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21/12/2000 | SUISSE | N°4C.298/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 décembre 2000, 4C.298/2000


«AZA 1/2»

4C.298/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Jeannine Eckenstein, à Bâle, demanderesse et recourante,
représentée par Me Fabien Süsstrunk, avocat à Colombier,

et

1. Banque Cantonale Neuchâteloise, à Neuchâtel, défenderesse

et intimée

,

2. Jean-François Krebs, à Ronco sopra Ascona (TI), défendeur
et intimé,

tous deux représentés par Me Pierre Heinis, avocat ...

«AZA 1/2»

4C.298/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Jeannine Eckenstein, à Bâle, demanderesse et recourante,
représentée par Me Fabien Süsstrunk, avocat à Colombier,

et

1. Banque Cantonale Neuchâteloise, à Neuchâtel, défenderesse

et intimée,

2. Jean-François Krebs, à Ronco sopra Ascona (TI), défendeur
et intimé,

tous deux représentés par Me Pierre Heinis, avocat à Neuchâ-
tel;

(société anonyme; responsabilité des administrateurs; pres-
cription de l'action de l'actionnaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société Edouard Dubied & Cie S.A. (ci-
après: Dubied) était une société anonyme dont le siège se
trouvait à Couvet (NE), active depuis 1895 notamment dans la
fabrication et le commerce de machines à tricoter; la
société
avait un capital-actions de 15 millions de francs divisé en
60 000 actions nominatives d'une valeur nominale de 250 fr.,
ainsi qu'un capital de bons de participation de 5 millions,
constitué de 20 000 bons de participation de 250 fr. chacun
(art. 64 al. 2 OJ).

Jeannine Eckenstein était actionnaire de Dubied,
dont elle détenait 389 actions.

Dès 1974, Dubied a rencontré des difficultés dans
la marche de ses affaires. Le 9 décembre 1987 s'est tenue
une
séance entre des représentants de quatre établissements ban-
caires, dont la Banque Cantonale Neuchâteloise (ci-après:
BCN), et des dirigeants de Dubied (art. 64 al. 2 OJ), à l'oc-
casion de laquelle lesdites banques ont refusé d'entrer en
matière sur l'octroi de nouveaux crédits à Dubied et bloqué
le financement au niveau qu'il avait atteint; à cette séance
était présent en particulier Jean-François Krebs, tout à la
fois directeur de la BCN et membre du conseil d'administra-
tion de Dubied. Cette limitation de crédit a contraint
Dubied, le 15 décembre 1987, à solliciter un sursis concorda-
taire, qui lui a été octroyé le 22 décembre 1987 pour une du-
rée de quatre mois. Le 22 février 1988, la durée du sursis a
été prolongée de deux mois, son échéance étant ainsi repous-
sée au 22 juin 1988. Le 20 juin 1988, le conseil d'adminis-
tration de Dubied a adressé une circulaire aux actionnaires,
qui contenait la phrase suivante:

"Ainsi que nous vous l'exposons dans notre communi-
cation du 20 février, l'homologation du concordat
par abandon d'actifs a pour conséquence que le ca-
pital social est entièrement perdu".

Par jugement du 30 juin 1988, la Cour civile du
Tribunal cantonal Neuchâteloise a homologué le concordat par
abandon d'actif proposé par Dubied à ses créanciers.

Par publication officielle du 4 juillet 1990, les
liquidateurs ont informé les créanciers de Dubied en liqui-
dation concordataire, d'une part, qu'ils renonçaient à faire
valoir les droits de la masse contre les organes de cette
société et, d'autre part, qu'ils leur offraient la cession
de
ces prétentions conformément à l'art. 260 aLP (art. 316 l
aLP). Cinq personnes, dont Jeannine Eckenstein, ont demandé
et obtenu la cession de ces droits en leur qualité d'action-
naires; les cessionnaires n'ont toutefois pas introduit de
procès en responsabilité dans le délai qui échéait au mois
de
février 1992.

Une assemblée générale des actionnaires de Dubied
en liquidation concordataire a eu lieu le 9 mars 1995. Au
cours de cette séance, le liquidateur, après avoir fait rap-
port sur les événements survenus depuis l'homologation du
concordat par abandon d'actif, a fait savoir que le résultat
de la liquidation avait permis de désintéresser l'ensemble
des créanciers, lesquels s'étaient encore vu attribuer des
intérêts sur les sommes dues, et qu'il restait encore un mon-
tant à disposition après la liquidation. L'assemblée
générale
a décidé que ce surplus serait réparti entre les
actionnaires
et les porteurs de bons de participation. Ainsi, Jeannine
Eckenstein a reçu, à titre de participation au solde de li-
quidation, 50 fr.90 pour chaque action du débiteur concorda-
taire qu'elle possédait.

B.- Par réquisitions de poursuite des 27 et 29 no-
vembre 1996, Jeannine Eckenstein a fait notifier deux comman-
dements de payer respectivement à Jean-François Krebs et à
la
BCN, portant chacun sur un montant de 60 200 fr. en capital;
ces poursuites ont été frappées d'opposition totale. Par ré-
quisitions de poursuite du 5 décembre 1997, elle a encore
fait notifier deux commandements de payer aux mêmes poursui-
vis et requis le versement par chacun de 19 800 fr. en capi-
tal; derechef, il a été formé opposition à ces poursuites.

Le 26 avril 1999, Jeannine Eckenstein a ouvert ac-
tion contre Krebs et la BCN devant la Cour civile du
Tribunal
cantonal neuchâtelois. Elle a requis que les défendeurs
soient condamnés solidairement à lui payer 65 779 fr.90 avec
intérêts à 5% sur 60 200 fr. du 29 novembre 1996 au 4 décem-
bre 1997 et sur 65 779 fr.90 dès le 5 décembre 1997, ainsi
que 10 000 fr. plus intérêts à 5% dès le dépôt de la
demande.
Elle a allégué que l'administrateur Krebs et la BCN, qui au-
rait été un organe de fait de Dubied, ont asphyxié cette so-
ciété en décidant au mois de décembre 1987 de ne pas lui ac-
corder de nouveaux crédits. Le résultat de la liquidation de
Dubied a démontré que la décision de solliciter un sursis
concordataire, alors imposée par Krebs, était erronée. Elle
a
reproché en particulier à Krebs, pris dans un conflit d'inté-
rêts entre son rôle de directeur de la BCN et d'administra-
teur de Dubied, d'avoir tranché en sa qualité de directeur
de
banque, violant ipso facto l'obligation de diligence et de
fidélité qu'il devait respecter en tant que membre du
conseil
d'administration de Dubied. A titre de dommage, elle a fait
valoir la différence entre la valeur de chaque action
qu'elle
détenait, estimée à 220 fr., et le reliquat de 50 fr.90
qu'elle a perçu par action après la liquidation, soit
169 fr.10, ce qui, pour ses 389 actions, représente un mon-
tant total de 65 779 fr.90 (389 x 169 fr.10). La
demanderesse
a encore réclamé 10 000 fr. comme participation aux honorai-
res de son mandataire avant procès.

Les défendeurs ont soulevé divers moyens préjudi-
ciels. Ils ont notamment soutenu que l'action était prescri-
te.

Lors d'une audience qui s'est tenue le 11 janvier
2000, il a été décidé qu'un jugement sur moyen préjudiciel
serait rendu, les parties étant autorisées à déposer des con-
clusions sur les questions à trancher préjudiciellement.

Par jugement du 30 août 2000, la IIe Cour civile du
Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté la demande, qu'elle
a
considéré comme prescrite.

C.- Jeannine Eckenstein recourt en réforme au Tri-
bunal fédéral. Elle requiert que le jugement sur moyen préju-
diciel susmentionné soit cassé et qu'il soit dit et déclaré
que l'action qu'elle a intentée n'est pas prescrite, la
cause
étant renvoyée devant la cour cantonale pour qu'elle statue
sur le fond.

Les intimés proposent le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Dans l'arrêt déféré, la Cour civile a limi-
nairement retenu qu'il n'y avait pas lieu de trancher si
l'ancien ou le nouveau droit de la société anonyme était ap-
plicable au litige dès l'instant où la réglementation de la
prescription, instaurant une prescription ordinaire de 5 ans
et une prescription absolue de 10 ans, était restée inchan-
gée. Elle a jugé que le 30 juin 1988, date où le concordat
par abandon d'actif a été homologué, la demanderesse connais-
sait et l'étendue de son dommage et la personne qui en était
responsable, car le conseil d'administration de Dubied avait

informé le 20 juin 1988 les actionnaires par circulaire que
le capital social était entièrement perdu. L'action était
donc prescrite depuis le 1er juillet 1993. A supposer qu'il
faille considérer que la demanderesse n'a pu faire valoir
son
dommage qu'au moment où il est apparu que les actifs de la
société permettaient de rembourser tous les créanciers et de
verser encore un solde aux actionnaires, il y a lieu d'admet-
tre que Jeannine Eckenstein aurait pu obtenir des informa-
tions allant dans ce sens lorsque la masse concordataire a
cédé ses droits contre les administrateurs aux créanciers et
actionnaires le 4 juillet 1990; faute d'avoir été
interrompue
avant le 5 juillet 1995, la prescription quinquennale est
également acquise. Enfin, à propos de la prescription abso-
lue, les magistrats cantonaux ont considéré qu'après l'assem-
blée des actionnaires du 9 mars 1995 la demanderesse connais-
sait son dommage et le fait qu'un excédent de liquidation se-
rait versé aux actionnaires; dans ces conditions, a
poursuivi
l'autorité cantonale, il est douteux que la prescription dé-
cennale ait pu être interrompue par les réquisitions de pour-
suite des 27 et 29 novembre 1996.

b) La recourante soutient qu'elle n'a pu connaître
l'étendue de son préjudice que lors de l'assemblée générale
des actionnaires du 9 mars 1995, où le liquidateur a informé
ces derniers du résultat de la liquidation, qui dégageait un
solde positif. Ayant intenté des poursuites les 27 et 29 no-
vembre 1996, puis le 5 décembre 1997, et ouvert action le 26
avril 1999, elle aurait respecté le délai de prescription de
cinq ans. S'agissant de la connaissance de l'auteur du domma-
ge, elle allègue que ce n'est qu'au moment du résultat de la
liquidation que les agissements du défendeur Krebs ont pu
être considérés comme fautifs. Quant au délai de
prescription
absolue, la recourante est d'avis que les réquisitions de
poursuite susrappelées en ont interrompu le cours, qu'un nou-
veau délai de dix ans a donc commencé à courir et que le dé-

pôt de la demande est intervenu bien avant l'expiration de
ce
nouveau délai.

2.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et li-
brement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
126 I 81 consid. 1, 207 consid. 1; 126 III 274 consid. 1;
125
III 461 consid. 2).

b) La décision qui admet l'exception de prescrip-
tion et rejette la demande au fond est une décision finale
au
sens de l'art. 48 al. 1 OJ, susceptible d'être déférée au
Tribunal fédéral par la voie de la réforme (ATF 121 III 270
consid. 1, 118 II 447 consid. 1b, 111 II 55 consid. 1). In-
terjeté par la partie qui a intégralement succombé dans ses
conclusions en paiement et dirigé contre un jugement rendu
en
instance cantonale unique par un tribunal supérieur (art. 48
al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur liti-
gieuse dépasse le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours

est recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art.
54
al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

c) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où la recourante présenterait
un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la déci-

sion attaquée sans se prévaloir de l'une des exceptions qui
viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les consta-
tations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il
n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

3.- Il résulte de l'état de fait déterminant que
la demanderesse et quatre autres actionnaires, qui étaient
cessionnaires des droits de la masse contre les organes de
Dubied en liquidation concordataire, ont renoncé à ouvrir
action dans le délai qui leur avait été imparti. La recouran-
te agit ainsi contre un ancien administrateur de Dubied et
contre la BCN, qui en aurait été administrateur de fait, en
réparation du dommage direct qu'elle a subi en qualité d'ac-
tionnaire à la suite de l'obtention par ladite société d'un
concordat par abandon d'actif (cf., sur la notion du dommage
direct, ATF 125 III 86 consid. 3a et les références). Le
Tribunal fédéral a déjà reconnu qu'il se justifiait de sou-
mettre la prescription de l'action en réparation d'un tel
dommage au délai de prescription institué par l'art. 760 al.
1 CO, en tant que lex specialis, conformément à la tendance
actuelle qui veut appliquer les art. 759 à 761 CO à toutes
les actions en responsabilité du droit de la société
anonyme,
sans égard au type de dommage allégué ou au fondement juri-
dique invoqué (arrêt non publié du 3 février 2000 dans la
cause 4C.343/1999, consid. 3; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel,
Schweizerisches Aktienrecht, n. 146 ad § 36, p. 436; Peter
Widmer, Commentaire bâlois, n.
3 ad art. 760 CO; Rita Trigo
Trindade, La responsabilité des organes de gestion de la so-

ciété anonyme dans la jurisprudence récente du Tribunal fé-
déral in: SJ 1998 p. 1 ss, spéc. p. 14). Comme l'art. 760
al.
1 CO a rigoureusement la même teneur que l'art. 760 al. 1
aCO
et que le litige soumis au Tribunal fédéral est circonscrit
au point de savoir si l'action de la demanderesse est pres-
crite, il ne se pose en l'espèce aucune question de droit
intertemporel.

4.- Selon l'art. 760 al. 1 CO, les actions en res-
ponsabilité du droit de la société anonyme sont soumises à
une prescription absolue de dix ans. Cette limite au droit
d'intenter une action en réparation part du jour où le fait
dommageable s'est produit, indépendamment de la connaissance
qu'en ont eue les lésés (cf. ATF 102 II 353 consid. 2a p.
357). Cette prescription décennale peut être interrompue, no-
tamment par une réquisition de poursuite (ATF 112 II 231 con-
sid. 3e; Widmer, op. cit., n. 2 ad art. 760 CO).

In casu, il est établi qu'au cours de la séance du
9 décembre 1987, à laquelle assistaient une délégation de
Dubied et des représentants de quatre banques dont, pour la
BCN, son directeur Krebs, ces établissements bancaires ont
décidé de concert de refuser désormais tous nouveaux crédits
à ladite société. Cet acte constitue sans conteste le fait
dommageable susceptible d'engager la responsabilité du défen-
deur en tant qu'administrateur de Dubied et de la BCN en
qualité d'organe de fait de la même société. Partant, c'est
le 10 décembre 1987 que le délai de prescription de 10 ans a
commencé à courir (art. 132 al. 1 CO). Or, avant le 11 décem-
bre 1997, date où la prescription absolue aurait été acquise
(art. 132 al. 1 CO), la demanderesse a fait notifier des ré-
quisitions de poursuite aux défendeurs, soit, s'agissant de
Krebs, les 27 novembre 1996 et 5 décembre 1997 pour respecti-
vement 60 200 fr. et 19 800 fr., et, s'agissant de la BCN,
les 29 novembre 1996 et 5 décembre 1997 pour des montants
identiques. Ces poursuites ont interrompu le délai absolu de

prescription selon l'art. 135 ch. 2 CO, un nouveau délai
égal
à l'ancien, donc de 10 ans, commençant à courir dès l'inter-
ruption (art. 137 CO).

La prescription décennale n'était donc pas inter-
venue lorsque la demanderesse, le 26 avril 1999, a ouvert
action devant la Cour civile en paiement de 65 779 fr.90 et
10 000 fr.

5.- Il reste à examiner si, comme l'a admis
l'autorité cantonale, la demanderesse a laissé s'écouler,
sans l'interrompre, le délai relatif de prescription
instauré
par l'art. 760 al. 1 CO, lequel est de cinq ans à partir du
jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage et de
la
personne responsable.

Dès lors que le commencement de cette prescription
quinquennale est soumis à des conditions identiques à celles
qui sont posées par l'art. 60 al. 1 CO, on peut se référer à
la jurisprudence relative à cette disposition (Widmer, op.
cit., n. 1 art. 760 CO).

a) La connaissance de la personne qui est l'auteur
du dommage n'est pas acquise déjà au moment où le lésé présu-
me que la personne en cause pourrait devoir réparer le pré-
judice, mais seulement lorsqu'il connaît les faits qui fon-
dent son obligation de réparer. En revanche, il n'est pas
nécessaire qu'il connaisse aussi le fondement juridique de
ce
devoir; en effet, l'erreur de droit - qu'elle soit excusable
ou non - n'empêche pas le cours de la prescription (ATF 82
II
43 consid. 1a).

Les juges cantonaux ont constaté que la recourante
savait le 30 juin 1988, lorsque le concordat par abandon
d'actif a été homologué, que la BCN avait décidé de ne plus
accorder de nouveaux crédits à Dubied et que Krebs était à
la

fois administrateur de cette société et directeur de la ban-
que en cause, qui était une des bailleresses de fonds de
Dubied. Déterminer ce qu'une personne sait à un moment donné
relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédé-
ral en instance de réforme (ATF 124 III 182 consid. 3).
Dans ces conditions, il apparaît clairement que la demande-
resse avait une connaissance suffisante de l'auteur du dom-
mage en tout cas dès la publication dans la Feuille officiel-
le suisse du commerce du jugement accordant l'homologation
du
concordat (art. 308 al. 1 aLP). On ignore pourtant quand cet-
te publication a eu lieu, mais il n'importe, car, à cette da-
te, comme on le verra, la demanderesse n'était pas en posses-
sion d'assez d'éléments pour apprécier son dommage.

b) La connaissance du dommage par le lésé au sens
de l'art. 760 al. 1 CO suppose que celui-ci soit informé des
circonstances relatives à son existence, à sa nature et à
ses
caractéristiques essentielles au point qu'il soit à même de
déposer une action en justice et de motiver sa demande. Il
n'est toutefois pas nécessaire qu'il puisse arrêter la quoti-
té du dommage par des chiffres précis (ATF 116 II 158
consid.
4a; 100 II 339 consid. 1a et les références). Le créancier
qui subit une perte dans la faillite de son débiteur ne pos-
sède pas seulement une connaissance suffisante de son préju-
dice au moment où il est renseigné sur le montant exact du
dividende afférent à sa créance; il lui suffit de connaître
l'état des actifs et le rang attribué à sa créance, données
qui lui permettront d'évaluer le montant probable de son di-
vidende. D'après la doctrine et la jurisprudence, ce sera en
général le cas lorsque l'état de collocation aura été déposé
et mis à la disposition des créanciers (ATF 122 III 195 con-
sid. 9c; 116 II 158 ibidem; 108 Ib 97 consid. 1c p. 100; cf.
également arrêt du TFA du 6 novembre 2000 destiné à la pu-
blication dans la cause H 137/00, consid. 4c; Forstmoser/
Meier-Hayoz/Nobel, n. 149 ad § 36, p. 436/437; Pascal Monta-
von, Droit suisse de la SA, Mise à jour 97-99 du tome III,
p.

301). Le lésé peut exceptionnellement, en raison de circons-
tances particulières, acquérir la connaissance nécessaire
avant le dépôt de l'état de collocation. C'est en
particulier
le cas lorsqu'il apprend des organes de la communauté des
créanciers ou de l'office des faillites qu'aucun dividende
ne
pourra être distribué aux créanciers de sa classe. L'existen-
ce de telles circonstances ne sera cependant admise qu'avec
retenue: de simples rumeurs ou des renseignements émanant de
personnes non autorisées ne permettent pas encore de fonder
et de motiver une demande en justice (ATF 116 II 158 consid.
4b). Les mêmes principes sont applicables en cas de
concordat
par abandon d'actif, la procédure concordataire étant un
substitut, une forme atténuée de la faillite (ATF 125 III
154
consid. 3b p. 158; 107 III 106 consid. 3a).

Au vu de ce qui précède, il est exclu de suivre la
Cour civile lorsqu'elle soutient que la demanderesse a
acquis
une connaissance suffisante de son dommage dès la réception
de la circulaire adressée le 20 juin 1988 aux actionnaires
de
Dubied par son conseil d'administration, document qui
faisait
état d'une perte totale du capital social. Il s'agissait en
effet d'une information qui ne provenait ni de l'autorité
concordataire ni d'un organe du concordat par abandon d'ac-
tif, tel le commissaire au sursis (cf. art. 295 aLP), mais
des représentants du débiteur concordataire. De surcroît,
elle a été donnée pendant la durée du sursis concordataire
avant même l'acceptation du concordat, soit antérieurement
au
dessaisissement du débiteur (art. 316d aLP). Exiger d'un ac-
tionnaire qu'il connaisse son préjudice à ce stade de la pro-
cédure concordataire ne peut entrer en ligne de compte.

On ne saurait davantage confirmer le point de vue
de l'autorité cantonale, qui a retenu, par surabondance, que
la demanderesse aurait pu savoir le 4 juillet 1990 que la
réalisation des actifs de Dubied permettait de désintéresser
tous les créanciers de la société, en capital et intérêts,
et

de verser encore un surplus aux actionnaires, aux motifs
qu'à
cette date la masse a offert aux créanciers et actionnaires
la cession des droits contre les administrateurs et que la
demanderesse, comme cessionnaire, devait s'interroger sur
les
montants à disposition pour dédommager les créanciers. D'une
part, est seul déterminant le moment où le lésé a effective-
ment connaissance du dommage, et non pas celui où il aurait
pu découvrir l'importance de sa créance en faisant preuve de
l'attention commandée par les circonstances (ATF 111 II 55
consid. 3a). D'autre part, la cession envisagée à l'art. 260
aLP ne concerne que les créances contestées ou difficiles à
recouvrer que les organes du concordat ont renoncé à faire
valoir (art. 316 l aLP). On ne voit donc pas comment un ac-
tionnaire, sur la base de ces droits litigieux, pourrait
avoir une vue d'ensemble de la masse active (cf. sur cette
notion Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concor-
dat, 3e éd., p. 447 s.).

Enfin, l'actionnaire, contrairement au créancier,
ne peut estimer son préjudice au moment du dépôt de l'état
de
collocation. Cet état constitue de fait le tableau du passif
du débiteur, tel qu'il résulte des décisions des
liquidateurs
sur les productions des créanciers (art. 316 g aLP). En fonc-
tion de sa teneur s'expriment les rapports entre les droits
des différents créanciers (ATF 115 III 144 consid. 4). L'ac-
tionnaire du débiteur concordataire n'est en rien concerné
par l'établissement dudit tableau, qu'il n'a pas la possibi-
lité d'attaquer, au contraire du créancier dont la
production
a été écartée ou qui n'a pas été admis avec le gage, le rang
ou le privilège auquel il prétendait (cf. art. 249 al. 3 aLP
qui s'applique en matière de concordat par abandon d'actif
(ATF 105 III 28 consid. 3)). Le dies a quo du délai relatif
de prescription de l'art. 760 al. 1 CO ne saurait donc
partir
pour l'actionnaire de la mise à disposition de cet état.

c) Il apparaît que c'est seulement lorsque les li-
quidateurs ont déposé le tableau de distribution définitif
prévu à l'art. 316 p aLP que la demanderesse a pu avoir une
connaissance suffisante du préjudice qu'elle a subi en tant
qu'actionnaire de Dubied en liquidation concordataire. Ren-
seignée sur le produit de la liquidation, elle a alors pu
savoir que tous les créanciers avaient été remboursés et
qu'un surplus existait qui serait notamment distribué aux
actionnaires proportionnellement au nombre de leurs actions.
Mais, on ignore la date à laquelle a été déposé le tableau
de
distribution définitif susmentionné, étape de la procédure
concordataire qui n'a du reste fait l'objet d'aucune consta-
tation dans le jugement déféré.

Conformément à l'art. 64 al. 1 OJ, il y a donc lieu
d'admettre partiellement le recours, d'annuler le jugement
attaqué et de retourner la cause à l'autorité cantonale pour
qu'elle complète l'état de fait, puis tranche à nouveau la
question de la prescription en tenant compte des actes inter-
ruptifs émanant de la demanderesse.

6.- L'issue du litige est encore incertaine. Il se
justifie donc de faire supporter l'émolument de justice pour
moitié à la charge de la recourante, pour l'autre solidaire-
ment à la charge des intimés et de compenser les dépens
(art.
156 al. 3 et 159 al. 3 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours, annule le juge-
ment attaqué et renvoie la cause à la cour cantonale pour
nouvelle décision dans le sens des considérants;

2. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. pour
moitié à la charge de la recourante, pour l'autre solidaire-
ment à la charge des intimés;

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal neuchâtelois.

___________

Lausanne, le 21 décembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.298/2000
Date de la décision : 21/12/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-21;4c.298.2000 ?
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