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21/12/2000 | SUISSE | N°4C.283/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 décembre 2000, 4C.283/2000


«AZA 1/2»

4C.283/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

André & Cie S.A., à Lausanne, défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat à Lausanne,

et

CMB Transport NV, à Anvers (Belgique), demanderesse et inti-
mée, reprÃ

©sentée par Me Jean-Paul Maire, avocat à Lausanne;

(contrat de transport; droit applicable)

Vu les pièces du dossier d'où r...

«AZA 1/2»

4C.283/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

André & Cie S.A., à Lausanne, défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat à Lausanne,

et

CMB Transport NV, à Anvers (Belgique), demanderesse et inti-
mée, représentée par Me Jean-Paul Maire, avocat à Lausanne;

(contrat de transport; droit applicable)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- CMB Transport NV (ci-après: CMB), à Anvers
(Belgique), s'est engagée à transporter par bateau du Havre
(France) à Luanda (Angola), moyennant rémunération, vingt-
quatre containers de viande congelée. Deux connaissements
ont
été émis à ce sujet le 19 octobre 1992.

Le 3 novembre 1992, le navire est arrivé devant le
port de Luanda qui était fermé pour une durée indéterminée à
cause d'une guerre civile qui frappait l'Angola. Comme l'évo-
lution du conflit était totalement imprévisible durant les
quatre premiers jours du mois de novembre 1992 et que la car-
gaison transportée était périssable, le transporteur a
décidé
de dérouter le navire sur Pointe-Noire (République du
Congo),
où la marchandise a été entreposée.

Déclarant représenter les "intérêts marchandises",
André & Cie S.A. a reproché au transporteur d'avoir pris une
décision jugée hâtive. Le port de Luanda ayant été rouvert
le
6 novembre 1992, CMB, par télex du 9 novembre 1992, a fait
savoir qu'un transport entre Pointe-Noire et Luanda n'inter-
viendrait que sur une nouvelle base contractuelle.

Le 27 novembre 1992, André & Cie S.A. a écrit à CMB
ce qui suit: "Nous garantissons que le paiement du transport
sera fait dès que le cas de force majeure que vous invoquez
s'avérera justifié".

Le voyage de Pointe-Noire à Luanda a fait l'objet
de deux nouveaux connaissements.

Le navire du transporteur est arrivé à Luanda le 30
novembre 1992.

B.- Le 16 mars 1995, CMB a déposé devant le Tribu-
nal civil du district de Lausanne une demande en paiement di-
rigée contre André & Cie S.A., réclamant à cette dernière
les
frais d'entrepôt à Pointe-Noire et le prix du transport
entre
Pointe-Noire et Luanda; en dernier lieu, elle a conclu à ce
que sa partie adverse soit condamnée à lui payer la somme de
135 743 fr. avec intérêts.

Par jugement du 13 septembre 1999, le Tribunal ci-
vil du district de Lausanne a rejeté la demande. En substan-
ce, il a considéré que le contrat de transport était régi
par
le droit belge et que la défenderesse n'était pas la débitri-
ce des sommes réclamées, faute d'un rapport juridique entre
les parties.

Statuant sur recours de la demanderesse par arrêt
du 15 mars 2000, la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois a au contraire admis la demande, considérant que la
guerre civile en Angola constituait un cas de force majeure
selon le droit interne suisse.

C.- André & Cie S.A. exerce un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Reprochant principalement à la cour can-
tonale de ne pas avoir appliqué la loi étrangère désignée
par
le droit international privé suisse, elle conclut à l'annula-
tion de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à
l'autorité
cantonale; subsidiairement, elle conclut au rejet de la de-
mande.

Soutenant que le Tribunal fédéral pourrait appli-
quer lui-même le droit belge et parvenir ainsi à la même con-
clusion que la cour cantonale, l'intimée propose le rejet du
recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile dans les formes requises
(art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche
pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ), la violation du
droit cantonal (ATF 126 III 189 consid. 2a, 370 consid. 5;
125 III 305 consid. 2e) ou - s'agissant d'une contestation
pécuniaire - une mauvaise application du droit étranger
(art.
43a al. 2 OJ a contrario). L'appréciation des preuves et les
constatations de fait qui en découlent ne peuvent donner
lieu
à un recours en réforme (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III
78 consid. 3a).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où un recourant invoquerait un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des excep-

tions qui viennent d'être rappelées, il ne serait pas possi-
ble d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il
n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

2.- a) L'intimée réclame en premier lieu à la re-
courante le paiement des frais d'entreposage à Pointe-Noire.

Il ne résulte pas des constatations cantonales -
qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art. 63 al. 2 OJ) - que la défenderesse aurait demandé au
transporteur d'entreposer la marchandise. Il faut donc exclu-
re que la créance invoquée tire son fondement d'un rapport
contractuel spécial, par exemple un mandat.

La prétention déduite en justice repose entièrement
sur l'exécution du contrat de transport entre Le Havre et
Luanda. La question est de savoir si le transporteur était
en
droit de dérouter le navire et de mettre la marchandise en
lieu sûr aux frais de son cocontractant. Ces questions dépen-
dent des règles qui gouvernent le contrat de transport.

b) L'intimée réclame également à la recourante le
paiement du transport de Pointe-Noire à Luanda.

Sur ce point, la cour cantonale a retenu souverai-
nement que la recourante s'est obligée directement à l'égard
de l'intimée à payer les frais en question. Il n'est pas né-
cessaire de s'interroger ici sur la qualification juridique

de cet engagement; il suffit de constater qu'il est claire-
ment conditionné au fait que l'intimée puisse établir
qu'elle
était en droit de dérouter le navire. Partant, il n'est pas
possible de statuer séparément sur cet engagement, sans exa-
miner préalablement la question de la bonne exécution du con-
trat dont l'objet était le transport de la marchandise entre
Le Havre et Luanda.

c) Il sied donc de déterminer quel est le droit ap-
plicable au contrat précité.

Selon les constatations cantonales, l'intimée s'est
obligée, moyennant rémunération, à transporter de la marchan-
dise d'un lieu à un autre. Selon la loi du for, la
convention
conclue par l'intimée doit être qualifiée de contrat de
transport (art. 440 al. 1 CO).

Il ne résulte pas de l'état de fait déterminant
qu'une élection de droit a été convenue (art. 116 LDIP).

En pareille situation, le contrat est régi par le
droit de l'Etat avec lequel il présente les liens les plus
étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Ces liens sont réputés
exister
avec l'Etat dans lequel la partie qui doit fournir la presta-
tion caractéristique a sa résidence habituelle ou, si le con-
trat est conclu dans l'exercice d'une activité professionnel-
le ou commerciale, son établissement (art. 117 al. 2 LDIP).
Comme le contrat de transport a pour objet un service, il
faut considérer que ce service constitue la prestation carac-
téristique (art. 117 al. 3 let. c LDIP). En conséquence, le
contrat de transport, en droit international privé suisse,
est régi, en l'absence d'élection, par le droit de l'Etat
dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle
(Keller/Kren Kostkiewicz, IPRG Kommentar, n. 80 ad art. 117
LDIP; Bernard Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18
décembre 1987, 2ème éd., n. 27 ad art. 117 LDIP; Patocchi/

Geisinger, Code de droit international privé annoté, n. 13
ad
art. 117 LDIP; Ernst Staehelin, Commentaire bâlois, 2e éd.,
n. 12 ad art. 440 CO; déjà sous l'ancien droit: ATF 74 II 81
consid. 1).

Du moment que l'intimée a conclu le contrat dans
l'exercice de son activité professionnelle ou commerciale,
c'est le lieu de son établissement qui est déterminant (art.
117 al. 2 LDIP). L'établissement d'une société se trouve
dans
l'Etat dans lequel elle a son siège ou une succursale (art.
21 al. 3 LDIP).

In casu, il n'a pas été retenu que le contrat au-
rait été passé avec une succursale. Le rattachement dépend
ainsi du siège social de l'intimée, lequel se situe à
Anvers.
Cette ville se trouve en Belgique, et nullement - comme cela
apparaît sur la couverture de l'arrêt cantonal - aux Pays-
Bas. Le nom "Antwerpen" figurant à la page 2 de l'arrêt défé-
ré n'est que la désignation de cette même ville en langue
flamande.

Il s'ensuit que le contrat de transport entre Le
Havre et Luanda est régi par le droit belge.

d) Il appartenait à l'autorité cantonale d'établir
le contenu du droit étranger et de l'appliquer (art. 16 al.
1
LDIP). Elle devait examiner les clauses du contrat à la lu-
mière d'éventuelles dispositions impératives du droit belge.
A défaut de clauses contractuelles, elle devait appliquer
les
règles de droit dispositif en vigueur en Belgique. La
Chambre
des recours devait également tenir compte des traités inter-
nationaux applicables dans ce pays.

Il est vrai que les notions en cette matière ont
été largement unifiées par la Convention internationale pour
l'unification de certaines règles en matière de
connaissement

(RS 0.747.354.11) conclue le 25 août 1924. Ce traité interna-
tional ne peut cependant être pris en considération qu'en
tant qu'il est applicable en Belgique (cf. ATF 99 II 99 con-
sid. 2), avec les éventuelles réserves émises par ce pays.
Même si la Belgique, par l'effet d'un accord international,
a
adopté les mêmes normes que la Suisse, cela n'a pas pour con-
séquence de transformer le droit belge en droit suisse.

Quand le droit international privé suisse désigne
une loi étrangère, cette désignation s'étend en principe à
toutes les dispositions applicables à la cause (art. 13
LDIP). En particulier, la loi étrangère désignée règle aussi
bien la naissance que les effets de l'obligation; elle régit
donc également les conséquences d'une inexécution ou d'une
mauvaise exécution (ATF 125 III 443 consid. 3c).

e) En l'espèce, la cour cantonale a examiné la
question de la force majeure en se référant, sans aucune ex-
plication, à la jurisprudence et à la doctrine du droit in-
terne suisse, alors que ce droit n'était pas applicable.
Sans
conteste, la cour cantonale a transgressé l'art. 117 LDIP,
norme de droit fédéral qui lui imposait de rechercher et
d'appliquer le droit belge. Lorsque - comme c'est le cas en
l'occurrence - l'autorité cantonale méconnaît les règles fé-
dérales régissant la détermination du droit applicable, il
s'agit d'une violation du droit fédéral qui peut être invo-
quée dans un recours en réforme (cf. ATF 121 III 246 consid.
3d, 436 consid. 4b/bb).

f) Dès l'instant où l'autorité cantonale n'a pas
appliqué du tout le droit étranger désigné par le droit in-
ternational privé suisse, le Tribunal fédéral ne peut - con-
trairement à l'opinion de l'intimée - qu'annuler l'arrêt en-
trepris et renvoyer l'affaire à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision (ATF 121 III 246 consid. 3d). Il n'appar-
tient pas à la juridiction fédérale d'appliquer le droit

étranger en première et dernière instance; cette solution
s'impose d'autant plus que si la cour cantonale avait jugé
selon le droit belge, le recours en réforme n'aurait pas été
ouvert pour se plaindre d'une violation du droit étranger
(cf. art. 43a al. 2 OJ a contrario; ATF 125 III 443 consid.
3b).

g) A toutes fins utiles, il faut observer que la
recourante a soutenu dans la procédure que les circonstances
commandaient d'attendre quelques jours pour que la situation
se clarifie; la cour cantonale n'a manifestement pas répondu
à cet argument en se bornant à observer que la guerre civile
est un cas de force majeure en droit suisse.

Si l'on peut comprendre que la défenderesse puisse
être tenue sur la base de son engagement conditionnel de
payer les frais du transport de Pointe-Noire à Luanda, on ne
parvient pas à saisir sur quelles bases juridiques elle se-
rait tenue de payer les frais d'entreposage à Pointe-Noire.
Sur ce
point, la cour cantonale donne des explications obscu-
res, affirmant que la recourante avait acquis la marchandise
(p. 3 de l'arrêt déféré) et que celle-ci avait été assurée
par son intermédiaire (p. 4 du même arrêt). A supposer que
la
Chambre des recours considère que la recourante est l'expédi-
teur dans le contrat qui avait trait au transport de la mar-
chandise entre Le Havre et Luanda, il lui incombe d'exposer
pourquoi le nom de cette dernière n'apparaît pas dans les
connaissements; d'après ces documents (sur la notion de con-
naissement: Staehelin, op. cit., n. 21 à 23 ad art. 443 CO;
Pierre Engel, Contrats de droit suisse, 2ème éd., p. 752),
il
semble que l'expéditeur soit un tiers agissant en son propre
nom, mais pour le compte d'autrui (vraisemblablement la re-
courante). Si la cour cantonale pense que la défenderesse a
repris l'obligation de l'expéditeur (à titre privatif ou cu-
mulatif), elle doit indiquer quel est l'acte juridique qui
fonde cette situation. Bien entendu, la représentation ou la

reprise de dette doivent être examinées à la lumière de l'or-
dre juridique désigné par le droit international privé suis-
se.

3.- En définitive, il apparaît que les questions
litigieuses n'ont pas été tranchées. Dans ces conditions, le
recours doit être admis, l'arrêt critiqué annulé et la cause
retournée à la cour cantonale pour nouvelle décision. La re-
courante obtenant gain de cause, les frais et dépens de la
procédure fédérale doivent être mis à la charge de sa partie
adverse (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et
renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle déci-
sion;

2. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la
charge de l'intimée;

3. Dit que l'intimée versera à la recourante une
indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal vaudois.

_____________

Lausanne, le 21 décembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.283/2000
Date de la décision : 21/12/2000
1re cour civile

Analyses

Art. 117 LDIP; droit international privé; rattachement du contrat de transport. Lorsque les parties contractantes n'ont pas choisi un autre droit, le contrat de transport est soumis, en droit international privé suisse, au droit de l'Etat dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-21;4c.283.2000 ?
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