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19/12/2000 | SUISSE | N°4C.277/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 décembre 2000, 4C.277/2000


«/2»

4C.277/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

19 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

M.________, défenderesse et recourante, représentée par Me
Cornelia Seeger Tappy et par Me Guillaume Perrot, avocats à
Lausanne,

et

R.________, demanderesse et intimée;

(cont

rat de travail)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- L'association M.________ exploite un...

«/2»

4C.277/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

19 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

M.________, défenderesse et recourante, représentée par Me
Cornelia Seeger Tappy et par Me Guillaume Perrot, avocats à
Lausanne,

et

R.________, demanderesse et intimée;

(contrat de travail)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- L'association M.________ exploite un établis-
sement médico-social pour personnes âgées.

De graves tensions sont survenues entre le comité
de direction et le service infirmier de M.________. Selon un
audit du 13 février 1998, l'ambiance de travail a été quali-
fiée de très mauvaise.

Le 6 mai 1998, M.________ a engagé R.________ en
qualité d'infirmière-chef, à partir du 1er août 1998, pour
un
salaire de 7'500 fr. par mois. Il a notamment été convenu le
paiement, à bien plaire, d'une gratification en fin d'année,
ce que prévoyait également le statut du personnel de juin
1991 annexé à la lettre d'engagement.

Au début du mois d'août 1998, le directeur de
M.________ a été contraint de démissionner avec effet immé-
diat. Après avoir engagé Monsieur A.________ à titre tempo-
raire, le comité de direction a nommé, en octobre 1998, Ma-
dame L.________ dont l'entrée en fonction a été fixée au 1er
novembre 1998.

Le 28 octobre 1998, la nouvelle directrice a pré-
sidé une séance à laquelle ont participé cinq cadres de la
résidence, dont R.________.

A la suite de cette réunion et de divers autres
incidents, ces cinq personnes ont signé un "rapport" adressé
au comité dans lequel elles contestaient le style de direc-
tion adopté par Madame L.________ et proposaient que
Monsieur
A.________ soit nommé définitivement à la place de celle-ci.

Le 1er novembre 1998, R.________, porte-parole des
chefs de service, a remis cette pétition à une délégation du
comité en déclarant que, s'il n'était pas accédé au souhait
exprimé par les signataires, il fallait s'attendre à une dé-
mission collective.

Le 2 novembre 1998, une nouvelle séance a réuni les
cadres, la directrice et une partie du comité de M.________.
D'emblée, R.________ a précisé qu'elle pensait ne pas
pouvoir
travailler avec Madame L.________. Elle s'est aussitôt reti-
rée et n'est réapparue qu'au moment de quitter la résidence
pour ajouter brièvement qu'il serait triste que le comité ne
revienne pas sur la nomination de la nouvelle directrice.

A l'issue de cette séance, Madame L.________, con-
firmée dans ses fonctions, a été chargée de renouer le dialo-
gue avec l'infirmière-chef. Deux semaines plus tard, elle a
informé le comité qu'elle avait revu R.________ le 13 novem-
bre 1998 et que celle-ci, restant sur ses positions, lui
avait déclaré vouloir quitter son emploi.

Le 16 novembre 1998, l'équipe soignante du deuxième
étage de M.________ a écrit une lettre à R.________ pour lui
témoigner sa reconnaissance.

Par téléfax du 20 novembre 1998, R.________ a ré-
pondu aux auteurs de cette lettre qu'elle ne pouvait pas en-
core faire confiance au comité et à la nouvelle directrice.
Elle précisait qu'elle reprendrait le travail le 30
novembre,
mais qu'elle quitterait l'établissement une fois qu'elle au-
rait trouvé un poste intéressant ailleurs, à moins que, dans
l'intervalle, elle puisse reprendre confiance. Jusque-là,
elle continuerait à s'investir pleinement dans son travail.

Le 27 novembre 1998, lors de la soirée de fin d'an-
née du personnel à laquelle il a été retenu que R.________

assistait, Madame L.________ a annoncé qu'une gratification
égale à un salaire mensuel complet allait être versée à
l'ensemble des salariés.

Le 30 novembre 1998, R.________ a été convoquée,
dès son arrivée, au bureau de la direction où Madame
L.________ et un membre du comité lui ont signifié son licen-
ciement pour le 31 décembre suivant. Elle a été
immédiatement
dispensée de travailler.

Le 1er décembre 1998, R.________ a prié son em-
ployeur de lui indiquer par écrit les motifs de son licencie-
ment, ceux qui lui avaient été donnés par oral le 30
novembre
1998 n'étant à ses yeux ni clairs ni précis.

Incapable de travailler du 1er au 6 décembre 1998
pour raison médicale, R.________ a, par courrier du 7 décem-
bre 1998, offert ses services dès le 1er janvier 1999. Le mê-
me jour, elle a adressé une lettre de remerciement au person-
nel soignant, expliquant le déroulement de son licenciement
et indiquant qu'elle faisait parvenir ce message d'adieu à
domicile, car on lui avait demandé de ne plus avoir de con-
tact avec M.________.

Le 11 décembre 1998, elle a réclamé le versement de
la gratification accordée au personnel pour l'année 1998 et
a
réitéré sa demande de motivation du congé.

Le 17 décembre 1998, M.________ a admis la prolon-
gation du délai de congé de R.________ au 31 janvier 1999 et
confirmé que celle-ci était libérée de son obligation de tra-
vailler.

Par courrier du 8 janvier 1999, R.________ a impar-
ti un délai au 15 janvier à son employeur pour motiver par

écrit le licenciement dont elle contestait d'ores et déjà le
bien-fondé.

Le 18 janvier 1999, M.________ a entre autres indi-
qué que la direction de l'établissement devait pouvoir comp-
ter sur la confiance et la loyauté de ses employés; par son
attitude méfiante, voire hostile vis-à-vis du comité et de
la
nouvelle directrice, l'infirmière-chef ne pouvait que mettre
en péril l'ambiance de travail de toute la maison et pousser
l'équipe soignante dans un conflit de loyauté. La lettre
adressée par celle-ci au personnel soignant le 7 décembre
1998 était du reste révélatrice de cette attitude.

B.- Le 2 mars 1999, R.________ a déposé une deman-
de en justice, réclamant à M.________ le versement d'une gra-
tification pour l'année 1998 et d'une indemnité pour licen-
ciement abusif. Elle a finalement arrêté le total de ses pré-
tentions à 20'000 fr.

Par jugement du 26 octobre 1999, le Tribunal de
prud'hommes de Lausanne a condamné M.________ à verser à
R.________ la somme totale de 10'625 fr. avec intérêt à 5 %
dès le 2 mars 1999. Considérant que l'infirmière-chef avait
été licenciée de façon abusive pour une raison inhérente à
sa
personnalité, une indemnité de 7'500 fr. lui a été allouée à
ce titre. Les juges ont également condamné l'employeur à ver-
ser à l'infirmière-chef 3'125 fr. représentant la gratifica-
tion lui revenant pour 1998.

Le 1er mars 2000, la Chambre des recours du Tribu-
nal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par
M.________
et confirmé le jugement du 26 octobre 1999.

C.- Contre cet arrêt, M.________ (la défenderesse)
interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle
conclut à l'admission du recours et à ce qu'il soit dit
qu'elle n'est pas débitrice de R.________ de la somme de
10'625 fr., avec suite de dépens sur le plan cantonal.

Dans ses observations, R.________, qui comparaît
sans avocat, maintient avoir été licenciée de manière abusi-
ve.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la défenderesse qui a été con-
damnée à payer une somme d'argent à la demanderesse et
dirigé
contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale
par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contes-
tation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de
8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est en
principe
recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile compte tenu
des féries (art. 34 al. 1 let. b et 54 al. 1 OJ) et dans les
formes requises (art. 55 OJ).

b) Dans sa réponse, la demanderesse ne prend pas de
conclusion formelle, mais elle se prononce au sujet du re-
cours, ce qui est suffisant au regard de l'art. 59 OJ (Jean-
François Poudret, COJ II, Berne 1990, Art. 59 et 61 OJ no
3.3
p. 491).

c) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédé-
ral doit conduire son raisonnement sur la base des faits con-
tenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y
ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille

compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119
II 353 consid. 5c/aa; 117 II 256 consid. 2a). Celui qui s'en
prend à une constatation de fait, dans le cadre d'un recours
en réforme, doit établir les conditions de l'une de ces ex-
ceptions (ATF 115 II 399 consid. 2a p. 400). Sous réserve de
ces cas, il ne peut pas être présenté de faits ou moyens de
preuve nouveaux ni de griefs contre les constatations de
fait
(art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 120 II
280 consid. 6c) ou contre l'appréciation des preuves à la-
quelle s'est livrée l'autorité cantonale (ATF 126 III 189
consid. 2a; 125 III 368 consid. 3 in fine; 122 III 26
consid.
4a/aa).

Dans la mesure où les parties s'écartent des cons-
tatations de fait retenues par la cour cantonale, leurs
écritures ne sont donc pas recevables. Dans la suite de son
raisonnement, la Cour de céans se fondera exclusivement sur
les faits tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué.

2.- La défenderesse se prévaut d'une violation de
l'art. 336 al. 1 let. a CO, reprochant à la cour cantonale
d'avoir reconnu l'existence d'une résiliation abusive au
sens
de cette disposition.

a) Selon le principe posé à l'art. 335 al. 1 CO, le
contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut
être résilié par chacune des parties. Ce droit fondamental
de
chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au
contrat
est cependant limité par les dispositions sur le congé
abusif
(art. 336 ss CO). En particulier, l'art. 336 al. 1 let. a CO
qualifie d'abusif le congé donné par une partie pour une rai-
son inhérente à la personnalité de l'autre partie, à moins
que cette raison n'ait un lien avec le rapport de travail ou

ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au
travail
dans l'entreprise. Cette disposition vise le congé discrimi-
natoire, fondé par exemple sur la race, la nationalité,
l'âge, l'homosexualité, les antécédents judiciaires ou
encore
la maladie, la séropositivité (arrêt du Tribunal fédéral du
11 novembre 1993, publié partiellement in: SJ 1995 p. 798,
consid. 2a et les références citées; Adrian Staehelin, Com-
mentaire zurichois, art. 336 CO no 9). L'application de
l'art. 336 al. 1 let. a CO suppose premièrement que le congé
ait été donné pour un motif inhérent à la personnalité de la
personne congédiée et, deuxièmement, que ce motif n'ait pas
de lien avec le rapport de travail ou ne porte pas sur un
point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entre-
prise (cf. Marie-Gisèle Zoss, La résiliation abusive du con-
trat de travail, thèse Lausanne 1996, p. 173). Les motifs de
la résiliation relèvent du fait et, partant, lient le Tribu-
nal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ;
ATF 115 II 484 consid. 2b).

b) Il ressort de l'arrêt attaqué que la demanderes-
se a été licenciée en raison du manque de confiance qu'elle
a
exprimé envers la nouvelle direction mise en place par le co-
mité directeur et également parce que l'établissement
médical
craignait qu'en raison de son ascendant naturel sur ses su-
bordonnés et sur les autres cadres, l'infirmière-chef ne
dresse une partie importante du personnel contre la nouvelle
directrice. Le Tribunal fédéral s'est récemment demandé si
les traits de caractère et les types de comportements indivi-
duels pouvaient constituer des raisons inhérentes à la per-
sonnalité au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO, laissant
toutefois la question ouverte (ATF 125 III 70 consid. 2c p.
74 et les références citées). Ce problème se pose également
dans le cas d'espèce compte tenu des motifs de licenciement
constatés, mais, comme dans l'arrêt précité, il n'a pas à
être résolu, puisque la seconde condition d'application de
l'art. 336 al. 1 let. a CO fait défaut.

c) Il ne saurait en effet y avoir d'abus selon cet-
te disposition lorsque la raison justifiant le congé
présente
un lien avec le rapport de travail, en particulier avec
l'obligation de travailler et le devoir de fidélité du tra-
vailleur (Message du Conseil fédéral du 9 mai 1984 in: FF
1984
II p. 623; arrêt du Tribunal fédéral du 13 janvier 1992, pu-
blié in: SJ 1993 p. 357, consid. 1; Staehelin, op. cit.,
art. 336 CO no 10). En raison de son obligation de fidélité,
le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts
légitimes
de son employeur (art. 321a al. 1 CO). A cet égard, le com-
portement des cadres doit être apprécié avec une rigueur ac-
crue, compte tenu du crédit particulier et de la responsabi-
lité que leur confère leur fonction dans l'entreprise (arrêt
du Tribunal fédéral du 11 octobre 1994, publié in: SJ 1995
p.
809, consid. 3; ATF 104 II 28 consid. 1; Staehelin, op.
cit.,
art. 321a CO no 8; Ullin Streiff/Adrian von Kaenel,
Leitfaden
zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., Zurich 1992, art. 321a CO
no 4). Il a ainsi été jugé qu'un cadre qui manifestait clai-
rement son intention de changer d'emploi aussi vite que pos-
sible peu après le début de son contrat de travail conclu
pour une durée de deux ans violait son devoir de fidélité
(ATF 117 II 560 consid. 3a). Il ne faut
pas non plus perdre
de vue que les rapports de confiance sont à la base du con-
trat de travail (ATF 124 III 25 consid. 3a in fine) et que,
si ceux-ci sont ébranlés ou détruits, notamment en raison de
la violation du devoir de fidélité du travailleur (cf.
Streiff/von Kaenel, op. cit., art. 321a CO no 8), ils
peuvent
même aller jusqu'à légitimer la cessation immédiate des rap-
ports de travail (cf. ATF 116 II 145 consid. 6a p. 150).

En l'espèce, la demanderesse occupait le poste
d'infirmière-chef auprès de la défenderesse. Alors qu'elle
n'était en fonction que depuis quelques mois, elle s'est
d'emblée opposée à la nomination de la nouvelle directrice
par le comité directeur. Lors d'une séance du 2 novembre
1998, elle a annoncé qu'elle ne pensait pas pouvoir travail-

ler avec cette personne et elle a cherché à faire en sorte
que le comité revienne sur sa décision de nomination. A l'oc-
casion d'une entrevue avec la directrice, chargée de renouer
le dialogue, elle est restée sur ses positions et lui a dé-
claré vouloir quitter son emploi. Elle a ensuite répété à
l'équipe soignante qui lui avait adressé une lettre de sou-
tien qu'elle ne faisait toujours pas confiance au comité et
à
la nouvelle directrice et qu'elle quitterait l'établissement
une fois qu'elle aurait trouvé un poste intéressant ailleurs.

On peut considérer qu'un cadre qui fait état de
ses dissensions avec la direction auprès de ses subordonnés,
alors que, par sa fonction, il est chargé de représenter son
employeur vis-à-vis de ceux-ci, viole son devoir de
fidélité.
Ce cadre rompt également le lien de confiance indispensable
à
toute relation de travail lorsqu'il annonce à son employeur,
après quelques mois d'activité, qu'il s'oppose à travailler
avec la directrice fraîchement nommée et qu'il ne modifie
pas
sa position bien que celle-ci tente de renouer le dialogue,
annonçant au surplus qu'il a l'intention de quitter son em-
ploi. La justification du congé ressortant de l'arrêt
attaqué
est donc en relation directe avec les rapports de travail,
de
sorte que le licenciement prononcé ne saurait être considéré
comme abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO, contrai-
rement à ce qu'a retenu la cour cantonale. Il convient de
préciser qu'il ne s'agit pas ici de se demander si
l'attitude
de la demanderesse aurait justifié une résiliation immédiate
au sens de l'art. 337 CO, mais seulement d'examiner si l'em-
ployeur pouvait librement faire usage de son droit de mettre
fin au contrat tel que garanti par l'art. 335 al. 1 CO.

Comme les faits retenus par la cour cantonale ne
laissent pas apparaître l'existence d'un autre motif de
congé
abusif, la demanderesse ne peut prétendre à une indemnité
sur
la base des art. 336 ss CO. L'arrêt attaqué doit donc être
annulé dans la mesure où il condamne la défenderesse à
verser

à la demanderesse un montant de 7'500 fr. pour licenciement
abusif.

3.- Invoquant une violation de l'art. 322d CO, la
défenderesse s'en prend également à la gratification 1998 al-
louée à la demanderesse par les juges cantonaux.

a) La cour cantonale a considéré que, le contrat de
travail prévoyant le versement à bien plaire d'une gratifica-
tion de fin d'année, la demanderesse n'avait en principe pas
un droit contractuel au paiement de cette prestation. Toute-
fois, comme une gratification avait été accordée à tous les
travailleurs, le principe de l'égalité de traitement empê-
chait la défenderesse de discriminer l'infirmière-chef en se
prévalant de motifs ayant justifié un licenciement qualifié
d'abusif par les juges cantonaux. Au demeurant, comme la dé-
fenderesse avait annoncé à tout le personnel réuni lors de
la
séance de fin d'année qu'une gratification équivalant à un
salaire mensuel allait être versée, sans informer la demande-
resse qui était présente qu'elle ne bénéficierait pas de cet-
te prestation, celle-ci avait été objectivement convenue et,
partant, était due.

b) La gratification, au sens de l'art. 322d CO, est
une rétribution spéciale accordée à des occasions particuliè-
res et dépendant, dans une certaine mesure en tout cas, de
l'employeur, si ce n'est dans son principe, à tout le moins
dans son montant. N'est dès lors plus une gratification la
rétribution dont le montant et l'échéance inconditionnelle
sont fixés d'avance par le contrat de travail, telle que le
treizième mois de salaire ou une autre rétribution semblable
entièrement déterminée par le contrat (ATF 109 II 447
consid.
5c). La gratification versée régulièrement et dont le tra-
vailleur peut prétendre, de bonne foi, qu'elle lui est due,
peut également devenir obligatoire (Brunner/Bühler/Waeber,

Commentaire du contrat de travail, 2e éd., Lausanne 1996,
art. 322d CO no 5; Manfred Rehbinder, Commentaire bernois,
art. 322d CO no 6; Streiff/von Kaenel, op. cit., art. 322d
CO
no 4). En l'espèce, tant la lettre d'engagement de la deman-
deresse que le règlement d'entreprise annexé prévoyaient que
les gratifications de fin d'année étaient versées "à bien
plaire" et rien n'indique qu'elles aient eu un caractère ré-
gulier. La cour cantonale a ainsi considéré avec raison
qu'il
s'agissait non pas d'une partie intégrante du salaire, mais
d'une gratification au sens de l'art. 322d CO.

c) Bien que l'employeur soit en principe libre
d'octroyer une gratification prévue "à bien plaire" (Rehbin-
der, op. cit., art. 322d CO no 4), il n'en demeure pas moins
tenu de respecter les engagements supplémentaires qu'il a
pris à ce sujet. Ainsi, lorsqu'il promet à son personnel
que,
pour une année déterminée, une gratification d'un certain
montant lui sera versée, il se trouve lié et ne peut revenir
en arrière (Streiff/von Kaenel, op. cit., art. 322d no 14),
sous réserve du cas où un travailleur aurait violé fautive-
ment et d'une manière grave son devoir de diligence ou de fi-
délité (Staehelin, op. cit., art. 322d CO no 23). Si un tra-
vailleur qui peut prétendre à une gratification est entré au
service de l'employeur dans le courant de l'année, l'indemni-
té qui lui est due à ce titre sera calculée pro rata
temporis
(Manfred Rehbinder, Commentaire bâlois, art. 322d CO no 2;
Brunner/Bühler/Waeber, op. cit., art. 322d CO no 7).

En l'occurrence, la défenderesse a fait une promes-
se particulière lors de la soirée de personnel du 27
novembre
1998, puisqu'elle a annoncé qu'une gratification égale à un
salaire mensuel complet allait être versée à l'ensemble des
salariés. Il ne ressort pas de l'arrêt entrepris qu'elle au-
rait émis des réserves pour certains travailleurs ou qu'elle
aurait limité cette prestation aux seules personnes présen-
tes. Dans ces circonstances, on peut admettre que cette dé-

claration, d'une portée générale, faite en public à l'occa-
sion de la soirée du personnel, liait l'établissement dès
son
prononcé à l'égard de tous les employés, même de ceux qui
étaient absents ce soir-là. Peu importe donc que la demande-
resse ait participé à cette soirée, de sorte qu'il n'y a pas
lieu de se prononcer sur l'éventuelle inadvertance manifeste
(art. 63 al. 2 OJ) qu'aurait commise, selon la défenderesse,
la cour cantonale, en retenant que l'infirmière-chef assis-
tait à cette réunion. Par ailleurs, si l'on peut reprocher à
la demanderesse d'avoir adopté un comportement violant son
devoir de fidélité, de nature à rompre le lien de confiance
qui la liait à son employeur (cf. supra consid. 2c), ces
manquements ne sauraient être qualifiés de gravement
fautifs.
Ils n'ont par conséquent pas l'intensité suffisante pour per-
mettre à l'employeur de déroger, au détriment de cette em-
ployée, à sa promesse générale de verser une gratification à
tout le personnel. C'est donc à juste titre que la cour can-
tonale a considéré que la demanderesse avait droit à une
telle contribution pour 1998, calculée pro rata temporis à
partir de son entrée en service. Celle-ci équivaut à
3'125 fr., montant qui correspond à 5/12 du salaire mensuel
brut de la demanderesse.

d) A cette somme s'ajoutent les intérêts moratoires
retenus par la juridiction cantonale, dont les parties ne
critiquent ni le principe ni les modalités.

e) Le versement de la gratification apparaissant
comme fondé eu égard à la déclaration faite par l'employeur
lors de la soirée du personnel, il n'y a pas lieu de se de-
mander si le principe d'égalité de traitement aurait égale-
ment permis de justifier cette prestation.

Le recours doit ainsi être partiellement admis et
l'arrêt attaqué annulé. La défenderesse sera condamnée à ver-

ser à la demanderesse le montant de 3'125 fr. avec intérêt à
5 % l'an dès le 2 mars 1999, la demande étant rejetée pour
le
surplus.

4.- La procédure est gratuite, puisque la valeur
litigieuse, selon la prétention de la demanderesse à l'ou-
verture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41; 100 II
358 consid. a), ne dépasse pas 20'000 fr. (art. 343 al. 2 et
3 CO).

Des dépens sont en revanche dus par la partie qui
succombe (ATF 124 II 409 consid. 12 p. 436; 115 II 30
consid.
5c p. 42). Compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu de
mettre des dépens réduits à la charge de la demanderesse
(art. 159 al. 3 OJ).

Il appartiendra à la cour cantonale de statuer à
nouveau sur les dépens de la procédure cantonale.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours et annule l'arrêt
attaqué;

2. Condamne la défenderesse à verser à la demande-
resse le montant de 3'125 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le
2 mars 1999. Rejette la demande pour le surplus;

3. Dit qu'il n'est pas perçu de frais;

4. Dit que la demanderesse versera à la défende-
resse une indemnité de 800 fr. à titre de dépens réduits;

5. Renvoie la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision sur les dépens de la procédure cantonale;

6. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.

__________

Lausanne, le 19 décembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.277/2000
Date de la décision : 19/12/2000
1re cour civile

Analyses

Art. 336 al. 1 let. a CO; licenciement abusif; devoir de fidélité du travailleur. Le cadre qui, après quelques mois d'activité, fait état de ses dissensions avec la direction auprès de ses subordonnés, tout en annonçant à son employeur qu'il s'oppose à travailler avec la nouvelle direction et qu'il projette de quitter son emploi, rompt le lien de confiance indispensable à toute relation de travail et viole son devoir de fidélité. Le licenciement prononcé dans ces circonstances ne peut donc être considéré comme abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-19;4c.277.2000 ?
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