreprise de travail temporaire était à la fois dans
l'ignorance et dans l'indifférence. Il n'en demeure pas
moins
qu'elle a envoyé des factures adressées, au siège social, à
"R.A.________ S.A.". Même si la raison sociale n'a pas été
entièrement reproduite, ses éléments distinctifs figuraient
dans cette désignation. On doit supposer que le courrier
adressé à la société anonyme à son siège social a été
examiné
par les organes ou employés compétents. Or, il est constaté

souverainement que les factures expédiées à la société anony-
me ont aussi été payées, sans protestation ni clarification.
Il convient de déduire de cette attitude que la manière de
procéder de la cocontractante, consistant à s'adresser indis-
tinctement tantôt à l'entreprise individuelle tantôt à la
société anonyme, était conforme à la volonté des parties,
puisque les factures étaient réglées dans les deux hypothè-
ses.

Même si les parties l'ont ignoré, cette situation
correspond à une figure juridique: la solidarité convention-
nelle (art. 143 al. 1 CO).

La solidarité conventionnelle suppose en principe
que les codébiteurs solidaires adressent au créancier une dé-
claration dans ce sens. La volonté de s'engager
solidairement
peut aussi s'exprimer par actes concluants, lorsqu'elle ré-
sulte indiscutablement du contexte; pour dire si tel est le
cas, il faut interpréter les circonstances selon le principe
de la confiance (ATF 116 II 707 consid. 3; 49 III 205
consid.
4).

En payant sans discuter les factures que l'entre-
prise de travail temporaire choisissait de lui envoyer, la
société anonyme lui a clairement manifesté sa volonté: elle
acceptait d'être débitrice de ces sommes, que le créancier
s'adresse à l'une ou l'autre des deux entités juridiques.
Cette manifestation de volonté, qui ratifiait les
engagements
peu clairs des représentants, permet de conclure à une soli-
darité conventionnelle, puisque l'entreprise individuelle a
également payé les factures que le cocontractant a choisi de
lui adresser. La solidarité résulte indiscutablement des cir-
constances.

Contrairement à ce que semble redouter la recouran-
te, la solidarité n'entraîne pas le risque juridique d'un

double paiement, puisque le versement effectué par l'un des
codébiteurs solidaires libère l'autre d'autant (art. 147 al.
1 CO).

Il n'en demeure pas moins que le créancier peut
s'adresser au codébiteur solidaire de son choix (art. 144
al.
1 CO); en conséquence, la demande n'est pas mal dirigée et
le
recours en réforme, à supposer qu'il soit recevable, est dé-
nué de fondement.

3.- Le présent recours doit être rejeté dans la
mesure de sa recevabilité, le jugement critiqué étant con-
firmé. Vu l'issue du recours, les frais et dépens de la pro-
cédure fédérale doivent être mis à la charge de la
recourante
qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme le jugement attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 3500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 4000
fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Ie Cour civile du Tribunal canto-
nal valaisan.

___________

Lausanne, le 24 janvier 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.322/2000
Date de la décision : 24/01/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-01-24;4c.322.2000 ?
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