La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/12/2000 | SUISSE | N°5C.262/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 décembre 2000, 5C.262/2000


«/2»
5C.262/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

22 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme
Nordmann, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame C.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Emmanuel Stauffer, avocat à Genève,

et

G.________, défendeur et intimé, représenté par Me Robert P.
Briner, avocat à Genève;

(usufruit)

Vu les

pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- C.________ et dame C.________ ont acquis en 1972
la propriété d'une vi...

«/2»
5C.262/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

22 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme
Nordmann, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame C.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Emmanuel Stauffer, avocat à Genève,

et

G.________, défendeur et intimé, représenté par Me Robert P.
Briner, avocat à Genève;

(usufruit)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- C.________ et dame C.________ ont acquis en 1972
la propriété d'une villa sise à Collonge-Bellerive. Le 14 fé-
vrier 1995, ils ont fait donation de cet immeuble à leur
fils
G.________ en se réservant l'usufruit de la villa jusqu'à
leur décès.

B.- Au début de l'année 1998, les époux C.________
ont remarqué des dysfonctionnement à la chaudière de la
villa, qui n'avait pas été changée au moins depuis 23 ans.
Ils ont consulté plusieurs entreprises qui ont considéré que
la chaudière devait être changée, vu sa vétusté.

Par courriers du 8 et du 15 juin 1998, l'avocat des
usufruitiers a informé le nu-propriétaire de la nécessité de
changer la chaudière. G.________ a contesté avoir reçu ces
courriers mais a reconnu avoir rencontré au mois de juillet
1998 l'avocat de ses parents, qui l'a entretenu de la néces-
sité de changer la chaudière.

Par lettre du 26 août 1998, l'avocat des usufrui-
tiers a informé le nu-propriétaire que les travaux avaient
été attribués à l'entreprise Kuttel et que leur coût était
devisé à 13'000 fr. G.________ a confirmé son refus de par-
ticiper aux frais de remplacement de la chaudière.

C.- Les travaux effectués par l'entreprise Kuttel,
qui ont finalement coûté 16'250 fr., ont été plus étendus
que
le seul remplacement de la chaudière, devisé à 9'000 fr.;
ils
ont en effet compris la pose d'un ballon d'eau chaude de 160
litres (facturé globalement avec le remplacement de la
chaudière à 12'800 fr.), un vase d'expansion sous pression
(300 fr.), un tubage de la cheminée existante (2'800 fr.) et
un silencieux sur cheminée (350 fr.).

D.- Après avoir mis leur fils en demeure par lettre
du 18 novembre 1998, les époux C.________ l'ont actionné le
2
décembre 1998 devant le Tribunal de première instance de
Genève en paiement de 16'250 fr. plus intérêts à 5% l'an dès
le 1er octobre 1998.

Par jugement du 13 janvier 2000, le Tribunal a
condamné le défendeur a payer aux demandeurs le tiers de la
somme réclamée par ceux-ci (soit 5'416 fr. 65), pour tenir
compte de la négligence des époux C.________ qui n'avaient
pas consulté leur fils lors de l'adjudication des travaux et
n'avaient pas réagi lors du dépassement de devis.

E.- Statuant par arrêt du 6 octobre 2000 sur appel
principal des demandeurs et appel incident du défendeur, la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a
réformé ce jugement en ce sens qu'elle a déclaré la demande
irrecevable.

F.- Agissant par la voie du recours en réforme au
Tribunal fédéral, dame C.________ - C.________ étant décédé
le 25 juillet 2000, ce dont la cour cantonale a été avisée
par lettre du 9 août 2000 - conclut avec suite des frais et
dépens des trois instances principalement à la réforme de
cet
arrêt en ce sens que G.________ doit lui payer la somme de
16'250 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 1998,
et subsidiairement à son annulation; elle sollicite en outre
l'octroi de l'assistance judiciaire. Il n'a pas été demandé
de réponse.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les droits contestés dans la dernière instance
cantonale dépassent la valeur d'au moins 8'000 fr. dont

l'art. 46 OJ fait dépendre la recevabilité du recours en
réforme dans les affaires pécuniaires autres que celles vi-
sées à l'art. 45 OJ, de sorte que le recours est recevable
sous cet angle. Déposé en temps utile contre une décision
finale prise en dernière instance cantonale, il est
également
recevable du chef des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.

2.- L'autorité cantonale a considéré que les deman-
deurs avaient valablement informé en juillet 1998 le défen-
deur de la nécessité de remplacer la chaudière, conformément
à l'art. 764 al. 2 CC, et que devant le refus clairement
manifesté de ce dernier procéder aux travaux, ils étaient
fondés à y pourvoir eux-mêmes en vertu de l'art. 764 al. 3
CC. Toutefois, ils n'avaient pas prouvé que les travaux excé-
dant le seul remplacement de la chaudière, devisé à 9'000
fr., étaient indispensables à la conservation de la chose au
sens de l'art. 764 al. 2 CC. En outre, se fondant sur une
opinion doctrinale selon laquelle le devoir d'entretien de
l'usufruitier d'un bien immobilier de longue durée
commandait
qu'il participât aux réfections onéreuses, comme la rénova-
tion de la chaudière, dans la mesure où il en tirerait seul
ou en grande partie le bénéfice, les juges cantonaux ont
estimé équitable en l'espèce de laisser à la charge des usu-
fruitiers le tiers du coût des travaux nécessaires (arrêt
attaqué, p. 7-9).

La cour cantonale a enfin examiné la question de
l'exigibilité de la prétention en remboursement des deman-
deurs fondée sur l'art. 764 al. 3 CC. Elle a exposé que
selon
la majorité de la doctrine, le nu-propriétaire, qui ne
devait
pas entamer sa propre fortune pour les coûts d'entretien,
avait le droit d'exiger de l'usufruitier qu'il lui avance
gratuitement jusqu'à la cessation de l'usufruit les fonds
nécessaires pour les mesures indispensables à la
conservation
de la chose, par application analogique de l'art. 765 al. 3
CC. Dès lors, malgré le problème délicat que posait en l'es-

pèce l'impossibilité pour les demandeurs d'obtenir du défen-
deur le remboursement de leur avance, en raison de la nature
viagère de l'usufruit, leur demande devait être considérée
comme prématurée en application de l'art. 753 CC, partant
déclarée irrecevable (arrêt attaqué, p. 9/10).

3.- Les griefs formulés par la demanderesse à l'en-
contre de l'arrêt attaqué peuvent être résumés comme suit.

a) S'agissant de l'exigibilité de la prétention en
remboursement, la demanderesse soutient que seules les impen-
ses relatives à des travaux de reconstruction ou d'améliora-
tion sont exigibles à la cessation de l'usufruit en vertu de
l'art. 753 CC, à l'exclusion des travaux d'entretien indis-
pensables qui doivent être effectués aux frais du nu-proprié-
taire selon le texte clair de l'art. 764 al. 3 CC; la thèse
de l'autorité cantonale, qui rendrait le droit aux rembourse-
ment des usufruitiers virtuel, serait ainsi contraire à la
volonté du législateur.

b) La demanderesse reproche également à la cour
cantonale d'avoir considéré uniquement le remplacement de la
chaudière comme mesure indispensable à la conservation de la
chose au sens de l'art. 764 al. 2 CC. En effet, les autres
travaux étaient indissociables de la pose de la chaudière,
l'entreprise Kuttel ayant posé une chaudière avec production
d'eau chaude de 160 litres pour 12'800 fr., non une
chaudière
et un ballon d'eau chaude additionnel.

c) En ce qui concerne la répartition du coût des
travaux entre nu-propriétaire et usufruitiers, la demanderes-
se fait grief à l'autorité cantonale non seulement d'avoir
suivi une doctrine minoritaire, mais également d'avoir mécon-
nu qu'en raison du grand âge de la demanderesse - le deman-
deur étant décédé en cours de procédure -, le défendeur pour-
ra profiter pendant longtemps de la nouvelle chaudière, de

sorte que rien ne justifie de mettre une partie des frais à
la charge de la demanderesse.

d) Enfin, la demanderesse expose que la cour canto-
nale n'aurait par inadvertance pas tenu compte de la lettre
du 9 août 2000 l'avisant du décès du demandeur; or si l'on
suivait la thèse des juges cantonaux selon laquelle l'action
en remboursement ne pouvait être exercée qu'à l'extinction
de
l'usufruit, soit au décès de l'usufruitier, force serait de
constater que cette condition est réalisée en l'espèce en ce
qui concerne le demandeur, de sorte que le défendeur serait
débiteur du montant réclamé par ce dernier.

4.- a) Selon l'art. 764 CC, l'usufruitier est tenu
de conserver la substance de la chose et de faire lui-même
les réparations et réfections ordinaires d'entretien (al.
1);
si des travaux plus importants ou d'autres mesures sont in-
dispensables à la conservation de la chose, l'usufruitier
est
tenu d'en aviser le propriétaire et de les souffrir (al. 2);
il peut y pourvoir lui-même, aux frais du propriétaire, si
ce
dernier ne fait pas le nécessaire (al. 3).

Par travaux plus importants au sens de l'art. 764
al. 2 CC, on entend notamment le remplacement de la
chaudière
à mazout (Steinauer, Les droits réels, t. III, 2e éd., 1996,
n. 2446; Baumann, Zürcher Kommentar, Band IV/2a, 1999, n. 31
ad art. 764-765 CC; Simonius/Sutter, Schweizerisches Immobi-
liarsachenrecht, Band II, 1990, n. 61 p. 108). Si de tels
travaux paraissent indispensables, l'usufruitier est tenu
d'aviser le propriétaire (art. 764 al. 2 CC). Celui-ci n'est
cependant pas obligé de procéder à ces travaux, fussent-ils
nécessaires (art. 750 al. 1 CC; Piotet, Les droits réels
limités, Traité de droit privé suisse, t. V/1/3, p. 99; Stei-
nauer, op. cit., n. 2446; Leemann, Berner Kommentar, Band
IV/2, 1925, n. 6 ad art. 764 CC; Farine Fabbro, L'usufruit
immobilier, thèse Fribourg 2000, p. 177; Müller, Basler Kom-

mentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch II, 1998, n. 6 ad
art. 764 CC). S'il ne les entreprend pas, l'usufruitier
peut,
dans la mesure où ils sont nécessaires à la conservation de
la chose, y pourvoir lui-même en vertu de l'art. 764 al. 3
CC
(Steinauer, op. cit., n. 2446; Baumann, op. cit., n. 35 ad
art. 764-765 CC).

Quoique cette disposition prévoie que cela se fait
"aux frais du propriétaire", ce dernier n'est pas tenu d'en-
tamer sa propre fortune pour les coûts d'entretien (Baumann,
op. cit., n. 35 ad art. 764-765 CC). De même que le nu-pro-
priétaire qui entreprend lui-même les travaux peut demander
à
l'usufruitier de lui avancer gratuitement - à savoir sans
intérêt - les fonds nécessaires en vertu de l'art. 765 al. 3
CC, de même, s'il ne rembourse pas à l'usufruitier les frais
d'entretien indispensables à la conservation de la chose, ce
dernier ne peut-il qu'attendre la fin de l'usufruit et deman-
der leur remboursement avec celui des impenses (art. 753 al.
1 CC) ou se payer immédiatement en réalisant pour cela cer-
tains biens grevés de l'usufruit, en application analogique
de l'art. 765 al. 3 CC (Steinauer, op. cit., n. 2446; Lee-
mann, op. cit., n. 9 ad art. 764 CC; Baumann, op. cit., n.
36
s. ad art. 764-765 CC; Müller, op. cit., n. 6 ad art. 764
CC;
cf. Simonius/Sutter, op. cit., n. 60 p. 107, et Farine Fab-
bro, op. cit., p. 177, qui ne reconnaissent à l'usufruitier
que la première possibilité).

Certes, dans le cas d'un usufruit viager, le droit
au remboursement ne pourra pas être exercé par l'usufruitier
lui-même, mais seulement par ses héritiers (cf. art. 602
CC),
et l'obligation s'éteindra le cas échéant par confusion
(art.
118 CO) dans la mesure où le nu-propriétaire serait le suc-
cesseur à titre universel de l'usufruitier. Il s'agit là
d'une conséquence inévitable de l'application de l'art. 765
al. 3 CC, laquelle n'apparaît pas plus choquante que de con-
traindre le nu-propriétaire, qui est privé de la jouissance

de la chose pendant toute la durée de l'usufruit, à entamer
sa propre fortune pour l'entretien de celle-ci, ce que le
législateur a précisément voulu éviter en adoptant l'art.
765
al. 3 CC (cf. Simonius/Sutter, op. cit., n. 60 p. 107).

b) En l'espèce, la cour cantonale n'a ainsi pas
violé le droit fédéral, contrairement à ce que soutient la
demanderesse (cf. consid. 3a supra), en retenant que
l'action
en remboursement des demandeurs ne pouvait être exercée
avant
l'extinction de l'usufruit. Quoi qu'en dise la demanderesse
(cf. consid. 3d supra), le décès du demandeur - pour autant
que la Cour de céans puisse en tenir compte au regard de
l'art. 63 al. 2 OJ - ne saurait conduire à l'admission des
conclusions de la demanderesse, dès lors que l'on ignore
dans
quelle mesure celle-ci a qualité pour agir en succession de
son défunt mari. Dans ces conditions, l'arrêt attaqué doit
être confirmé en tant qu'il déclare la demande irrecevable.
Point n'est dès lors besoin d'examiner les griefs de la de-
manderesse relatifs à l'étendue des travaux indispensables à
la conservation de la chose au sens de l'art. 764 al. 2 CC
(cf. consid. 3b supra) et à la répartition du coût de ces
travaux entre nu-propriétaire et usufruitiers (cf. consid.
3c
supra).

5.- En définitive, le recours en réforme de la de-
manderesse, manifestement mal fondé, doit être écarté et
l'arrêt attaqué confirmé. La requête d'assistance judiciaire
fondée sur l'art. 152 OJ doit également être rejetée; le
recours apparaissait en effet d'emblée voué à l'échec au
sens
de cette disposition, dès lors qu'il doit être rejeté dans
le
cadre de la procédure simplifiée de l'art. 36a OJ (cf. Pou-
dret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organi-
sation judiciaire, vol. V, Berne 1992, n. 5 ad art. 152 OJ).
Au demeurant, la demanderesse n'apparaît pas comme étant
dans
le besoin au sens de l'art. 152 OJ, notion qui doit être
appréciée au regard non seulement des revenus, mais aussi de

la fortune (cf. ATF 120 Ia 179 consid. 3a et les arrêts ci-
tés). En effet, il ressort de la déclaration d'impôt
produite
par la demanderesse que celle-ci dispose de plus
de 160'000
fr. de liquidités ensuite de la vente d'une maison à Eysins.

La demanderesse, qui succombe, supportera par consé-
quent les frais judiciaires (art. 156 al. 6 OJ). Il n'y a en
revanche pas lieu d'allouer de dépens (cf. art. 159 al. 5
OJ)
dès lors que le défendeur n'a pas été invité à procéder et
n'a en conséquence pas assumé de frais en relation avec la
procédure devant le Tribunal fédéral (Poudret/Sandoz-Monod,
Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire,
vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

vu l'art. 36a OJ:

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.

2. Met un émolument judiciaire de 1'000 fr. à la
charge de la demanderesse.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 22 décembre 2000
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.262/2000
Date de la décision : 22/12/2000
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-22;5c.262.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award