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21/12/2000 | SUISSE | N°1P.457/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 décembre 2000, 1P.457/2000


«/2»
1P.457/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Aemisegger,
Président, Favre et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la Caisse de pensions A.________, représentée par Me Denis
Sulliger, avocat à Vevey,

contre

l'arrêt rendu le 13 juin 2000 par le Tribunal administratif
du canton de Vaud,

dans la cause qui oppose la recourante
à B.________, C.________, D.________, E.________,
F.________, G.________, H._...

«/2»
1P.457/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

21 décembre 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Aemisegger,
Président, Favre et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la Caisse de pensions A.________, représentée par Me Denis
Sulliger, avocat à Vevey,

contre

l'arrêt rendu le 13 juin 2000 par le Tribunal administratif
du canton de Vaud, dans la cause qui oppose la recourante
à B.________, C.________, D.________, E.________,
F.________, G.________, H.________ et I.________, tous
représentés par Me Thierry Thonney, avocat à Lausanne;

(art. 26 et 27 Cst.; autorisation de démolir
des immeubles comportant des appartements entrant
dans la catégorie où sévit une pénurie de logements)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La Caisse de pensions A.________ est propriétaire
de la parcelle n° 68 du registre foncier de la commune de
Vevey. Ce bien-fonds de 3'806 mètres carrés supporte plu-
sieurs bâtiments vétustes, sis aux nos 2 à 6 du quai Maria-
Belgia et aux nos 1 à 5 de la rue de la Madeleine, cons-
truits à la fin du XIXème siècle pour les besoins d'une ma-
nufacture de tabac et reconvertis en habitation au début des
années 1930. Ils comportent 54 appartements sans confort, de
2 à 6 pièces, vacants ou occupés à bien plaire par des
squatters. En décembre 1996, un incendie a détruit le der-
nier étage et la toiture de l'immeuble sis au n° 5 de la rue
de la Madeleine, endommageant les structures en bois et les
éléments verticaux porteurs.

B.- Le 13 septembre 1998, la propriétaire des lieux a
sollicité de la Municipalité de Vevey l'autorisation de dé-
molir les bâtiments existants sur la parcelle n° 68 et de
reconstruire un groupe d'immeubles d'habitation comprenant
75 appartements ainsi qu'un parking souterrain de 55 places.
Les constructions prévues correspondent à un standard de
qualité supérieure, le montant annoncé des loyers s'éche-
lonnant de 1'400 fr., pour un appartement de 2,5 pièces de
62 mètres carrés, à 3'250 fr., pour un duplex de 6,5 pièces
en attique de 199 mètres carrés.

Soumis à l'enquête publique du 25 septembre au 15 octo-
bre 1998, ce projet a notamment suscité l'opposition des
copropriétaires par étages de l'immeuble sis au n° 8 du quai
Maria-Belgia, à savoir B.________, C.________, D.________,
E.________, F.________, G.________, H.________ et I.________
(ci-après, les opposants ou les copropriétaires de la PPE
Quai Maria-Belgia 8). Ces derniers contestaient en particu-

lier la démolition des immeubles existants en tant qu'élé-
ments significatifs du patrimoine veveysan.

Les préavis et autres autorisations des services canto-
naux concernés par le projet ont été communiqués le 10 dé-
cembre 1998 à la Municipalité de Vevey par la Centrale des
autorisations du Département cantonal des infrastructures.
Suivant le préavis favorable de la Municipalité de Vevey, le
Service cantonal du logement a délivré sans conditions les
autorisations spéciales de démolir requises à l'art. 1er al.
1 de la loi vaudoise du 4 mars 1985 concernant la démoli-
tion, la transformation et la rénovation de maisons d'habi-
tation, ainsi que l'utilisation de logements à d'autres fins
que l'habitation (LDTR).

Dans sa séance du 15 janvier 1999, la Municipalité
de Vevey a décidé de lever les oppositions et de délivrer
les autorisations de construire sollicitées aux conditions
fixées par les services communaux et cantonaux, ce dont elle
a informé les opposants le 18 janvier 1999 et la propriétai-
re le 22 janvier 1999. Ces derniers ont recouru contre les
décisions du Service cantonal du logement du 10 décembre
1998 et de la Municipalité de Vevey du 18 janvier 1999 au-
près du Tribunal administratif du canton de Vaud (ci-après,
le Tribunal administratif).

Du 4 au 24 juin 1999, la Caisse de pensions A.________
a soumis à l'enquête publique complémentaire diverses modi-
fications du projet initial auxquelles les copropriétaires
de la PPE Quai Maria-Belgia 8 ont fait opposition.

Par décision du 28 juin 1999, le Service cantonal du
logement a accordé l'autorisation complémentaire requise en
vertu de la LDTR; quant à la Municipalité de Vevey, elle a
levé l'opposition des copropriétaires de la PPE Quai Maria-

Belgia 8 par décision du 26 juillet 1999. Les opposants ont
déféré ces décisions auprès du Tribunal administratif.

C.- Statuant par arrêt du 13 juin 2000, cette dernière
autorité a admis les recours formés par les copropriétaires
de la PPE Quai Maria-Belgia 8 et annulé les décisions atta-
quées. Après avoir reconnu la qualité des opposants pour re-
courir contre les permis de construire municipaux et contre
les autorisations spéciales délivrées par le Service canto-
nal du logement en application de la LDTR, elle a considéré
sur le fond qu'en l'état actuel du dossier, la démolition
des bâtiments existants ne pouvait se justifier ni par les
coûts de rénovation ni par l'intérêt général invoqué par la
Municipalité de Vevey, consistant à favoriser la venue dans
la commune de nouveaux contribuables aisés.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public,
la Caisse de pensions A.________ demande au Tribunal fédéral
d'annuler cet arrêt. Elle reproche au Tribunal administratif
d'avoir arbitrairement reconnu la qualité des opposants pour
recourir contre les autorisations spéciales délivrées par le
Service cantonal du logement. Elle voit dans le refus de
l'autoriser à démolir les bâtiments existants sur la parcel-
le n° 68 une atteinte inadmissible à son droit de propriété
garanti à l'art. 26 al. 1 Cst. et à la liberté économique
consacrée à l'art. 27 Cst. Invoquant en particulier le prin-
cipe de la proportionnalité, elle conteste que la rénovation
des immeubles permette de maintenir sur le marché locatif
des logements à des loyers accessibles à la catégorie de po-
pulation touchée par la pénurie. Elle prétend que la solu-
tion projetée serait mieux adaptée aux objectifs visés par
la LDTR en augmentant l'offre de logements pour lesquels il
existe une pénurie à des prix comparables à ceux qui pour-
raient être pratiqués en cas de rénovation. Elle fait enfin
grief à l'autorité intimée d'avoir appliqué la loi cantonale
de manière arbitraire, en interprétant restrictivement la

clause dérogatoire de l'art. 4 al. 1 LDTR, en ramenant l'in-
térêt général invoqué par la commune à un simple intérêt
fiscal et en procédant à une pesée incomplète des intérêts
en présence.

La Commune de Vevey conclut à l'admission du recours.
Le Service cantonal du logement propose également d'admettre
le recours à titre principal; subsidiairement, il conclut à
son admission partielle et au renvoi de la cause à l'autori-
té cantonale pour nouvelle décision "dans le sens de la pri-
se en compte des intérêts de l'ensemble des parties concer-
nées, soit notamment par l'octroi d'une autorisation de dé-
molir assortie d'un contrôle des loyers pendant dix ans de
tout ou partie des logements à reconstruire". Les coproprié-
taires de la PPE Quai Maria-Belgia 8 concluent au rejet du
recours. Le Tribunal administratif a renoncé à déposer des
observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- En tant que propriétaire des immeubles dont la dé-
molition a été refusée, la recourante a incontestablement
qualité pour agir par la voie du recours de droit public, au
sens de l'art. 88 OJ. Les autres conditions de recevabilité
posées aux art. 84 ss OJ sont par ailleurs réunies, de sorte
qu'il convient d'entrer en matière.

2.- La recourante reproche au Tribunal administratif
d'avoir arbitrairement reconnu aux intimés la qualité pour
recourir contre les autorisations spéciales délivrées par
le Service cantonal du logement.

a) Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire
lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridi-

que clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une ma-
nière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
à cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si
elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec
la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs
objectifs et en violation d'un droit certain. En outre, il
ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient
insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbi-
traire dans son résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170 et
l'arrêt cité). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une
autre interprétation de la loi soit possible, ou même préfé-
rable (ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250/251; 120 Ia 369 con-
sid. 3a p. 373).

b) La qualité pour recourir au Tribunal administratif
du canton de Vaud est régie principalement par l'art. 37 al.
1 de la loi cantonale sur la juridiction et la procédure ad-
ministratives du 18 décembre 1989 (LJPA). Dans sa teneur in-
troduite par une loi cantonale adoptée le 26 février 1996,
cette disposition accorde le droit de recours à "toute per-
sonne physique ou morale atteinte par la décision attaquée
et [ayant] un intérêt digne de protection à ce que celle-ci
soit annulée ou modifiée".

L'art. 37 al. 2 let. a LJPA réserve au surplus les dis-
positions des lois spéciales reconnaissant le droit de re-
cours à d'autres personnes ou autorités. On cherche toute-
fois en vain une telle disposition dans la LDTR ou dans son
règlement d'exécution, de sorte que l'octroi de l'autorisa-
tion de démolir ne peut être contesté, le cas échéant, que
par une personne habilitée à recourir selon la règle généra-
le de l'art. 37 al. 1 LJPA.

Pour l'essentiel, le texte de cette disposition est
identique à celui de l'art. 103 let. a OJ concernant la qua-

lité pour former un recours de droit administratif au Tribu-
nal fédéral. Selon l'exposé des motifs du gouvernement can-
tonal, il introduit une réglementation uniforme applicable
tant aux affaires relevant exclusivement du droit cantonal
de procédure qu'à celles visées par les art. 98a al. 3 OJ ou
33 al. 3 let. a LAT, pour lesquelles les critères de l'art.
103 OJ constituent obligatoirement, de par le droit fédéral
(ATF 121 II 39 consid. 2c/cc p. 46, 171 consid. 2a p. 173/
174), un standard minimum d'accès à la juridiction adminis-
trative cantonale (cf. Bulletin des séances du Grand Conseil
du canton de Vaud, séance du 19 février 1996, p. 4487 ss).
Dans ces conditions, compte tenu du texte de l'art. 37 al.
1 LJPA et de l'intention dans laquelle le législateur l'a
adopté, le Tribunal administratif pouvait sans arbitraire se
référer à la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant
l'art. 103 let. a OJ afin de déterminer si un plaideur a
qualité pour agir devant lui.

Selon cette jurisprudence, le recourant doit être tou-
ché dans une mesure et avec une intensité plus grandes que
la généralité des administrés, et l'intérêt invoqué - qui
n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé,
mais qui peut être un intérêt de fait - doit se trouver,
avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit,
spécial et digne d'être pris en considération; il faut donc
que l'admission du recours procure au recourant un avantage
de nature économique, matérielle ou idéale. Le recours d'un
particulier formé dans l'intérêt de la loi ou d'un tiers est
en revanche irrecevable. Ces exigences ont été posées de ma-
nière à empêcher l'action populaire dans le domaine de la
juridiction administrative fédérale, quand un particulier
conteste une autorisation donnée à un autre administré (cf.
ATF 124 II 293 consid. 3b p. 304; 121 II 39 consid. 2c/aa
p. 43, 171 consid. 2b p. 174; 120 Ib 48 consid. 2a p. 51 et
les arrêts cités).

La qualité pour recourir en application de l'art. 103
let. a OJ est ainsi reconnue au voisin qui devrait tolérer
une habitation nouvelle à proximité immédiate de sa propre
maison (ATF 104 Ib 245 consid. 7d p. 256; voir aussi ATF 121
II 171 consid. 2b p. 174; 115 Ib 508 consid. 5c p. 511), ou
qui serait menacé d'immissions telles que le bruit (ATF 119
Ib 179 consid. 1c p. 183), les odeurs (ATF 103 Ib 144 con-
sid. 4c p. 150) ou les inconvénients causés par le trafic
(ATF 112 Ib 170 consid. 5b p. 173). Par ailleurs, il n'est
pas nécessaire que l'intérêt du voisin recourant coïncide
avec celui protégé par la règle de droit qu'il invoque (ATF
121 II 171 consid. 2b p. 174, 176 consid. 2a p. 177, 120 Ib
379 consid. 4b p. 386, 119 Ib 179 consid. 1c p. 183/184).

Dans cette perspective, l'autorité intimée pouvait sans
arbitraire retenir qu'en tant que propriétaires voisins, les
intimés avaient un intérêt digne de protection à s'opposer à
la démolition des immeubles bâtis sur la parcelle de la re-
courante au profit de bâtiments plus volumineux qui modifie-
raient sensiblement l'aspect du quartier; de plus, même si
une interprétation plus restrictive de la qualité pour agir
des intimés aurait également été soutenable (cf. ATF 113 Ia
17 consid. 3a p. 20 et les arrêts cités), elle n'a pas fait
preuve d'arbitraire en admettant qu'ils étaient autorisés à
invoquer la LDTR en tant que celle-ci s'opposerait, à leur
avis, à la réalisation des constructions projetées, puisque,
selon la jurisprudence, leur intérêt ne doit pas obligatoi-
rement coïncider avec celui protégé par les règles auxquel-
les ils se réfèrent (cf. RDAT 1993 II n° 55 p. 136 consid.
3b).

Le recours est donc mal fondé sur ce point.

3.- La recourante se plaint d'une violation de son
droit à la propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst. et
de la liberté économique consacrée à l'art. 27 al. 1 Cst.


a) Les restrictions de droit public à la propriété ne
sont compatibles avec l'art. 26 Cst. que si elles reposent
sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public
suffisant et respectent les principes de la proportionnalité
et de l'égalité devant la loi (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; pour
la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 22ter aCst.,
ATF 125 II 129 consid. 8 p. 141; 124 II 538 consid. 2a
p. 540; 121 I 117 consid. 3b p. 120; 119 Ia 348 consid. 2a
p. 353 et les arrêts cités). Quel que soit l'intérêt public
que le législateur cantonal considère comme légitime pour
limiter le droit de propriété des destinataires de la norme,
il doit veiller à sauvegarder les facultés essentielles de
disposition, d'usage et de jouissance qui découlent du droit
de propriété et ne pas porter atteinte à la substance de
celle-ci en tant qu'institution fondamentale de l'ordre ju-
ridique suisse (ATF 116 Ia 401 consid. 9a p. 414). Le grief
tiré de la violation de la liberté économique - pour autant
que la recourante ait qualité pour l'invoquer - n'a pas de
portée indépendante et se confond avec celui pris de la vio-
lation de la garantie de la propriété (ATF 113 Ia 126 con-
sid. 8c p. 139).

b) La recourante ne conteste pas que le refus de lui
délivrer l'autorisation spéciale de démolir requise en ap-
plication de l'art. 1er al. 1 LDTR repose sur une base lé-
gale et qu'il réponde à un intérêt public suffisant en tant
qu'il est motivé par la volonté de conserver des logements à
loyers modérés (cf. à ce sujet, ATF 101 Ia 502; 89 I 178).
Elle tient en revanche cette décision pour disproportionnée
et dénonce la pesée incomplète des intérêts à laquelle se
serait livrée l'autorité intimée.

aa) Le principe de la proportionnalité suppose que des
dispositions limitant le droit de propriété soient aptes à
produire les résultats attendus et que ceux-ci ne puissent
pas être atteints par des mesures moins restrictives. En ou-

tre, il interdit toute limitation qui aille au-delà du but
visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et
les intérêts publics et privés qui sont compromis (ATF 126 I
112 consid. 5b p. 119/120; 125 I 474 consid. 3 p. 482; 124 I
40 consid. 3e p. 44/45, 107 consid. 4c/aa p. 115; 119 Ia 348
consid. 2a p. 353, 374 consid. 3c p. 377). Lorsque la viola-
tion de ce principe est invoquée en relation avec un droit
constitutionnel, le Tribunal fédéral examine en principe li-
brement cette question. Il s'impose toutefois une certaine
retenue dans l'examen de questions qui relèvent de la pure
appréciation ou des circonstances locales, voire techniques,
que l'autorité cantonale est mieux à même d'évaluer. Il en
va de même lorsqu'il s'agit d'examiner si l'intérêt public
est assez important pour prévaloir sur les intérêts publics
et privés opposés (ATF 121 I 117 consid. 3c p. 121; 120 Ia
67 consid. 3b p. 72, 270 consid. 3b p. 275; 119 Ia 348 con-
sid. 2a p. 353, 378 consid. 6a p. 383 et les arrêts cités).

bb) L'art. 1er al. 1 LDTR soumet à une autorisation
du Département cantonal de l'agriculture, de l'industrie et
du commerce, dans les communes où sévit la pénurie de loge-
ments, la démolition, la transformation et la rénovation,
totales ou partielles, de maisons d'habitation, ainsi que
l'utilisation de logements, ou de parties de ceux-ci, à
d'autres fins que l'habitation. En vertu de l'art. 3 LDTR,
cette autorisation est, en règle générale, refusée lorsque
l'immeuble en cause comprend des logements d'une catégorie
où sévit la pénurie. Selon l'art. 4 LDTR, elle est accordée
lorsque la démolition, la transformation, la rénovation ou
le changement d'affectation apparaissent indispensables pour
des motifs de sécurité, de salubrité ou d'intérêt général;
elle peut l'être à titre exceptionnel si d'autres circons-
tances le commandent impérativement (al. 1). L'octroi de
l'autorisation peut être subordonné à certaines conditions,
notamment à un contrôle pendant dix ans des loyers des loge-
ments qui remplacent ceux qui ont été démolis ou des immeu-

bles transformés ou rénovés, afin d'éviter des augmentations
qui iraient à l'encontre du but visé par la présente loi
(al. 2 et 3).

Tel qu'il est formulé, l'art. 4 al. 1 LDTR laisse aux
autorités chargées de son application une marge d'apprécia-
tion suffisante pour faire des exceptions à l'interdiction
de principe de démolir justifiées par l'intérêt général ou
par la présence de circonstances particulières (Bulletin des
séances du Grand Conseil du canton de Vaud, séance du 18 fé-
vrier 1985, p. 1439; cf. également, RDAF 1993 p. 219 consid.
1c in fine p. 220).

cc) La recourante prétend en premier lieu que la réno-
vation des bâtiments existants ne permettra pas de maintenir
des loyers modérés et, par conséquent, d'atteindre le but
visé par la loi.

On cherche en vain une définition du loyer modéré, ac-
cessible à la majeure partie de la population, dans la LDTR
ou dans son règlement d'application. Dans les cantons qui
connaissent une réglementation analogue à celle du canton
de Vaud, les loyers sont tenus pour avantageux lorsqu'ils
ne dépassent pas ceux qui sont exigés en moyenne dans la
commune pour des logements similaires par leur superficie,
leur situation, leur confort et leur état (cf. art. 4 des
ordonnances jurassienne et bernoise sur le maintien de lo-
caux d'habitation; voir aussi, s'agissant du canton de Ge-
nève, Jean-Marc Siegrist/Mark Muller, Le loyer répondant aux
besoins prépondérants de la population selon la loi genevoi-
se sur les démolitions, transformations et rénovations de
maisons d'habitation, Cahiers du bail 1996, p. 33 ss; et
de manière plus générale, Peter Schumacher, Die kantonalen
Wohnraumerhaltungsgesetze, thèse Bâle 1990, § 9 V 2.3,
p. 108 ss). La question de savoir si cette définition est
également valable en droit vaudois peut demeurer ouverte.

Il ressort en effet de l'expertise réalisée par le
Service cantonal du logement, en date du 3 novembre 1998,
qu'une rénovation moyenne à lourde des immeubles existants
serait possible et qu'elle aurait pour effet de porter le
niveau admissible du prix annuel de location à 188 fr. le
mètre carré et le montant des loyers mensuels nets moyens
à 940 fr. pour un appartement de 2 pièces de 60 mètres car-
rés, à 1'253 fr. pour un appartement de 3 pièces de 80 mè-
tres carrés et à 1'567 fr. pour un appartement de 4 pièces
de 100 mètres carrés, tout en assurant un rendement convena-
ble au propriétaire. Le Tribunal administratif tient ces
loyers pour modérés, contrairement à la recourante pour qui
de tels prix seraient inaccessibles à la majorité de la po-
pulation veveysane, dont le revenu imposable annuel est in-
férieur à 30'000 fr. Le Service cantonal du logement confir-
me, dans ses observations, que des logements de cette caté-
gorie de prix correspondent encore aux besoins prépondérants
de la population, même si l'on ne peut effectivement parler
de bas loyers. S'agissant d'éléments de fait étroitement
liés aux circonstances locales et pour l'appréciation des-
quels le Tribunal fédéral doit reconnaître à l'autorité can-
tonale un pouvoir particulièrement étendu, celui-ci n'a au-
cune raison de s'écarter de l'opinion du Service cantonal
spécialisé. Cela étant, la cour cantonale n'a pas fait
preuve d'arbitraire en considérant qu'en l'état actuel du
dossier, la démolition ne pouvait se justifier au motif que
les coûts de rénovation seraient si élevés qu'il serait im-
possible de les rentabiliser en maintenant des loyers modé-
rés accessibles à la majeure partie de la population.

dd) La recourante dénonce également une application ar-
bitraire de l'art. 4 al. 1 in fine LDTR; elle reproche à cet
égard à l'autorité intimée d'avoir procédé à une pesée in-
complète des intérêts en présence en restreignant à un inté-
rêt purement fiscal l'intérêt de la Commune de Vevey à voir
s'implanter de nouvelles constructions en lieu et place des

immeubles existants. Elle voit un motif d'intérêt général
propre à justifier l'octroi de l'autorisation spéciale dans
le fait que son projet permettrait de mettre sur le marché
locatif des appartements entrant dans la catégorie où sévit
la pénurie, à des loyers comparables à ceux qui pourraient
être exigés en cas de rénovation, tout en augmentant leur
nombre.

Selon le législateur cantonal, la délivrance d'une au-
torisation de transformer ou de démolir est envisageable
pour des motifs d'intérêt général lorsque le projet faisant
l'objet de la requête permet de maintenir ou d'augmenter le
nombre de logements loués à des prix raisonnables dans une
catégorie où sévit la pénurie (Bulletin des séances du Grand
Conseil du canton de Vaud, automne 1973, p. 228/229). Un ac-
croissement de l'offre de logements à louer ne suffit donc
pas pour que l'autorisation de démolir requise soit accor-
dée; encore faut-il que le niveau des loyers des nouveaux
appartements soit raisonnable, à défaut de quoi le but pour-
suivi par la loi consistant à conserver des logements à
loyers modérés ne serait pas atteint (cf. Peter Schumacher,
op. cit., p. 112/113 et les références citées en note 151).
Les cantons qui prévoient l'octroi d'une autorisation de
transformer ou de démolir pour un tel motif posent également
cette condition, que ce soit directement dans la loi ou dans
son règlement d'application (cf. art. 5 al. 1 let. b des
lois bernoise et jurassienne sur le maintien de locaux
d'habitation), ou dans l'application de celle-ci par les
tribunaux (cf. dans le canton de Bâle-Ville, ZBl 84/1983
p. 375 consid. 4 p. 377).

Dans le cas particulier, il n'est pas contesté que le
projet permettrait d'accroître sensiblement l'offre en loge-
ments sur le marché locatif veveysan et, en particulier,
l'offre en appartements de 5 à 6 pièces où sévit une pénu-
rie, selon les statistiques effectuées au 1er juin 1999. En

revanche, sous réserve d'une quinzaine de logements, le mon-
tant des loyers annoncés des nouveaux logements et, en par-
ticulier, des appartements de 5 à 6 pièces, serait supérieur
au niveau admissible des loyers déterminé par l'expertise du
Service cantonal du logement. De plus, il n'est pas établi
que la pénurie dans cette catégorie de logements viserait
essentiellement des appartements de grands standings réser-
vés à des contribuables aisés à l'exclusion des appartements
à loyers modérés. De ce point de vue, le projet litigieux ne
répondrait à un intérêt général, au sens de l'art. 4 al. 1
LDTR, que moyennant un contrôle des loyers propre à assurer
le maintien de ceux-ci à un niveau encore accessible pour la
majorité de la population. Il n'appartient toutefois pas au
Tribunal fédéral d'imposer d'office une telle solution à la
société constructrice en l'absence de toute conclusion en ce
sens.

La recourante voit également un motif d'intérêt général
de nature à justifier l'octroi d'une autorisation dérogatoi-
re dans l'intérêt public de la commune à régénérer un quar-
tier actuellement occupé à bien plaire par des squatters. Il
n'est pas exclu que des objectifs d'aménagement du territoi-
re ou d'urbanisme puissent justifier l'octroi de l'autorisa-
tion de démolir (cf. Bulletin des séances du Grand Conseil
du canton de Vaud, séance du 18 février 1985, p. 1430/1431;
voir aussi, notamment, l'art. 5 al. 1 let. f des lois ber-
noise et jurassienne sur le maintien de locaux d'habita-
tion). La revitalisation du quartier dans lequel les im-
meubles litigieux prendraient place peut toutefois être ga-
rantie tant par une rénovation des bâtiments existants que
par leur démolition et leur reconstruction. Elle ne saurait
par conséquent justifier l'octroi de l'autorisation spéciale
de démolir en application de l'art. 4 al. 1 in fine LDTR.

La volonté de la Commune de Vevey de rééquilibrer sa
balance fiscale en attirant de nouveaux contribuables aisés

est certes un but d'intérêt général, comme l'a d'ailleurs
retenu le Tribunal administratif. La création d'appartements
de haut standing est un moyen parmi d'autres pour atteindre
ce but. Toutefois, dès lors qu'il implique la suppression
d'appartements à loyers modérés ou accessibles à la majeure
partie de la population, ce moyen va directement à l'encon-
tre du but visé par la LDTR qui tend, d'une part, à mainte-
nir l'affectation des logements répondant, par leur loyer,
leur prix ou leur conception, aux besoins prépondérants de
la population et, d'autre part, à empêcher que des logements
à loyers modérés soient transformés en appartements de luxe
(ATF 116 Ia 401 consid. 11b/bb p. 418). Dans ces conditions,
l'autorité intimée n'a pas versé dans l'arbitraire en consi-
dérant que l'intérêt fiscal de la commune ne l'emportait pas
sur l'intérêt public au maintien sur le marché locatif de
logements à des prix accessibles à la majorité de la popula-
tion. Le fait que le taux de logements subventionnés à Vevey
soit sensiblement supérieur à celui enregistré dans d'autres
agglomérations comparables du canton, voire que la Commune
de Vevey ne dispose pas de surfaces constructibles suscepti-
bles d'accueillir des constructions nouvelles non soumises à
la LDTR, n'est pas de nature à modifier cette appréciation.

Pour le surplus, la recourante ne fait valoir aucune
autre circonstance qui commanderait impérativement l'octroi
de l'autorisation dérogatoire sollicitée à titre exception-
nel en application de l'art. 4 al. 1 in fine LDTR.

c) En définitive, l'autorité intimée n'a pas fait preu-
ve d'arbitraire en considérant que les conditions posées à
l'octroi d'une autorisation spéciale de démolir sans une li-
mitation du contrôle des loyers n'étaient pas réunies.

4.- Le recours doit par conséquent être rejeté, aux
frais de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
Cette dernière versera en outre une indemnité
à titre de

dépens aux intimés qui obtiennent gain de cause avec l'as-
sistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 5'000 fr. à la charge
de la recourante;

3. Alloue à B.________, C.________, D.________,
E.________, F.________, G.________, H.________ et
I.________, créanciers solidaires, une indemnité de
1'500 fr. à titre de dépens, à la charge de la recourante;

4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties, à la Municipalité de la Ville de Vevey, repré-
sentée par Me Philippe Vogel, avocat à Lausanne, au Service
du logement ainsi qu'au Tribunal administratif du canton de
Vaud.

Lausanne, le 21 décembre 2000
PMN/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.457/2000
Date de la décision : 21/12/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-21;1p.457.2000 ?
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