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12/01/2001 | SUISSE | N°1P.773/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 janvier 2001, 1P.773/2000


«AZA 1/2»
1P.773/2000
1P.781/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

12 janvier 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, président,
vice-président du Tribunal fédéral, Nay et Favre.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Jean-Luc A d d o r , à Savièse, Juge d'instruction pénale
du Valais central, représenté par Me Christian Favre, avocat
à Sion,

contre



les décisions prises le 27 novembre et le 5 décembre 2000
par le Tribunal cantonal du canton du Valais;

(droit d'ê...

«AZA 1/2»
1P.773/2000
1P.781/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

12 janvier 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, président,
vice-président du Tribunal fédéral, Nay et Favre.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Jean-Luc A d d o r , à Savièse, Juge d'instruction pénale
du Valais central, représenté par Me Christian Favre, avocat
à Sion,

contre

les décisions prises le 27 novembre et le 5 décembre 2000
par le Tribunal cantonal du canton du Valais;

(droit d'être entendu; récusation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les 25 et 29 février 2000, sur la base de plaintes
pénales déposées quelques jours plus tôt, le Juge d'instruc-
tion pénale du Valais central Jean-Luc Addor a effectué des
perquisitions dans les locaux des administrateurs de la so-
ciété Téléverbier SA, censément prévenus de faux renseigne-
ments sur les entreprises commerciales et de gestion déloya-
le au préjudice des actionnaires. Le for de la poursuite pé-
nale ne se trouvait toutefois pas dans le ressort du Juge
Addor; à la demande du Ministère public, ce magistrat s'est
donc dessaisi de l'enquête. Le Juge d'instruction pénale du
Bas-Valais a clos cette procédure par un non-lieu, le 1er
septembre 2000.

Le Juge Addor est soupçonné d'avoir préparé et accompli
cette intervention de la justice d'entente avec les plai-
gnants et avec d'autres personnes intéressées à la gestion
de Téléverbier SA, en particulier avec les dirigeants de
deux sociétés actives dans le même domaine, dans le but de
discréditer les administrateurs et de faire ainsi obstacle
à une collaboration que ceux-ci prévoyaient avec une société
française. Le Tribunal cantonal a infligé une amende disci-
plinaire de 1'000 fr. à ce magistrat, le 27 juin 2000, en
raison d'entretiens hors procédure qu'il avait eus au sujet
de l'enquête; le 11 juillet suivant, cette autorité l'a dé-
noncé au doyen des juges d'instruction pénale du Valais cen-
tral. Le 20 septembre, en raison de la récusation de tous
les juges d'instruction éventuellement compétents pour exa-
miner la dénonciation, le Tribunal cantonal a désigné le Ju-
ge d'instruction extraordinaire Edgar Métral.

Par lettre du 16 novembre 2000, le Juge Métral a infor-
mé le Tribunal cantonal qu'il ouvrait une instruction contre
le Juge Addor pour violation du secret de fonction; avant de
l'interroger, il demandait que celui-ci fût délié dudit se-
cret.

B.- Le Tribunal cantonal a alors décidé, le 20 suivant,
d'ouvrir une procédure administrative à l'égard du Juge Ad-
dor; une délégation du Tribunal cantonal, composée du Prési-
dent et de deux membres, était chargée de l'entendre. Cette
audition a eu lieu le 23 novembre. Le magistrat visé était
assisté de son avocat; il a déposé des pièces et demandé
l'audition de diverses personnes, dans le but d'établir que
l'affaire pénale en cours ne nuisait pas à son activité de
juge d'instruction.

Le 27 novembre, le Tribunal cantonal a décidé que la
délégation demeurerait chargée d'instruire l'affaire, puis
de proposer une mesure administrative; que les personnes à
entendre et dont le Tribunal cantonal est l'autorité de sur-
veillance étaient déliées du secret de fonction; enfin, que
jusqu'à la décision finale à intervenir, le Juge Addor était
invité à s'abstenir de toute ouverture d'enquête et de tout
interrogatoire. Ce dernier point était motivé par le besoin
de "préserver la confiance que le public doit pouvoir placer
dans ses institutions", et d'"éviter que M. Addor soit expo-
sé à traiter avec des prévenus alors qu'il se trouve dans
leur situation". La décision fut notifiée le jour même au
Juge Addor, par porteur.

C.- Dans le cadre de l'instruction, la délégation a
convoqué l'ancien Procureur général du Valais Pierre Anto-
nioli, qui devait être entendu le 30 novembre à 14h00. Au
dernier moment, la séance fut reportée à 15h00, sans que la
personne convoquée pût être avertie. Informé que l'ancien
procureur Antonioli attendait au greffe, le Juge cantonal
Joseph Pitteloud - qui n'était pas membre de la délégation -

lui proposa de l'accompagner dans un établissement public,

où les deux hommes furent aperçus ensemble. Par ailleurs,
l'audition du Juge Jean-Nicolas Délez, doyen des juges
d'instruction pénale du Valais central, a révélé que le Juge
cantonal Pitteloud s'est adressé à lui vers le 15 novembre,
pour lui raconter un événement dont un autre juge d'instruc-
tion lui avait parlé: d'après ce dernier, une personne avait
causé un incident au guichet du Tribunal d'instruction péna-
le parce qu'elle ne voulait pas avoir affaire au Juge Addor.
Le Juge Pitteloud voulait se renseigner au sujet des éven-
tuels problèmes que posait la situation particulière dudit
juge.

Ce dernier a demandé au Tribunal cantonal, dans une re-
quête datée du 1er décembre 2000, la récusation du Juge Pit-
teloud, auquel il reprochait, à la suite des faits précités,
de conduire une "enquête parallèle". Le Tribunal cantonal a
rejeté cette requête par décision du 5 décembre, en considé-
rant que les faits invoqués ne dénotaient aucune partialité
du magistrat récusé.

D.- Le Juge Addor a saisi le Tribunal fédéral de deux
recours de droit public, dirigés l'un contre la décision du
27 novembre, l'autre contre celle du 5 décembre. Le recou-
rant soutient que la décision l'empêchant de procéder à des
auditions et d'ouvrir de nouvelles enquêtes a été prise en
violation de son droit d'être entendu et, de plus, par une
autorité dont la composition était irrégulière; sur ce
point, il dénonce la suspicion de partialité du Juge Pit-
teloud. A son avis, ce magistrat ne devait pas prendre part
à la décision du 27 novembre 2000, et il doit également être
exclu des décisions ultérieures qui interviendront dans la
procédure ouverte le 20 novembre 2000.

Par ordonnance du 15 décembre 2000, le Président de la
Ie Cour de droit public a rejeté une demande d'effet suspen-
sif présentée par le recourant.

Invité à répondre aux recours, le Tribunal cantonal
propose l'irrecevabilité, subsidiairement le rejet du pour-
voi dirigé contre la décision du 27 novembre; il propose le
rejet de celui concernant la récusation du Juge Pitteloud.
Ce juge, également invité à prendre position sur son éven-
tuelle récusation, s'est simplement référé aux observations
déjà déposées en procédure cantonale.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) En règle générale, selon la jurisprudence re-
lative à l'art. 84 al. 1 OJ, le recours de droit public ne
peut être dirigé que contre un acte d'une autorité cantonale
agissant en vertu de la puissance publique, affectant d'une
façon quelconque la situation de l'individu en lui imposant
une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer, soit
sous la forme d'un arrêté de portée générale, soit sous
celle d'une décision particulière (ATF 120 Ia 325 consid.
3a; 114 Ia 15 consid. 1a; 113 Ia 234 consid. 1). La qualité
pour recourir appartient à celui qui est atteint par l'acte
attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement proté-
gés (art. 88 OJ; ATF 126 I 81 consid. 3b p. 85, 124 I 159
consid. 1c p. 161/162).

Si la mesure en cause n'est pas susceptible d'un re-
cours sur le fond, faute d'atteinte à la situation juridique
de la personne impliquée, le recours de droit public est
néanmoins ouvert au plaideur à qui le droit cantonal confère
des droits de partie à la procédure; le recourant peut alors
seulement faire valoir que ces droits de partie, ou que les
garanties constitutionnelles en matière de procédure ont été
violés, et qu'il en résulte un déni de justice formel (ATF
126 I 81 consid. 3b in fine p. 86, 114 Ia 307 consid. 3c
p. 312; voir aussi ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94).

En l'occurrence, le recourant se borne à critiquer la
participation du Juge Pitteloud et à se plaindre d'une vio-
lation du droit d'être entendu, sans prétendre que la mesure
litigieuse soit en elle-même contraire à ses droits consti-
tutionnels. De tels griefs, qui se rapportent exclusivement
à la procédure, sont de toute manière recevables; il n'est
donc pas nécessaire d'examiner si, conformément à l'opinion
du Tribunal cantonal, l'interdiction de procéder à des audi-
tions et d'ouvrir de nouvelles enquêtes est une "simple me-
sure d'organisation", dépourvue d'incidence sur la situation
juridique personnelle du Juge Addor.

b) Le prononcé relatif à une mesure conservatoire, pri-
se pour la durée d'une procédure en cours, est en général
considéré comme une décision finale (ATF 118 II 369 consid.
1 p. 371, 116 Ia 446 consid. 2 p. 447; voir aussi ATF 104 Ib
129 consid. 2 p. 132 concernant la suspension provisoire
d'un agent public). Le recours de droit public est donc re-
cevable aussi au regard de l'art. 87 OJ.

c) Pour le surplus, il n'est pas contesté que la déci-
sion refusant la récusation du Juge Pitteloud, dans la pro-
cédure administrative actuellement en cours, puisse faire
l'objet d'un recours de droit public du magistrat visé par
cette procédure.

2.- a) La garantie d'un tribunal indépendant et impar-
tial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la
protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst., permet au
plaideur de s'opposer à une application arbitraire des rè-
gles cantonales sur l'organisation et la composition des
tribunaux, qui comprennent les prescriptions relatives à
la récusation des juges. Elle permet aussi, indépendamment
du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont
la situation ou le comportement est de nature à faire naître
un doute sur son impartialité; elle tend notamment à éviter

que des circonstances extérieures à la cause ne puissent in-
fluencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie.
Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une préven-
tion effective du juge est établie, car une disposition in-
terne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que
les circonstances donnent l'apparence de la prévention et
fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules
des circonstances constatées objectivement doivent être pri-
ses en considération; les impressions purement individuelles
d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116
Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 126 I 168 consid. 2a
p. 169, 125 I 119 consid. 3a p. 122, 124 I 255 consid. 4a
p. 261).

Il n'est pas nécessaire de déterminer si les art. 6
par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. s'appliquent aussi au Tribunal
cantonal du canton du Valais lorsque celui-ci intervient à
titre d'autorité administrative (cf. ATF 120 Ia 184 consid.
2a p. 186 et consid. 2f p. 189). En effet, en dehors du
champ d'application de ces règles, l'art. 29 al. 1 Cst. as-
sure de toute manière une garantie de même portée (jurispru-
dence relative à l'art. 4 aCst.: ATF 125 I 119 consid. 3b
p. 123 et les arrêts cités), à ceci près que cette disposi-
tion, à la différence desdites règles, n'impose pas l'indé-
pendance et l'impartialité comme maxime d'organisation des
autorités concernées (ibidem, consid. 3f p. 124).

b) En l'espèce, le recourant met en doute l'impartiali-
té d'un membre du Tribunal cantonal - le Juge Pitteloud - en
raison de son intervention auprès de l'un des juges d'ins-
truction pénale du Valais central. Le Juge d'instruction de
Lavallaz ayant raconté au Juge cantonal Pitteloud un inci-
dent prétendument survenu dans les locaux de l'office, ce
dernier a recherché, auprès du Juge Délez, une éventuelle
confirmation de ce récit et, le cas échéant, d'autres ren-
seignements sur les conséquences que pouvaient peut-être en-

traîner, sur l'activité des juges d'instruction, l'existence
de la dénonciation pénale visant l'un d'eux. D'après le Juge
Délez, cette démarche du Juge Pitteloud est intervenue vers
le 15 novembre 2000; or, à ce moment, le Tribunal cantonal
n'avait pas encore ouvert de procédure administrative à
l'égard du Juge Addor. Le Juge Pitteloud n'a donc pas empié-
té sur les attributions de la délégation constituée ulté-
rieurement pour l'instruction de cette procédure. Par ail-
leurs, compte tenu que le Tribunal cantonal est l'autorité
de surveillance des juges d'instruction, et que le Juge Pit-
teloud était membre de la commission disciplinaire qui avait
proposé la sanction infligée en juin 2000, la démarche de ce
magistrat, à la suite du récit fait par le Juge de Lavallaz,
ne présente pas de caractère suffisamment insolite ou ten-
dancieux pour justifier un doute sur son impartialité.

L'attitude amicale du Juge Pitteloud à l'égard de l'an-
cien procureur Antonioli, alors que ce dernier attendait
d'être interrogé par la délégation du Tribunal cantonal,
n'est pas non plus insolite, si l'on prend en considération
que ces deux personnes se connaissaient et avaient eu de
longues relations professionnelles. On ne discerne aucun
motif objectif de soupçonner qu'à cette occasion, le Juge
Pitteloud ait cherché à obtenir de façon non officielle des
renseignements sur l'affaire, ni qu'il ait tenté d'influen-
cer la déposition de l'ancien procureur. La suspicion de
partialité apparaît ainsi injustifiée; le Juge Pitteloud
peut au contraire, sans violation de l'art. 29 al. 1 Cst.,
prendre part aux actes de la procédure administrative con-
cernant le recourant.

3.- Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2
Cst. confère à toute personne le droit de s'expliquer avant
qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès
au dossier, d'offrir des preuves quant aux faits de nature à
influer sur la décision, de participer à l'administration

des
preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 124 II
132 consid. 2b p. 137, 123 I 63 consid. 2a p. 66, 123 II 175
consid. 6c p. 183/184). Cette garantie constitutionnelle
n'est toutefois pas absolue et des restrictions sont admi-
ses, en particulier, lorsqu'il existe une situation d'urgen-
ce; l'autorité peut alors renoncer à l'audition préalable de
la personne visée (ATF 99 Ia 22 consid. c p. 24/25; voir
aussi ATF 126 II 111 consid. 6b/aa p. 123).

La délégation du Tribunal cantonal a procédé à l'audi-
tion du recourant le 23 novembre 2000, soit quatre jours
avant la décision litigieuse. D'après le procès-verbal, elle
a ouvert la séance en indiquant que le Juge Métral avait an-
noncé l'ouverture d'une enquête judiciaire, et que sa propre
mission consistait à rechercher si un juge d'instruction
peut s'acquitter de sa charge bien qu'il soit lui-même, dé-
sormais, en position de prévenu. L'avocat du recourant a
d'emblée fait valoir qu'à son avis, la situation n'exigeait
aucune mesure immédiate, et il a pris position contre une
éventuelle suspension. Pour le surplus, la décision n'est
fondée sur aucun fait nouveau ou nouvellement connu, sur le-
quel le recourant n'aurait pas eu l'occasion de s'exprimer.
Le Tribunal cantonal a donc respecté le droit d'être enten-
du, préalablement à la suspension partielle ordonnée, à ti-
tre provisoire, le 27 novembre. Il n'est pas nécessaire
d'examiner si la décision est intervenue dans une situation
d'urgence propre à justifier une autre solution moins res-
pectueuse du droit d'être entendu. Il est par ailleurs évi-
dent que le recourant devra être mis en mesure de se pronon-
cer sur l'instruction effectuée par la délégation, avant la
décision qui mettra fin à la procédure administrative.

4.- Les griefs présentés se révèlent privés de fonde-
ment, ce qui entraîne le rejet des deux recours; l'émolument
judiciaire incombe à leur auteur.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette les recours.

2. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la charge
du recourant.

3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant et au Tribunal cantonal du canton du Valais,
ainsi qu'au Juge cantonal Joseph Pitteloud.

_________

Lausanne, le 12 janvier 2001
THE/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.773/2000
Date de la décision : 12/01/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-01-12;1p.773.2000 ?
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